Orthodontie linguale de l'adulte et traitements multidisciplinaires - Cahiers de Prothèse n° 108 du 01/12/1999
 

Les cahiers de prothèse n° 108 du 01/12/1999

 

Orthodontie (ODF)

Didier Fillion  

4, avenue Georges Mandel
75116 Paris

Résumé

L'orthodontie linguale par la non-visibilité de ses appareils est maintenant la plus couramment demandée par les adultes. L'étude de cinq cas détaillant les problèmes posés, les solutions proposées et les résultats obtenus permet de comprendre que chaque adulte a une demande orthodontique spécifique. Ces cinq cas démontrent que l'orthodontie linguale peut traiter avec succès toutes les malocclusions et que l'appareil lingual peut être collé sur toutes les surfaces qu'elles soient amélaires, métalliques ou céramiques.

Summary

Lingual orthodontics for adults : multidisciplinary treatments

Lingual orthodontics is now widely requested by adult patients because it uses invisible appliances. The study of five cases which sets out the arising problems, the suggested answers and the results that were obtained helps us to understand that each adult has specific orthodontic requirements. These five cases demonstrate that lingual orthodontics can successfully treat every type of malocclusions and that the appliance can be bonded on the lingual side of the teeth on every type of dental surface either enamel, metal or porcelain.

Key words

indirect bonding, multidisciplinary treatment, non visible orthodontics, therapeutic chain

Aujourd'hui, l'orthodontie linguale est sans conteste la technique orthodontique de choix pour traiter les patients adultes. Pourquoi ?

• parce que la non-visibilité de l'appareil permet de traiter tous les adultes récalcitrants au port des attaches vestibulaires ;

• parce que, l'appareil étant essentiellement composé d'attaches et d'arcs orthodontiques traditionnels, les forces utilisées sont maintenues en permanence et le contrôle des mouvements s'effectue dans les trois plans de l'espace ;

• parce que l'incorporation d'un plan de morsure dans les attaches des incisives et canines maxillaires permet l'ouverture immédiate de l'occlusion et, par voie de conséquence, la correction rapide des supraclusions et des articulés inversés antérieurs ;

• parce que l'ouverture de l'occlusion obtenue par le plan de morsure rétro-incisif des attaches permet de supprimer les contractions musculaires excessives dues à certaines malocclusions;

• parce que la désocclusion postérieure, conséquence immédiate du contact des incisives mandibulaires sur les plans de morsure des attaches supérieures permet la correction rapide des problèmes transversaux (endoalvéolie, articulés inversés) et la modification de la forme des arcades ;

• enfin parce que cette technique s'adapte à tous les types de traitement qui peuvent s'ajouter au traitement orthodontique, qu'ils soient parodontaux, chirurgicaux, prothétiques ou même ceux liés au dysfonctionnement des articulations temporo-mandibulaires.

Caractéristiques actuelles de la technique linguale

Le collage indirect au laboratoire

Contrairement aux techniques orthodontiques classiques, il est très difficile de positionner directement des attaches linguales de manière suffisamment précise pour permettre le traitement dans des conditions normales. Il est nécessaire de positionner au laboratoire les attaches sur des modèles de malocclusion, puis de transférer toutes les attaches en bouche grâce à la confection d'une gouttière de transfert à base de matériaux en silicone. Le positionnement des attaches au laboratoire est une opération minutieuse (durée : 2 à 3 heures) dont la qualité détermine directement le bon alignement final.

Le collage en bouche

La rigidité des gouttières de transfert permet le collage d'une arcade en une seule fois, même à l'arcade mandibulaire grâce à l'utilisation du Dry Field System® (Nola) qui isole la langue des surfaces à coller.

La commercialisation en 1993 de microsableuses intrabuccales à usage orthodontique a permis de résoudre le difficile et fréquent problème de collage sur des surfaces autres que l'émail telles que la céramique et le métal. Les particules d'oxyde d'alumine créent des rétentions mécaniques favorisant une meilleure adhésion des résines orthodontiques. L'utilisation de microsableuses à eau, comme l'Air Flow prep K1® EMS (particules d'oxyde d'alumine à 25 μm) apporte efficacité et propreté lors de cette procédure. Aujourd'hui, couronnes métalliques ou céramiques et bridges ne sont plus un obstacle au collage des attaches orthodontiques (fig. 1, 2, 3, et 4).

Enfin, la nouvelle génération de ciments verres ionomères renforcés de résine est aujourd'hui utilisée en technique indirecte : le collage de toute l'arcade se fait sans mordançage préalable par photopolymérisation avec gouttière de transfert, translucide, réalisée en Mémosyl® (Kulzer) (fig. 5).

Réduction des temps de traitement

Depuis 1991, l'orthodontie « visible » dispose de fils à base de nickel-titane, extrêmement élastiques et pour lesquels il est possible de mémoriser une forme spécifique qu'ils tendent à reprendre au-dessus d'une certaine température, programmée par le fabricant. À basse température, ils redeviennent mous et peuvent être facilement engagés dans les gorges des attaches, même s'ils ont une section importante et même dans les cas d'extrême encombrement.

Ces arcs sont depuis peu utilisables en technique linguale, ce qui permet de réduire de manière appréciable la durée des traitements, la durée de temps passé au fauteuil, mais aussi d'augmenter le temps entre deux séances d'activation.

La contention

Malgré toutes les améliorations technologiques qui apparaissent, les dents mobilisées par un traitement d'orthodontie sont rarement stabilisées. Chez les patients adultes, ce phénomène s'accentue selon l'importance de la malocclusion initiale et de la qualité des tissus de soutien. La réouverture des espaces d'extraction est systématique. Pour éviter les récidives, une contention permanente ou semi-permanente est indispensable sous forme d'arcs de contention collés de canine à canine, de prémolaire à prémolaire ou de molaire à molaire, suivant le site d'extraction.

Cette contention collée n'est totalement efficace que si l'arc est collé sur chaque dent. Cela demande une attention particulière lors du brossage et du détartrage triannuel, mais assure la stabilité des résultats obtenus. Après quatre ou cinq ans, les fils de contention peuvent être remplacés - si cela est nécessaire d'un point de vue strictement parodontal - par des gouttières thermoformées fines portées la nuit.

Orthodontie de l'adulte : problèmes, solutions

Alors que les traitements orthodontiques des jeunes patients peuvent être souvent systématisés et leurs objectifs facilement définis, les traitements des adultes se présentent comme un problème individuel. Chaque adulte, à cause de son passé dentaire, de ses objectifs personnels, de ses obligations professionnelles et de sa demande orthodontique (appareil invisible, traitement court et sans extraction) soumet à l'orthodontiste un problème qui requiert des solutions spécifiques. Ces solutions sont souvent des solutions de compromis, non pas sur la qualité des résultats obtenus, mais sur les objectifs à atteindre. En outre, elles nécessitent fréquemment la collaboration de plusieurs spécialistes odontologistes.

À travers cinq cas traités, nous voudrions mettre en évidence, les relations entre ces différents spécialistes, mais aussi justifier la première phrase citée en introduction : l'orthodontie linguale est la technique orthodontique idéale pour traiter les patients adultes [1-4].

Cas n°1

Problèmes soumis

• cette patiente est une artiste, danseuse-chorégraphe qui a des impératifs professionnels (scène, tournées à l'étranger) ;

• sourire gingival particulièrement in-esthétique ;

• lèvre supérieure inexistante (fig. 6) ;

• supraclusion sévère et encombrement aux deux arcades ;

• canines de classe II à droite et de classe I à gauche (fig. 7a, 7b et 7c).

Objectifs et plan de traitement

• alignement des deux arcades, correction de la supraclusion et du sourire gingival ;

• si possible, obtention d'une occlusion canine de classe I des deux côtés ;

• traitement orthodontique seul par attaches linguales collées aux deux arcades (fig. 8a et 8b) ;

• extractions de 15 et 24 après la pose des attaches ;

• mise en place de facettes en résine pour cacher les sites d'extraction ;

• contention permanente par arcs métalliques collés.

Commentaires sur le résultat obtenu

• l'amélioration occlusale et dentaire obtenue est tout à fait satisfaisante : supraclusion corrigée, obtention d'une classe I canine des deux côtés et alignement des deux arcades (fig. 9a, 9b et 9c) ;

• l'amélioration esthétique est encore plus évidente : suppression totale du sourire gingival et apparition de la lèvre supérieure lors du sourire (fig. 10).

Les cas de supraclusion sont des indications idéales de la technique linguale ; les attaches avec plan de morsure incorporés ont permis une ouverture très rapide de l'occlusion et surtout dans ce cas, un nivellement de l'arcade maxillaire avec ingression des incisives (fig. 11). Il n'y a pas eu de chirurgie pa-rodontale ou maxillo-faciale ;

le traitement a duré 24 mois et la stabilité du résultat est assurée par une contention permanente fixe.

Cas n° 2

Problème soumis

• ce patient est un industriel marocain vivant au Maroc ;

• il a consulté plusieurs orthodontistes qui lui ont proposé des plans de traitements contradictoires ;

• encombrement sévère à l'arcade maxillaire (vestibulo-position complète de l'incisive centrale) ainsi qu'à l'arcade mandibulaire malgré l'absence d'une incisive (fig. 12a et 12b) ;

• absence de 17, 36, 37 et forte version de l'axe de 38 ;

• problème d'hygiène dentaire et de récession gingivale sur 33 ;

• aspect inesthétique de l'émail (fig. 13a, 13b et 13c).

Objectifs et plan de traitement

• motivation au brossage et prise en charge par un parodontiste ;

• traitement orthodontique par attaches linguales collées aux deux arcades pour obtenir l'alignement des deux arcades (fig. 14a et 14b) ;

• réduction amélaire interproximale au niveau de l'arcade maxillaire ;

• vestibulo-position des trois incisives mandibulaires ;

• pose d'implants au niveau de 36 et 37 ;

• contention permanente collée ;

• blanchiment et mise en place de facettes céramiques collées (Paul Miara, Paris).

Commentaires sur le résultat obtenu

• durée de traitement : 18 mois ;

• la réduction amélaire réalisée à l'arcade maxillaire a permis d'obtenir la place nécessaire à l'alignement des incisives sans les vestibuler ;

• l'importante vestibulo-version des incisives mandibulaires n'a pas entraîné de récession gingivale et on constate en fin de traitement une parfaite maîtrise de l'hygiène dentaire grâce aux actions répétées du parodontiste et de l'orthodontiste.

La pose d'implants a été effectuée pendant le traitement, ce qui a permis le collage d'attaches linguales et le redressement de 38 (Philippe Khayat, Paris) ;

l'amélioration du sourire est considérable grâce successivement à l'orthodontie et à la dentisterie esthétique, mais ce traitement n'aurait pu être réalisé sans l'action continue du parodontiste pendant toute la durée du traitement (Chafika Kadiri, Casablanca) (fig. 15a, 15b et 15c).

• il existe en fin de traitement, malgré la réduction amélaire, un léger décalage des zones antérieures des deux arcades, dû à l'absence d'une incisive mandibulaire (fig. 16a et 16b).

Cas n° 3

Problèmes soumis

• cette jeune patiente, photographe, déjà traitée avec extraction de quatre prémolaires demande un traitement rapide avant un départ à l'étranger pour raisons professionnelles ;

• le profil est caractérisé par un étage inférieur de la face augmenté (fig. 17a et 17b) ;

• béance antérieure sévère d'origine squelettique (fig. 18a et 18b) ;

• il n'y a aucun signe dysfonctionnel des articulations temporo-mandibulaires (ATM).

Objectifs et plan de traitement

• alignement et concordance transversale des deux arcades, sans chercher à corriger la béance : phase préchirurgicale ;

• correction de la béance squelettique par chirurgie bimaxillaire et génio-plastie ;

• phase orthodontique postchirurgicale pour finaliser l'occlusion (fig. 19a et 19b) ;

• contention permanente collée.

Commentaires sur le résultat obtenu

durée du traitement : 14 mois ;

• la béance a été corrigée grâce à l'intervention chirurgicale bimaxillaire et la génioplastie (Jean-François Tulasne, Paris). L'orthodontie a permis d'obtenir une parfaite occlusion finale des deux arcades ;

seul un traitement combiné orthodontie-chirurgie pouvait corriger cette malocclusion rapidement et définitivement (sept mois avant chirurgie, six mois après) ;

• trois ans après la fin du traitement, la stabilité de la correction est totale (fig. 20a, 20b et 20c) ;

• le départ à l'étranger a empêché la pose de couronnes céramiques sur 16, 26 et 46 ;

• l'amélioration du profil est évidente (fig. 21a et 21b) ;

Cas n° 4

Problèmes soumis

• patiente âgée de 63 ans ;

• encombrement sévère aux deux arcades avec les deux canines mandibulaires en vestibulo-position (fig. 22a et 22b) ;

• supraclusion et « double » sourire gingival (fig. 23).

Objectifs et plan de traitement

• correction de la supraclusion et alignement des deux arcades par orthodontie après extraction de 31 ;

• contention permanente collée ;

• pose de facettes céramiques.

Commentaires sur le résultat obtenu

• l'extraction de l'incisive mandibulaire a permis de résoudre assez rapidement le problème de l'encombrement initial (durée du traitement 16 mois) (fig. 24a et 24b) ;

• à la fin du traitement orthodontique, les bords gingivaux étaient tous approximativement au même niveau grâce à la modification de l'inclinaison des incisives maxillaires ;

• il n'y a plus de sourire gingival en fin de traitement. L'amélioration esthétique est ici considérable ;

• pose de facettes collées (Bernard Touati, Paris) (fig. 25a et 25b).

Cas n° 5

Problème soumis

• cette étudiante de 18 ans a déjà été traitée en orthodontie avec extraction de quatre prémolaires ;

• elle consulte non seulement pour le décalage antéro-postérieur qui atteint 8 mm, mais aussi parce que depuis plusieurs mois, elle ressent des douleurs au niveau des ATM et une limitation de l'ouverture (fig. 26) ;

• le profil montre une position trop en avant de la lèvre supérieure (fig. 27) ;

• le décalage des milieux est dû à une déviation de la mandibule vers la droite (fig. 28a, 28b, et 28c) ;

Objectifs et plan de traitement

• résoudre les problèmes dysfonctionnels ;

• recul des incisives maxillaires, correction de la supraclusion et obtention d'une occlusion de classe I ;

• compte tenu de l'absence des premières prémolaires maxillaires, la correction du décalage antéro-postérieur ne peut être réalisée qu'avec les extractions des premières molaires (les dents de sagesse maxillaires sont déjà en place sur l'arcade) ;

• contention permanente collée.

Commentaires sur le résultat obtenu

• mise en place d'onlays de recouvrement en résine pour permettre le positionnement de la mandibule dans une position confortable avant le début du traitement orthodontique (Jean-Charles Kohaut, Paris) (fig. 29a et 29b) ;

• le traitement a commencé à l'arcade maxillaire alors que les onlays étaient encore en place sur l'arcade mandibulaire (fig. 30a et 30b). Les mouvements dentaires ont été effectués à partir de cette position de la mandibule.

• en fin de traitement, les signes dysfonctionnels ont disparu (fig. 31a, 31b et 31c) ;

• le profil, grâce au recul des incisives mandibulaires, a été normalisé (fig. 32 et 33) et l'ouverture, améliorée (fig. 34).

Conclusion

L'orthodontie linguale n'est plus une technique orthodontique supportable seulement par certains adultes « téméraires » grâce à la non-visibilité de l'appareil, à la réduction de la durée des traitements liée aux nouveaux alliages et grâce enfin aux efforts continus des praticiens pour augmenter le confort du patient.

Son expansion due en grande partie à la qualité des résultats obtenus, mais aussi au développement de son enseignement soit par des cours privés soit par un enseignement universitaire de 3e cycle (université René Descartes, Paris V) permet de répondre à la demande croissante des patients adultes.

L'orthodontie linguale peut quelquefois résoudre seule des problèmes esthétiques majeurs (supraclusion et sourire gingival), mais souvent lors de traitements multidisciplinaires, elle devient le maillon indispensable d'une chaîne thérapeutique très performante.

bibliographie

  • 1 Fillion D. Plaidoyer pour l'orthodontie linguale. Inform Dent 1996;78(7):479-483.
  • 2 Fillion D. Interproximal énamel reduction in lingual orthodontics. Lingual Orthodontics. Hamilton (London) : B.C Decker, 1998.
  • 3 Fillion D. The thickness measurement system with the DALI Program. Lingual Orthodontics. Hamilton (London) : B.C Decker, 1998.
  • 4 Fillion D. Improving patient comfort with lingual brackets. J Clin Orthodont 1997;31(10):689-694.