Nouvelle technique d'ouverture sulculaire pour l'empreinte en prothèse fixée - Cahiers de Prothèse n° 109 du 01/03/2000
 

Les cahiers de prothèse n° 109 du 01/03/2000

 

Prothèse fixée

Jean-Pierre BLANCHARD  

DSO, DEO
Maître de conférences des universités Bordeaux 2
11, allées Claude-Mora
40000 Mont-de-Marsan

Résumé

Une nouvelle technique d'ouverture sulculaire en vue de la prise d'empreinte en prothèse fixée est décrite. Elle est fondée sur l'application dans le sillon gingivo-dentaire d'une pâte développant une pression suffisante pour provoquer l'écartement de la crête gingivale. Le mode d'emploi clinique ainsi que les résultats expérimentaux et cliniques sont rapportés. Le système d'attache, du fait de la conception de la technique est respecté. Le temps d'application et le temps d'action sont plus courts que pour les techniques utilisant le cordonnet.

Summary

A new method of gingival retraction for impression making in fixed prosthesis

A new method of gingival retraction for impression making in fixed prosthesis is described, founded on the application into the gingival crevice of a paste to develop sufficient pressure to draw aside the gingival crest from the tooth. The clinical use, as well as experimental and clinical results are reported. The attached system is kept intact thanks to the technical concept. The elimination of the paste with the spray is easy, and leaves a gingival crevice dry and without seepage, propitious to the impression making. The application time and the action time are shorter than with retraction cord techniques.

Key words

fixed prosthesis, gingival crevice width, gingival retraction, impression making

En prothèse fixée, l'empreinte des préparations dont les limites se situent sous le bord cervical de la gencive marginale nécessite un élargissement du sillon gingivo-dentaire (ou sulcus).

Les objectifs de cette « ouverture sulculaire » sont de permettre l'accès du matériau d'empreinte au-delà de la limite cervicale de la préparation et d'obtenir une épaisseur suffisante de matériau pour que sa déformation ne dépasse pas sa capacité élastique [1] (fig. 1 et 2).

Une ouverture du sulcus d'au moins 0,2 mm est souhaitable pour garantir une définition précise de l'empreinte et mettre en évidence, sur le modèle de travail, une bande périphérique de dent non préparée permettant d'objectiver la ligne de finition et de servir de référence pour réaliser le profil d'émergence de la prothèse [2].

Différentes techniques sont utilisables : électro-section, curetage rotatif, cordonnet unique et double. Chacune possède son indication, mais toutes entraînent des lésions plus ou moins importantes du parodonte sulculaire [3-13]. De plus, leur mise en pratique peut parfois sembler fastidieuse au praticien ou être douloureuse pour le patient : une anesthésie est souvent requise.

Une nouvelle technique d'ouverture sulculaire, créée et mise au point par Lesage, est aujourd'hui disponible. Sa conception même lui permet de répondre à la majorité des critères définis ci-dessus et d'être parfaitement biocompatible. Il s'agit de l'Expasyl® (laboratoire Pierre Rolland, 1999). L'objet de cet article est d'en décrire les principes et la mise en œuvre, et de donner les résultats expérimentaux cliniques de son utilisation.

Principes de la technique

Lors d'un sondage parodontal, la force utilisée dans toutes les expérimentations varie de 0,25 N pour une sonde de 0,5 mm de diamètre à 0,75 N pour une sonde de 0,6 mm de diamètre [14-21]. Au-delà, la sonde pénètre dans l'attache conjonctive [22, 23].

La résistance à la pression de l'attache épithéliale est de 1 à 2,5 N/mm2 (fig. 3). L'attache épithéliale est lésée par l'application d'une pression de 1 N/mm2 et détruite pour une pression supérieure à 2,5 N/mm2. Taylor et Campbell [24] détachent l'épithélium jonctionnel de la surface dentaire du ouistiti avec une pression de 0,89 N/mm2.

La pression appliquant la gencive marginale sur la dent est de 0,1 N/mm2. Pour Lesage, une telle pression exercée sur la crête gingivale du parodonte de la mandibule de porc est nécessaire pour provoquer l'élargissement du sillon de 1 à 1,5 mm, valeur qui ne varie pas si la pression augmente (fig. 4).

Une pâte exploite cette possibilité : appliquée dans le sulcus, elle développe une pression de 0,1 N/mm2 et assure l'écartement suffisant de la crête gingivale du parodonte pour permettre la prise d'empreinte sans léser l'attache épithéliale. C'est le principe qui a conduit à la mise au point de l'Expasyl® qui se compose :

- de chlorure d'aluminium à 15 % ;

- de kaolin.

Le chlorure d'aluminium à 15 % possède des propriétés astringentes bien connues et exploitées notamment pour l'imprégnation des cordonnets. Quant au kaolin, il est largement utilisé en cosmétique (masques purifiants) et en pharmacie (affections du météorisme intestinal et œsogastroduodénales) par voie orale. Son action de compression, associée aux propriétés astringentes du chlorure d'aluminium, confère au procédé, en plus de l'action mécanique d'élargissement sulculaire, une action hémostatique.

Expérimentations

(dossier scientifique Pierre Rolland, novembre 1999)

Les études toxicologiques et de biocompatibilité réalisées sur Expasyl® ont conclu :

- à l'absence de réaction d'irritation locale de la muqueuse jugale et de toxicité systémique sur le hamster ;

- à l'absence de pouvoir sensibilisant cutané sur le cobaye ;

- à la bonne efficacité antimicrobienne ;

- à la non-cytotoxicité du produit (dilution au 1/10).

Utilisation clinique pour la prise d'empreinte

Le matériel et les principes d'application du produit sont les suivants :

- un applicateur (stérilisable) sous forme de seringue métallique « pistolet » est utilisé ;

- la canule pour injection est mise en place à l'extrémité de la capsule (fig. 5a) ;

- l'ensemble est introduit latéralement dans l'applicateur (fig. 5b) ;

- la canule peut-être coudée pour faciliter l'accès à la limite cervicale (fig. 5c) ;

- l'Expasyl® est prêt pour l'injection (fig. 6) ;

- le praticien doit injecter la pâte doucement dans le sulcus en prenant appui sur la dent, au niveau de la limite cervicale et non sur la gencive (fig. 7.1) ;

- l'extrémité de la canule doit rester parallèle à l'axe de la dent pour exercer la pression optimale (fig. 7.2) ;

- le reflux de pâte du sulcus permet l'écartement de la crête gingivale (fig. 8), ce qui implique la nécessité d'utiliser une quantité suffisante de produit pour obtenir une déflexion de la crête gingivale (fig. 9) ;

- le temps d'action est de 1 à 2 minutes selon le type de parodonte. Pour un parodonte fin, un temps d'action de 1 minute est suffisant et, pour des parodontes intermédiaires ou épais, 2 minutes sont conseillées. Pendant le temps d'action, le contact avec la salive est à éviter car la pâte, hydrophile, serait éliminée ;

- l'élimination de la pâte s'effectue par un spray abondant avec aspiration simultanée.

L'ouverture sulculaire obtenue permet l'enregistrement de la limite cervicale avec une épaisseur suffisante de matériau d'empreinte. Généralement, il n'y a ni suintement ni saignement.

Si l'effet souhaité est jugé insuffisant, une deuxième application peut se révéler opportune.

Le cas clinique présenté (fig. 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 et 19) permet de suivre chacune des séquences cliniques de cette nouvelle technique d'ouverture sulculaire, suivies de celles de l'empreinte d'une préparation à limite cervicale intrasulculaire sur 16 puis de la restauration par couronne céramo-métallique.

Résultats cliniques

Une évaluation clinique de l'indice de satisfaction de quelques praticiens vis-à-vis du produit a été effectuée avec la pâte PRG (du Dr Lesage, 1992) [25] selon le protocole opératoire présenté ci-après.

Trois chirurgiens-dentistes ont utilisé la pâte PRG auprès de 60 patients (20 patients par praticien), afin de réaliser l'ouverture sulculaire et l'hémostase :

- pour la prise d'empreinte d'une préparation dentaire à limite intrasulculaire ;

- et pour d'autres situations cliniques telles que scellement de couronne et obturation de cavités de classes III et IV.

Trois types de parodontes ont été différenciés : fin, épais, intermédiaire.

Après application de la pâte PRG, un temps d'action de 1 minute a été respecté, puis la pâte a été éliminée par le spray avant prise d'empreinte, scellement ou obturation de cavité.

Le compte rendu, pour chaque cas, porte sur l'efficacité du produit en rapport avec le temps d'application, la qualité de l'élargissement du sillon, le contrôle du saignement et du suintement, l'élimination du produit par le spray, la qualité de l'empreinte obtenue, la tolérance par le patient, la réaction gingivale, l'aspect gingival le jour de la pose de la prothèse et l'éventuelle récession gingivale.

Les résultats de cette expérimentation ont été rassemblés par Meillour [25] (tabl. I et II, fig. 20) . Ils révèlent :

- un temps d'action de 1 minute suffisant pour les parodontes fins et intermédiaires ;

- une qualité de rétraction par rapport au cordonnet imprégné de chlorure d'aluminium égale pour les parodontes épais d'une part, égale et souvent meilleure pour les parodontes fins et intermédiaires d'autre part ;

- un meilleur contrôle du saignement et du suintement intrasulculaire qu'avec les autres techniques ;

- une empreinte satisfaisante dans toutes les situations sauf si le parodonte est épais ;

- une élimination du produit plus difficile si le parodonte est inflammatoire ;

- une bonne tolérance par le patient pendant l'application, le temps d'action et entre deux séances ;

- une réaction gingivale satisfaisante ;

- une mise en place ainsi qu'une action généralement indolores ne nécessitant pas d'anesthésie.

Discussion

L'indication de ce procédé peut-être étendue à d'autres actes cliniques qui nécessitent les mêmes actions hémostatique et d'écartement gingival :

- préparation au scellement ou au collage ;

- protection des cavités exposées au saignement ou au suintement ;

- préparation tissulaire avant pose de pièce transgingivale en implantologie.

Pour la prise d'empreinte, des procédés d'ouverture sulculaire par action mécanique ont été décrits précédemment, notamment par Martignoni avec le Gingifoam®, silicone modifié à partir du Silastic® et possédant des propriétés d'expansion [26]. Ce produit est injecté largement autour des préparations et est poussé par les prothèses transitoires. L'ensemble est retiré juste avant la prise d'empreinte qui met à profit l'ouverture du sulcus par cette seule compression.

La composition de l'Expasyl®, très différente, répond aux mêmes objectifs mais avec, en plus, une action hémostatique.

Le choix du chlorure d'aluminium est justifié par l'absence d'effets systémiques et par l'innocuité vis-à-vis des tissus parodontaux aux concentrations utilisées et pour les temps d'application prescrits.

Ramadan et al. [27] montrent, sur le parodonte de chien, une réaction histologique inflammatoire modérée pour des applications d'Hemodent® et de solutions de chlorure d'aluminium à 5 et 10 %. L'inflammation est également modérée quand ces produits sont appliqués pendant 3 à 5 minutes.

La concentration à 15 % provoque une inflammation sévère avec nécrose tissulaire, mais pour un temps d'application de 10 minutes selon Mokbel et al. [28]. Pour Shaw et al. [29], l'utilisation de chlorure d'aluminium à faible concentration entraîne une inflammation tissulaire modérée, l'acidité (pH < 2) étant responsable de cette irritation.

La conception de l'Expasyl®, la composition du matériau utilisé et les résultats cliniques semblent garantir son innocuité vis-à-vis du système d'attache et du parodonte superficiel. L'effet obtenu pour la prise d'empreinte semble convenir à une majorité de situations cliniques et respecter les impératifs de laboratoire pour parvenir à :

- une ligne de finition parfaitement objectivée sur le modèle de travail ;

- une partie de la surface non préparée périphérique pour servir de référence au profil d'émergence de l'élément prothétique .

Il faut noter toutefois que le praticien habitué à des empreintes présentant des extensions sous-gingivales épaisses et profondes peut ne pas être satisfait du résultat obtenu avec ce procédé. L'absence d'agression du parodonte marginal et la rapidité d'application de l'Expasyl® peuvent contribuer à modifier ses critères d'appréciation.

Conclusion

Les avantages pratiques du procédé sont les suivants :

- respect du système d'attache du fait même de la conception de la technique ;

- brièveté du temps d'application (de 15 à 20 secondes pour une préparation dentaire) ;

- application indolore ; dans la plupart des cas, l'anesthésie n'est pas nécessaire ;

- brièveté également du temps d'action : de 1 à 2 minutes selon le type de parodonte ;

- élimination facile d'Expasyl® par le spray, sans saignement, laissant un sillon parfaitement sec et sans suintement, propice à la prise d'empreinte.

En présence d'un parodonte fin ou intermédiaire, ce nouveau procédé est parfaitement indiqué.

La limite de cette technique est, comme pour le cordonnet imprégné, l'obtention d'une ouverture sulculaire réduite en présence de parodonte épais et de ligne de finition en fond de sillon gingivo-dentaire.

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