Prothèse complète fixée opposée à une prothèse amovible : recherche d'une occlusion équilibrée - Cahiers de Prothèse n° 109 du 01/03/2000
 

Les cahiers de prothèse n° 109 du 01/03/2000

 

Prothèse composite

Giancarlo Riva *   Ugo Torquati-Gritti **   Jean-Louis Pelosi ***  


* Prothésiste
** Prothésiste
*** Docteur en chirurgie dentaire
Technicaldent
Via diaz n° 50
20033 Desio (MI), Italie

Résumé

Établir un plan de traitement prothétique impose d'associer fonction et esthétique. La priorité est accordée au premier facteur qui détermine la conception prothétique et la préparation de ses structures d'appui. C'est l'élément prothétique le plus faible en termes d'équilibre occlusal qui oriente le choix des différentes options thérapeutiques pour traiter un patient par prothèse complète amovible mandibulaire opposée à une prothèse complète fixée maxillaire.

Summary

Fixed complete denture opposed to a removable denture : search for a well-balanced occlusion

The realisation of a gnathic removable complete denture opposed to a fixed complete denture represents a complex oral restoration. The prognosis depends mainly on the periondental health of the abutment teeth and on the taking into account of the occlusal stresses undergone by the most unstable denture: the removable denture. The chosen occlusal concept follows the principles defined by Gerber: giving up the function of the anterior group to the benefit of a bilaterally balanced occlusion, implementation of the pestle-mortar principle to the morphology of the maxillary and gnathic cusped teeth. In order to manage such a treatment efficiently, the collaboration between the clinic and the laboratory of prosthesis is essential, justifying the description step-by-step of the different stages of the realisation.

Key words

ceramic restorations, complete denture, Gerber occlusion, mixed denture, posterior stabilization, prosthetical planning

Un traitement comportant la réalisation d'une prothèse complète fixée opposée à une prothèse complète amovible requiert une grande maîtrise des différents facteurs occlusaux et, en particulier, des courbes fonctionnelles et du guidage antérieur pour contribuer à l'équilibre prothétique et tissulaire.

De nombreux auteurs (Ackerman, Gysi, Lejoyeux…) ainsi que les études effectuées à l'université de Zurich (Palla) ont souligné l'importance de la prise en compte des exigences en matière de rétention et de stabilisation de la prothèse la plus instable : la prothèse amovible. Celle-ci doit, lors des différentes fonctions, résister aux forces déstabilisatrices. Pour atteindre cet objectif, c'est le concept occlusal préconisé par le professeur Gerber qui sera adopté.

À partir d'un cas clinique, ses modalités d'application sont détaillées avec la description successive des aspects suivants :

- analyse préprothétique ;

- analyse occlusale et étude prospective ;

- application de la théorie « condylaire » du professeur A. Gerber ;

- description étape par étape des séquences préprothétiques et prothétiques.

Présentation du cas

Une patiente âgée de 65 ans vient consulter pour résoudre des problèmes esthétiques et fonctionnels.

L'examen clinique et la documentation diagnostique, comportant imagerie médicale, bilan dento-parodontal et étude des modèles sur articulateur, mettent en évidence :

- des arcades partiellement édentées avec perte des dents cuspidées mandibulaires ;

- une parodontite généralisée avec perte osseuse importante (fig. 1) ;

- une fonction occlusale réduite avec un guidage antérieur limité aux incisives avec recouvrement de 2 à 3 mm ;

- un rapport intercrêtes inversé dans le plan frontal, conséquence de la résorption osseuse importante au maxillaire et à un articulé inversé bilatéral préexistant (fig. 2).

Cette situation conduit d'abord à élaborer une thérapeutique destinée, d'une part, à contrôler la maladie parodontale après extraction de certaines dents irrécupérables et chirurgie d'assainissement, et, d'autre part, à rétablir et à stabiliser la fonction occlusale par des prothèses transitoires. Ensuite, elle entraîne la mise en place d'une stratégie de traitement prothétique répondant à ces objectifs fonctionnels et aux préoccupations esthétiques du patient.

Plan de traitement

La décision d'extraction de 32, de 41 et de 42 est motivée par la lyse osseuse, celle de 27 et de 28 l'est par leur égression ou leur non-intégration aux courbes fonctionnelles. Le plan de traitement comporte ensuite les étapes suivantes :

- traitement endodontique de 11, 12, 15, 16, 21, 24, 26, 33, 43 ;

- reconstitution par inlay-core en alliage précieux de toutes les dents dépulpées ;

- prothèse transitoire fixée à l'arcade maxillaire renforcée par un alliage non précieux ;

- prothèse complète transitoire avec surfaces occlusales planes à la mandibule ;

- réduction des couronnes dentaires de 33 et 43 au niveau de la gencive libre ;

- chirurgie parodontale par lambeau à repositionnement apical sur toute l'arcade maxillaire ;

- temporisation de 4 mois environ pour la cicatrisation des tissus ;

- prothèse fixée complète maxillaire auro-céramique ;

- plateaux de type Richmond sur 33 et 43 avec barre de connexion de Dolder ;

- prothèse complète amovible mandibulaire avec dents en céramique, à l'exception des dents antérieures.

Aspect occlusal du traitement

L'objectif est de faire fonctionner en harmonie les articulations temporo-mandibulaires (ATM) et l'occlusion sans que l'un des éléments du système complexe qu'est l'appareil manducateur ne vienne endommager l'autre.

Un équilibre doit être trouvé en faisant appel à des concepts liés entre eux par une inévitable interdépendance.

La mise en condition neuro-musculaire aboutissant à une occlusion en relation centrée, reproductible et base de la stabilité occlusale, est une étape préalable incontournable. Cette phase thérapeutique est réalisée grâce à des prothèses transitoires comportant des surfaces occlusales planes (de préférence à la mandibule) et un seul contact cuspidien pour chaque dent antagoniste (arcade maxillaire). La fonction de groupe antérieure est abandonnée pour tenir compte des impératifs de stabilisation de la prothèse amovible.

Pour ce cas clinique, la présence d'un élément faible sur le plan de la stabilisation, à savoir la prothèse complète (même avec barre de Dolder), conduit à choisir une occlusion bilatéralement équilibrée de type Gerber.

L'adaptation morphologique de la prothèse fixée vise alors à éliminer la fonction de groupe antérieure et, en raison de l'articulé croisé bilatéral, à transférer la fonction masticatrice des cuspides palatines maxillaires vers les cuspides vestibulaires, rendues plus arrondies, pour mieux assurer le rôle de pilon et de mortier propre à ce concept dont il peut paraître opportun de rappeler ci-dessous les grands principes.

Théorie « condylaire » du Pr A. Gerber

L'abrasion des crêtes d'émail convexes proches des fosses proximales des molaires mandibulaires aboutit à la formation de surfaces occlusales concaves. Il s'agit d'un processus d'abrasion naturelle qui permet aux cuspides palatines supérieures d'articuler dans les fosses antagonistes comme le condyle dans la fosse mandibulaire. Pour Gerber, toutes les fonctions masticatrices naturelles transforment dans le temps le schéma occlusal « convexe sur convexe » en un système « convexe sur concave ». Cette fonction entre les cuspides maxillaires et les fosses mandibulaires est comparable au fonctionnement du mortier et du pilon. De façon similaire, les fosses mandibulaires des ATM peuvent être assimilées à des mortiers statiques et les condyles à des pilons mobiles.

Lors de la réalisation d'une prothèse complète, les dents cuspidées sont positionnées de manière « intrinsèquement stable pour la mastication » (Gerber, 1974). Pour assurer la stabilité de la prothèse, ces dents cuspidées sont placées, à la mandibule, le plus possible à l'aplomb du sommet des crêtes. La position des molaires a une grande importance. Elles sont placées en fonction de l'inclinaison de la crête de sorte que les forces masticatoires soient perpendiculaires, avec une inclinaison égale à la moitié de la pente condylienne. Leur position dépend aussi de l'inclinaison et de la largeur des crêtes dont les rapports dans le plan frontal peuvent conduire à un montage « croisé » et, de ce fait, influencer le choix de la largeur des unités masticatrices. Par exemple, la présence d'une crête fine fait choisir des surfaces occlusales étroites. Si nécessaire, seules des prémolaires sont utilisées pour éviter une surcharge au fragile support de la prothèse.

Les dents antérieures maxillaires, pour des raisons esthétiques, sont placées en avant et non sur la crête, faisant ainsi renoncer au contact avec les dents antérieures mandibulaires.

Séquences de réalisation

Le protocole est décrit phase par phase en distinguant les 16 étapes cliniques (EC) et les 8 étapes de laboratoire (EL) pour rendre plus claire la méthode utilisée pour aborder ce cas, depuis la confection des prothèses transitoires jusqu'à la réalisation de la prothèse définitive.

EC1 : empreinte aux hydrocolloïdes des préparations pour inlay-cores à l'arcade maxillaire. Empreinte à l'alginate à la mandibule pour réaliser la prothèse transitoire.

EL1 : construction des supports d'enregistrement.

EC2 : arc facial et enregistrement de la relation centrée.

EL2 : montage sur articulateur, réalisation des inlay-cores en alliage précieux en tenant compte de la situation souhaitée des lignes occlusales. Réalisation d'une prothèse transitoire antérieure de 13 à 23 uniquement pour des raisons esthétiques.

EC3 : scellement des inlay-cores et préparations. Empreinte à l'alginate maxillaire. Réadaptation de la prothèse transitoire antérieure.

EL3 : confection de deux supports d'enregistrement sur le modèle issu de l'empreinte des préparations.

EC4 : enregistrement de la relation centrée en réutilisant la plaque mandibulaire.

EL4 : montage sur articulateur et construction d'une armature en métal non précieux noyée dans la résine (fig. 3) pour renforcer la prothèse transitoire maxillaire. Préparation des éléments provisoires, c'est-à-dire de la prothèse complète mandibulaire avec des surfaces occlusales planes et des éléments provisoires en résine acrylique articulant uniquement sur les cuspides palatines.

EC5 : pose de la prothèse mandibulaire (après préparation de 33 et 43) et rebasage des prothèses transitoires sans perdre les références de l'articulateur (fig. 4 et 5) .

EC6 : lambeau de repositionnement apical sur toute l'arcade maxillaire en raison des problèmes parodontaux. Attente de trois mois pour la stabilisation du remaniement gingival (fig. 6 et 7).

EC7 : nouvelles préparations au maxillaire pour réaligner les bords cervicaux après cicatrisation des tissus mous.

EC8 : 1 mois d'attente pour la stabilisation des collets gingivaux.

EC9 : modèle issu d'une empreinte aux hydrocolloïdes des préparations destinées aux plateaux de Richmond (fig. 8). Empreinte à l'alginate rebasée en deux temps pour la réalisation du futur porte-empreinte individuel (PEI).

EL5 : construction des plateaux de Richmond au laboratoire avec des repères occlusaux pour le repositionnement. Fabrication du PEI qui servira également à repositionner les plateaux de Richmond.

EC10 : réalisation du joint périphérique du PEI à la pâte de Kerr. Positionnement des plateaux de Richmond. Garnissage du PEI avec un polyéther (Impregum). Empreinte aux hydrocolloïdes de l'arcade maxillaire (fig. 9, 10 et 11) .

EL6 : préparation des modèles de travail avec le système Pindex/SAM (fig. 12 et 13).

EC11 : enregistrement de la relation centrée.

EL7 : montage sur articulateur (fig. 14) . Soudure de la barre de Dolder aux plateaux de Richmond (fig. 15 et 16). Réalisation définitive de la maquette prospective maxillaire (fig. 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24 et 25) avec montage simultané des dents sur la prothèse mandibulaire (fig. 26) . Coulée maxillaire et soudure de l'armature directement sur le maître-modèle (fig. 27, 28, 29 et 30) . Finition sans polissage de la prothèse complète mandibulaire avec fixation de la partie femelle de la barre de Dolder.

EC12 : mise en place de la barre sans sceller les moyens d'ancrage. Mise en place de la prothèse complète mandibulaire. Mise en place de l'armature au maxillaire et vérification. Arc facial et nouvel enregistrement de la relation centrée à l'aide d'un « jig » en pâte de Kerr et trois paires de cires d'enregistrement pour comparaison et vérification (fig. 31 et 32).

EL8 : montage sur articulateur, finition et glaçage de la céramique à l'arcade maxillaire (fig. 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40 et 41) . Lustrage de la prothèse mandibulaire.

EC13 : scellement de la barre de Dolder. Scellement de la prothèse fixée au maxillaire. (Volontairement, pas d'utilisation de ciment provisoire.) Mise en place de la prothèse mandibulaire (fig. 42).

Contrôle d'éventuelles prématurités importantes. En cas d'absence de prématurités, pas de meulage occlusal. La patiente doit porter sa prothèse sans interruption jusqu'au lendemain.

EC14 : le lendemain, ou en tous cas après un temps assez long pour permettre la prise du ciment, il faut retirer la prothèse complète mandibulaire, la nettoyer et la remettre en place.

EC15 : contrôle des contacts occlusaux avec papiers micrométriques. Retouches éventuelles des prématurités.

EC16 : contrôle occlusal définitif avec retouches fines si nécessaire, et cela au moins une semaine après la pose de la prothèse (fig. 43 et 44).

Conclusion

Un traitement prothétique comportant une prothèse complète amovible mandibulaire opposée à une prothèse complète fixée doit prendre en compte l'ensemble des facteurs contribuant à déstabiliser la prothèse amovible. Ainsi, la préparation des tissus revêt une grande importance pour assurer un appui stable et permettre l'application du concept occlusal choisi. Celui-ci suit les principes définis par Gerber, en particulier abandon de la fonction de groupe antérieure au profit d'une occlusion bilatéralement équilibrée et application du principe pilon-mortier à la morphologie des dents cuspidées maxillaires et mandibulaires.

Le plan de traitement réalisé, qui tient compte des objectifs fonctionnels et esthétiques, comporte une analyse de l'état dento-parodontal et des différents déterminants de l'occlusion. Pour mener à bien un tel traitement, la collaboration entre clinique et laboratoire de prothèse est indispensable.

Remerciements au Dr. R. Fanfani (endodontie et chirurgie), à notre collaborateur A. Figini (technicien de laboratoire), à S. Signorelli pour ses conseils en informatique et au Dr L. Azario-Atlan pour la traduction.

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