Action ou résignation ? - Cahiers de Prothèse n° 117 du 01/03/2002
 

Les cahiers de prothèse n° 117 du 01/03/2002

 

Éditorial

Jean Schittly  

Rédacteur en chef

Imaginons la situation suivante : un patient consulte son médecin pour mettre fin à une toux rebelle. Comme il est consciencieux, le praticien l'ausculte et détecte de surcroît un problème au niveau de son pancréas. Il rédige une ordonnance et lui dit : « Voici une prescription pour venir à bout de cette bronchite, cela devrait aller mieux dans trois jours. Je complète une feuille pour que vous soyez remboursé de cette consultation. Pour le pancréas, je vous fais un devis, car...


Imaginons la situation suivante : un patient consulte son médecin pour mettre fin à une toux rebelle. Comme il est consciencieux, le praticien l'ausculte et détecte de surcroît un problème au niveau de son pancréas. Il rédige une ordonnance et lui dit : « Voici une prescription pour venir à bout de cette bronchite, cela devrait aller mieux dans trois jours. Je complète une feuille pour que vous soyez remboursé de cette consultation. Pour le pancréas, je vous fais un devis, car l'acte prévu ne figure pas à la nomenclature, il ne peut pas être pris en charge par la sécurité sociale ! Si vous souhaitez commencer le traitement, téléphonez pour prendre un nouveau rendez-vous. »

Cette scène ne peut évidemment pas se dérouler en France, pays où le système de santé est l'un des plus performants au monde. Patients et hommes politiques refusent cette médecine à deux vitesses, inégalitaire, pénalisant les plus défavorisés, culpabilisant les praticiens…

Et pourtant… : à l'issue d'un week-end, vous commencez à ressentir une douleur pulsatile au niveau d'une molaire et détectez une tuméfaction sur votre muqueuse palatine. Vous obtenez heureusement un rendez-vous, en urgence avec votre chirurgien-dentiste qui s'organise pour vous recevoir. Le diagnostic est évident : abcès parodontal très localisé, et durant l'interrogatoire de routine, vous vous souvenez avoir été agressé par une arête de poisson lors du repas du samedi soir. Le praticien vous expose les modalités du traitement : anesthésie locale, incision, curetage, élimination du corps étranger, suture et rédaction d'une ordonnance. Les honoraires sont notés sur un papier à en-tête sous forme de facture, mais vous n'avez pas de feuille de soins pour en obtenir le remboursement.

Vous pouvez vous étonner de cet état de fait, car peu de temps auparavant, en jardinant, une épine de rosier dans un doigt a provoqué un tableau clinique comparable ayant nécessité une thérapeutique identique par votre médecin et pour cela, pas de problème, la prise en charge a été totale, y compris pour la dépose de la suture une semaine plus tard.

Difficile pour un patient de comprendre cette situation :

- le chirurgien-dentiste ne fait-il pas partie d'une profession médicale ?

- le praticien dont le planning de rendez-vous a été perturbé m'inflige-t-il une sanction en me privant d'une prise en charge des soins ?

- ce qui peut subvenir dans la cavité buccale n'est-il pas comparable au reste du corps humain ?

Rien de tout cela, on se situe tout simplement dans le cadre d'une pratique odontologique de routine qui fonctionne ainsi depuis des décennies. Cela ressemble à l'exemple de médecine à deux vitesses, décrit ci-dessus, mais cela n'offusque pas grand monde !

Les maladies parodontales, les dysfonctionnements de l'appareil manducateur et de nombreuses atteintes de la sphère bucco-dentaire n'existent pas !

Un grand nombre d'actes d'odontologie restauratrice ou prothétique correspondant aux critères actuels d'économie tissulaire, de qualité et donc de longévité sont soit ignorés, soit sous-évalués par la nomenclature actuelle.

Qui n'a pas entendu cette manifestation de résignation prononcée par un patient : « Pour les dents et les lunettes, on est très mal pris en charge… »

Vous avez également ressenti un sentiment de frustration après la lecture de certains articles ou à l'issue de formations postuniversitaires. Elles vous donnent la possibilité de prodiguer des soins de qualité, mais qui sont réservés à une minorité ou qui mettent en péril la gestion de votre cabinet dentaire si vous restez dans le cadre de la nomenclature actuelle.

Quelles sont alors les alternatives pour le patient et pour le praticien ?

L'initiative et les actions menées actuellement par la Société odontologique de Paris peuvent favoriser une prise de conscience d'envergure, car elles ont le mérite de mettre en évidence les vraies données des problèmes.

Les critères psychologiques, scientifiques, économiques avancés reflètent l'image et les dysfonctionnements d'une profession qui va mal.

Par sa faculté d'adaptation aux progrès scientifiques, aux contraintes économiques, par le rôle qu'il joue dans le système de santé français, le chirurgien-dentiste mérite tout d'abord le respect, mais également un cadre de travail en accord avec la qualité des soins dont devraient actuellement bénéficier ses patients.

Pour atteindre ces objectifs, quels sont les moyens d'action ? Les 40 000 chirurgiens-dentistes ne savent pas bloquer les autoroutes ou retarder les TGV, mais ils ont la possibilité de communiquer aux quelques millions d'électeurs fréquentant leur fauteuil leurs préoccupations, leurs difficultés et leurs propositions pour une meilleure gestion de la santé bucco-dentaire, pour qu'ils votent « utile ».

Encore faut-il que les candidats aux postes de dirigeants politiques démontrent leur volonté de faire table rase du système actuel et présentent des projets cohérents…

Ne rêvez-vous pas quelquefois de voir mettre fin, un jour prochain, à cette médiocratie pesante qui règne sur l'odontologie depuis des décennies ?