Occlusodontie
Olivier Laplanche * Pierre Pedeutour ** Michel Laurent *** Patrick Mahler **** Jean-Daniel Orthlieb *****
*
Assistant hospitalo-
universitaire
Faculté d'odontologie de Nice
Université Nice Sophia Antipolis
**
Assistant hospitalo-
universitaire
Faculté d'odontologie de Nice
Université Nice Sophia Antipolis
***
Assistant hospitalo-universitaire
UFR d'odontologie
Université de la Méditerranée
****
Professeur des universités
Faculté d'odontologie de Nice
Université Nice Sophia Antipolis
*****
Maître de conférences
UFR d'odontologie
Université de la Méditerranée
Université Nice Sophia Antipolis
Pôle universitaire St-Jean-d'Angely
24, avenue des Diables bleus
06357 Nice Cedex
Université de la Méditerranée
Avenue Jean-Moulin
13005 Marseille
Les rapports des incisives maxillaires et mandibulaires jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de l'appareil manducateur en participant à diverses fonctions occlusales ou de nutrition. La connaissance des aspects mécaniques et neurophysiologiques de ce « guide antérieur » permet d'optimiser diagnostic et thérapeutique des rapports incisifs en pratique clinique quotidienne. Si les conséquences des anomalies (interférences ou surcharges occlusales…) de ce guide sur les systèmes dentaire et musculaire sont bien connues, quelques auteurs suggèrent qu'elles seraient susceptibles d'être un cofacteur étiologique de certains dysfonctionnements de l'appareil manducateur. En amont d'un programme de recherche dont l'objectif est de quantifier l'incidence de ces anomalies du guide antérieur sur le fonctionnement et la physiologique articulaire, cet article rappelle les principes physiopathologiques du guide antérieur et ses relations anatomo-fonctionnelles avec l'articulation temporo-mandibulaire.
The relation between the maxillary and mandibular incisors plays an essential role in the functioning of the masticatory system in taking part in various occlusal or nutrition functions. The knowledge of the mechanical and neurophysiological aspects of this anterior guidance enables to optimize the diagnosis and the therapeutics of the incisors' relations in the daily clinical practice. If the consequences of abnormalities (interferences or occlusal overloading ...) of this guidance on the dental and muscular systems are well known, some authors suggest they could be an etiological cofactor of certain dysfunctions of the masticatory system. Upstream from a research program which aims at quantifying the influence of those anterior guidance abnormalities on the functioning and the articular physiology, this article recalls the physiological principles of the anterior guidance and its anatomo-functional relations with the temporo-mandibular joint.
L'appareil manducateur est un ensemble fonctionnel, composé de structures anatomiques différentes : ostéo-articulaires (maxillaire, mandibule et articulation temporo-mandibulaire), neuro-musculaires (muscles masticateurs) et dentaires (dents et parodonte) qui collaborent pour assurer un certain nombre de fonctions : préhension, mastication, respiration, vie de relation (phonation, mimique…), gestion des émotions, etc. L'occlusion dentaire, en positionnant dans l'espace la mandibule dans ses positions les plus crâniennes : centrée (occlusion d'intercuspidie maximale) et excentrées (diduction, propulsion…) intervient, de façon essentielle, dans ce fonctionnement, par la répartition (voire la diminution) des contraintes exercées par les muscles masticateurs [1].
Les règles biomécaniques (associant des principes mécaniques et un contrôle neurophysiologique) qui régissent ce fonctionnement ont été fréquemment étudiées et décrites pour fournir aux cliniciens des références diagnostiques et thérapeutiques : des modèles théoriques souvent réunis sous le terme de concepts occlusaux. C'est le cas du concept de protection mutuelle dont le principe a été rappelé par Sabeck [2].
En occlusion d'intercuspidie maximale, les dents postérieures protègent les dents antérieures.
Lors des mouvements de diduction et de propulsion-rétropulsion, les dents antérieures protègent les dents postérieures.
Dans ce modèle théorique, cette fonction de protection par les dents antérieures s'exerce dans les mouvements latéraux et antéro-postérieurs :
- guidage latéral : guidage canin ;
- guidage sagittal : guidage incisif.
Les relations incisivo-canines qui permettent cette prise en charge sont connues sous le terme général de guide antérieur qui est ainsi une des clés de l'occlusion. Sa physiologie, ses variations interindividuelles, ses anomalies ont une incidence importante sur le fonctionnement de l'appareil manducateur (système neuromusculaire et articulaire) et méritent toute l'attention et la connaissance du clinicien [3-5].
Le guide antérieur correspond à la prise en charge des mouvements mandibulaires excentrés, par les 6 dents antérieures mandibulaires (8 pour certains auteurs) et les 6 dents antérieures maxillaires. Dans le concept de la protection mutuelle, ce guide antérieur provoque le désengrènement des dents cuspidées, évitant ainsi les interférences postérieures [6-8] (fig. 1 et 2).
Le mode de guidage de la mandibule par les dents antérieures peut être, sous un angle didactique, dissocié en guide mécanique et proprioceptif :
- mécanique par l'affrontement des bords libres des incisives mandibulaires sur les faces linguales des incisives maxillaires qui servent ainsi de guidage à la mandibule ;
- proprioceptif par la programmation d'une enveloppe de mouvement qui évite les contacts traumatiques sur les dents antérieures, fragiles. Les dents antérieures agissent ainsi à la manière de « palpeurs proprioceptifs ».
Ces deux modes d'action sont physiologiquement indissociables.
En occlusion d'intercuspidie maximale (OIM), les incisives et canines maxillaires recouvrent et surplombent les incisives et canines mandibulaires [9] (fig. 3). Ces relations incisives permettent, lors de mouvements de propulsion ou de rétropulsion mandibulaire en occlusion, à des contacts ponctuels sur les dents mandibulaires (bords libres) de se déplacer selon des trajets linéaires sur les surfaces de guidage maxillaires (arêtes proximales des faces linguales) (fig. 4). Cette conformation évite l'usure des éléments antagonistes et provoque (lors des mouvements mandibulaires excentrés en occlusion), conjointement à la pente condylienne, une séparation des dents cuspidées antagonistes d'une amplitude plus ou moins importante, appelée désengrènement (fig. 5).
Dans une vision purement mécaniste du guide antérieur, on peut analyser celui-ci par ses différents déterminants.
En OIM, les points de contacts occlusaux se répartissent harmonieusement sur l'ensemble de l'arcade : principalement sur les dents postérieures par des contacts bi ou tripodiques, moins intensivement sur les dents antérieures ; Unger et al. [10] ont montré que l'OIM physiologique chez le sujet jeune présente des contacts dans 83,3 % des cas sur les incisives centrales, 70 % pour les incisives latérales, 69,2 % pour les canines. Selon les auteurs et le mode d'évaluation [11-13], des nuances apparaissent, mais l'ordre de grandeur reste similaire.
On peut estimer [1] qu'il n'existe pas de contact en OIM passive (innoclusion de 0,1 mm révélée par interposition d'un film d'aluminium), mais des contacts en occlusion active forcée. Ceux-ci devraient idéalement se situer au point d'inflexion de la courbure linguale (axialisation des forces limitant les contraintes à direction horizontale). Cette situation idéale est controversée par Michielin [14] qui retrouve sur une population de jeunes adultes sains davantage de contacts sur la partie verticale de la face linguale des incisives. Cela s'expliquerait par l'absence de contact véritable en OIM (notion de quasi-contact).
1. Recouvrement
2. Surplomb
3. Pente fonctionnelle
4. Aire fonctionnelle
5. Pente incisive relative
6. Amplitutde de désengrènement
Si le modèle théorique le plus courant admet une valeur d'environ 2 mm, les moyennes cliniques varient d'une étude à l'autre (citées par Dol [15]) : le recouvrement (sens vertical) est de 2 mm pour Ricketts, de 4 mm pour Okeson et de 4,5 mm pour Mc Horris ; Kubein, dans une étude sur 500 cas, aboutit à une valeur moyenne de 4 mm. Ce recouvrement semble d'ailleurs avoir brutalement augmenté durant les cent dernières années dans les populations industrialisées [16], vraisemblablement en raison de modification des modes de vie (habitudes alimentaires notamment) (fig. 6).
Le modèle théorique retient une valeur d'environ 2 mm, les moyennes cliniques variant d'une étude à l'autre. Bien qu'une tendance séculaire à la rétrognathie mandibulaire se dégage d'études récentes, il semble que le surplomb reste à peu près constant [17].
En 1983, Slavicek [18] a proposé une analyse approfondie de la morphologie occlusale idéale des incisives maxillaires. Leur face linguale présente une surface de guidage concave, que l'on peut diviser en deux parties S1 et S2 (fig. 7). Slavicek introduit une notion intéressante en montrant que la surface de guidage de ces faces linguales est l'inverse de la trajectoire condylienne, comme une image vue dans un miroir. La pente incisive faible S1 est alors compensée par la forte pente condylienne qui induit la désocclusion postérieure. Dans la deuxième partie du mouvement, la pente condylienne plus faible serait compensée par la forte pente incisive S2.
La pente incisive appelée surface fonctionnelle (SF), combinaison de S1 et S2, est définie comme la projection sur le plan sagittal médian du déplacement de l'incisive mandibulaire mesuré entre le point de contact en OIM et la position de bout à bout : c'est la véritable pente fonctionnelle incisive. Elle peut être rapportée à un plan horizontal de référence (plan de Francfort, PAO) ou au plan d'occlusion .
Cette analyse géométrique est controversée, car S1 ne serait pas située dans une zone fonctionnelle. Physiologiquement, elle fournit cependant un guide de reconstruction de la face linguale des dents antérieures maxillaires, très utile en prothèse fixée (fig.8).
Il existe, entre les axes intercoronaires des incisives, un angle d'ouverture appelé « aire fonctionnelle de Slavicek » (fig. 9), Cette aire fonctionnelle correspond à l'aire de liberté sagittale antéro-postérieure, nécessaire aux mouvements condyliens et mandibulaires lors de la réalisation de diverses fonctions manducatrices (phonation, notamment).
Il est communément admis [19, 20] de quantifier la pente incisive et la pente condylienne par rapport à un plan de référence horizontal qui peut être le PAO (plan axio-orbitaire) (fig. 10). Fonctionnellement, il est plus juste de l'apprécier par rapport au plan d'occlusion (PO) : on parle alors de pente incisive relative (fig. 10). En effet, la capacité de désocclusion produite par les pentes de guidage condylienne et incisive est fonction de l'orientation générale des arcades dans un plan sagittal (fig. 11).
Il est communément admis que l'amplitude de désengrènement postérieur en propulsion est une caractéristique bénéfique, car ce phénomène (historiquement dit « de Christensen ») évite les interférences postérieures. Cependant, l'augmentation du désengrènement diminue l'efficacité masticatoire (fig. 12a, 12b). Un juste équilibre entre l'absence d'interférence et une efficacité masticatoire maximale est donc toujours recherché.
Ces éléments d'architecture occlusale du guide antérieur sont une des bases de l'organisation occlusale, à la fois critère de diagnostic et règle de construction occlusale en thérapeutique prothétique ou orthodontique.
Les contacts en OIM permettent la stabilité mandibulaire. Les surfaces de contact constituent de véritables rampes tridimensionnelles de guidage. Cependant, on constate que mastication et phonation sont réalisées par des mouvements cycliques complexes représentant une enveloppe fonctionnelle qui s'inscrit à l'intérieur de l'enveloppe limite crânialement bornée par les contacts occlusaux de calage et de guidage dans les mouvements mandibulaires incursifs. Il apparaît ainsi que si l'affrontement des dents antérieures dans les conditions décrites ci-dessus représente le support anatomique du guidage mandibulaire, ce dernier s'effectue physiologiquement par programmation des mouvements mandibulaires légèrement en deçà de ces contacts [21-24]. Cette programmation correspond au guide antérieur proprioceptif.
La précision de la perception proprioceptive, lors d'un mouvement quel qu'il soit, naît de la comparaison :
- des informations sur ce mouvement tel qu'il est programmé par les structures motrices cérébrales ;
- des informations sur ce mouvement tel qu'il est en train de se réaliser.
Au niveau mandibulaire, la sensibilité proprioceptive permet d'apprécier la direction et la vitesse d'un mouvement. Cette appréciation est donnée par des informations provenant de récepteurs proprioceptifs articulaires, musculaires et desmodontaux [25-29].
Aucune des données proprioceptives prises isolément n'est capable, à elle seule, de fournir des informations précises sur l'une ou l'autre des qualités de la perception proprioceptive. La précision de l'information est le résultat de l'intégration centrale des informations issues des différents récepteurs :
- les propriocepteurs des articulations temporo-mandibulaires (ATM) et des muscles masticateurs contrôlent la posture mandibulaire ;
- les propriocepteurs desmodontaux interviennent dans la phase finale d'intercuspidation de la cinématique mandibulaire [30-35].
Répartis sur l'ensemble de l'arcade dentaire, les récepteurs desmodontaux sont particulièrement sensibles à l'intensité, la vitesse et la direction d'application des forces physiologiques non nociceptives, appliquées sur les organes dentaires. La grande sensibilité de ces récepteurs confère aux organes dentaires une fonction de détecteur des contraintes mécaniques dont le rôle primordial apparaît non seulement dans la mastication du bol alimentaire, mais également dans l'intercuspidation. Cette sensibilité proprioceptive desmodontale s'accroît à l'approche du guide antérieur où elle devient maximale.
Ainsi, la proprioception desmodontale (particulièrement au niveau du guide antérieur), programme, grâce à ses récepteurs spécifiques à gradient de sensibilité directionnelle propre, l'enveloppe des mouvements mandibulaires en agissant sur l'activité des muscles masticateurs [32-33]. Elle permet ainsi les contacts dentaires harmonieux non traumatiques et une reprogrammation de l'enveloppe si ces contacts ont été modifiés (traitement orthodontique ou soins dentaires).
Cette proprioception orofaciale agit comme un élément de programmation des mouvements mandibulaires, mais également de protection des systèmes constitutifs de l'appareil manducateur en limitant les contraintes articulaires, musculaires et dentaires (fig. 13).
La position des dents antérieures, leur morphologie, l'organisation occlusale générale confèrent au guide antérieur un rôle fonctionnel dans la manducation. Regroupant les travaux de Valentin [34] et Orthlieb [1], on peut distinguer 3 types de fonctions aux dents antérieures :
Les contacts entre les dents antérieures participent au calage sagittal et transversal de la mandibule en OIM.
Incision et dilacération des aliments sont réalisées en bout à bout, permettant d'exercer sur une surface la plus réduite possible la pression des muscles masticateurs.
L'occlusion d'intercuspidie maximale est la position fonctionnelle par excellence, point de départ et d'arrivée de tous les mouvements mandibulaires. À partir des positions mandibulaires excentrées (propulsion et diduction), le retour vers l'OIM est guidé par des contacts occlusaux successifs qui prennent la forme de pente de guidage. Ces pentes de guidage bornent ainsi les mouvements mandibulaires les plus crâniens, et créent un véritable entonnoir vers l'OIM [1].
La proprioception qui est à l'origine de la programmation des mouvements fonctionnels favorise l'économie d'énergie et la préservation des structures. Ces trajets fonctionnels programmés se réalisent en deçà des contacts occlusaux et réduisent ainsi :
- les surcharges dentaires (faible fréquence de contact sur les dents antérieures, absence sur les dents postérieures) ;
- le travail musculaire par symétrisation des fonctions (facilitation neuro-musculaire, optimisation de la phonation et de la mastication) ;
- les contraintes articulaires (absence de compression ou de distension).
Si on admet le schéma de fonctionnement de la mandibule comme un levier de 3e genre, plus les contacts sont postérieurs, plus les efforts exercés sont importants [35]. Le désengrènement des dents postérieures (provoqué en partie par les pentes fonctionnelles antérieures, en partie par la pente condylienne) doit être suffisant pour éviter les interférences tout en permettant une efficacité masticatoire optimale.
Selon le principe du levier de 3e genre, l'éloignement des dents antérieures du point d'application des forces masticatrices favorise la préservation des structures.
De même, le principe de la tangente respecté par les incisives mandibulaires, l'orientation relative des incisives maxillaires et mandibulaires, l'anatomie de la face linguale des incisives maxillaires contribuent à limiter les contraintes sur les dents antérieures [36].
Le guide antérieur correspond à une sommation de pentes de guidage :
- ces pentes de guidage créent un cône à base ellipsoïdale dont le sommet représente l'OIM : entonnoir d'accès à l'OIM ;
- les pentes de l'entonnoir doivent être symétriques, ouvertes vers l'avant, ni trop marquées (espace fonctionnel suffisant), ni trop faibles (pas d'interférences postérieures) ;
- ces surfaces de guidage orientent les déplacements mandibulaires sous la protection d'une indispensable composante neurophysiologique, mémorisant le point d'atterrissage (OIM) et générant des réflexes d'évitement des contacts occlusaux en dehors de l'OIM.
Orthlieb [1] propose l'image de la canne blanche de l'aveugle agissant par contacts furtifs et engrammation tactile et ponctuelle d'un espace libre de tout obstacle : les informations doivent être précises (contacts linéaires), ponctuelles (1 ou 2 dents), répétitives (toujours identiques) et issues d'une dent à forte proprioception (dent antérieure) sur une zone de contact inclinée (pente de guidage).
Par rapport au modèle de normalité des relations incisives décrit ci-dessus, il existe en pratique clinique quotidienne de nombreuses variations, physiologiques ou pathologiques. Ces anomalies des rapports incisifs sont la base anatomique de certaines anomalies des fonctions occlusales de calage et de guidage qui ont été décrites par Orthlieb et al. [5] (tabl. I).
Le surplomb antérieur excessif (exemple de la classe II division 1) et la béance antérieure sont responsables d'une absence de contact antérieur en OIM qui génère une instabilité mandibulaire (fig. 14).
Les anomalies de guidage provoquent des interférences occlusales, qui sont antérieures ou postérieures. On peut définir l'interférence occlusale comme un obstacle dentaire limitant ou déviant la translation mandibulaire (en propulsion ou diduction). Ces obstacles à la translation mandibulaire sont considérés comme nocifs :
- par les contraintes mécaniques qu'ils impliquent sur le parodonte ou sur la dent elle-même [37] ;
- par les mouvements mandibulaires d'évitement qu'ils peuvent induire, entraînant des charges musculaires ou ligamentaires [38] ;
- par les éventuelles migrations dentaires qu'ils peuvent provoquer ;
- par les réactions d'hyperactivité musculaire qu'ils peuvent induire [32, 39-42].
Orthlieb et al. [5] proposent de distinguer, dans ces anomalies de guidage antérieur, les afonctions des dysfonctions.
Un contact postérieur lors d'un mouvement horizontal (propulsion ou diduction) est appelé interférence lorsqu'il n'y a pas simultanément de contact occlusal dans le secteur antérieur (fig. 16). On distingue :
- en propulsion les interférences postérieures ;
- en diduction : les interférences occlusales travaillantes et les interférences occlusales non travaillantes.
Cette relation occlusale conflictuelle est considérée comme d'autant plus traumatique pour la dent elle-même qu'elle est :
- isolée, c'est-à-dire limitée à un couple de dents ;
- proche de la position d'OIM ;
- située sur une dent postérieure ;
- située du côté non travaillant (vitesse linéaire importante).
Une interférence antérieure (en propulsion ou en diduction) se caractérise par des frottements linéaires, situés sur les faces vestibulaires des incisives ou canines mandibulaires. Ce type de relation dysfonctionnelle antérieure provoquerait alors sur le plan dentaire :
- des usures des éléments antagonistes (pas de contacts linéaires) ;
- une propension à la mobilité des dents antérieures maxillaires en cas de diminution du support parodontal (fig. 17a et 17b).
L'incidence des anomalies du guide antérieur sur le fonctionnement de l'appareil manducateur et plus particulièrement sur la physiologie articulaire est mal établie sur le plan scientifique, car il existe peu d'études consacrées à cette anomalie de l'occlusion. Pourtant anatomiquement et fonctionnellement liés au sein de l'appareil manducateur, les systèmes dentaire et articulaire collaborent à la réalisation des fonctions manducatrices. Les anomalies du fonctionnement de l'un retentissent donc sur l'autre. La connaissance de l'anato-mophysiologie articulaire permet de mieux comprendre l'importance des corrélations entre ces deux systèmes.
Paires et symétriques, les articulations temporo-mandibulaires relient la mandibule au crâne. Ces articulations « suspendues » sont traversées par une lame tendineuse, issue du chef supérieur du muscle ptérygoïdien latéral, différenciée, en regard des surfaces articulaires, en un disque. Ce dernier s'intègre dans un appareil, l'appareil discal, solidaire du condyle mandibulaire (complexe condylo-discal), appareil qui joue un rôle important dans le fonctionnement et la protection de l'articulation temporo-mandibulaire. Il permet à l'articulation de se modifier et de s'adapter sans cesse aux contraintes manducatrices. Siège de frottements articulaires, la partie postérieure du tubercule articulaire du temporal est recouverte d'une couche de tissu fibreux plus épaisse en dehors qu'en dedans (fig. 18).
En position d'occlusion d'intercuspidie maximale, cette zone reçoit le complexe condylo-discal : condyle mandibulaire lié à l'appareil discal [43]. L'image d'un modèle de normalité articulaire est généralement décrite sur une coupe sagittale en IRM [44] comme une situation du condyle mandibulaire en contact avec la zone intermédiaire du disque et les deux bourrelets discaux, l'ensemble s'appuyant sur la paroi postérieure du tubercule articulaire du temporal. La normalité articulaire est validée cliniquement par la palpation ou l'évaluation condylographique révélant une translation condylienne ample, symétrique, régulière, sans ressaut, superposable dans les différents mouvements (fig. 19).
Ces mouvements de translation sont essentiels au fonctionnement du plexus vasculaire de Zenker qui fournit le potentiel trophique de l'articulation temporo-mandibulaire (phénomène de pompe trophique lors de la translation condylienne).
Les corrélations entre pentes de guidage antérieures et pentes condyliennes ont été étudiées en vue d'élaborer des règles de construction du guide antérieur à partir des caractéristiques des déterminants postérieurs. Michielin et al. [14] ont montré qu'il existe des corrélations entre pente condylienne et pente incisive relative si on prend en compte le guide incisif dans sa globalité, rapporté au plan d'occlusion (guide antérieur global relatif) et la pente condylienne moyenne relative. Cette étude soutient les idées de nombreux auteurs cités par Michielin, pour lesquels développement de l'ATM, croissance osseuse, morphologie dentaire et éruption dentaire constituent des éléments quasi indépendants au cours de leur développement initial. Lors de la croissance, ces éléments deviennent interactifs avec des processus d'adaptation variables (nuls pour l'anatomie occlusale, plus importants pour les muscles et les ATM).
Cette analyse des corrélations entre pentes de guidage antérieures et pentes condyliennes est essentielle pour définir des règles de reconstruction du guide antérieur à partir des caractéristiques des déterminants postérieurs. Mais ces études ne permettent pas de souligner le potentiel pathogène du guide antérieur dysfonctionnel ou afonctionnel, car elles évaluent les pentes limites qui sont uniquement révélatrices de mouvements élémentaires de translation condylienne (caractérisés par la pente condylienne).
Pour analyser les corrélations fonctionnelles, il peut être plus instructif d'analyser les mouvements condyliens fonctionnels (association des mouvements fondamentaux, eux-mêmes association de mouvements élémentaires [23]. Ces mouvements fonctionnels sont mis en évidence grâce à la condylographie (tabl. II).
Mouvements :
- élémentaires (rotation et translation) ;
- composés (roto-translation) ;
- fondamentaux (abaissement, élévation, population, diduction) ;
- fonctionnels (mastication, phonation...).
L'incidence d'anomalies du guide antérieur sur la physiologie articulaire a été peu étudiée. Sur le plan épidémiologique, seule une situation de béance supérieure à 5 mm est admise comme corrélée à la présence d'arthrose des ATM [45]. Pourtant, de nombreux auteurs s'appuyant sur des constats cliniques et une analyse biomécanique de l'appareil manducateur, prêtent un rôle de cofacteur étiopathogénique des DAM (dysfonctionnement de l'appareil manducateur) aux anomalies du guide antérieur. Okeson [38] souligne le rôle du recouvrement excessif de la classe II-2 dans l'apparition de dysfonctionnement articulaire.
Pour Slavicek, la fonction masticatoire ou phonatoire exige des déplacements antéropostérieurs de la mandibule. Une pente incisive trop abrupte induit une réduction de l'espace fonctionnel (interincisif) et conduit la fonction mandibulaire à s'exercer postérieurement, risquant de mettre en danger le système d'attache ligamentaire de l'ATM [46]. Le risque résiderait dans la limitation des mouvements mandibulaires sagittaux antérieurs.
Pour Orthlieb [1], l'entonnoir d'accès à l'OIM doit être ouvert vers l'avant et une pente incisive trop abrupte induit une fermeture de l'espace fonctionnel avec pour conséquences :
- une rétroposition mandibulaire créant des distensions articulaires pouvant favoriser les désunions condylo-discales ;
- une rétrofonction mandibulaire (réactions d'évitement perturbant le système neuromusculaire).
L'absence de translation condylienne qui en découle pourrait avoir des conséquences sur la croissance du processus condylien, mais aussi sur les indispensables échanges métaboliques intra-articulaires.
Soutenant ces hypothèses, l'expérience clinique sur quelques cas de guide antérieur dysfonctionnel semble indiquer en condylographie électronique (axiographie) :
- une réduction de l'amplitude de translation condylienne (fig. 21a, 21b, 22a et 22b) ;
- une augmentation de la rotation condylienne (fig. 22a, 22b) ;
- une augmentation du mouvement transversal de Bennett (jeu articulaire latéral) (fig. 23a, 23b).
Ces hypothèses développées pour le guide antérieur dysfonctionnel sont similaires pour le guide afonctionnel, car la mandibule se déplace peu sagittalement en l'absence d'informations proprioceptives. Ces hypothèses soutenues par la logique biomécanique et par des constats cliniques ne peuvent cependant pas constituer une vérité scientifique. L'étude expérimentale des différences dans la cinématique fonctionnelle condylienne entre les populations au guide antérieur a- dys-et fonctionnelle, et leur corrélation avec les pentes de guidage, est en cours de réalisation à la Faculté d'odontologie de Nice. Elle devrait permettre d'apporter des éléments scientifiques de validation de ces hypothèses.
Le guide antérieur est une des clés de l'organisation occlusale. Sa physiologie étant bien connue, ses anomalies bien classifiées et aisément décelables en pratique clinique quotidienne, il peut être réhabilité dans les meilleures conditions grâce à des modèles « architecturaux » bien établis.
La compréhension du phénomène de programmation des mouvements mandibulaires par la proprioception desmodontale permet alors au clinicien d'optimiser l'utilisation des règles de reconstruction qui sont à la base d'une réhabilitation mécanique des fonctions de guidage. Si ces éléments sont abondamment décrits dans la littérature, l'incidence des anomalies du guide antérieur sur la cinématique condylienne et a fortiori sur la physiologie articulaire est en revanche peu documentée.
Pourtant, certains modèles étiopathogéniques des dysfonctionnements de l'appareil manducateur laissent une part importante aux anomalies de l'occlusion qui interviendraient comme co-facteur. S'appuyant sur une analyse biomécanique du fonctionnement de l'appareil manducateur et sur des évidences cliniques, ces modèles s'opposent souvent aux conclusions d'études épidémiologiques et manquent de validation expérimentale. Devant ce doute étiopathogénique et dans l'attente de résultats d'études épidémiologiques, le principe de précaution allié à une évidence biomécanique doit sans doute nous conduire à optimiser les relations incisives en intégrant leur rôle mécanique et proprioceptif dans le fonctionnement de l'appareil manducateur.