Le réflexe nauséeux en prothèse - Cahiers de Prothèse n° 117 du 01/03/2002
 

Les cahiers de prothèse n° 117 du 01/03/2002

 

Prothèse amovible complète ou (totale)

Caroline Bertrand *   Olivier Hüe **  


* Ex-assistante en prothèse
à l'UFR d'odontologie de Bordeaux
- attachée
à la Faculté d'odontologie de Bordeaux
Rue de la Mane 33490 Saint-Pierre-d'Aurillac
** Maître de conférences -
praticien hospitalier - responsable du département
de prothèse
Service d'odontologie de l'Hôtel-Dieu
UFR d'odontologie
Université Paris 7
5, rue Garancière
75006 Paris

Résumé

Le réflexe nauséeux peut, chez certains patients, représenter un handicap considérable au déroulement d'un acte dentaire ou prothétique et, pour le praticien, un obstacle pénible dans la mesure où il l'empêche de réaliser des actes thérapeutiques de qualité. Les étiologies de ce réflexe sont complexes, car d'origine innée ou acquise. Les réflexes acquis ont une origine générale ou locale. Parmi les étiologies locales, la sphère orofaciale joue un grand rôle. Le praticien doit tenir compte de ces étiologies et adapter les solutions thérapeutiques aux étiologies rencontrées.

Summary

The gag reflex in prosthetic dentistry

Providing dental treatment for patients who present a gag reflex is sometimes a harrowing procedure for the dental practitioner. Many factors are involved in the aetiology of gag response. The aetiologies are general or localised, specially in orofacial. The therapeutics are numerous: they imply various prothodontic approaches, drugs or psychosomatic technics. The practitioner must hence analyse the origin of gag reflex and adapt the best therapeutics to prevent it.

Key words

gag reflex, impressions, removable denture

Lors de traitements prothétiques, voire de dentisterie restauratrice, nombre de praticiens se sont trouvés confrontés à des patients présentant des réflexes nauséeux. Toute tentative de soin se révèle alors périlleuse et extrêmement irritante, tant pour le praticien qui ne parvient pas à assurer un traitement de qualité, que pour le patient qui est dans l'impossibilité de se maîtriser, rendant ainsi l'acte clinique pénible, voire insurmontable.

Qu'est-ce que le réflexe nauséeux ? La nausée, du latin nausea (signifiant mal de mer), se manifeste par une envie de vomir ou une sensation d'écœurement. Il s'agit d'une sensation subjective atteignant le niveau cortical. Plus précisément, le réflexe nauséeux est un réflexe inné de protection des voies aériennes supérieures et digestives contre tout événement susceptible de provoquer leur obstruction. Mais, ce peut être également un réflexe acquis, conditionné par différents stimuli : visuels, olfactifs, acoustiques ou psychiques [1-3] ainsi que chimiques ou toxiques qui agissent par voie sanguine ou par le liquide cérébrospinal [4].

Cliniquement, comment répondre à ces difficultés ?

La parfaite compréhension des différents mécanismes étiologiques est le préalable indispensable. Elle permet au praticien d'analyser le phénomène et de remédier à cette manifestation à la fois par des gestes, des techniques, des thérapeutiques complémentaires adaptées à l'étiologie.

Aspects neurophysiologiques du déclenchement des nausées [4-7]

Le réflexe nauséeux est présent dès la naissance et régresse progressivement au cours des quatre premières années de la vie lorsque l'enfant acquiert peu à peu la maturation des fonctions orales. Il abandonne alors les modes infantiles de ventilation et de succion-déglutition pour des fonctions matures de ventilation nasale et d'aspiration-déglutition. La postérisation du réflexe nauséeux suit l'ordre d'apparition des dents lactéales qui incitent l'enfant à stimuler sa bouche en y portant des objets divers. Ainsi, l'enfant enrichit ses références sensorielles et peut démarrer la mastication latéralisée. Le réflexe se positionne au niveau des piliers amygdaliens. La persistance du réflexe nauséeux chez l'adulte signe une immaturité oro-faciale, associée le plus souvent à des formes multiples de dysphagie [4].

Chez l'adulte, le déclenchement de la nausée résulte d'un mécanisme physiologique réflexe qui met en jeu des récepteurs situés en différentes zones de l'organisme, des voies afférentes qui permettent de véhiculer les stimuli aux centres nerveux du vomissement, puis aux voies efférentes.

Les récepteurs [5]

Les stimuli sensoriels susceptibles de générer cette manifestation sont détectés par trois types de récepteurs répartis au niveau oro-facial, digestif et sanguin.

Récepteurs oro-faciaux

Au niveau de la cavité buccale, la région du voile du palais, la base de la langue, le mur pharyngé postérieur et les piliers amygdaliens sont riches en récepteurs nociceptifs. Présents sur les papilles linguales porteuses des bourgeons du goût, ces récepteurs peuvent également déclencher le réflexe nauséeux. En effet, à leur base, des contacts synaptiques s'organisent en prolongements nerveux qui se ramifient en créant un véritable champ réceptif. Le champ réflexogène peut s'étendre plus ou moins en avant selon les sujets. À ces récepteurs, s'ajoutent les récepteurs labyrinthiques. Ils peuvent être à l'origine de nausées ou de vomissements provoqués par des changements de position (par exemple, les migraines ou les vertiges de Meynière en relation avec un trouble de l'équilibre de l'oreille interne). De même, la stimulation des récepteurs sensoriels oculaires, nasaux, auditifs peut être impliquée dans l'apparition de ces nausées (fig. 1).

Récepteurs digestifs

Que ce soit en provenance du tractus digestif ou de l'appareil olfactif, les chémorécepteurs véhiculent des stimuli chimiques. Les afférences en provenance du tractus digestif transmises surtout par le nerf vague aboutissent au noyau solitaire, noyau où convergent aussi les afférences du VII bis et du IX.

Récepteurs sanguins

On ne peut parler réellement de récepteurs sanguins. Mais en réalité, la circulation sanguine et lymphatique transporte les médiateurs chimiques liés aux modifications humorales dans la zone chémoréceptrice, située au niveau de l'area postrema, riche en récepteurs dopaminergiques. Ces modifications humorales pathologiques comme l'urémie ou les intoxications médicamenteuses (anesthésiques, apomorphines…) peuvent agir sur le centre bulbaire du vomissement. De même, les stimulations hormonales inhérentes à la grossesse empruntent la voie sanguine et peuvent provoquer des nausées (fig. 2).

Les voies afférentes [5, 7]

L'ensemble de ces stimuli chemine jusqu'au centre nerveux du vomissement en empruntant les fibres sensitives :

• du nerf trijumeau V,sensitivomoteur, qui intervient dans la sensibilité de la face, des orbites, des fosses nasales et de la cavité buccale. Le nerf sphénopalatin, branche du V2, innerve la partie antérieure muqueuse de la voûte palatine, la muqueuse du rhinopharynx et la partie postérieure de la muqueuse du voile du palais. Le nerf maxillaire inférieur innerve la muqueuse linguale en avant du « V », les bords et la pointe de la langue ;

• du nerf VII bis ou Intermédiaire de Wrisberg uniquement sensitif. Il constitue la voie des sensations gustatives désagréables, ressenties dans les 2/3 antérieurs de la langue ;

• du nerf glossopharyngien IX qui innerve les muqueuses du nasopharynx, du pharynx buccal, la muqueuse linguale, les papilles du « V lingual » et la région postérieure du « V lingual ». Grâce à cette distribution, il est l'agent essentiel de la déglutition et du réflexe nauséeux. Il est considéré comme le nerf du goût qui perçoit particulièrement les saveurs douces et amères ;

• du nerf pneumogastrique ou vague X, qui occupe un territoire très étendu (cou, thorax et abdomen) et se subdivise en plusieurs branches. Son rameau pharyngien forme le plexus pharyngien qui innerve les muscles et la muqueuse du pharynx, les muscles du voile du palais. Son rameau laryngé supérieur (ou nerf laryngé supérieur) innerve l'épiglotte, la base de la langue. Le nerf laryngé inférieur prend part à l'innervation des muscles du larynx.

Les afférences transmises respectivement par le nerf glossopharyngien (IX) et le nerf vague (X) aboutissent aux noyaux situés au niveau du IVe ventricule, noyaux qui possèdent des connexions plus ou moins directes avec le centre du vomissement.

Tous ces trajets nerveux appartiennent à la portion parasympathique du système nerveux autonome.

Les centres nerveux du vomissement [5, 6]

Ils se situent à différents niveaux : bulbaire, hypothalamique (supra-optique) et cortical. L'area postrema représente la zone chémoréceptrice du réflexe du vomissement. Elle se place au niveau e du plancher du IV ventricule dans la région bulbo-protubérantielle, riche en centres sensitifs, moteurs et végétatifs. Sa proximité vis-à-vis des centres de l'expiration, de l'inspiration, de la salivation, de la régulation vasomotrice (à l'origine de la pâleur ou de la transpiration) et des trois noyaux du cœur explique la stimulation possible des activités nerveuses de son environnement immédiat, d'où les sensations désagréables qui accompagnent le vomissement (sueur, pâleur, palpitations, hypersalivation…). En revanche, pour les nausées d'origine sensorielle, les réflexes transitent par l'hypothalamus, les aires corticales et l'insula [8].

Les voies efférentes motrices

Les stimuli transformés en impulsions motrices empruntent :

- les fibres motrices du système para-sympathique (nerfs pneumogastrique, glossopharyngien et trijumeau) qui sont à l'origine de l'hypersalivation, de l'élévation du voile du palais, etc. ;

- les nerfs des muscles intercostaux et abdominaux qui font partie des nerfs rachidiens ;

- le nerf phrénique qui innerve le diaphragme.

La réponse est transmise aux différents groupes musculaires qui sont à l'origine du vomissement.

Conséquences en odontologie

Cliniquement, de nombreux actes odontologiques sont susceptibles de stimuler de manière directe ou indirecte les zones et voies réflexogènes, stimulations qui se manifestent par l'intermédiaire de réflexes innés ou acquis d'origine générale ou locale.

Réflexes innés

Tout risque de blocage des voies aériennes se traduit par un réflexe nauséeux. Celui-ci dépend essentiellement de deux facteurs : la respiration buccale et l'hypersalivation. Lorsque le patient est un respirateur buccal, il redoute alors les risques d'inhalation salivaire, ce qui favorise la sensation de nausée. Ce problème peut se retrouver également lors de l'utilisation d'une turbine sous spray associée à une aspiration déficiente [3, 9]. Face à un excès d'eau dans la cavité buccale, le patient, bouche ouverte, ne peut déglutir. Une sensation d'étouffement, puis un sentiment de panique déclenche alors une réaction nauséeuse violente. De même, une hypersialorrhée augmente le nombre de déglutitions et peut aboutir aux mêmes conséquences. Parfois, le simple fait d'entendre le bruit de la turbine peut réveiller le souvenir de ce type d'incident [9, 10].

Réflexes acquis

Les manifestations réflexogènes acquises sont d'origine générale ou locale, primaires ou complémentaires, secondaires ou associées. Cependant, il est difficile de séparer ces différentes étiologies, car elles s'entrecroisent ou s'interpénètrent souvent. Parmi les pathologies générales qui s'accompagnent de réflexes nauséeux, on doit souligner le rôle joué par l'alcoolisme, certaines maladies digestives ou hépatobiliaires et les médicaments émétiques tels que les antimitotiques. Localement, le déclenchement du réflexe nauséeux dépend essentiellement de 5 stimuli.

• Stimuli mécaniques

Pour l'odontologiste, les stimuli mécaniques susceptibles de déclencher des nausées sont aussi nombreux que variés. En particulier, les différentes prises d'empreintes, l'insertion, le port d'une prothèse amovible partielle ou totale peuvent s'accompagner de manifestations nauséeuses. Cependant, l'influence positive de la dextérité du praticien, associée à l'influence de son autorité a une incidence bénéfique sur la prévention de cette manifestation nauséeuse [11].

Ainsi, l'étude de Sewerin portant sur 478 patients soumis à la réalisation de radiographies rétroalvéolaires a montré que si 13 % déclarent souffrir d'un réflexe nauséeux, ce chiffre tombe à 9 % lorsqu'un dentiste expérimenté effectue lui-même la radio alors qu'il atteint 26 % lorsque l'opérateur est étudiant ! De plus, Sewerin constate que si le réflexe est le plus souvent déclenché dans la région molaire maxillaire, d'autres stimuli olfactifs, visuels, psychiques interviennent également dans la genèse de cette manifestation.

• Stimuli olfactifs

Certaines odeurs, notamment les odeurs soufrées qui se dégagent de certains matériaux à empreintes, sont susceptibles de provoquer le réflexe nauséeux. De même, le goût d'une gouttelette d'anesthésique amer qui coule dans la cavité buccale peut suffire à déclencher une sensation d'écœurement [12, 13].

• Stimuli acoustiques

Le bruit d'un instrument rotatif peut réveiller chez le patient le souvenir d'un acte dentaire qui fut traumatisant. La stimulation corticale est dans ces deux premiers cas d'ordre psychogène.

• Stimuli visuels

La simple vue de gants d'examen [13], d'un coton salivaire ou le contact de ce coton ou d'une compresse sur une quelconque partie de la muqueuse buccale peuvent aussi, déclencher le réflexe nauséeux.

• Stimuli psychiques

L'anxiété, le souvenir d'une mauvaise expérience ont une incidence directe sur le comportement psychologique du patient lors d'une prise d'empreinte. Mais, les nausées d'origine psychologique sont essentiellement liées au port d'une prothèse amovible. En effet, l'édentation est toujours vécue comme une véritable mutilation. Chaque extraction modifie le schéma corporel de l'individu et l'oblige à faire un travail de deuil qui peut mettre en péril tout son équilibre psychologique. Le patient se juge le plus souvent responsable de son état, éprouve un sentiment inavouable de honte, de déchéance physique et de vieillissement. S'il ne parvient pas à le surmonter, si la prothèse réalisée ne correspond pas à ses attentes, il est fort à prévoir que le rejet se manifestera par des doléances interminables parmi lesquelles parfois une « insurmontable » tendance aux nausées [13, 14]. Cependant, ce n'est qu'après avoir éliminé toutes les autres étiologies que la cause psychique doit être évoquée. L'intervention d'un psychothérapeute peut alors se révéler judicieuse.

Cependant, il est très difficile d'établir une distinction nette entre les étiologies d'origines locales ou générales du réflexe nauséeux et la composante psychologique qui vient se surajouter et rendre le diagnostic plus difficile encore. Lors de l'élaboration d'une prothèse conjointe, à plus forte raison d'une prothèse amovible partielle ou complète, la stimulation des différentes zones réflexogènes peut avoir lieu à différents instants.

Nausées et thérapeutiques prothétiques

En prothèse, les nausées sont particulièrement susceptibles de se déclencher lors des prises d'empreintes et plus particulièrement lors de l'insertion ou du port des prothèses amovibles.

Nausées et prise d'empreinte

Que ce soit en prothèse fixée ou amovible, la prise d'empreinte peut se révéler particulièrement pénible. Lors d'une empreinte d'étude, d'une empreinte préliminaire, un porte-empreinte inadapté ou trop espacé au niveau postérieur de la voûte, chargé d'un matériau à empreinte quel qu'il soit, interfère avec la face dorsale de la langue et déclenche le malaise[8, 15, 16].

Pour répondre à ces manifestations, certaines précautions doivent être prises.

Installation du patient

Le patient est invité à se détendre, installé tête bien droite dans le prolongement du buste, cette position facilite la bascule en avant de la tête qui suit l'insertion du porte-empreinte garni de son matériau. Pour habituer le patient au changement de température provoqué par l'insertion de l'ensemble dans la cavité buccale, il est préférable de lui faire boire un verre d'eau fraîche[1, 2, 8]. En effet, un porte-empreinte trop froid exerce un stimulus d'ordre tactile. Toutefois, c'est davantage la perception d'une modification brutale de température, que la température elle-même qui provoquerait le réflexe nauséeux (Housset cité par Lejoyeux [1]).

Préparation des matériaux

Chez certains patients, la simple préparation du matériau, sa consistance, sa quantité déclenchent un stimulus visuel et/ou olfactif aboutissant au réflexe nauséeux parfois même avant que le matériau ne soit inséré dans la cavité buccale. Il convient donc de préparer le matériau à empreinte hors de son regard pour ne pas stimuler la voie corticale qui favoriserait l'apparition d'un réflexe nauséeux conditionné. Par ailleurs, l'empreinte mandibulaire est toujours prise en premier pour minimiser la stimulation des zones réflexogènes et habituer le patient à la présence du matériau en bouche.

À l'arcade maxillaire, le porte-empreinte est garni sans excès pour éviter toute fusée dans la région du voile du palais, ce qui déclenche une manifestation réflexe. Celle-ci est accentuée par une position déclive du patient.

Les empreintes secondaires se déroulent souvent mieux que les empreintes préliminaires. En effet, le porte-empreinte individuel est parfaitement adapté à l'anatomie buccale, la quantité de matériau limitée (simple surfaçage) et l'attention du patient mobilisée par les mouvements que nous lui demandons de réaliser. De plus, tous les excès de matériaux qui coulent au niveau du voile sont facilement et rapidement éliminés à l'aide du miroir.

En prothèse amovible, l'empreinte piézographique [17] serait un moyen efficace pour lutter contre l'apparition du réflexe nauséeux par l'exploitation optimale du couloir prothétique. De même, les empreintes tertiaires destinées à affiner l'enregistrement des surfaces polies stabilisatrices permettent d'optimiser le confort de la prothèse.

Techniques complémentaires

Si lors de la prise d'empreinte maxillaire, les précautions préalablement décrites sont inefficaces, le praticien doit les compléter soit en essayant de distraire ou de dévier l'attention du patient, soit avec des prémédications.

• Distraction du patient

D'une part, le praticien doit être conscient de l'importance de la relation non verbale, du respect d'une certaine distance au cours des actes afin que le patient ne se sente jamais « agressé ». D'autre part, un langage positif, simple et explicite doit être adopté pour que se développe une certaine complicité [14]. Par exemple, convenir tout simplement d'un signe au moment de la prise d'empreinte si un obstacle apparaît rend le patient plus confiant et plus coopérant. Lui demander également de regarder sa montre pour surveiller le temps de prise. S'il est anxieux [1-3], lui proposer de fermer les yeux et d'exercer un contrôle de sa respiration. À l'opposé, certains auteurs suggèrent d'ouvrir grand les yeux [12, 16]. Éventuellement, lui rappeler que nous sommes à ses côtés et que nous souhaitons l'entendre respirer par le nez. Prévenir que le produit va prendre rapidement. Robb et Crothers [2] conseillent de demander au patient de réaliser un effort musculaire (décoller les jambes du fauteuil pendant trois minutes) conjointement au contrôle respiratoire. De même, le praticien peut s'appuyer sur les épaules du patient, s'opposant à la respiration profonde, prémices de la manifestation nauséeuse.

• Prémédications

Certains patients particulièrement anxieux peuvent trouver un soutien supplémentaire dans l'administration d'un traitement pharmacologique par voie générale avant toute intervention. En dehors des techniques rudimentaires telles que la mise en place d'une pincée de gros sel sur la langue que le patient doit laisser fondre [1], les traitements médicamenteux répondent à deux objectifs : soit bloquer les récepteurs de zones réflexogènes par des produits anesthésiques, soit annihiler le centre du vomissement par des médications allopathiques. À cela s'ajoutent des approches plus ésotériques comme l'acupuncture.

Anesthésies

Certains auteurs ont constaté que l'anesthésie des zones réflexogènes au cours d'un acte thérapeutique était bénéfique pour prévenir le réflexe nauséeux [18]. Le badigeonnage d'un produit anesthésique comme le Nestosyl® ou la Xylocaïne® à 5 % (Astra Zeneca) peut apporter un confort supplémentaire au patient. En revanche, la projection, en bouche, d'anesthésique sous forme de spray peut être extrêmement dangereuse (surtout chez un patient asthmatique chez qui elle risque de déclencher une réaction allergique violente (œdème de Quincke). Ashiry et Salah [18] utilisent un anesthésique local à base de lidocaïne pour prévenir la sensation de nausée chez 35 patients particulièrement prédisposés, avant radiographie rétroalvéolaire. Seuls 6 patients se sont montrés résistants. L'auteur conclut à l'existence d'une relation directe entre la perte des sensations orales et le contrôle du réflexe nauséeux.

En revanche, le recours à la sédation neuroleptique, à l'anesthésie générale ne peut constituer qu'un ultime recours, particulièrement indiqué chez les patients psychiatriques. Ces techniques ne sont en effet pas dénuées de risques et surtout très peu adaptées à l'élaboration de restaurations prothétiques dites conventionnelles [2].

Allopathie

Les produits utilisés doivent avoir une action directe et rapide sur le centre du vomissement. Ils vont bloquer les récepteurs dopaminergiques (dopamine, apomorphine) ou les neurotransmetteurs (acétylcholine, histamine) à l'origine de l'excitation du centre du vomissement. N'étant pas sans effets secondaires, ils seront utilisés de préférence pour résoudre un problème ponctuel (avant une prise d'empreinte, par exemple).

• Le Vogalène® (Schwarz Pharma), dérivé des phénothiazines (métopimazine) est un antivomitif puissant qui ne sera utilisé que dans les cas rebelles, car il s'agit d'un neuroleptique qui favorise des réactions hypotensives, la somnolence et des dyskinésies en cures prolongées.

Posologie : 5 à 30 mg par 24 heures, soit 2 gélules toutes les heures avant le rendez-vous et, si nécessaire, 1 à 2 gélules par 24 heures en postprothétique pendant 48 heures.

• Le Primpéran® de Synthélabo (métoclopramide) est un antispasmodique gastro-intestinal qui, de par son action antivomitive rapide, constitue un produit de choix dans notre spécialité. Son action neuroleptique est moins marquée qu'avec le précédent, car sa cinétique est très rapide chez l'homme.

Posologie conseillée : 3 comprimés par 24 heures, avant chaque repas ; 2 jours avant le rendez-vous, puis 1 comprimé 2 heures avant le rendez-vous.

Homéopathie [19]

C'est une méthode thérapeutique douce, qui consiste à administrer des remèdes à doses infinitésimales alors qu'à doses plus élevées, ils produiraient des symptômes identiques à ceux du mal à combattre.

- Ipeca vient à bout de la majorité des réflexes nauséeux ;

- Cocculus est utilisé pour les vertiges, le mal de mer ;

- Digitalis est prescrit lorsque la nausée est provoquée par les odeurs ;

- Sulfur ou Sepia sont utilisés chez la femme enceinte.

Points d'acupuncture

Le point d'acupuncture utilisé pour éliminer le réflexe nauséeux se situe au fond de la fossette du menton à une profondeur de 3 mm, sur une ligne médiane qui passe entre les racines des incisives centrales mandibulaires [20]. On peut masser ce point énergétique avec la pulpe du doigt, ce qui permet de détourner l'attention du patient.

Dans les cas particulièrement redoutables où une angoisse des soins apparaît incontrôlable, il est possible de préparer le patient en ayant recours à des méthodes de relaxation à l'aide de cassettes, soit dans la salle d'attente, soit au fauteuil. La décontraction de chaque groupe musculaire en partant du bas du corps vers le haut permet d'aider le patient à être parfaitement calme, rassuré et préparé pour l'acte prothétique [21, 22].

L'ensemble de ces thérapeutiques permet au praticien de répondre aux problèmes posés par les prises d'empreinte.

Nausées et insertion d'une prothèse amovible

En dehors des différentes phases d'empreintes, en prothèse amovible, d'autres étapes demeurent délicates, en particulier celle correspondant à l'insertion d'une prothèse. C'est un moment délicat, celui où le patient va émettre un jugement sur les capacités du praticien à satisfaire ses exigences. Pendant toute la phase de réalisation prothétique, il n'a pu imaginer ce que seront ses sensations tant sur le plan esthétique que fonctionnel [14]. Aussi, si le résultat ne correspond pas à ses attentes, cela peut constituer un obstacle majeur à l'intégration prothétique. Cette phase requiert beaucoup de disponibilité, de patience et d'écoute de la part du praticien.

Le patient ne doit pas être à jeun. Les prothèses humidifiées au préalable dans une solution de bain de bouche diminuent les sensations de sécheresse buccale et de corps étranger. La prothèse mandibulaire est insérée en premier, sa stabilité contrôlée, puis la prothèse maxillaire, enfin les deux ensemble. L'équilibration en relation centrée suivant le concept de l'occlusion totalement équilibrée doit être affinée afin de prévenir tout risque d'instabilité occlusale.

Cependant, malgré tous nos efforts techniques, médicamenteux et psychologiques, l'insertion d'une prothèse amovible maxillaire peut s'avérer impossible en raison du réflexe nauséeux qu'elle déclenche. Dans un premier temps, le praticien doit employer des techniques de mise en condition. Deux solutions s'offrent au praticien, l'une prothétique, l'autre concerne l'utilisation de la brosse à dents.

Solution prothétique

Pour cela, la prothèse est temporairement raccourcie jusqu'à ce qu'elle ne déclenche plus de réflexe nauséeux. Dans un deuxième temps, une petite quantité de résine à prise retardée est placée sur la limite postérieure de la base entre les deux ligaments ptérygomaxillaires. De nombreux matériaux sont utilisables. Notre préférence se porte sur le Soft-Liner® de GC en raison de sa totale absence d'odeur, de son état de surface lisse et de sa tenue, voire de sa rigidité en couche mince. À chaque rendez-vous, le praticien conforte son patient dans l'approche thérapeutique choisie, rajoute du matériau si le patient est dans une phase favorable ou bien diffère sans pour autant abandonner. De proche en proche, de semaine en semaine, les nocicepteurs baissent leur seuil de sensibilité, la prothèse tient mieux, l'appréhension diminue (fig. 3a et 3b).

Dans la phase finale, lorsque le patient est parfaitement habitué et la limite prothétique adéquate, la résine à prise retardée est remplacée dans les plus brefs délais, en quelques heures si possible, par de la résine chémopolymérisable. La prothèse est alors réinsérée sans difficulté dans la cavité buccale. La clé du succès de cette technique réside dans sa rapidité d'exécution.

Apport de la brosse à dents

Le patient est invité à brosser le palais dur chaque jour à l'aide d'une brosse à dents chirurgicale, dont le manche présente des repères. Chaque jour, il essaye de déplacer la brosse plus en arrière, évaluant la progression, grâce aux repères. Il prend peu à peu confiance en voyant le repère se déplacer.

Nausées et port d'une prothèse amovible

Dans certains cas, le port de la prothèse s'avère impossible. Les causes sont à la fois techniques et psychologiques. Le diagnostic différentiel entre une manifestation psychosomatique et une nausée d'ordre technique est très simple : si le passage d'un miroir dans la région du voile du palais ne produit aucun trouble, la manifestation est d'origine psychosomatique.

Causes techniques

Les nausées ayant une origine technique résultent d'une mauvaise conception de la prothèse, en particulier de l'absence de rétention, du non-respect des volumes prothétiques [23] et d'une mauvaise hygiène.

• Absence de rétention

Une rétention insuffisante des prothèses maxillaires dépend entre autres d'une absence ou d'une mauvaise conception du joint postérieur [24], phénomène qui s'associe à une absence totale de stabilité. Par réflexe, la langue se place dans une position postérieure haute, favorisant l'établissement d'un contact entre les zones réflexogènes, situées sur la face dorsale de la langue et la partie postérieure de la prothèse.

• Volume prothétique

Toute réduction de l'espace dévolu à la langue peut entraîner des nausées. Une prothèse maxillaire trop épaisse, laissant une limite postérieure saillante sensibilise la face postéro-supérieure de la langue. De même, la prothèse peut stimuler la partie postéro-externe de la langue lorsque le contact est trop postérieur. Les montages trop étroits tant maxillaire que mandibulaire participent à ce phénomène. À la mandibule, un montage postérieur trop lingual provoque une 3 réduction de 2 cm du volume lingual [25]. La langue occupe alors une position postérieure haute, favorisant l'établissement d'un contact entre la prothèse et les zones réflexogènes (fig. 4a et 4b).

Lors de l'insertion d'une prothèse, le temps d'adaptation nécessaire au patient pour intégrer ce nouveau volume prothétique est d'autant plus important que la réduction de l'espace lingual accroît le réflexe nauséeux et le rejet de la prothèse.

Le respect des règles de montage : aire d'Ackermann dans la région incisivo-canine mandibulaire, aire de Pound dans les régions latérales, volume et forme des extrados, sont autant de paramètres qu'il convient de respecter [1, 15, 17].

• Respect d'une bonne hygiène buccale et prothétique

L'attention portée à l'hygiène est particulièrement importante : il faut prévenir les dépôts de tartre qui provoquent des irrégularités de surface désagréables pour la langue. Même si cela comporte de nombreux inconvénients, le patient est encouragé à garder ses prothèses la nuit de manière à les intégrer comme s'il s'agissait de ses propres dents.

Causes psychologiques

Les manifestations d'origine psychosomatique sont souvent liées à une mauvaise expérience du port d'anciennes prothèses ou à un passage de l'édentation partielle à l'édentation totale douloureusement vécu [10, 13, 14]. Certains patients pour qui le port de la prothèse complète est intolérable pour des raisons psychologiques [13, 17, 21, 26, 27] devront faire l'objet d'une prise en charge particulière auprès d'un thérapeute. Les raisons susceptibles de provoquer ce rejet sont multiples :

- 1er cas : même si la prothèse est souhaitée, le patient peut avoir un discours conscient d'acceptation, mais inconsciemment une attitude de rejet ;

- 2e cas : la présence de la prothèse complète consacre la dégradation du corps, rappelle en permanence son altération. L'attitude est celle du rejet du corps étranger ;

- 3e cas : la prothèse est réalisée et insérée par une tierce personne sans qu'il y ait une quelconque relation entre le réalisateur et le receveur.

Quel que soit le cas de figure, celui-ci sera d'autant plus difficile à « négocier » avec le patient s'il éprouve une image négative de lui-même. Aussi, dans tous les cas, plusieurs entretiens avec un psychiatre peuvent se révéler extrêmement utiles pour démonter les mécanismes qui ont conduit au développement de tels sentiments. Les techniques d'hypnose, si le praticien les maîtrise, permettent de reconstruire une attitude positive du patient face aux traitements dentaires [2, 16]. De même, une relaxation bien menée, à raison d'une séance par semaine pendant une durée de trois mois environ, permet de suggérer au patient souffrant une modification de son image. Cependant, dans ces cas extrêmes, il ne faut jamais oublier les étiologies générales, en particulier la prise de médicaments émétiques et l'alcoolisme qui est souvent présent.

Conclusion

Le phénomène des nausées est une réalité clinique à laquelle tous les praticiens sont confrontés. L'approche thérapeutique doit faire appel, pour les phases d'empreintes, à des séquences techniques et cliniques le plus souvent simples, précises, bien spécifiques. En cas d'échec, le praticien se tourne vers des protocoles thérapeutiques plus complexes, que ce soient la prescription de médicaments antiémétiques, la sédation neuroleptique, l'anesthésie générale ou enfin des conseils psychologiques.

Mais, le choix entre ces différentes approches résulte de la parfaite détermination des étiologies de ce réflexe, que ces étiologies soient générales ou locales, psychologiques et/ou techniques.

bibliographie

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