Remplacement d'une molaire par un implant large - Cahiers de Prothèse n° 122 du 01/06/2003
 

Les cahiers de prothèse n° 122 du 01/06/2003

 

Implantologie

Emmanuel Castany *   Pascal Laffargue **   Bruno Pelissier ***  


* AHU
Département d'odontologie conservatrice
DUOCR
UF odonto-prothétique
** Attaché hospitalier
40, place du Millénaire
34000 Montpellier
*** MCU/PH
Département d'odontologie conservatrice
DUOCR
UF odonto-prothétique
UFR d'odontologie
Université de Montpellier I
545, avenue du Pr. J.-L. Viala
34193 Montpellier Cedex 5

Résumé

L'implant de grand diamètre a permis d'étendre les possibilités thérapeutiques implanto-prothétiques et d'optimiser le résultat final pour des situations cliniques spécifiques tels les édentements unitaires postérieurs. Les différentes étapes prothétiques pour le remplacement d'une première molaire mandibulaire sont décrites temps par temps. La technique d'empreinte et les étapes de réalisation sont accessibles à tout praticien averti et permettent, à l'aide de moyens simples et ergonomiques, d'obtenir des résultats esthétiques et fonctionnels.

Summary

Replacement of a single molar with a large implant: description of the prosthetic phase

Wide implants have developped implant and prosthesis-based therapeutic possibilities. They have optimised the final outcome for specific clinical situations, often encourtered with a single missing posterior tooth. We describe the different prosthetic steps to replace a first lower molar. The impression technique and the prosthetic realization are accessible to every pratictioner. With simple and ergonomic means, they can achieve aesthetic and functionnal results.

Key words

impression, prosthetic realization, single molar restoration, wide implant

Grâce aux progrès de l'implantologie, le remplacement d'une molaire par une prothèse sur implant est désormais une indication fréquente. Des diamètres importants d'implants ont été développés : 5,5 et 6,5 mm pour que le profil d'émergence naturel de la dent soit respecté [1]. Parallèlement, l'ergonomie de la phase prothétique a été considérablement améliorée tout en conservant la rigueur exigée pour obtenir une parfaite adaptation des pièces prothétiques.

Le cas présenté est celui du remplacement d'une première molaire mandibulaire par un implant Frialit®-2 (Friadent) avec un diamètre d'émergence de 5,5 mm. La technique d'enregistrement par repositionnement du transfert d'empreinte et l'utilisation d'un pilier prothétique préfabriqué, individualisé au laboratoire, rend la phase de restauration simple et fiable.

Cas clinique

Une patiente de 30 ans consulte au mois de mars 2001. Elle a subi, 20 ans auparavant, l'extraction des deuxièmes prémolaires en vue d'un traitement orthodontique.

Suite à une fracture radiculaire, l'extraction d'une molaire mandibulaire (dent n° 36) est réalisée. Il en résulte un édentement partiel mandibulaire gauche, avec, d'une part, un espace prothétique disponible relativement important dans le sens mésio-distal, mais toutefois insuffisant pour loger les deux dents absentes : 35 et 36 et, d'autre part, des dents bordant l'édentement absolument saines. Cette situation conduit à refuser de préparer ces dents pour réaliser un bridge conventionnel et à opter pour la solution de prothèse sur implants.

Pour un édentement postérieur encastré tel un édentement unitaire molaire, il existe 3 options implantaires : un implant standard, un implant large ou deux implants standard. Pour ce cas clinique (espace mésio-distal de 11 mm et crête large de 8 mm), l'option d'un implant standard a immédiatement été abandonnée. Elle obligeait à créer un ou deux diastèmes et à réaliser une couronne surdimensionnée par rapport à sa section au niveau cervical (indice de Le Huche défavorable), ce qui peut induire un risque de fracture du matériau cosmétique en porte-à-faux et des contraintes importantes au sein des composants implantaires. Il est apparu préférable de mettre en place un implant présentant un col de large diamètre plutôt que deux implants standard 2.

Pour envisager les possibilités implantaires, un certain nombre d'examens ont été réalisés en complément de l'examen clinique endobuccal :

- un bilan médical général pour écarter toute contre-indication à la chirurgie buccale et à l'implantologie ;

- un examen psychologique pour évaluer la motivation de la patiente ;

- une analyse occlusale réalisée sur modèles d'étude montés sur articulateur (rapports interarcades, interférences, pathologies occlusales, etc.) ;

- une étude prothétique au moyen d'une cire de diagnostic préfigurant la future prothèse (aménagement de l'espace prothétique disponible et évaluation esthétique et fonctionnelle). Cette maquette en cire est montrée à la patiente pour qu'elle puisse visualiser la réalisation prothétique définitive ;

- une radiographie panoramique (fig. 1) qui permet d'évaluer la hauteur d'os disponible, les rapports entre le site édenté et les obstacles anatomiques. L'apport de cet examen est très limité dans le cas d'une édentation unitaire : la résorption apico-coronaire est rarement importante et les pertes osseuses vestibulo-linguales ne peuvent pas être évaluées. D'autres inconvénients de cet examen sont un agrandissement et une distorsion volumétrique qui ne permettent pas de faire des mesures fiables ;

- un scanner dentaire (fig. 2) (examen tomodensitométrique) qui permet de sélectionner différentes coupes dans les trois plans de l'espace en grandeur réelle. Cet examen permet d'analyser le volume osseux disponible, les rapports avec les structures anatomiques, la présence de lésions osseuses.

Un certain nombre d'arguments favorisent la solution d'un seul implant de large diamètre, ce qui constitue, pour les dents postérieures, un profil d'émergence plus adapté et une anatomie coronaire plus naturelle. Un grand diamètre cervical de l'implant assure également un bon support pour la crête alvéolaire dans le sens vestibilo-lingual, et une reconstruction optimale de l'espace interdentaire cervical [3, 4]. L'augmentation du diamètre cervical de l'implant entraînerait une diminution de la charge occlusale et latérale appliquée à l'os alvéolaire, beaucoup plus importante que lorsqu'on augmente la longueur de l'implant [4-8]. Le seuil de fracture est considérablement augmenté avec les implants larges. L'augmentation de la surface d'assise prothétique permet une meilleure distribution des forces occlusales et une meilleure stabilité des composants prothétiques, ce qui entraîne une réduction des forces exercées sur les vis prothétiques [5, 9].

Cette évaluation clinique doit toujours être confrontée à la demande du patient en matière d'esthétique, cette dernière pouvant être très variable d'un patient à l'autre. Le résultat esthétique final dépend de la morphologie, de la position de la limite cervicale, du profil d'émergence de la restauration sur implant et de la qualité des tissus péri-implantaires. Un résultat esthétique très satisfaisant est souvent difficile à obtenir [10].

Une phase de temporisation de quatre mois entre l'avulsion et l'implantation a été nécessaire pour permettre la cicatrisation des tissus.

Au mois de juillet 2001, un implant Frialit®-2, choisi pour son grand diamètre (5,5mm), a été mis en place dans le site édenté. À cette époque, encore peu de systèmes implantaires proposaient des diamètres supérieurs à 5 mm. Pour ne pas contrarier l'ostéointégration, le second temps chirurgical intervient trois mois après la mise en place de l'implant, c'est-à-dire courant octobre 2001. Il vise à retrouver l'émergence de l'implant enfoui et à aménager les tissus autour du col de l'implant, en recréant une gencive kératinisée péri-implantaire par le déplacement des tissus mous.

Avec un implant de 5,5 mm de diamètre, le profil d'émergence est créé par le pilier de cicatrisation (fig.3 et 4). Aucune restauration provisoire n'a été utilisée pour guider la cicatrisation gingivale. Cette technique de restauration unitaire sur implant a deux autres intérêts : d'une part de gagner du temps dans la réalisation prothétique, d'autre part de réduire les coûts pour le patient [11].

La vis de cicatrisation est déposée. L'aspect rose pâle et l'absence de saignement témoignent de la bonne santé gingivale péri-implantaire (fig. 5). Le transfert d'empreinte est un pilier dont le diamètre correspond à celui de l'implant et du pilier de cicatrisation, son rôle est de transférer les informations cliniques au laboratoire. Il est indispensable de vérifier radiologiquement sa bonne adaptation sur l'implant. Ce transfert d'empreinte est transvissé dans l'hexagone interne de l'implant. Il est ensuite recouvert par le « transfert cap » (fig. 6 et 7) qui restera prisonnier dans l'empreinte en silicone (fig. 8 et 9). Ce système de « transfert cap » (Friadent) fait partie des solutions les plus simples pour la prise d'empreinte. L'empreinte est réalisée de façon traditionnelle avec un porte-empreinte plein, sans recours à un porte-empreinte ajouré [12]. Le « transfert cap » assure une grande précision dans le repositionnement du transfert et de la réplique d'implant [13]. La manipulation est très simple. Ce « transfert cap » permet également d'obstruer l'orifice supérieur du transfert d'empreinte empêchant ainsi la fusée du silicone à l'intérieur.

Une fois l'empreinte réalisée avec des silicones par addition, en technique double mélange, le transfert est dévissé de l'implant, pour être aussitôt transvissé sur la réplique d'implant [14] (fig. 10). L'ensemble est alors mis en place dans l'empreinte par une forte pression jusqu'au blocage final sur le « transfert cap » (fig. 11). Transmis au laboratoire de prothèse, le moulage est réalisé en plâtre extra dur.

Dans la même séance, après la prise d'empreinte, un pilier en titane, Esthetic base® (Friadent), est mis en place pour contrôler l'axe, la hauteur de gencive et l'émergence du congé dans les zones esthétiques (fig. 12). Les informations concernant la retouche du pilier sont ainsi transmises au laboratoire de prothèse. La hauteur transgingivale de ce type de pilier existe en 1, 2, 3 et 5 mm permettant ainsi de répondre à toutes les situations cliniques.

Au laboratoire, le prothésiste modifie le pilier Esthetic base® selon les paramètres transmis par le clinicien au moment de l'essayage. L'utilisation de fausse gencive est indispensable pour vérifier l'ajustage et permettre la réalisation d'un profil d'émergence anatomique (fig. 13, 14 et 15).

Le contrôle du positionnement du pilier se fait alors en bouche (fig. 16). Encore une fois, il est indispensable de vérifier radiologiquement la bonne adaptation du pilier sur l'implant (fig. 17). Les étapes de confection de la couronne prothétique sont classiques. L'essayage de la chape métallique se résume au contrôle de l'adaptation au pilier. L'essayage du biscuit comporte plusieurs points importants : contrôle visuel et radiologique de l'adaptation périphérique, contrôle des contacts proximaux, vérification fonctionnelle, phonétique et esthétique, ajustage rigoureux de l'occlusion en intercuspidie maximale, mais aussi en relation centrée et lors des guidages de la mandibule. L'implant unitaire large représente un très bon choix pour résister aux forces latérales, il faut néanmoins soulager l'implant lors des excursions de la mandibule en diduction. Il est préférable que la résultante des contraintes occlusales s'exerce dans l'axe implantaire.

Lors de la séance suivante, la vis de pilier est serrée à 24 Ncm au moyen d'une clé dynamométrique et la couronne céramo-métallique est scellée après un ultime contrôle de l'occlusion (fig. 18). Le scellement au moyen d'un ciment provisoire (Freegenol®, GC) est suffisant. Il est primordial d'éliminer les excès de ciment, très précautionneusement, à l'aide d'une sonde. L'implant large et son pilier présentent un profil d'émergence plus approprié pour les dents postérieures [15] (fig. 19, 20 et 21). La mise en fonction de l'implant a été différée du premier temps chirurgical, effectué 4 mois auparavant [16].

Conclusion

Les indications de remplacement de dents unitaires sont extrêmement fréquentes et, dans de nombreux cas, l'implantologie est une excellente alternative prothétique. Il est donc indispensable que l'omnipraticien puisse accéder aisément à ces techniques. Le but de cet article est de démontrer que la prothèse sur implant n'est plus actuellement une affaire de spécialiste.

Pour des cas simples, elle est souvent plus aisée que la prothèse sur dent naturelle. Les techniques en implantologie évoluent vers la simplification des phases de réalisation prothétique tout en exigeant la rigueur indispensable au succès du traitement. La réussite de la restauration finale dépend d'un bon diagnostic, du choix prothétique et de la communication efficace entre le chirurgien, le prothésiste clinicien et le prothésiste de laboratoire [17].

bibliographie

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