Prothèse amovible complète (ou totale)
Laurent Bluche * Serge Armand **
*
Chargé de cours à la faculté dentaire de Toulouse
DU d'implantologie
**
Maître de conférences -
Responsable du DU d'implantologie de la faculté dentaire de Toulouse
35, boulevard Jean-Jaurès
11000 Carcassonne
Le positionnement d'implants dans la zone interforaminale est une des indications de choix en implantologie pour augmenter la rétention des prothèses totales amovibles. Le concept de rétention a énormément changé depuis ces vingt dernières années à cause de multiples facteurs prothétiques et chirurgicaux. La technique pratiquée dans les années 80 consistaient en 2 implants soutenant une barre de section ronde ou deux boutons-pression. L'orientation actuelle est la pose de 3 ou 4 implants avec attachements ou cavaliers. Cet article décrit, par l'intermédiaire d'une classification IPS (implanto-prothétique symphysaire) simple, les possibilités prothétique et implantaire en fonction de l'anatomie et de la fonction. Comme toute classification, l'IPS a des limites. Les cas marginaux liés à des problèmes particuliers (anatomiques, biomécaniques ou biologiques) ne sont pas tous pris en considération dans cette classification clinique et doivent, par là même, être étudiés au cas par cas.
Implant placement to increase the retention of removable complete denture is one of the major indication in implantology. The clinical concept for an implant supported bar has changed during the past twenty years from 2 to 3 or 4 implants. This paper presents a new classification using anatomical and prosthetic landmarks. The PSI (Prosthetic Symphysal Implant) classification gives to the clinician an evaluation of the number of implants and the suitable prosthetic connection. It is a clinical classification which can be used in most of the cases but is not suitable for extreme bone loss, severe biomechanical or biological problems. This classification is a clinical tool for a large number of cases.
La rétention des prothèses amovibles complètes mandibulaires est souvent améliorée par l'utilisation d'attachements de type cavalier sur barres implanto-portées. Ces barres, qui procurent un confort fonctionnel réel pour le patient, posent pour le praticien un certain nombre de problèmes lors de :
- la conception prothétique ;
- la réalisation clinique ;
- la phase de maintenance, avec un risque de fracture prothétique ainsi qu'une perte progressive de la capacité rétentive des artifices de connexion barre/PAC (prothèse amovible complète).
Le but de cet article est de soulever les problèmes rencontrés lors de la réalisation de ce type de prothèses, d'en définir les causes et donner les moyens de les éviter.
Dans les années 80 [1-9], le principal souci pour la pose des implants au niveau d'une mandibule édentée était de générer le moins de stress possible. La majorité des systèmes de rétention étaient de type boutons-pression positionnés sur 2 implants [10]. Pour les cas de barres, 2 implants étaient mis en place le plus antérieurement possible pour permettre à la prothèse amovible de pivoter suivant un axe de rotation frontal [11, 12], une section ronde favorisant cette rotation. Les implants se trouvaient préservés, mais la rétention associée était faible. Les échecs de rétention prothétique trop nombreux avec ce type de conceptions ont amené les cliniciens dans les années 90 à augmenter le nombre d'implants symphysaires mandibulaires pour accroître la rétention, préserver l'ostéointégration et permettre une meilleure efficacité masticatoire [13-15].
Actuellement, la conception prothétique doit prendre en compte un certain nombre de paramètres définis à partir des résultats cliniques des précédentes décennies :
- le nombre d'implants nécessaires pour procurer une rétention suffisante à la prothèse [16] ;
- la forme de la barre pour générer le moins de contraintes possibles aux implants et donc augmenter la pérennité implantaire et prothétique [17-19] ;
- la forme de l'arcade qui conditionne la disposition des implants et leur géométrie linéaire ;
- l'orientation et le volume des bases osseuses qui conduisent au choix de la longueur et du diamètre des implants ;
- l'axe d'insertion prothétique par rapport aux versants des crêtes (fig. 1) ;
- l'orientation sagittale du plan de référence occlusal (plus l'axe des implants est orthogonal à ce plan de référence occlusal, moins il y a de contraintes) ;
- la possibilité de mise en place d'implants parallèles.
Il est apparu utile de regrouper ces différents facteurs sous forme d'un tableau (tabl. I). Cela pour apprécier les éléments positifs et négatifs et répondre à cette double question :
- combien d'implants ?
- quel type de barre et quels moyens de rétention ?
Les éléments positifs et négatifs sont relatifs à :
- la forme de l'arcade : situation des implants dans le plan horizontal ;
- l'axe de la base osseuse mandibulaire : orientation de l'axe des implants ;
- le volume osseux exploitable : longueur et diamètre des implants ;
- la forme de l'arcade : elle influence la répartition des implants dans le plan horizontal : plus l'arcade est carrée, plus les implants sont alignés, ce qui diminue l'effet stabilisant de la barre, lié au tripodisme. À l'opposé, une crête très triangulaire bien que favorisant le tripodisme et l'éloignement antéro-postérieur des implants pose un problème lors de la connexion avec la barre, car celle-ci est positionnée trop lingualement ;
- l'axe de la base osseuse par rapport au plan de référence occlusal sagittal. Cet axe impose souvent le positionnement des implants selon un axe orienté lingualement. Plus la différence entre l'axe implantaire et la direction des forces occlusales est marquée, plus les contraintes biomécaniques, sources de fracture d'accastillage ou de perte d'ostéointégration, sont importantes ;
- la longueur des implants : elle dépend de la hauteur d'os exploitable ; 10 mm semblent être la longueur minimale pour répondre favorablement aux contraintes biomécaniques des PACSI [20] ;
- le diamètre des implants : il influence grandement la surface de contact entre implants et tissu osseux ; le choix du diamètre est fonction du site implantaire. L'implant standard de 3,75 mm sert de référence dans cette évaluation.
Le tableau I est un outil de travail destiné à l'analyse préimplantaire des PACSI. Toutefois, il ne peut à lui seul constituer un élément déterminant le schéma chirurgical et prothétique à adopter. En faisant une synthèse des scores obtenus, il est facile de déterminer la classe implanto-prothétique symphysaire (IPS) (tabl. II). Cette classification doit être cependant pondérée par l'évaluation du volume prothétique et de la distance inter-crêtes, créant deux divisions pour chaque classe.
Cette classification est valable pour des zones interforaminales homogènes en volume et angulation. Les cas particuliers avec des défauts osseux verticaux et/ou horizontaux ponctuels ne sont pas considérés dans cet article.
Les indications des barres ou leurs contre-indications sont posées en tenant compte d'un certain nombre de paramètres.
- implants non parallèles ne permettant pas de positionner de boutons-pression : ce cas de figure est très fréquent au maxillaire de par la résorption centripète des crêtes ;
- mise en charge immédiate : la connexion des implants par une barre est nécessaire pour obtenir une certaine contention ;
- divergence trop importante, notamment à la mandibule, entre l'axe de la base osseuse et l'axe fonctionnel (fig. 1).
- espace prothétique réduit (condition relative) ;
- patient ayant des difficultés réelles pour la maintenance de certaines zones à nettoyer [21-23].
Les moyens de rétention les plus utilisés sont de deux types :
- cavalier en téflon remplaçable ou métallique activable ;
- attachement de type Ceka Revax® (Ceka) avec une partie mâle dans la prothèse amovible et une partie femelle coulée ou soudée à la barre.
Le complément de rétention des prothèses amovibles complètes mandibulaires est le plus souvent réalisé par la mise en place de 3 ou 4 implants dans la zone interforaminale mentonnière (fig. 2). Sur ce schéma, l'espace entre les implants est suffisant pour positionner des cavaliers de longueur correcte pour assurer une rétention satisfaisante. Ce cas de figure ne représente malheureusement pas la réalité clinique et l'espace entre les implants est souvent trop faible pour permettre d'insérer des cavaliers suffisamment longs. Il faut donc réaliser des extensions distales de la barre tout en respectant une longueur inférieure ou égale à 1,5 fois la distance séparant le centre des implants les plus mésiaux et les plus distaux (fig. 3) [24, 25]. Ces extensions, outre le fait de générer des contraintes sur les piliers implantaires, diminuent l'appui muqueux de la prothèse totale amovible affectant ainsi la stabilité de celle-ci et augmentant les risques de fractures. Ces données viennent compléter la classification déjà proposée et renforcer le choix du nombre d'implants et d'attachements de type Ceka-Revax®.
L'attachement idéal doit être stable dans le temps, résilient, non volumineux, activable et inusable. En fait, aucun ne présente toutes ces qualités. À titre d'exemple, 2 types d'attachement parmi les plus utilisés sont analysés pour mettre en évidence leurs avantages et inconvénients sur le court et long terme [26-30].
Il s'agit d'une barre calcinable de section ronde, ovale ou carrée sur laquelle vient se clipper une partie femelle en téflon ou en métal incluse dans la prothèse amovible [31-33].
• Avantages
- les attachements en téflon ou en métal sont peu onéreux ;
- leur mise en place est simple dans la phase de laboratoire et ils possèdent une très légère tolérance de positionnement.
• Inconvénients
- leur résilience est faible (surtout pour les attachements métalliques) ;
- leur encombrement est tel que les fractures sont fréquentes (fig. 4) ;
- ils sont difficiles à activer et/ou à changer ;
- les attachements métalliques sont difficiles à nettoyer ;
- des extensions distales de la barre sont souvent indispensables pour obtenir une rétention suffisante.
Il se compose de 2 parties : une mâle incluse dans la prothèse amovible et une femelle coulée avec la barre.
• La partie mâle est formée d'un logement métallique en titane dans lequel vient se visser un bouton en 4 parties jointes et activables par une clé cruciforme. La partie activable est en or palladié et se change régulièrement par dévissage et revissage.
• La partie femelle se compose d'un élément calcinable cylindrique avec une embase qui se coule avec la barre. Dans ce cylindre est collé au laboratoire un cylindre en titane plus faible en diamètre qui sert de couple de friction à la partie mâle de l'attachement. Ainsi, cette partie femelle s'use moins que la partie mâle et n'a théoriquement pas besoin d'être changée.
• Avantages
- la résilience plus importante : une bague d'espacement est utilisée au moment de la mise en moufle ;
- le volume pris par l'attachement est faible et les risques de fractures sont diminués (fig. 5) ;
- les extensions distales des barres ne sont pas obligatoires, car de par leur petite taille, les parties femelles peuvent être insérées entre les émergences d'implants tout en assurant une rétention suffisante (fig. 5) ;
- l'espace prothétique est réduit, car la partie femelle se trouve sur la barre et la partie mâle dans la prothèse ;
- il est facile à activer et à changer en clinique sans passer par une phase de laboratoire.
• Inconvénients
- l'attachement est délicat à positionner lors de la mise en moufle et ne tolère pas les erreurs ;
- le coût est plus élevé que celui des cavaliers.
Il s'agit d'une patiente de 55 ans totalement édentée. L'utilisation du tableau I permet d'obtenir la classification et donc le type de prothèse à réaliser :
D'après le résultat de l'évaluation, il s'agit d'une classe IPS 1, situation qui permettrait de réaliser une barre connectée à 3 implants avec cavaliers sur des extensions distales. Mais la sous-division de la classe IPS I liée à l'espace prothétique indique une cote inférieure à 14 mm, ce qui conduit à classer le cas en IPS I Div. 1. La conception de la prothèse sur implants doit donc s'orienter vers une barre avec attachements de type Ceka-Revax®.
Trois implants Twist® (MTX, Center-pulse) de 3,75 mm de diamètre et de 13 mm de longueur sont mis en place entre les émergences des foramen mandibulaires. Le second temps chirurgical intervient 4 mois après la pose. Une empreinte anatomo-fonctionnelle est réalisée selon la technique « pick-up » après solidarisation des transferts d'empreinte au porte-empreinte à l'aide de résine chémopolymérisable. Cette empreinte est coulée en plâtre extradur (Fuji-Rock, GC) (fig. 6). Un moulage de travail antagoniste est obtenu de manière classique. La mise en situation spatiale des moulages sur articulateur est effectuée à l'aide d'un arc facial et d'un enregistrement de la relation centrée à la dimension verticale d'occlusion correcte. Un montage sur cire maxillaire et mandibulaire est réalisé (confirmant le montage initial lors des études préliminaires) (fig. 7). L'essayage esthétique et fonctionnel est évalué et une clé en silicone est prise au laboratoire pour objectiver le volume alloué à la future barre. La barre, qui ne comporte pas d'extension, est essayée pour vérifier son adaptation passive (fig. 8, 9, 10 et 11). Le montage en cire est positionné sur le moulage et la mise en moufle est effectuée avec la connexion des attachements dans l'intrados de la prothèse.
Un patient de 65 ans consulte pour une parodontite au stade terminal. Les dents restantes sont extraites et le plan de traitement s'oriente vers la pose d'implants symphysaires mandibulaires pour augmenter la rétention d'une prothèse amovible complète mandibulaire. Le maxillaire est totalement édenté.
Il s'agit d'un score de + 3, donc une classe IPS II. La hauteur prothétique (évaluée en fonction de la dimension verticale d'occlusion) étant importante (supérieure à 14 mm), la subdivision est 2. La classe de ce patient est IPS II Div. 2. Il est donc possible dans ce cas de concevoir une réhabilitation prothétique avec barre, extension distale supportée par 4 implants et recevant 3 cavaliers. Quatre implants ont été mis en place entre les 2 émergences des foramen mandibulaires (Frialit®-2 Synchro, Friadent) de 3,8 mm de diamètre et 10 mm de longueur.
Quatre mois après la pose, la deuxième phase chirurgicale est amorcée (fig. 12) et les vis de cicatrisation sont mises en place. Une empreinte anatomo-fonctionnelle mandibulaire est réalisée comme pour le cas précédent ainsi qu'une empreinte maxillaire. Les empreintes sont coulées en plâtre extradur (Fuji-Rock). La mise en situation spatiale des moulages sur articulateur est effectuée à l'aide d'un arc facial et d'un enregistrement de la relation centrée à la dimension verticale d'occlusion correcte. Un nouveau montage sur cire reprenant les données établies lors de l'étude du cas est réalisé au laboratoire et essayé en clinique pour vérifier la fonction et l'esthétique. Une clé en silicone permet au laboratoire d'objectiver le volume disponible pour la barre (fig. 13 et 14). L'adaptation passive de la barre est vérifiée (fig. 15) et la prothèse est terminée au laboratoire avec connexion des cavaliers (fig. 16 et 17). La barre est ensuite vissée avec un torque de 25 Ncm et la prothèse totale amovible est insérée. Après un contrôle le lendemain pour vérifier l'occlusion et régler les zones éventuelles de blessures, le patient est ensuite revu 2 fois pendant les 6 premiers mois, puis tous les 6 mois pendant 1 an et ensuite tous les ans.
Cet article avait pour objectif de présenter une méthodologie pour l'établissement d'un plan de traitement s'appuyant sur des paramètres cliniques faciles à objectiver. Les solutions thérapeutiques proposées ne sont en aucun cas restrictives, sachant que dans un but de clarté et de simplification tous les facteurs à appréhender dans un traitement de ce type n'ont pu être pris en compte. À chaque praticien de pondérer les indications fournies en fonction des particularités cliniques. Chaque fois que cela est possible, l'utilisation d'attachements du type de ceux décrits ci-dessus pour la rétention de prothèses amovibles totales sur implants est une solution présentant de nombreux avantages, comparés aux systèmes de type cavaliers :
- sur le plan mécanique : il n'y a pas besoin d'extension distale pour positionner les attachements ;
- le volume de résine autour des attachements mâles dans la prothèse amovible est important diminuant ainsi les risques de fracture ;
- la vérification et la gestion de l'activation des parties rétentives sont aisées et ne demandent pas un retour au laboratoire ;
- le changement des attachements se fait par simple dévissage et revissage d'une pièce neuve dans la gaine en métal. En dépit du coût supérieur à celui des cavaliers traditionnels, cette méthode procure sur le long terme des résultats satisfaisants.
La classification IPS permet de connaître grâce à un score multicritère le nombre d'implants et le type de barre que l'on peut fabriquer avec le minimum de risques sur le moyen et le long terme. Comme toute classification, l'IPS a des limites. Les cas marginaux liés à des problèmes particuliers (anatomiques, biomécaniques ou biologiques) ne sont pas tous pris en considération dans cette classification clinique et doivent, par là même, être étudiés au cas par cas. ?