Restauration des incisives maxillaires - Cahiers de Prothèse n° 123 du 01/08/2003
 

Les cahiers de prothèse n° 123 du 01/08/2003

 

Prothè fixée

Bruno Dailey *   Samer Katabi **   Olivier Blind ***  


* Chirurgien-dentiste -
Assistant hospitalo-universitaire, Université Paris 7

** Chirurgien-dentiste -
Spécialiste qualifié en ODF

*** Chirurgien-dentiste -
Assistant hospitalo-universitaire,
Université Paris 7

Université Paris 7
5, rue Garancière
75006 Paris

Résumé

Cet article présente un cas clinique d'abrasion prématurée de 4 dents antérieures maxillaires. Une restauration prothétique est demandée par la jeune patiente pour des raisons essentiellement esthétiques. La difficulté dans ce type de traitement réside dans l'absence d'espace prothétique disponible. Pour éviter soit de dépulper ces dents soit d'utiliser de larges bandeaux métalliques palatins, le plan de traitement associe un mouvement orthodontique léger pour obtenir le volume prothétique nécessaire à la réalisation de quatre couronnes entièrement en céramique. Le résultat esthétique est optimisé tout en préservant au maximum l'intégrité des tissus dentaires.

Summary

Combined orthodontic and prosthetic treatment : a case report

This paper sets out a clinical case with 4 anterior maxillary teeth in need of restoration because of premature abrasion. The young patient request is mainly aesthetic. The lack of available prosthetic space is the main obstacle for this treatment. To avoid either root canal treatment of the 4 teeth or the use of a large metallic area, the rehabilitation process combines a slight orthodontic movement in order to gain enough prosthetic space which is necessary for the realization of the 4 all-ceramic crowns. The aesthetic result will be hence optimised while preserving the dental tissues.

Key words

all-ceramic crowns, erosion, restorative and orthodontic treatment

La restauration des dents antérieures est un traitement complexe, car il conjugue des nécessités absolues dans les domaines à la fois esthétique et fonctionnel. Qu'elle soit d'origine mécanique ou chimique, l'abrasion des incisives maxillaires a pour première conséquence un défaut esthétique, principale demande de traitement exprimée par le patient. Dans les cas de pertes tissulaires importantes, des hypersensibilités dentinaires peuvent s'ajouter à un inconfort fonctionnel.

Dans ce secteur antérieur, le choix des matériaux de reconstruction (en fonction de leurs spécificités et des contraintes qu'ils vont subir) guide l'ensemble du plan de traitement prothétique.

L'objectif des soins est de répondre à la demande esthétique du patient tout en respectant les exigences de l'occlusion (statique et dynamique) et les principes qui régissent les préparations dentaires [1] :

- économie tissulaire ;

- rétention ;

- stabilisation ;

- précision des limites.

Différents traitements peuvent classiquement être envisagés :

- reconstitution prothétique céramo-métallique sur dent pulpée avec « bite-stop » métallique palatin ;

- traitement endodontique des dents et restauration prothétique céramo-métallique ou entièrement céramique.

Cet article décrit la démarche thérapeutique d'une équipe pluridisciplinaire au travers d'un cas clinique. Ce cas présente une absence de surplomb dans le plan sagittal associée à une abrasion des 4 incisives maxillaires qui laisse un espace prothétique réduit et pose donc le problème du choix thérapeutique.

Description du cas

Une jeune fille de 17 ans consulte pour le traitement d'un défaut esthétique dentaire, conséquence d'une perte de substance prématurée de ses 4 incisives maxillaires. L'examen clinique ne révèle pas de trace d'usure sur les autres dents, à l'exception de 2 facettes d'abrasion en mésial des canines maxillaires (fig. 1a et 1b). L'anamnèse n'a pas révélé de praxie traumatisante comme la succion excessive d'un objet ou l'ingestion compulsive d'un produit alimentaire.

Malgré une forte suspicion, l'hypothèse d'une anorexie ou boulimie ayant pu entraîner ce type de lésion n'a pu être établie d'emblée en raison de la réticence de la patiente à aborder ce sujet. Cette étiologie a toutefois été confirmée lors d'un entretien effectué à l'occasion d'une consultation de contrôle [2].

Les 4 incisives maxillaires présentent des plages d'érosion étendues sur l'ensemble des faces palatines avec disparition de l'émail et, de ce fait, de tout relief anatomique. Elles conservent toutefois leur vitalité et ne présentent pas d'hyperesthésie (fig. 2a et b). La patiente ne se plaint d'aucune gêne fonctionnelle. Les radiographies montrent un organe pulpaire de volume encore important et des racines de dimensions et de forme régulières (fig. 3a et 3b).

Le parodonte est sain. L'os montre de nombreuses trabéculations.

La patiente a suivi un traitement orthodontique vers l'âge de 12 ans.

L'analyse de l'occlusion en intercuspidie maximale montre que la patiente est en classe I d'Angle canine et molaire.

Dans le plan frontal, le recouvrement incisif est de 2 mm. Dans le plan sagittal, on note l'absence du surplomb nécessaire au traitement prothétique envisagé (fig. 4).

L'exploration fonctionnelle de l'occlusion montre :

- une protection canine droite et gauche lors des mouvements de diduction (ceux-ci correspondent aux facettes d'abrasion observées sur 13 et 23) ;

- un désengrènement postérieur immédiat lors des mouvements de protrusion mandibulaires.

Décision thérapeutique

Pour répondre à la demande esthétique de la patiente, le choix thérapeutique se porte sur une nouvelle conception de couronne entièrement céramique : le Procera® (Nobel Bio-care). Dans ce procédé, la céramique à vocation esthétique est montée directement sur des chapes en oxyde d'alumine. Par leur haute teneur en charges cristallines, ces couronnes entièrement en céramique présentent l'avantage de propriétés mécaniques renforcées. Malgré leur opacité, elles autorisent le passage et la dispersion de la lumière [3].

Pour favoriser l'intégration de ces couronnes tout céramique, éviter l'utilisation du métal et la dépulpation « stratégique » de 4 dents antérieures saines, le traitement consiste à imprimer aux incisives un léger mouvement orthodontique. Cette manœuvre a pour objectif :

- l'amélioration du surplomb incisif ;

- la modification de l'angle fonctionnel interincisif.

Il en résulte la création d'un espace prothétique compatible avec des reconstructions tout céramique sur dents pulpées, deuxième volet du traitement envisagé.

Déroulement du traitement

Dans un premier temps, le traitement orthodontique est entrepris. Un appareillage multi-attaches est posé au maxillaire de 16 à 26 pour une période de 4 mois. En s'appuyant sur les secteurs postérieurs, les 4 incisives sont ingressées et vestibulo-versées jusqu'à obtention d'un espace de 1 mm entre leur face palatine et les bords des incisives mandibulaires (fig. 5a et b).

À la dépose des attaches, une gouttière de contention est portée par la patiente en attendant la confection des couronnes provisoires.

Une semaine après la dépose des bagues, les préparations définitives des 4 incisives sont réalisées. Une préparation soustractive globale de 1,5 mm est effectuée, à l'exception de la face palatine où la réduction n'est que de 0,5 mm (fig. 6).

La chape en alumine des couronnes tout céramique présente une épaisseur variable comprise entre 0,4 et 0,6 mm. En outre, 1 mm supplémentaire est nécessaire pour obtenir suffisamment de volume pour la céramique à vocation esthétique.

Le profil de la limite cervicale est de forme arrondie. Il est recommandé d'éviter les angles internes vifs pour permettre un meilleur enregistrement par le scanner du système Procera® (fig. 7a et 7b).

Les couronnes provisoires sont confectionnées à partir de moules Ion® (3M) en polycarbonate. Les occlusions statique et dynamique sont réglées en bouche. Les couronnes sont scellées unitairement avec un ciment temporaire sans eugénol et laissées en place 15 jours afin de valider le nouveau schéma occlusal et la stabilité des dents (fig. 8).

Lors de la deuxième séance, la patiente confirme qu'elle ne ressent ni sensibilité dentinaire ni gêne fonctionnelle. L'empreinte définitive peut donc être réalisée en double mélange avec un matériau polyéther. La réalisation de couronnes prothétiques sans métal permet de situer les limites très légèrement sous-gingivales, ce qui facilite l'accès à ces dernières.

Le moulage de travail est traité au laboratoire pour être adressé ensuite à un centre de « scannage ». À la réception de la chape en alumine une semaine plus tard, le prothésiste peut monter une céramique feldspathique compatible avec le système Procera®. Dans ce cas particulier, c'est la céramique Création AV Willie Geller® (Gema diffusion) qui est utilisée.

Les couronnes sont essayées à l'état de « biscuit » pour procéder aux réglages occlusaux et esthétiques. Après glaçage, les prothèses sont collées avec une résine 4-Meta (fig. 9).

Le résultat esthétique est jugé très satisfaisant par la patiente (fig. 10). L'aspect translucide naturel des dents prothétiques est obtenu grâce à l'absence totale de métal. Dans les cas de restaurations unitaires antérieures, les couronnes entièrement en céramique constituent une indication de choix.

Discussion

La mise en œuvre d'un traitement associant orthodontie et prothèse a permis d'obtenir une situation optimale des dents. Le mouvement orthodontique a ainsi pu éliminer la nécessité de préparations agressives pour obtenir la forme de contour souhaitable et éviter surtout le recours aux traitements endodontiques de dépulpation [4]

Le choix des matériaux pour les couronnes prothétiques est primordial. Selon l'étude de Kancyper et Koka [5], sur 6 mois, une prothèse fixée aux limites sous-gingivales, quels que soient les matériaux utilisés, n'induit pas de réponse microbienne et gingivale défavorable. Mais pour le long terme et particulièrement lorsque la gencive est fine, une limite très légèrement sous-gingivale est préférable. Il est toujours souhaitable de rester à moins de 1 mm de la gencive marginale pour éviter un effet nuisible à la santé parodontale [6]. Dans le cadre de ces techniques, en raison de l'absence totale de métal et de la biocompatibilité des éléments tout céramique, il n'est plus nécessaire d'enfouir les limites des préparations. Le développement de la technique Procera® a donné un essor important aux céramiques usinées. Ce procédé, qui consiste en l'usinage d'une chape en oxyde d'alumine pure frittée, présente une résistance finale équivalente à celle d'une chape métallique (résistance en flexion de 600 à 700 Mpa et ténacité de 4,5 Mpa/m1/2). Ce grâce à l'absence de phase vitreuse fragile [7]. Une céramique feldspathique compatible est ensuite appliquée par stratification.

En ce qui concerne la qualité du joint dento-prothétique, les tolérances d'adaptation semblent équivalentes pour l'ensemble des techniques tout céramique [8, 9]. Les hiatus observés sont entre 50 et 100 µm. Supérieurs pour la technique Procera® que pour la technique In Ceram® (Vita), ils sont pourtant acceptables selon les critères de Mac Lean [10].

Pour ce cas clinique, en raison de la forte abrasion des dents, la morphologie des couronnes prothétiques va dans le sens d'une augmentation de la hauteur coronaire. Dans la mesure où l'occlusion dynamique est bien étudiée et validée par les couronnes provisoires pour s'assurer d'une bonne stabilité des reconstitutions prothétiques, un allongement jusqu'à 2 mm ne modifie pas de manière significative la résistance à la fracture de la restauration ou de la dent [11] (fig. 11).

Le scellement peut être réalisé avec les verres ionomères modifiés à la résine (Fuji, Plus-GC) ou un collage avec une résine 4-Meta (Super-bond®, Morita), ce qui permet d'obtenir une adhérence encore plus grande à la dentine. Le mordançage de la chape est inutile et inefficace. La mise en œuvre combinée de l'agent de couplage au silane et de la résine 4-Meta donne d'excellents résultats dans le collage des céramiques alumineuses [12, 13]. Bien que la chape soit relativement opaque, sur les dents naturelles il semble préférable d'utiliser la poudre CV Clear transparente pour un meilleur résultat esthétique [14].

Il faut noter la rapidité du traitement orthodontique et la possibilité d'engager le traitement prothétique immédiatement après la dépose des attaches.

La temporisation immédiate après le traitement orthodontique a pu assurer la contention. Les couronnes provisoires, puis définitives, maintiennent la stabilité des dents en rétablissant les contacts occlusaux et proximaux. Un contrôle à un an a permis de s'assurer de cette stabilité (fig. 12).

Conclusion

En cas de remplacement des dents du secteur antérieur, notamment au maxillaire où la demande esthétique est forte, le recours aux techniques céramo-métalliques entraîne souvent l'effraction pulpaire par nécessité d'obtenir un espace prothétique suffisant. Un traitement orthodontique préprothétique mineur peut permettre d'optimiser la position des dents à reconstituer et de gagner ainsi un volume prothétique suffisant pour limiter les risques de dépulpation.

Pour optimiser le résultat esthétique, la technique du tout céramique est indiquée, car la profondeur des teintes est obtenue avec une faible épaisseur de céramique (de l'ordre de 1,5 mm) et grâce aux chapes en alumine qui gardent une certaine translucidité.

Les qualités mécaniques et la précision de ces nouvelles techniques permettent d'envisager la pérennité des restaurations.

Remerciements au laboratoire Créatif Dentaire pour la qualité de leur travail.

bibliographie

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