Profil d'émergence en prothèse fixée - Cahiers de Prothèse n° 125 du 01/03/2004
 

Les cahiers de prothèse n° 125 du 01/03/2004

 

Prothèse fixée

Serge Armand *   Hélène Couret **  


* MCU-PH, Section prothèse
** Assistante hospitalo-universitaire,
Service de prothèse
Faculté de chirurgie dentaire Toulouse III
3, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse cedex 4

Résumé

Sur le plan biologique, l'intégration d'une prothèse fixée dépend de la qualité du joint dento-prothétique et du profil d'émergence qui doit s'intégrer à l'anatomie cervicale des tissus mous. Lors de la réalisation de la prothèse, le respect de ces deux critères conduit le praticien à effectuer une double empreinte. Une empreinte primaire des tissus calcifiés avec des tissus marginaux modifiés dans leur forme de contour par les techniques d'accès aux limites est réalisée. Une deuxième empreinte, différée dans le temps, permet, lors de l'essayage des armatures, de transmettre les formes de contour des tissus marginaux sans déformation. Cette double empreinte permet d'obtenir un maître-modèle identique à la réalité clinique tant au niveau des tissus durs de la dent que des tissus mous marginaux et de concevoir un profil d'émergence de la prothèse compatible avec un bon état de santé de l'environnement parodontal.

Summary

Emergence profile in fixed prosthesis: advantages of the double impression

Biologically, to ensure the correct integration of a fixed prothesis, the quality of the dento-prothetic joint and the emergence profile must respect the cervical anatomy of the tooth hard tissue and of the soft tissues. In order to meet these two criteria, the practitioner is brought to execute a double impression during the prosthesis implementation. The outline modifications of the calcified tissues margins, due to the techniques of access to limits, will be recorded with a first impression. At a certain distance in time, a second impression will record and pass on the limits of the marginal tissues without distorsion. This double impression technique allows to obtain a master cast replica of the clinical expression of the hard dental tissues and marginal soft ones, helping us to conceive a prothesis whose emerging profile respects the health of the periodontal environment.

Key words

emergence profile, fixed prosthesis, double impression

L'intégration biologique d'une prothèse fixée dépend de deux facteurs essentiels :

- la qualité du joint dento-prothétique, qui doit se situer à moins de 100 µm d'épaisseur ;

- son profil d'émergence, qui doit s'intégrer à l'anatomie cervicale du parodonte marginal.

Pour certains auteurs, le profil d'émergence prothétique est lié au profil d'émergence radiculaire, c'est-à-dire aux 0,3 ou 0,4 mm de tissu calcifié non préparé situés immédiatement au-delà de la limite cervicale. Pour d'autres, il s'agit des formes de contour de la prothèse déterminées par l'anatomie des tissus mous dans la zone cervicale. En fait c'est la prise en compte et l'enregistrement des tissus calcifiés et des tissus mous qui permettent au prothésiste de laboratoire d'évaluer le volume cervical utilisable pour l'élaboration prothétique (fig. 1).

Il existe trois situations cliniques pour les prothèses fixées :

- sur dent naturelle ;

- sur implant ;

- sur secteur édenté.

En prothèse fixée sur dent naturelle, la limite cervicale adopte un profil ellipsoïdal qui suit les formes de contour du parodonte marginal et permet donc d'obtenir un enfouissement intrasulculaire identique sur la périphérie de la préparation (fig. 2).

La prothèse fixée sur implant, sur les secteurs antérieurs, impose quant à elle une situation de compromis parodontal. En effet, les exigences esthétiques inhérentes à ce secteur conduisent le praticien à mettre en place l'implant lors de la phase chirurgicale, en situation sous-gingivale dans la zone médiane vestibulaire (fig.3). De ce fait, le profil plan du col implantaire conduit à une profondeur sulculaire variable suivant les zones avec, notamment, une augmentation dans les zones proximales. Cette situation de « fausse poche » peut générer à terme des problèmes au niveau des tissus marginaux péri-implantaires si la maintenance post-thérapeutique n'est pas correctement réalisée.

Sur les secteurs édentés, le profil d'émergence prothétique est uniquement lié à la morphologie des tissus mous et à l'existence éventuelle de « pseudo-papilles ».

Profil d'émergence prothétique sur dent naturelle

Dans la zone cervicale, les formes de contour de l'élément prothétique sont déterminées par la topographie du parodonte marginal ; elles caractérisent le profil prothétique de la couronne qui « émerge » des tissus mous.

Ce profil d'émergence est directement lié à la prise en compte des deux types de tissus présents au voisinage de la reconstitution prothétique : les tissus calcifiés et les tissus mous marginaux.

Tissus calcifiés

Le profil d'émergence prothétique doit s'inscrire dans l'allure de la courbe des tissus dentaires calcifiés situés immédiatement au-delà de la limite cervicale, c'est-à-dire sur les 3 ou 4 premiers dixièmes de millimètre non préparés.

Il existe plusieurs situations en fonction de la position de la limite cervicale :

- limite au niveau A, le profil d'émergence fait un angle α (fig. 4) ;

- limite au niveau B, le profil d'émergence fait un angle β (fig. 5), le congé est plus haut situé, l'angle d'émergence prothétique est beaucoup plus ouvert (fig. 6) ;

- limite au niveau C, la limite cervicale se situe à la jonction amélo-cémentaire.

Il existe plusieurs solutions pour la confection du profil prothétique si on ne considère que le paramètre des 3 ou 4 dixièmes de millimètre de tissus calcifiés situés au-delà du congé. Dans ce cas de figure, le risque majeur lors de l'élaboration prothétique au laboratoire est de réaliser un profil en sous-contour ou en surcontour, source de non-intégration biologique de la couronne [1]. Seule la prise en compte des formes de contour des tissus mous permet de résoudre ce cas de figure, la difficulté étant de transmettre au laboratoire suffisamment d'informations pour qu'il puisse appréhender ces paramètres anatomiques.

Tissus mous

Les formes de contour des tissus mous, leur niveau et la situation des papilles sont directement liés à la topographie de différentes structures anatomiques :

- l'os alvéolaire ;

- la dent (émail et cément) ;

- le desmodonte ;

- la présence ou non d'un implant.

Ce sont les relations entre ces structures qui vont définir le profil des tissus mous. Il existe un certain nombre de règles qui les régissent. Citons, de façon non exhaustive :

- l'espace biologique ;

- la situation de la papille dans le sens vertical et mésio-distal.

Il faut respecter l'espace biologique quand il existe ou le recréer quand il n'existe pas soit au moyen d'élongation coronaire par des lambeaux, soit par égression orthodontique, pour pouvoir obtenir la distance minimale nécessaire au système d'attache du parodonte superficiel définie par Gargiulo [2], c'est-à-dire environ 2 mm.

Le positionnement de la papille est directement lié à des facteurs anatomiques définis par Garber, Salama [3] et Tarnow [4, 5] ; il est fonction de certains paramètres directement liés aux structures présentes sur le site, c'est-à-dire :

- le tissu osseux ;

- les dents naturelles ;

- les implants ;

- la topographie et la nature des tissus mous ;

- les formes de contour prothétique.

Il est possible d'obtenir une certaine prédictibilité de la topographie et du positionnement des tissus mous en prothèse fixée sur dent naturelle ou sur implant en réalisant un certain nombre de mesures concernant les différentes structures concernées par la prothèse. Deux axes sont importants à prendre en compte :

- l'axe vertical ;

- l'axe mésio-distal.

Axe vertical (tabl. I)

Des études cliniques fondées sur des statistiques réalisées par Garber et Salama [6] montrent que la présence et la conservation des papilles sont directement liées à la distance existant entre le septum osseux et le sommet de la papille.

Il est intéressant de constater que cette distance est variable en fonction des structures anatomiques ou implantaires concernées (fig. 7a et 7b).

Axe mésio-distal (tabl. II)

La distance interproximale entre les différents supports prothétiques (dent ou implant) conditionne elle aussi l'anatomie cervicale des tissus mous et, notamment, la présence des papilles autour des restaurations prothétiques.

Cette prévisibilité permet au praticien de mieux définir le plan de traitement prothétique, en particulier :

- d'améliorer si nécessaire le contexte parodontal autour des dents supports de prothèse pour retrouver des conditions tissulaires plus favorables ;

- de positionner les implants non plus uniquement en fonction du niveau osseux mais surtout en respectant les règles énoncées précédemment (tabl. I et II).

Empreintes en prothèse fixée

Une empreinte ne doit pas se contenter d'enregistrer uniquement les zones préparées et la limite cervicale mais aussi les 3 ou 4 dixièmes de millimètre situés immédiatement au-delà de la partie préparée. Après coulée, le maître-modèle ainsi obtenu doit permettre de confectionner une armature prothétique dans le profil d'émergence radiculaire, c'est-à-dire ni en « sur-contour » ni en « sous-contour ». Cette empreinte primaire des tissus calcifiés est réalisée avec des tissus marginaux déformés par les techniques d'accès aux limites ; on ne peut donc obtenir un enregistrement fidèle à la fois des tissus calcifiés et des tissus mous. Or, il a été mis en évidence précédemment l'importance de l'enregistrement des tissus mous pour définir la place nécessaire et suffisante pour l'intégration parodontale et esthétique de la prothèse.

Alors, empreinte ou empreintes ? Une seule empreinte paraît de ce fait insuffisante et il est préférable d'en réaliser deux, la première pour enregistrer la dent support préparée. Elle nécessite un accès aux limites cervicales et permet au prothésiste de laboratoire de réaliser l'armature de la prothèse fixée avec un joint dento-prothétique minime de moins de 100 μm d'épaisseur, paramètre essentiel pour une bonne tolérance biologique. La seconde empreinte, réalisée à distance de la première, lors de l'essayage des armatures, permet de transmettre les formes de contour des tissus marginaux sans aucune déformation.

La prise en compte de ces deux empreintes permet, lors de la phase de laboratoire, d'évaluer le profil d'émergence prothétique et de réaliser l'intégration biologique intrasulculaire de la couronne en fonction des tissus calcifiés et des tissus mous de la dent concernée.

Protocole opératoire type

Première empreinte

Elle nécessite un accès aux limites [7].

Le terme « rétraction », le plus souvent utilisé, est impropre car il caractérise un phénomène irréversible, c'est-à-dire un retrait définitif des tissus pendant la phase de cicatrisation. En fait, aucun terme à lui seul ne peut définir ces techniques d'accès aux limites. Il semble préférable de proposer deux types d'accès :

- la déflexion tissulaire, qui caractérise une modification des formes de contour des tissus marginaux ;

- l'éviction tissulaire qui, elle, correspond à un pelage de la paroi interne du sulcus.

Déflexion et éviction conduisent à aménager la place nécessaire et suffisante au matériau d'empreinte pour enregistrer les tissus calcifiés et les 3 ou 4 dixièmes de millimètre non préparés au-delà de la limite de préparation.

Les techniques de déflexion sont au nombre de trois :

- le ou les cordonnets ;

- la prothèse transitoire ;

- l'Expasyl®, combinant les actions mécanique du kaolin et chimique du chlorure d'aluminium.

Les techniques d'éviction concernent l'électrochirurgie ou l'utilisation de l'instrumentation rotative.

Quelles que soient la ou les techniques utilisées, l'objectif est d'enregistrer les formes de contour des tissus calcifiés de la dent préparée. En revanche, l'enregistrement lors de cette empreinte primaire des tissus mous ne correspond pas à la topographie réelle de ces tissus qui ont été instrumentés.

Seconde empreinte

Son objectif est d'enregistrer les tissus mous, après essayage de l'armature prothétique et sa mise en place sur la dent support, par une empreinte de situation. Elle permet d'enregistrer la situation de l'armature et des contours des tissus parodontaux marginaux non déformés. Elle est réalisée en un seul temps avec un matériau monophase (alginate ou élastomère).

Après prise du matériau, l'armature est repositionnée dans cette empreinte secondaire. Le prothésiste de laboratoire replace les modèles positifs unitaires issus du premier moulage dans cette infrastructure prothétique pour obtenir un moulage de travail définitif, copie conforme de la réalité clinique à la fois en ce qui concerne les tissus calcifiés et les tissus mous.

Illustration clinique

Le principe de la double empreinte étant défini et posé, reste à décrire étape par étape le protocole suivi pour la restauration de 4incisives maxillaires par prothèse fixée.

La restauration a pour objectif de résoudre un double déficit :

- un déficit fonctionnel du fait des fractures des bords libres ;

- un déficit esthétique dû à l'existence d'obturations volumineuses, de diastèmes et de dyschromies.

Le cas présenté (fig. 8, 9, 10, 11, 12, 13a, 13b, 14a, 14b, 15, 16, 17, 18a, 18b, 19a, 19b, 20, 21, 22 et 23) montre les étapes essentielles pour obtenir un profil d'émergence en prothèse fixée.

Conclusion

Le profil d'émergence prothétique est déterminé par deux surfaces tissulaires :

- celle des tissus dentaires calcifiés dans la zone cervicale ;

- celle des tissus mous marginaux.

La prise en compte de cette dualité tissulaire passe impérativement par un double enregistrement de ces deux structures anatomiques ; l'exactitude anatomique du maître-modèle ainsi obtenu permet d'élaborer des formes de contours prothétiques au laboratoire favorisant l'intégration biologique des prothèses fixées.

Remerciements au laboratoire de prothèse Sireix.

bibliographie

  • 1 Martignoni M, Schönenberger A. Precision fixed prostodontics: clinical and laboratory aspects. Chicago : Quintessence, 1990.
  • 2 Gargiulo et al. Dimensions and relations of the dento-gingival function in human. J Periodontol 1961;32:261-267.
  • 3 Salama H, Salama MA, Garber D, Adar P. The interproximal height of bone: a guidepost to predictable aesthetic strategies and soft tissue contours in anterior tooth replacement. www.worldent.com
  • 4 Tarnow DP. The evaluation of periodontal/implant treatment. Pract Periodont Aesthet Dent 2000;12(1):62-66.
  • 5 Tarnow DP, Cho SC, Wallace SS. The effect of inter-implant distance on the height of inter-implant bone crest. J Periodont 2000;71(4):546-549.
  • 6 Salama H, Salama M, Garber D, Adar P. Developing optimal peri-implant papillae within the esthetic zone: guided soft tissue augmentation. J Esthet Dent 1995;7(3):125-129.
  • 7 Armand S. L'accès aux limites cervicales en prothèses fixées. Cah ADF 2000;3(7):18-23.

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