Prothèse maxillo-faciale
Emma Vigarios * Christophe Grhrenassia ** Rémi Esclassan *** Christophe Bou **** Philippe Pomar *****
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AHU
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AHU
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PH attaché
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MCU/PH
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PU/PH
Unité fonctionnelle de prothèse maxillo-faciale
Service d'odontologie du Pr J.-P. Lodter
Hôpitaux de Toulouse 3, chemin des Maraîchers
31400 Toulouse
La prothèse maxillo-faciale (PMF), qui est probablement la plus ancienne des disciplines consacrées à la réhabilitation du corps humain, se présente comme une alternative à la chirurgie reconstructrice pour la correction des anomalies maxillo-faciales. La demande de réparation de la part des patients étant toujours plus exigeante, cette discipline s'oriente aujourd'hui vers de nouveaux procédés de réalisation de prothèses maxillo-faciales visant à améliorer la qualité de vie des patients et le service rendu. Le concept de fabrication par CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur) permet désormais de combiner les avantages de la méthode traditionnelle en PMF et le potentiel du prototypage rapide pour valoriser le temps et la qualité. Dès lors, le praticien peut se concentrer sur sa tâche principale : l'optimisation dans la création individuelle de la prothèse faciale. La PMF avec ce nouveau concept de CFAO doit prendre sa place en médecine de par l'ensemble des réhabilitations qu'elle apporte tant sur le plan esthétique que psychologique, mais aussi et surtout fonctionnel.
Maxillofacial prosthesis (MFP) is probably the oldest medical discipline dedicated to the rehabilitation of human body. It is an important alternative to the reconstructive surgery for the correction of maxillofacial abnormalities. Patients are increasingly demanding. Henceforth, this discipline is now geared towards new procedures in the hope of improving their quality of life. Computer-aided design and computer-aided manufacturing (CAD-CAM) permit to combine the advantages of MPF traditional methods and the rapid prototyping potential in order to save time and improve the quality. The dental practitioner can then focus on his main task: optimizing the creation of individual facial prosthesis.
La face peut être le siège de pertes de substance acquises ou congénitales. La mutilation inhérente à la perte de substance est souvent à l'origine d'une altération, voire d'une destruction de l'identité, et s'accompagne de certaines formes d'exclusions de par le caractère particulièrement discriminant de l'affection. La demande de réparation et de restauration de l'image de soi par le patient est constante et nécessite une reconstruction chirurgicale et/ou prothétique.
La prothèse maxillo-faciale (PMF), art et science de la reconstruction artificielle du massif facial, entrevoit, depuis peu, des perspectives intéressantes en termes de service rendu et d'amélioration de la qualité de vie des patients grâce au développement de nouveaux matériaux, associé à de nouvelles méthodologies et techniques. En effet, depuis quelque temps maintenant, la PMF relève le défi d'allier à l'humanité indispensable de sa démarche clinique, la technologie complexe de la conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO).
Cet article a un double objectif :
- présenter cette nouvelle technologie à travers sa méthodologie et ses avantages par rapport à la méthode classique de réalisation d'une prothèse en PMF ;
- livrer une nouvelle vision de la prothèse en présentant une discipline qui propose des conceptions thérapeutiques et des techniques de réalisation proches de celles utilisées en prothèse dentaire conventionnelle, mais s'étendant à des régions anatomiques voisines des dents.
Elle nécessite de nombreuses séquences (cliniques et de laboratoire) et exige de la part du praticien des qualités d'ordre thérapeutique, une maîtrise de la technique de laboratoire associée à un certain sens artistique. L'expérience acquise prend ici toute son importance [1, 2].
Cette étape, parfois anxiogène pour le patient, nécessite une préparation psychologique de ce dernier. En effet, l'explication du déroulement de l'opération est indispensable pour rassurer et éviter toute crispation musculaire. L'alginate, de consistance crémeuse, est versé au niveau du front et de l'arête nasale, puis étalé progressivement, en évitant la formation de bulles, sur les zones voisines (orbitaires, jugales) en une couche régulière d'environ 1 cm d'épaisseur. Le patient respire par la bouche légèrement entrouverte (fig. 1). Du plâtre à prise rapide est préparé et étalé sur l'alginate en commençant par le front, puis le centre du visage et enfin les bords, sur une épaisseur de 1 cm (fig. 2). Cette empreinte faciale est ensuite coulée en plâtre « dur » de consistance crémeuse en une couche homogène de 1 à 2 cm d'épaisseur.
Une fois le moulage en plâtre réalisé, la confection de la maquette en cire de la future prothèse (fig. 3) peut être effectuée selon 2 méthodes :
- la méthode directe : la sculpture s'effectue par adjonctions successives de cire ramollie;
- la méthode indirecte : à partir d'un moulage en plâtre « donneur », une empreinte de l'organe à reconstituer est prise et investie de cire par enduction. L'organe obtenu est ensuite adapté au maître-moulage par modelage, adjonction et suppression de cire.
Une fois la maquette en cire essayée sur le patient, son adaptation vérifiée, on procède à la mise en moufle de celle-ci selon le principe de la cire perdue (fig. 4). Classiquement, le moule est constitué de 2 contreparties, correspondant respectivement à l'intra-dos et à l'extrados de la prothèse. Ensuite, on procède à la coulée du matériau silicone après élimination de la cire.
La prothèse en silicone est de nouveau positionnée sur le patient pour apprécier ses limites ainsi que sa morphologie. Le maquillage final de la prothèse à l'aide de pigments naturels, de colle à froid et de cyclohexane, par applications de couches successives, peut enfin être réalisé [3].
L'alternative que propose la CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur) réside dans le remplacement de 3 étapes :
- l'empreinte faciale ;
- la réalisation du moulage ;
- la fabrication manuelle de la maquette en cire.
Pour cela, le nouveau concept de CFAO fait appel aux principes de l'imagerie médicale associée aux techniques du prototypage rapide (tabl. I).
Les progrès dans l'acquisition des données médicales et l'amélioration des techniques informatiques nous permettent désormais de travailler les images tomodensitométriques des patients pour effectuer des reconstructions virtuelles volumiques tridimensionnelles des structures anatomiques [4-6]. Dès lors, l'exportation de ces images tridimensionnelles sous un format de fichier approprié autorise la fabrication de maquettes physiques 3D des pièces anatomiques
concept par CFAO se déroule selon 2 phases successives :
- phase I : phase de CAO (conception assistée par ordinateur), phase de reconstruction et de simulation 3D;
- phase II : phase de FAO (fabrication assistée par ordinateur), phase de fabrication de la maquette à partir de machines de prototypage rapide.
Cette phase permet, dans un premier temps, d'effectuer la reconstruction informatique tridimensionnelle des structures anatomiques existantes et, dans un second temps, d'opérer la simulation tridimensionnelle de la future épithèse à partir d'informations recueillies préalablement [8, 9].
• Phase de reconstruction 3D
Les nouvelles technologies utilisées dans l'acquisition des données (scanner à acquisition spiralée ou IRM) [10] permettent de recueillir des informations de plus en plus précises et, ceci, avec des temps d'exposition moindres [11-14] (fig. 5a et 5b). La standardisation des formats de fichiers d'importation tomodensitométrique (ACR-NEMA/ DICOM), associée à du matériel informatique toujours plus performant, ainsi que l'utilisation de divers progiciels (C2000/AMIRA) spécialisés dans le traitement du signal et de l'image offrent la possibilité d'analyser et de segmenter les images scanner pour obtenir des reconstructions surfaciques ou volumiques tridimensionnelles [15-18].
Nous choisirons une reconstruction iso-surface pour une perte de substance faciale (nasale, oculo-palpé-brale, auriculaire, faciale) (fig. 6, 7 et 8), et une reconstruction volumique pour une perte de substance endo-buccale (communication nasobuccale, par exemple) (fig. 9).
Une fois la reconstruction anatomique 3D exécutée, l'exportation du fichier est effectuée sous un format de « maillage » (.DXF / .STL…) pour être reconnu par le logiciel assurant la simulation 3D de la future prothèse (fig. 10a et 5b).
• Phase de simulation 3D
L'utilisation de logiciels, modeleurs graphiques, permet de modéliser les futures prothèses maxillo-faciales aussi bien en polygones qu'en NURBS (Non Uniform Rational Bézier-Spline) [19]. Ces logiciels possèdent un nombre considérable de fonctionnalités, notamment celle de transformer les courbes en surfaces qui apparaissent dès lors déformables à volonté. Les différentes méthodes de lissage obéissant à la géométrie dynamique, les opérations booléennes, la tesselation ou la décimation sont des outils utiles à la conception des contours et des volumes de ces maquettes (fig. 11a et 11b , 12a et 12b). Une fois la pièce prothétique conçue, le fichier est exporté selon le format stéréolithographique et sera lu par les différents types de machines de prototypage rapide.
Encore appelée prototypage rapide, elle est la phase de visualisation physique de la pièce prothétique conçue par la CAO. L'évolution de la technologie concernant le prototypage rapide permet désormais de manière plus générale de standardiser la fabrication de maquettes physiques dans le domaine médical, et plus particulièrement chirurgical, pour faciliter le diagnostic et simuler certaines interventions complexes [20, 21].
Après l'utilisation de machines-outils 3 ou 5 axes [22], la majorité des reconstructions anatomiques physiques actuelles sont effectuées en résine selon le principe de la stéréolithographie (faisceau laser polymérisant la résine couche par couche) [23, 24]. L'inconvénient majeur de ce prototypage pour la PMF est la difficulté d'éliminer la résine lors de la mise en moufle du modèle et contre-indique ainsi le recours à cette méthode dans notre discipline[25, 26].
Une autre méthode de prototypage existe : il s'agit du procédé de fabrication d'objets par jet de gouttes sur demande (Drop-On-Demand Inkjet). L'avantage de cette technique est qu'elle repose sur l'utilisation d'un matériau dont le point de fusion est compris entre 90 et 113 °C. Cette caractéristique rend le procédé compatible avec le principe de la cire perdue. Ainsi, en prothèse maxillo-faciale, les prothèses sont fabriquées par un procédé d'impression de jet de gouttes couche par couche. Deux têtes d'impression, déplacées par un chariot mobile dans un plan x-y, déposent 2 matériaux à bas point de fusion sous forme de gouttes sur un matériau de support collé à la plateforme. Le principe général de ces machines de prototypage réside dans la décomposition par le logiciel du modèle CAO 3D de la pièce anatomique en un ensemble de couches élémentaires 2D correspondant à la coupe transversale. La maquette est construite par superposition successive de couches, à partir de celle du bas, selon les sections horizontales du modèle CAO 3D précédemment décrites (fig. 13, 14 et 15).
La FAO permet d'élaborer aussi bien le moulage de travail (fig. 13) que la maquette en cire préfigurant la pièce prothétique souhaitée (fig. 14 et 15). Une fois la maquette en cire réalisée, elle est essayée et adaptée sur le patient, pour être ensuite transformée en silicone selon la technique de la cire perdue (fig. 16a et 16b).
L'amélioration des techniques chirurgicales d'exérèse et de reconstruction entraîne une situation paradoxale. La France présente l'incidence la plus élevée des cancers des VADS (voies aéro-digestives supérieures) en Europe. La prise en charge chirurgicale des patients est satisfaisante. Cependant, la mutilation faciale post-chirurgicale induite génère fréquemment l'exclusion du patient de la société alors que cette dernière a mis tout en œuvre pour le traiter et le sauver.
La réhabilitation par PMF demeure une alternative incontournable et s'intègre à une véritable symbiose chirurgico-prothétique. En effet, le chirurgien doit connaître les limitations et les principes biomécaniques de ces prothèses maxillo-faciales pour synchroniser le geste chirurgical et la future réhabilitation prothétique qui va suivre.
La prise en charge d'un patient en réhabilitation maxillo-faciale fait appel aux compétences d'une équipe pluri-disciplinaire, ceci dans le but d'une amélioration de la qualité de vie du patient [27, 28]. Cette nouvelle méthodologie par CFAO présente de nombreux avantages parmi lesquels nous pouvons en dégager 3 principaux.
• Elle permet, chez les patients affaiblis par la maladie et sa thérapeutique, d' éviter la prise d'empreinte faciale. Cette étape est parfois angoissante pour le patient, souvent confronté à l'isolement social et affectif; elle réactive souvent le souvenir de soins désagréables que ce dernier a pu connaître dans le cadre de la prise en charge de la maladie.
• En évitant la prise d'empreinte et la réalisation du moulage de travail, la CFAO évite l'introduction d'erreurs inhérentes à la manipulation humaine.
• Enfin, l'exploitation systématique d'un examen tomodensitométrique en CFAO joue un rôle incontestable en matière de dépistage d'éventuelles récidives. Cet examen complémentaire peut jouer également un rôle important en matière de droit médical et constitue une pièce importante du dossier médical.
Ce concept de CFAO en PMF permet également de proposer au patient différentes simulations de sa future épithèse, pour qu'il puisse faire lui-même un choix ou, en tout cas, se faire une idée de cette fameuse prothèse dont on lui a parlé jusque-là de manière très abstraite.
Le problème de la durée de vie limitée des matériaux utilisés aujourd'hui est désormais facile à contourner grâce aux systèmes de sauvegarde, qui permettent de réaliser de manière rapide une nouvelle prothèse identique à la précédente, avec un gain de temps non négligeable puisque les étapes préalables ne sont plus nécessaires.
La relation avec le laboratoire prend ici toute son ampleur puisque, obligatoirement, techniciens et cliniciens travaillent en symbiose et nombre d'informations cliniques deviennent automatisées pour le laboratoire. Cela nécessite une coopération encore plus étroite entre clinique et laboratoire.
Le nouveau concept de fabrication par CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur) permet ainsi de combiner les avantages de la méthode traditionnelle en PMF et le potentiel du prototypage rapide pour valoriser le temps et la qualité de travail. Dès lors, l'étape de conception au laboratoire de la maquette en cire et de la réhabilitation prothétique d'une manière générale se trouve facilitée et le praticien peut se concentrer sur sa tâche principale, à savoir l'optimisation dans la création individuelle de la prothèse faciale.
La PMF, avec ce nouveau concept de CFAO, doit trouver sa place en médecine du fait de l'ensemble des améliorations qu'elle apporte tant en termes esthétiques que psychologiques et fonctionnels [29, 30]. Par ailleurs, elle se pose comme un véritable enjeu de santé publique et laisse envisager de rendre la PMF accessible à un nombre plus important de praticiens.