Prothèse fixée
Nicolas Lehmann * Gil Tirlet **
*Ancien interne des hôpitaux de Paris - AHU, UFR d'odontologie de Lyon - Université Claude-Bernard Lyon 1 rue Guillaume-Paradin
69008 Lyon
** MCU-PH, Faculté de chirurgie centaire de Montrouge - Université Renée-Descartes Paris 5234, boulevard Raspail
75014 Paris
À partir d'une situation clinique, cet article décrit la démarche décisionnelle et la gestion chronologique du traitement enterprises par les auteurs dans le cas d'un remplacement d'une deuxième prémolaire maxillaire.
SUMMARY Replacement of a second maxillary premolar : which therapeutic choices ? A study case
Based on a study case, this article describes the strategic approach and the step by step treatment undertaken by the authors in the case of the replacement of a first maxillary premolar.
Bien que les situations d'édentement unitaire soient extrêmement fréquentes, la simplicité du choix thérapeutique n'est qu'apparente et s'explique par deux raisons majeures :
- il s'agit d'une situation qui nécessite l'examen et l'analyse de nombreux paramètres ;
- cette conjoncture offre l'un des éventails thérapeutiques les plus larges. En effet, les solutions de traitement sont nombreuses : bridge avec moyens d'ancrage périphériques, bridge métallique collé, prothèse amovible partielle, prothèse sur implant, transplantation dentaire, fermeture orthodontique.
À partir d'un cas clinique, la démarche diagnostique est développée ainsi que la réflexion qui a conduit à la décision thérapeutique.
Un patient de 43 ans, fonctionnaire, consulte dans le but de compenser un édentement en position de 15. Cette dent n'a jamais été présente sur l'arcade en raison d'une agénésie.
Le patient, non fumeur, ne déclare aucun antécédent sur le plan général. En revanche, sur le plan local, il signale que 55, qui compensait l'édentement, a été extraite il y a 2 ans, en raison d'une mobilité importante liée à la rhyzalyse de la dent.
L'examen exobuccal ne met en évidence aucune asymétrie faciale ni particularité anatomique.
L'examen endobuccal objective un bon niveau d'hygiène orale et ne révèle aucune pathologie particulière.
La zone édentée est recouverte d'une fibromuqueuse ferme et adhérente. Il existe une perte de substance ostéo-muqueuse assez marquée de classe 3 (classification de Siebert). La longueur de l'édentement est compatible avec la mise en place d'une deuxième prémolaire (fig. 1.)
Les dents 16 et 14 présentent des sillons légèrement infiltrés et colorés. 16 est discrètement mésio-versée ; 14 est disto-versée. Ces deux dents ont un indice de Le Huche relativement faible. Elles sont solidement ancrées dans leurs alvéoles respectives (fig. 2 et 3).
Des moulages d'étude transférés sur articulateur permettent de confirmer les données morphologiques observées lors de l'examen clinique endobuccal et de finaliser l'examen occlusal.
L'occlusion d'intercuspidie maximale est stable (fig. 3). En propulsion, le guidage antérieur est efficace. En diduction droite et gauche, on constate une fonction canine.
L'examen radiographique rétro-alvéolaire long cône révèle une alvéolyse au niveau de la zone d'édentement d'où un plancher sinusien situé à une distance d'environ 9 mm du sommet de la crête osseuse. Les dents bordant l'édentement ont un rapport couronne/racine clinique de 1/3, leur chambre pulpaire est rétractée. On note une continuité des espaces desmodontaux (fig. 4).
Le remplacement de 15 doit aboutir à un traitement qui présente le meilleur rapport bénéfice/coût/ sécurité[1].
Les objectifs de traitement doivent répondre à certaines exigences :
- biologiques (absence de mutilation ou mutilation modérée des tissus dentaires) ;
- esthétique ;
- économiques (coût financier acceptable pour le patient).
Cinq possibilités thérapeutiques sont envisageables pour compenser cet édentement unitaire.
Le traitement consisterait à mésialer les molaires maxillaires. Les rapports interarcades obtenus seraient alors une classe 2 molaire thérapeutique (classification d'Angle). Une équilibration occlusale s'imposerait en fin de traitement avec des meulages sélectifs des molaires mandibulaires.
- faible mutilation tissulaire des organes dentaires ;
- harmonisation occlusale des arcades.
- durée du traitement ;
- perte de la classe I molaire (classification d'Angle) ;
- coût financier.
- absence de contention qui pourrait entraîner des déplacements mineurs, source de prématurités occlusales.
Les dents bordant l'édentement forment un grand angle de convergence cervical. Celui-ci devrait être réduit par meulage pour éviter la rétention de débris alimentaires susceptibles d'agresser le parodonte marginal. Les barres coronaires et les taquets occlusaux nécessiteraient une préparation des dents supports pour optimiser leurs propriétés et leur intégration occlusale. La réalisation d'un polygone de sustentation à la prothèse imposerait un tracé du châssis exploitant une partie de la voûte palatine.
- rapidité d'exécution ;
- coût financier modéré.
- acceptation psychologique difficile ;
- étendue et encombrement de la prothèse disproportionnés pour le replacement d'une seule dent ;
- mutilation des tissus dentaires ;
- confort relatif ;
- visibilité des crochets.
- risques inhérents à ce type de prothèse sur le long terme, à savoir une accentuation de la résorption de la crête osseuse sous la selle.
La proximité du sinus nécessiterait de réaliser dans un premier temps une élévation du plancher sinusien avant la mise en place de l'implant. La perte de substance ostéomuqueuse dans le sens vestibulo-palatin impliquerait l'apport d'une greffe osseuse pour positionner l'implant dans une situation favorable à la réalisation d'une prothèse esthétique et fonctionnelle.
- préservation tissulaire des organes dentaires ;
- confort ;
- esthétique.
- durée du traitement ;
- plusieurs phases chirurgicales ;
- coût financier.
- risques inhérents à toute intervention chirurgicale ;
- risques limités si l'adaptation occlusale est bien établie et si les délais de contrôle sont correctement respectés.
- délabrement modéré des dents bordant l'édentement ;
- rapidité d'exécution.
- technique délicate (dépend de l'opérateur).
- très limités (décollement) si les protocoles de préparation et d'assemblage sont respectés et si les contrôles de l'intégration occlusale sont effectués régulièrement.
Les moyens d'ancrage seraient des couronnes céramo-métalliques. Pour obtenir un meilleur effet esthétique sur 14 qui entre dans le cadre du sourire du patient, un joint céramique serait privilégié alors que sur 16 un joint de type P. Weiss serait plus indiqué.
- rapidité d'exécution ;
- résultat esthétique (absence de métal visible).
- délabrement important des dents bordant l'édentement.
- risques inhérents à tous travaux prothétiques sur dent pulpée : atteinte pulpaire, agression parodontale ;
- risques restreints si les principes de conception et de réalisation sont respectés.
- rapidité d'exécution.
- délabrement des dents bordant l'édentement (solution intermédiaire entre le bridge collé et le bridge avec moyens d'ancrage périphériques) ;
- risque de visibilité du métal.
- risques inhérents à tous travaux prothétiques sur dent pulpée (atteinte pulpaire) ;
- risques pratiquement inexistants compte tenu de la valeur intrinsèque des dents piliers et de la situation pulpaire.
La prise en compte des paramètres cliniques a orienté le choix vers une solution prothétique répondant au mieux à la situation. La solution implantaire n'a pas été retenue en raison de son coût et des nombreuses séquences chirurgicales qu'elle impliquerait.
C'est le traitement par bridge collé céramo-métallique qui a réuni la majorité de facteurs favorables.
Les bridges collés sont indiqués dans les édentements de très faible étendue : une dent absente. Une longueur d'édentement inférieure à celle de la dent à remplacer peut être traitée par une légère améloplastie proximale ou un léger chevauchement de l'intermédiaire qui peut contribuer au ceinturage de la dent [2,3].
L'indication des bridges collés est réservée aux situations de dents supports quasi indemnes de carie, en orthoposition et possédant une hauteur coronaire satisfaisante. Il est évident que sur des dents à couronne clinique courte, la faible hauteur amélaire risquerait de réduire la surface utile de collage et, par là même, restreindre l'indication d'une construction collée. Ce n'est pas le cas pour cet exemple clinique.
L'existence de différentiels de mobilité entre les dents supports (conséquences des séquelles d'une maladie parodontale) n'est guère favorable aux constructions collées - si ces dernières sont malgré tout mises en oeuvre, elles exigent des préparations rétentrices [4]. Chez ce patient, les dents bordant la vacuité sont solidement implantées dans leur alvéole et ne présentent aucune mobilité.
De nombreuses études longitudinales montrent que les surcharges occlusales et les parafonctions sont des éléments de contre-indication des prothèses collées, eu égard aux taux d'échec plus élevés, dans ce type de conjonctures [5]. Pour ce patient, les examens clinique et radiographique ne révèlent aucune pathologie.
Les situations de béance et de recouvrement limité constituent les meilleures indications des bridges collés. Une évaluation des rapports d'occlusion est indispensable avant toute prise de décision. Les préparations et la surface disponible pour l'ancrage devront être évaluées en veillant à situer le bord prothétique en dehors des zones d'impact occlusal.
Chez les patients jeunes, le taux d'échec des bridges collés est plus important. Il est attribué à des facteurs morphologiques, anatomiques et chimiques, et est plus particulièrement accentué par l'existence d'une faible hauteur coronaire dont l'émail a souvent subi par ailleurs des séries de traitements par fluor [6]. Cependant, en dépit de leur pourcentage d'échecs plus élevé et de leur pronostic limité dans le temps, nous préférons les constructions collées aux constructions scellées en raison de leur incidence biologique et pulpaire défavorable. Chez un patient âgé de 43 ans, toutes ces réserves sont écartées et viennent au contraire corroborer notre décision.
Les constructions prothétiques collées maxillaires présentent un taux de succès supérieur[7-9] ou égal [10-12] à celui des constructions mandibulaires. De même, les constructions du secteur antérieur ont un taux de survie supérieur à celui des constructions postérieures, mais la réalisation de bridge collé avec des préparations rétentives d'une part et d'autre part l'utilisation d'un ensemble « métal-traitement de surface/polymère » performant réduit l'importance du différentiel de succès maxillaire/mandibulaire et antérieur/postérieur [13].
La solution du bridge collé semble ainsi réunir tous les suffrages et paraît l'emporter sur toutes les autres possibilités thérapeutiques puisque tous les paramètres cliniques étudiés sont positifs. Le patient, dûment informé, a souscrit à cette proposition qui permet de respecter l'intégrité des tissus dentaires, de préserver la vitalité des dents supports, de respecter le parodonte, la stabilité occlusale et l'esthétique. Le coût financier est modéré.
Cette réalisation prothétique diffère des conceptions des bridges collés de l'École Maryland, car les moyens d'ancrage sont des onlays de type Mac Boyle. Les préparations a minima procurent à la pièce prothétique la sustentation, la stabilisation, un certain degré de rétention, mais surtout ménagent une épaisseur suffisante pour le métal de la reconstruction pour assurer une rigidité des ailettes de la pièce prothétique. La rigidité de l'ancrage en prothèse collée est déterminante pour réduire les contraintes appliquées au polymère de collage et constitue un facteur de réussite [14]. La nécessité de disposer d'un alliage rigide sous faible épaisseur pour supporter sans déformation ni rupture les contraintes induites par la fonction manducatrice a conduit à privilégier un alliage non précieux cobalt-chrome.
L'utilisation d'onlays de Mac Boyle comme moyen d'ancrage présente de nombreux avantages [15] :
- la préparation de cet onlay respecte au moins une cuspide d'appui et, par conséquent, assure le calage occlusal entre les séances cliniques successives ;
- ce type d'onlay autorise l'intégration de la reconstruction prothétique au contexte occlusal, sans le modifier ;
- la protection dentino-pulpaire entre les séances est plus facile à réaliser. En effet, les préparations, limitées au tissu amélaire, n'exposent pas ou très peu le tissu dentinaire. Les risques de sensibilité sont ainsi très faibles ;
- la marge d'erreur due à l'enregistrement des rapports interarcades est réduite, car le prothésiste bénéficie d'un calage des deux moulages au niveau même de la préparation ;
- lors de l'essai clinique, grâce à la fenêtre occlusale qui respecte la cuspide d'appui palatine, le praticien peut vérifier la mise en place de la pièce prothétique.
Sur la 16, la préparation présente (fig. 5a) :
- une tranchée occlusale aussi profonde que large ;
- une mise de dépouille axiale de la face palatine ;
- une boîte proximale mésiale ;
- une rainure palatine reliant la face palatine à la tranchée occlusale. La préparation n'a pas été étendue jusqu'à la face distale de la dent pour préserver le contact proximal, toujours difficile à recréer prothétiquement.
Sur 14, la préparation présente (fig. 5b) :
- une tranchée occlusale aussi profonde que large ;
- une mise de dépouille axiale de la face palatine ;
- une boîte proximale mésiale et distale.
L'empreinte en double mélange (un temps, deux viscosités) est prise à l'aide d'hydroalginate.
L'adaptation de l'armature est appréciée grâce à un silicone de faible viscosité appliqué dans l'intrados de la prothèse.
L'idéal est de prendre la teinte avec le prothésiste. Si cela n'est pas possible, le schéma des caractéristiques de la dent est adressé au prothésiste, complété par des photographies numériques des dents bordant l'édentement. Ces informations complètent utilement sur la teinte, la luminosité ou l'état de surface de la dent à recréer.
À ce stade, il est important d'évoquer le mode d'assemblage. En effet, la sélection de la colle constitue un élément important pour la fiabilité d'un bridge collé. À ce jour, deux grandes familles de polymère de collage permettent d'assembler les infrastructures :
• les composites de collage à base de résine Bis GMA ;
• les polymères adhésifs représentés par :
- les colles anaérobies MDP (il s'agit de copolymères à base de métacryloxydécaéthyle hydroxyphosphate) (ex. Panavia®, Kuraray) ;
- les colles 4-META (composées de 4-méthacryloxyéthyl trimellitate anhydride) (ex. Superbond®, Sun Medical).
Dans le cas présent, c'est une résine chémo-activable, le Superbond® qui a été retenue. Ce matériau témoigne d'une bonne tolérance biologique marquée par une absence de réaction dentino-pulpaire après études histologiques [16,17]. De plus, cet adhésif, dont la rhéologie permet une absorption et une dissipation des contraintes par visco-élasticité, possède des valeurs d'adhérence remarquables sur des substrats de nature diverse.
Associé à cette colle, un traitement de surface de l'alliage a été effectué par l'emploi d'un promoteur d'adhésion silicique associé à un agent de couplage de type silane. Ce dépôt silicique a été réalisé sous haute pression selon le procédé Rocatec® (Espe) [18] (fig. 11).
Les préparations sont isolées par la mise en place d'une digue. Avant collage, les préparations sont nettoyées à l'aide d'une brossette et d'une solution aqueuse de ponce, décontaminées à l'aide d'une solution de digluconate de chlorhexidine à 2 %. La préparation des tissus durs est conduite de manière conventionnelle.
La prothèse sur implant est sans conteste une thérapeutique de choix dans le traitement des édentements puisqu'elle permet de remplacer un ou plusieurs organes dentaires sans mutiler les dents bordant l'édentement. Cependant, des contraintes d'ordre médical, anatomique ou financier peuvent contre-indiquer cette thérapeutique. Les bridges collés représentent alors une alternative de choix. La préservation de la vitalité pulpaire et la faible mutilation tissulaire n'altérant pas la résistance mécanique de la dent sont deux avantages majeurs des bridges collés. De plus, il ressort des données de la littérature que cette thérapeutique est fiable puisqu'elle présente une longévité de plus de 80 % à 10 ans à condition d'en respecter les indications précises. [5,6].
Remerciements au laboratoire Serge Tissier pour la réalisation de la pièce prothétique.