Réalisation d'embouts individuels anatomiques pour la plongée sous-marine - Cahiers de Prothèse n° 136 du 01/12/2006
 

Les cahiers de prothèse n° 136 du 01/12/2006

 

occlusodontie

Jérome Bruy*   Catherine Millet **   Pierre Jaudoin ***   Jean-Yves Ciers ****  


*Docteur en chirurgie dentaire
**MCU-PH, responsable sous-section prothèse
***Attaché hospitalier, ancien AHU
****Prothésiste dentaire

Résumé

Les embouts individuels de plongée sous-marine permettent de résoudre certains problèmes musculo-articulaires et dentaires ou d'optimiser certaines fonctions, notamment musculaire et respiratoire. Leur conception doit suivre la même rigueur que celle de toutes orthèses buccales puisqu'ils accompagnent les performances du plongeur.

Summary

Making anatomical personal mouth-pieces for diving

Diving personal mouth-pieces can solve some muscular and articular as well as dental dysfunctions and optimize certain functions, particularly muscular and respiratory ones. They must be conceived with the same care as any oral orthesis as they contribute to the diver's performances.

Key words

biting plane, diving, mouth pieces, pressure reducer waterproofness.

Intérêt d'un embout de plongée sur mesure

De nombreux plongeurs sous-marins utilisent des embouts standard (de type industriel) qui relient le détendeur à la cavité buccale. Ces embouts standard préfabriqués sont constitués d'une pièce intermédiaire faisant la jonction avec le détendeur, d'un double écran (buccal et lingual) et d'un plan de morsure de faible étendue limité aux prémolaires (fig. 1).

En immersion, l'étanchéité requise au niveau de la cavité buccale, associée à l'augmentation du niveau de stress, conduit généralement le plongeur à une contraction prolongée de la musculature oro-faciale. Cela se traduit par une occlusion dentaire soutenue sur un plan de morsure inadapté. Cette hyperactivité musculaire génère des troubles transitoires de l'occlusion dentaire et parfois des douleurs des articulations temporo-mandibulaires (ATM) et de la musculature faciale. Par ailleurs, l'utilisation d'un embout standard nécessite une position mandibulaire avancée (ou protruse). Lors de plongée de longue durée, le risque lié à ces embouts du commerce est de provoquer une pathologie de type DAM (dysfonction de l'appareil manducateur).

Afin de limiter le risque de survenue d'une DAM, ou pour certains plongeurs atteints de DAM, il est recommandé de réaliser des embouts de plongée, dits « anatomiques ». Ceux-ci sont confectionnés sur mesure à partir d'empreintes des arcades dentaires. De par leur plan de morsure personnalisé, ces embouts permettent une meilleure répartition des forces occlusales, une disparition des surcharges sur les prémolaires et une relaxation musculaire.

De nombreux auteurs ont tenté de réaliser de tels embouts. Toutefois, la confection de ces dispositifs anatomiques n'est toujours pas codifiée. On sait que l'influence de la conception de la pièce intermédiaire est faible. En effet, son intrados est entièrement comblé par la contrepartie du détendeur. Ainsi, le diamètre interne de l'ouverture n'a d'influence qu'au niveau de l'écran buccal. Le débit, les pressions et les flux gazeux ne dépendront donc pas de la pièce intermédiaire.

Évolution des embouts personnalisés

Gouttière bimaxillaire avec emboîtement

En 1984, Dunand [1] préconise la réalisation de gouttières maxillaire et mandibulaire en polychlorure de vinyle par thermoformage (Erkoflex®, Erkodent). Ces gouttières sont réunies par collage à chaud.

Principe de fabrication

• Étape clinique : prise des empreintes maxillaire et mandibulaire, enregistrement de l'occlusion dans un rapport antéropostérieur respectant l'équilibre musculaire (fig. 2). Transfert sur articulateur.

• Étape laboratoire : moulage des gouttières en polychlorure de vinyle sur chacune des arcades jusqu'aux premières molaires ; réunion des gouttières avec l'embout standard (fig. 3a et 3b).

• Étape clinique : vérification de l'adaptation en bouche et solidarisation au détendeur (fig. 4a et 4b).

La principale critique de cette technique est le risque de décollement des matériaux, car l'embout du commerce est inclus dans l'embout personnalisé.

Adjonction de gouttières latérales

Deux gouttières latérales en silicone ou caoutchouc sont ajoutées au plan de morsure, préalablement aplani, d'un embout standard [2, 3et 4]. Les gouttières sont réalisées directement en bouche ou au laboratoire sur modèles transférés sur articulateur. Il ne s'agit là que d'une ébauche très imparfaite d'individualisation tant le risque pour le plongeur est réel. Ainsi, même si les idées suggérées par ce modèle ont permis d'évoluer dans la conception des embouts, ils ne doivent rester que de l'ordre de l'expérimentation de laboratoire et, en l'état actuel des connaissances, être en aucun cas considérés comme opérationnels.

Embouts individuels sur mesure

Par thermoformage

Matsui et al. [5] ont déterminé une technique de réalisation d'embout personnalisé par thermoformage. Il ne s'agit en fait que d'une évolution de la technique de Dunand [1]. L'embout n'est plus réalisé par soudage de 2 gouttières, mais directement en technique monobloc par adjonction de la pièce intermédiaire.

Après réalisation d'une maquette en cire

À partir de modèles montés sur articulateur, l'embout est préalablement confectionné en cire (fig. 5) avant d'être mis en moufle. Ces dispositifs monoblocs sont généralement en élastomère (fig. 6).

Comparatif des différents modèles

(voir Tableau I )

Réalisation d'un embout personnalisé fonctionnel

Conception

Pour éviter un inconfort musculaire et articulaire, le plan de morsure doit atteindre la première molaire et avoir une épaisseur de 3 à 6 mm [6, 7et 8]. En fait, seul Hobson [9] a essayé d'évaluer l'épaisseur optimale par détermination du débit expiratoire de pointe (DEP) ; il a estimé cette épaisseur à 4 mm. L'écran buccal doit aller le plus loin possible au fond du vestibule pour l'étanchéité et la stabilisation [10].

Dans le cas d'un édentement partiel, Delbar [3] et Sametzky et al. [11]insistent sur la nécessité de compenser les édentations comme cela est réalisé pour les protections dento-maxillaires personnalisées [11,12]. Chez le sujet totalement édenté, l'embout doit être conçu comme une prothèse amovible complète tant au niveau de la technique des empreintes secondaires que de l'enregistrement de la relation maxillo-mandibulaire [11].

Dans tous les cas, il est nécessaire de procéder à la vérification de la réalisation sur l'articulateur avant remise au patient. En effet, ce type d'embout est véritablement une orthèse qui doit être vérifiée et délivrée par un praticien [13].

Empreintes

Les empreintes des 2 arcades sont réalisées à l'aide de porte-empreintes classiques peu perforés, relativement larges et garnis d'un hydrocolloïde irréversible (alginate de classe A). Elles doivent reproduire parfaitement toute la hauteur des vestibules et donner une image parfaite des freins et des insertions musculaires.

L'alginate préparé est de consistance épaisse, supérieure à la consistance recommandée habituellement par le fabricant, en augmentant le rapport poudre/eau (3 mesures au lieu de 2). Le porte-empreinte est chargé dans sa globalité avec une surcharge périphérique. Les vestibules particulièrement développés sont garnis d'alginate déposé avec le doigt avant le centrage en bouche du porte-empreinte. Le sujet est alors invité à mobiliser ses lèvres et ses joues ; celles-ci sont tapotées sur tout le pourtour du porte-empreinte. La lèvre supérieure est finalement tirée vers l'avant pour enregistrer l'action du frein médian.

L'empreinte est désinsérée, rincée, vérifiée et décontaminée. Les modèles de travail sont coulés en plâtre dur.

Enregistrement du rapport maxillo-mandibulaire

Le rapport maxillo-mandibulaire est enregistré selon la technique décrite par Sametsky [12]. Une plaque de cire Aluwax® (Dental Product Co) entoilée est positionnée en bouche sur l'arcade maxillaire et recoupée si nécessaire pour que son débordement vestibulaire n'excède pas 3 à 4 mm. Le sujet est invité à fermer légèrement, sans pression excessive, de façon à obtenir le contact des canines mandibulaires sur la plaque. Les points d'occlusion correspondants sont marqués sur la plaque. Quatre bandes de cire Aluwax® non entoilée de 15 mm de largeur sont collées de part et d'autre de la plaque d'Aluwax® entoilée, de la région canine à la partie postérieure, côté droit et côté gauche (fig. 7a et 7b).

L'ensemble est ramolli par immersion dans une eau à 49 °C (20 secondes). La plaque est alors positionnée sur le maxillaire et le sujet est invité à fermer légèrement et progressivement jusqu'à l'obtention de la distance interarcades désirée (4 mm environ). La cire est refroidie à la seringue à air, dents serrées, puis bouche ouverte avant d'être immergée dans l'eau glacée. Un contrôle final est effectué en bouche. Les moulages sont transférés sur l'articulateur (fig. 8).

Réalisation des maquettes

Les maquettes en cire sont confectionnées sur l'articulateur. Leur élaboration rejoint celle des protections dento-maxillaires de type Sametzky [12]. Il faut veiller à réaliser préalablement une empreinte de la partie du détendeur qui maintiendra l'embout afin d'obtenir une congruence parfaite entre l'embout et le détendeur. Cette empreinte, réalisée avec un silicone par addition de consistance « putty », est coulée en plâtre. Le moulage obtenu du détendeur est incrusté dans la partie antérieure de la maquette en cire pour créer l'élément de jonction (fig. 9 ; 10a et 10b). En effet, l'élastomère SR Ivocap® (Ivoclar-Vivadent) choisi pour la mise en moufle est plus rigide que les silicones des embouts standard. Il est donc nécessaire de déterminer sur quel détendeur sera utilisé l'embout avant la réalisation de ce dernier.

Cahier des charges de la maquette

Les écrans vestibulaires doivent respecter l'anatomie du parondonte ; il convient donc de décharger les zones des freins médians et latéraux. Pour ne pas léser la muqueuse vestibulaire, il paraît judicieux de ne pas dépasser la ligne muco-gingivale de plus de 2 mm.

La zone de la papille rétro-incisive peut être englobée ou non, en fonction de la nécessité d'obtenir un appui lingual rétro-incisif plus ou moins important. Cette détermination est réalisée par le praticien en fonction de la capacité du patient à effectuer une déglutition bouche ouverte.

Mise en moufle, injection de la résine et polymérisation

La résine Ivocap® (Ivoclar-Vivadent) présente les meilleures qualités pour ce type de réalisation et confère à l'embout une certaine souplesse.

Mise en moufle et injection de l'élastomère

La mise en moufle directe de la maquette se fait classiquement dans le moufle du système Ivocap® (fig. 11 et 12). La seule différence par rapport à une mise en moufle traditionnelle est l'aménagement d'un canal d'injection pour l'élastomère.

Les recommandations à respecter sont les suivantes :

- immerger le moufle pendant 5 minutes dans l'eau très chaude, puis l'ouvrir et ébouillanter aussitôt ;

- isoler le moufle encore chaud en appliquant 2 couches successives de Separating-Fluid® (Ivoclar-Vivadent) et mettre le moufle en bride ;

- verser le monomère dans la cartouche ; pousser la membrane-piston vers l'avant jusqu'à ce que le réservoir de monomère vide puisse être mis en place à l'arrière de la cartouche et, reboucher la cartouche ;

- temps de malaxage au Cap Vibrator de Ivoclar-Vivadent (malaxage mécanisé) : 5 minutes ;

- les résidus de pâte desséchée qui pourraient se trouver à l'intérieur de la cartouche n'ont aucune influence sur la qualité du travail achevé ; évacuer à l'aide du poussoir la poche d'air subsistant entre matériau et piston ;

- injecter le contenu de la cartouche ainsi préparé dans le moufle. Deux cartouches d'élastomère SR-Ivocap® malaxées sont nécessaires à la confection d'un embout. Si cela est souhaité, ce même élastomère peut être coloré (dans ce cas des poudres intensives sont ajoutées au monomère avant le malaxage) comme cela se fait pour les protège-dents ;

- laisser le moufle à la pression de 6 bars pendant 10 minutes, pour que le matériau fuse dans le moufle.

Polymérisation

Elle se fait selon la méthode SR-Ivocap® : le moufle est plongé, sans débrancher l'air comprimé, dans un bain d'eau bouillante. Le temps de polymérisation nécessaire est de 45 min à 100 °C. Au terme de la polymérisation, l'ensemble est retiré et plongé directement dans l'eau froide pendant 20 minutes, tout en laissant sous pression.

Finition et vérification sur articulateur

L'état de surface de la résine peut être amélioré en utilisant le monomère de la résine qui permettra une re-polymérisation de surface et augmentera l'aspect brillant, réalisant en quelque sorte un glaçage de la surface de la résine (fig. 13). La vérification finale est faite sur articulateur (fig. 14) pour contrôler la parfaite adaptation du dispositif ; on procède enfin à son nettoyage.

Essayage en bouche et remise au plongeur

Après vérification en bouche du libre jeu des freins et brides, l'embout est remis au plongeur qui le fixera sur son détendeur dont l'empreinte a préalablement été réalisée pour la confection de l'élément de jonction. Pour cette dernière étape, il est préférable d'utiliser un collier (fig. 15a et 15b) même si celui-ci reste optionnel du fait de la parfaite adaptation de l'embout sur le détendeur et de la forte résistance de la résine Ivocap®.

Conclusion

La conception des embouts personnalisés est un acte prothétique de haut niveau, car ils doivent être parfaitement intégrés au système manducateur [14]. Elle ne supporte ni négligence, ni médiocrité. La forme globale de ces embouts ne prend souvent en compte que la notion de confort [6,7]. Toutefois, les bénéfices de la fabrication d'embouts individuels sont multiples [3,13] :

- meilleure répartition des forces occlusales, disparition des surcharges prémolaires ;

- meilleure tenue en bouche, relaxation musculaire [15] ;

- disparition des DAM [6] ;

- cessation du frottement de l'écran buccal sur la gencive ;

- meilleure équilibration auriculaire par facilitation de l'ouverture tubaire [15] ;

- « protection thermique » lors de parodontopathie ;

- échange d'embouts entre plongeurs impossible, ce qui évite le risque de transmission d'infection virale (VIH, HVB, HVC, VHS) [16].

En revanche, cela peut présenter un inconvénient si le plongeur ne dispose pas d'un second détendeur, situation toutefois exceptionnelle puisque la législation française impose à tous les chefs de palanquée et à tout plongeur autonome d'avoir 2 détendeurs (dont un de secours tendu, en cas de problème, à un plongeur en difficulté).

Avant de pouvoir proposer (avec toutes les précautions qui s'imposent) ce type de matériel individuel participant à la sécurité directe du plongeur, il est nécessaire de s'assurer de son innocuité. Cette démarche est actuellement effectuée dans le cadre d'une collaboration entre le service de consultations et traitements dentaires des Hospices civils de Lyon (HCL) et le Service de Santé des Armées.

bibliographie

  • 1 Dunand JP.Contribution à l'étude de la pathologie bucco-dentaire en plongée sous-marine - Expérimentation d'embouts intra-buccaux personnalisés testés par cinq plongeurs-démineurs (1er GDP). Thèse de second cycle en chirurgie dentaire, Faculté d'odontologie de Lyon, 1984.
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  • 3 Delbar P.Les embouts personnalisés dans les activités subaquatiques. Prat Dent 1987;6:15-17.
  • 4 Lamendin H.Pour la plongée sub-aquatique : de la personnalisation d'embout standard à l'embout personnalisé. Chir Dent Fr 1985;312:45-47.
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  • 12 Sametzky S.Protection dento-maxillaire dans la pratique des sports violents. Thèse de troisième cycle en sciences odontologiques, Faculté d'Odontologie de Lyon, 1975.
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  • 15 Hobson RS.Temporomandibular dysfunction syndrome associated with scuba diving mouthpieces. Br J Sports Med 1991;25:49-51.
  • 16 Lamendin H.Embout intra-buccal personnel pour plongée et pour nage avec palmes. Cah Prothèse 2002;118:49-55.