Prothèse maxillo-faciale
Ayako Iri -* Philippe Barrière -** Olivier Étienne -***
*Attachée hospitalo-universitaire - Département de prothèse - Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg
**Praticien hospitalo-universitaire - Service de chirurgie maxillo-faciale - Hospices civils de Strasbourg
***Maître de conférences - Praticien hospitalier - Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg
Lors de la réalisation d'une prothèse amovible complète mandibulaire, le chirurgien-dentiste est souvent confronté au problème de la rétention et de la stabilité prothétique. Cela est d'autant plus vrai en prothèse maxillo-faciale, où la prise en charge des patients doit tenir compte de contraintes spécifiques au traitement (contraintes anatomiques liées à la dynamique des mouvements mandibulaires, à l'absence de salive ou au patient). En effet, suite à des pertes de substance mandibulaires interruptrices ou non, reconstruites ou non, d'étiologies variées, et plus ou moins importantes, les patients présentent une anatomie parfois très défavorable avec laquelle il faut composer lors des différentes étapes cliniques. La stabilisation de la prothèse complète mandibulaire repose alors sur l'exploitation maximale, par des techniques d'empreintes adaptées, des organes périphériques, des modifications anatomiques postchirurgicales et sur l'équilibration finale du montage des dents prothétiques.
Mandibulectomy: improving stabilization of the complete removable denture
Fabrication of the complete lower denture is often a challenge in terms of retention and stability. In specific cases such as maxillofacial prostheses, these aims are complicated by: the anatomical environment following surgery, the temporomandibular dysfunction, the dry mouth context. Depending on the kind and volume of the tumor, different surgery can be conducted. Segmental or marginal mandibulectomy, associated or not associated to reconstructive surgery, leads to many different anatomical results. After a clinical examination, the prosthodontist has to adapt the impression techniques with a perfect border modeling to ensure a maximal extension of the denture's flanges. Maxillomandibular jaw relation record as well as artificial teeth arrangement should also be personalized.
Les pertes de substance ostéo-muqueuse mandibulaire ont des étiologies variées, principalement représentées par les suites de la chirurgie d'exérèse tumorale (tumeurs bénignes/malignes) et les traumatismes (accidents de la voie publique). D'autres causes moins fréquentes telles que les tentatives d'autolyse par arme à feu, les infections, certains agents toxiques ou physiques (radiothérapie à l'origine d'ostéite postradique) peuvent également être citées [1,2]. Les cancers des voies aéro-digestives supérieures, dont les facteurs de risque sont essentiellement la consommation d'alcool et de tabac, ainsi qu'une hygiène bucco-dentaire déficiente, sont en constante augmentation. Les progrès thérapeutiques ont permis d'allonger l'espérance de vie de ces patients, entraînant un accroissement des besoins de prise en charge de leurs séquelles et des besoins en traitements prothétiques [3].
Les pertes de substance mandibulaire prennent la forme de pertes non interruptrices (fig. 1) ou interruptrices (fig. 2), dont le traitement diffère considérablement [4]. Laissées à l'abandon, celles-ci ont un retentissement fonctionnel, esthétique et psychologique considérable [5] (fig. 3). Lorsqu'elles entraînent une interruption de la continuité de l'arc mandibulaire, la reconstruction chirurgicale par autogreffe est la solution de choix [2,6] (fig. 4a à 4e. Elle doit se faire en accord avec les besoins prothétiques futurs, pour assurer à terme une véritable amélioration de la qualité de vie du patient.
La réhabilitation prothétique de ces patients se révèle toujours très délicate compte tenu des défauts osseux et muqueux auxquels le praticien est confronté. Différents éléments anatomiques, mais aussi physiologiques, sont à retenir avant la réalisation d'une prothèse complète dans ces conditions. Seul un examen clinique complet et un protocole rigoureux permettent de tirer efficacement partie des supports tissulaires restants et reconstruits pour assurer une stabilité satisfaisante à ces prothèses.
Le but de cet article est de décrire les situations cliniques les plus fréquentes, d'en dégager les principales difficultés de traitement et enfin de proposer des gestes techniques prothétiques aboutissant aux meilleurs résultats.
Pour améliorer la qualité de vie des patients présentant une perte de substance de la mandibule, reconstruite ou non, la réhabilitation prothétique dentaire fonctionnelle et esthétique devrait être envisagée systématiquement. Cependant, celle-ci est délicate, souvent difficile selon un schéma conventionnel en raison de multiples facteurs [7, 8et 9].
Le rôle du chirurgien maxillo-facial est essentiel, notamment en cancérologie orale où le traitement peut aboutir à une perte de substance interruptrice de la mandibule, et en chirurgie réparatrice. Si l'avis du chirurgien maxillo-facial reste prioritaire quant à l'étendue de la résection mandibulaire ou quant au type de reconstruction chirurgicale, le chirurgien-dentiste doit tout de même rester un interlocuteur privilégié qui peut discuter des possibilités de conservation de certaines zones anatomiques, permettant ainsi une rétention et une stabilité moins défavorables des futures prothèses. La communication entre le chirurgien maxillo-facial et le chirurgien-dentiste avant, pendant et après la chirurgie est l'un des aspects les plus importants pour atteindre une réhabilitation prothétique satisfaisante [10]. Malheureusement, cette coopération nécessaire est souvent rendue difficile par des contraintes temporelles ou spatiales.
Lors de la réhabilitation prothétique chez le patient totalement édenté présentant une perte de substance mandibulaire, le chirurgien-dentiste est très fréquemment confronté à des facteurs anatomiques défavorables : malposition du ou des fragments osseux restants en l'absence de reconstruction, brides cicatricielles ou palette cutanée instable. De plus, ces contraintes spécifiques sont souvent associées à une limitation de l'ouverture buccale et à une asialie.
Elles sont souvent le résultat de la chirurgie de reconstruction [11] (fig. 5) :
- réduction de la surface de sustentation qui est déjà peu importante à la mandibule ;
- réduction des reliefs osseux ;
- différences de niveaux osseux ;
- défauts de forme et de position du greffon (à l'origine d'un prognathisme consécutif à une reconstruction antérieure) ;
- défaut de stabilité du greffon osseux en raison d'infection, d'ostéite postradique, de désunion ou de fracture des plaques de reconstruction ;
- cicatrisation fibreuse des parties molles entraînant une absence de vestibule jugal et/ou lingual, et des brides muqueuses qui, par leur rétraction progressive, limitent ou freinent les mouvements [12] ;
- présence de tissus de comblement non muqueux en excès (tissus cutanés) ;
- excès de volume des palettes cutanées des lambeaux de reconstruction du plan endobuccal [13], qui limitent la mise en place d'implants. Une première approche diagnostique prothétique impose parfois de les réaménager par un geste chirurgical supplémentaire. Ceci illustre l'indispensable collaboration entre odontologiste et chirurgien maxillo-facial dans la prise en charge de ces patients ;
- diminution de la mobilité linguale due aux brides cicatricielles ou aux pertes de substances linguales [14]. La langue joue un rôle essentiel dans la stabilisation de la prothèse mandibulaire, ainsi que dans la manipulation du bol alimentaire lors de la mastication et de la déglutition [15] (fig. 6) ;
- troubles neurologiques moteurs (nerfs grand hypoglosse, facial) et/ou sensitifs. Les résultats des greffes nerveuses pour reconstruire le nerf alvéolaire inférieur ou améliorer la qualité sensitive des tissus sont encourageants [16] ;
- affaissement et diminution de la sensibilité de la lèvre inférieure entraînant une perte du contrôle salivaire [17].
Ces obstacles anatomiques gênent la stabilité des prothèses et rendent difficile la réhabilitation prothétique. Des interventions chirurgicales complémentaires préprothétiques telles que la levée de brides, la diminution volumétrique, la substitution muqueuse à un plan cutané, des vestibuloplasties ou des greffes osseuses, peuvent permettre de corriger ces défauts [10,18]. Cependant, elles seront toujours évaluées en regard du pronostic cicatriciel particulièrement mauvais après radiothérapie.
En cas de perte de substance antérieure sans reconstruction chirurgicale, le rapprochement des segments osseux restants et l'aplatissement dans le plan frontal de la mandibule sont à l'origine de contre-dépouilles linguales importantes qui gênent considérablement l'insertion d'une prothèse amovible mandibulaire. Des crêtes alvéolaires présentant de telles contre-dépouilles sont défavorables et nécessitent une chirurgie préprothétique qui n'est pas toujours possible.
Chez les patients ayant subi une mandibulectomie latérale interruptrice sans reconstruction, le segment mandibulaire restant est instable et souvent latéro-dévié du côté de la résection [19] (fig. 7). Cette latéro-déviation permanente qui ne peut être corrigée par le patient est la conséquence de la rétraction cicatricielle et du jeu musculaire du côté de la perte de substance. Elle est particulièrement accentuée dans les cas où aucun traitement de kinésithérapie ou de mécanothérapie n'a été mis en place pour accompagner la restauration prothétique.
Elle est très souvent la conséquence de la fibrose cicatricielle ou de la radiothérapie. La réduction de l'élasticité de la peau et des muscles entraîne une diminution de la mobilité mandibulaire [14]. Plus la limitation d'ouverture est importante et plus la prise d'empreinte est difficile, voire impossible. La kinésithérapie maxillo-faciale, associée ou non à une mécanothérapie, peut aider à la récupération d'une amplitude minimale [20]. L'efficacité des appareils mobilisateurs et des guides est considérablement augmentée si l'ensemble de la rééducation est pris en main par un kinésithérapeute. Dans certains cas, il peut être nécessaire d'avoir recours à un geste chirurgical de type plasties d'allongement sur des brides qui interdiraient ou gêneraient la réalisation, puis la manipulation des prothèses.
La solution de continuité mandibulaire latérale conduit à l'altération des mouvements mandibulaires [21]. Il se produit un mouvement de rotation et de bascule qui abaisse la région incisive de telle façon que sa ligne occlusale soit oblique en bas et en dedans [22]. Les mouvements sont peu reproductibles pendant la mastication, la déglutition et la phonation. L'enveloppe des mouvements limites au niveau du point interincisif est irrégulière, asymétrique et déviée vers le côté réséqué dans le plan frontal, ce qui n'est pas le cas chez les patients qui ne présentent pas de solution de continuité mandibulaire. Les mouvements fonctionnels s'établissent selon un schéma diagonal. Une comparaison des mouvements limites et fonctionnels chez les sujets avec mandibulectomie interruptrice révèle des mouvements caractéristiques de rotation de la mandibule dans le plan frontal : l'angle de rotation de la mandibule serait alors un paramètre utile pour l'évaluation des mouvements mandibulaires chez ces patients [23].
Une radiothérapie préalable ou secondaire au traitement chirurgical a de nombreuses répercussions. À court terme, en fonction de la localisation et de l'étendue du champ d'irradiation, du volume tissulaire traité et du type de radiation, le patient peut présenter, à des degrés divers, une mucite, une hyposialie, voire une asialie, des changements de la flore microbienne, une sensibilité accrue de la muqueuse aux aliments épicés et une perte du goût. La radio-mucite accompagne souvent l'irradiation de la langue et du palais. Elle apparaît rapidement, mais est en général passagère (cicatrisation quelques semaines après la fin de la radiothérapie). Elle peut conduire à une perte d'appétit et aboutir alors à une perte de poids.
Les conséquences à long terme incluent une réduction du potentiel de cicatrisation de l'os irradié, le risque d'ostéite postradique et la diminution, voire la perte permanente de la fonction salivaire (par atrophie, fibrose et dégénérescence des glandes salivaires situées dans le champ d'irradiation). Les patients se plaignent de xérostomie, c'est-à-dire de sensation de bouche sèche (fig. 8). La salive est épaisse et en faible quantité, ce qui affecte la rétention des prothèses amovibles et la tolérance des tissus à leur port [24]. Le patient peut également être plus susceptible aux infections buccales comme les candidoses et la limitation de l'ouverture buccale est plus ou moins importante[25].
La prévention de ces désordres salivaires passe par l'amélioration des techniques d'irradiation cervico-faciale et l'utilisation de masques individuels thermoformés et de dispositifs (cales molaires) pour maintenir la mandibule en position lors des séances de radiothérapie, ce qui permet de limiter la zone d'irradiation et l'atteinte des glandes salivaires.
Lorsqu'il y a xérostomie, celle-ci s'intensifie généralement avec le temps. L'utilisation de gommes à mâcher, de sialologues, comme la pilocarpine ou l'anétholtrithione, ou de substituts salivaires est souvent décevante, mais des bains de bouche fréquents peuvent améliorer le confort du patient dans certains cas [14].
L'investissement du patient constitue le facteur limitant le plus important. La réhabilitation prothétique, pour être réalisée dans de bonnes conditions, peut parfois nécessiter des gestes complémentaires chirurgicaux ; et les délais, relativement longs, avant de pouvoir insérer les prothèses, peuvent décourager le patient. La réhabilitation prothétique nécessite une forte motivation des patients, ce qui n'est pas toujours le cas, compte tenu des pathologies prises en charge (tentatives d'autolyse et cancers) [26]. Le port préalable de prothèses amovibles bien intégrées est un facteur favorable à la réhabilitation prothétique postchirurgicale, le patient étant plus apte à comprendre les limites du traitement prothétique. L'acceptation des limites fonctionnelles consécutives à la perte de substance, l'état général et la coopération du patient sont également des facteurs à prendre en compte [27].
C'est le plus souvent par la prothèse amovible partielle ou complète que sont traités les édentements. Le nombre de patients totalement édentés ayant subi une perte de substance interruptrice de la mandibule est souvent plus élevé que le nombre de patients partiellement édentés.
En effet, l'état bucco-dentaire initial, mais surtout les conséquences de la radiothérapie sont telles, que ces patients sont bien souvent édentés totalement avant l'irradiation afin d'écarter tout risque d'ostéite postradique. Celle-ci est l'une des complications les plus sérieuses de l'irradiation des cancers cervico-faciaux qui peut survenir spontanément ou à la suite d'un traumatisme de l'os irradié devenu hypovasculaire, hypoxique et hypocellulaire [28]. Cette pathologie, fréquente malgré les progrès de la radiothérapie, est une affection grave en raison du processus lytique mis en jeu et de la difficulté de son traitement médical et chirurgical [29]. Si elle peut apparaître précocement dans les six mois suivant l'irradiation, elle peut aussi être tardive, apparaissant jusqu'à 5 ans, voire 10 ans après le traitement [30]. Elle intéresse les structures osseuses situées dans les champs d'irradiation. La mandibule est plus fréquemment atteinte, en raison de la proximité topographique de l'os par rapport aux plans de couverture et de son type de vascularisation terminale. La dose totale, la dose par fraction, l'état bucco-dentaire, l'envahissement de l'os par le processus tumoral et le volume d'os irradié sont ses facteurs de risque [ 31].
La réhabilitation prothétique par prothèse amovible après une perte de substance interruptrice mandibulaire, reconstruite ou non, est une opération complexe dont les modalités varient considérablement en fonction des conditions locales [22].
Le succès ou l'échec de la réhabilitation prothétique du patient totalement édenté présentant une perte de substance interruptrice de la mandibule sont liés à la qualité et au volume de la crête osseuse et des tissus mous [14] ainsi qu'à la présence (fig. 9a et 9b) ou à l'absence de reconstruction chirurgicale. Les prothèses complètes réalisées doivent répondre, dans la mesure du possible, aux exigences classiques de sustentation, de rétention et de stabilisation [27].
L'empreinte primaire, mucostatique, doit permettre un enregistrement des tissus sans compression ni déformation. Le plâtre reste le matériau de choix pour atteindre cet objectif [32, 33, 34et 35]. Cependant, en cas d'antécédent d'irradiation cervico-faciale, l'emploi d'un matériau hydrocolloïde irréversible tel que l'alginate est plus indiqué pour écarter tout risque de blessure des tissus irradiés (fig. 10a et 10b). Dans ce cas, la technique de l'empreinte rebasée par un alginate de consistance plus fluide (fig. 11a et 11b) ou celle de l'empreinte en double mélange [36] doivent être privilégiées, car elles apportent davantage de précision, notamment dans l'enregistrement des zones de contre-dépouilles, des freins et des brides cicatricielles. Les porte-empreintes du commerce ne répondent que rarement aux anatomies irrégulières et asymétriques de ces patients. L'utilisation de porte-empreintes métalliques déformables à la pince ou de porte-empreintes en matière plastique pouvant être rectifiés à la fraise s'avère nécessaire dans la plupart des cas.
L'empreinte secondaire doit être anatomo-fonctionnelle et enregistrée à partir d'un porte-empreinte individuel [37]. En fonction du cas, celui-ci est ajusté ou totalement espacé pour réaliser une empreinte non compressive.
La stabilisation de la prothèse complète mandibulaire est bien souvent difficile à obtenir [15]. Elle peut prendre appui, non seulement sur l'arcade saine, mais aussi sur le tissu fibreux qui comble la perte de substance en l'absence de reconstruction chirurgicale ou sur les tissus cutanés mobiles recouvrant les greffes osseuses [32]. Cependant, certains auteurs préfèrent réaliser des appareils simples qui ne recouvrent que la zone mandibulaire saine restante, et estiment qu'il n'y a pas de raison d'étendre la prothèse au site chirurgical où les tissus sont mobiles et non soutenus [38].
L'exploitation des zones en contre-dépouille, situées au-dessous de la ligne oblique interne et au niveau des niches rétro-molaires du côté sain, est essentielle, car elles sont bien souvent les seuls éléments de stabilisation et de rétention [39]. En effet, lorsque la mobilité linguale est réduite suite à la chirurgie d'exérèse (glossectomie partielle, suture de la langue au vestibule...), la face linguale de la mandibule du côté sain est exploitable bien au-delà de la ligne mylo-hyoïdienne, le bord prothétique n'étant pas déstabilisé par le soulèvement de la langue ou du plancher buccal.
De plus, la présence de freins et brides cicatricielles est fréquente chez ces patients. Lorsqu'ils ne s'insèrent pas sur des hyperplasies muqueuses dépressibles ou sur des crêtes flottantes, la conservation et l'exploitation de ces éléments anatomiques peuvent constituer un apport de choix. Ils permettent d'améliorer la rétention et la stabilité prothétique, à condition que leurs limites fonctionnelles soient parfaitement enregistrées au stade des empreintes terminales [40] ( fig. 12a à c).
Les techniques classiques utilisant des pâtes thermoplastiques, type pâte de Kerr®, ne donnent que rarement des résultats d'une grande précision pour l'enregistrement du jeu fonctionnel des freins et des brides, en raison de la consistance et du comportement rhéologique du matériau. Au contraire, les propriétés thixotropiques des polyéthers peuvent expliquer la possibilité qu'ils ont d'adapter leur viscosité aux forces développées par la musculature paraprothétique. Cela justifie particulièrement leur usage en prothèse maxillo-faciale, au niveau des freins et des brides, lors de l'enregistrement du joint périphérique[40] (fig. 13). En effet, ces matériaux sont complètement chassés du bord du porte-empreinte lorsque celui-ci interfère avec le déplacement de la muqueuse périphérique. De plus, ils sont capables de combler les volumes déterminés par le jeu physiologique des freins et des brides sans être particulièrement soutenus par le porte-empreinte [41].
Lors du surfaçage de l'empreinte secondaire, la pâte oxyde de zinc-eugénol peut suppléer les déficiences du joint périphérique, grâce à son caractère mucostatique, ses propriétés hydrostatique et hydrophile, et sa capacité à mouler les volumes même sans être vraiment soutenue (ce qui n'est pas le cas des polysulfures). Cela permet, dans certaines situations, d'obtenir des résultats intéressants.
Les polysulfures, hydrophobes et très élastiques, sont particulièrement indiqués en cas d'hyposialie (fig. 14).
Enfin, les polyéthers permettent de meilleurs enregistrements en épaisseur par rapport à la pâte oxyde de zinc-eugénol (fig. 15).
Une autre approche, fondée sur le concept « de zone neutre » ou « d'espace prothétique », est décrite par plusieurs auteurs [9,12]. Elle consiste en l'enregistrement de l'activité fonctionnelle des tissus et des mouvements unilatéraux de la mandibule restante lors de l'occlusion. Le relief de l'extrados de la prothèse, reproduisant l'enregistrement effectué en bouche, joue un rôle complémentaire dans la rétention et la stabilité (fig. 16a et 16b). Les muscles ont des actions antagonistes et l'équilibre qui s'établit entre eux définit l'espace prothétique où seront positionnées les dents artificielles.
La diminution de l'ouverture buccale due à la rétraction des muscles masticateurs et à l'inefficacité des abaisseurs réduit l'espace de liberté nécessaire à la mastication. La réhabilitation prothétique, bien qu'améliorant l'esthétique, peut constituer une gêne à la mastication ou à l'élocution. C'est pourquoi, lors de l'enregistrement de la relation maxillo-mandibulaire, la dimension verticale d'occlusion est souvent volontairement sous-évaluée. Cela permet au patient de s'alimenter correctement [18] en abaissant le plan d'occlusion. Cela permet également de stabiliser la prothèse mandibulaire [43].
En cas de perte de substance mandibulaire interruptrice non reconstruite, la réhabilitation prothétique occlusale conserve l'occlusion de convenance qui s'est établie spontanément [44,45] (fig. 17). L'arcade mandibulaire se situe en dedans de l'arcade maxillaire, réduisant ainsi l'espace prothétique en largeur : un plan d'occlusion peut être assuré entre le secteur incisivo-canin mandibulaire et le palais [22].
L'enregistrement du rapport maxillo-mandibulaire, souvent délicat en raison de l'instabilité des bases d'occlusion, nécessite la confection de bases d'occlusion rigides. La position optimale d'occlusion n'est souvent acquise qu'après de nombreux essais.
Les dents postérieures peuvent être remplacées par un plan d'occlusion en résine pour pallier les variations de la position mandibulaire dans le plan horizontal [19]. Le rapport maxillo-mandibulaire peut être également enregistré de façon dynamique : la langue, dont la mobilité est fréquemment réduite, doit venir en contact avec le voile du palais pour permettre son action péristaltique lors de la première phase de la déglutition et pour faciliter l'articulation des sons lors de la phonation [15].
La position mandibulaire en occlusion de ces patients est très inconstante, il n'y a pas « une » mais « des » positions de la mandibule. La définition de la relation centrée ne peut s'appliquer dans ce cadre [27]. Une unique position mandibulaire reproductible est difficile à obtenir, ce qui entraîne d'importantes difficultés cliniques lors de l'enregistrement de la relation maxillo-mandibulaire et des équilibrations occlusales [46]. Dans certains cas, l'enregistrement de 2 positions extrêmes fournit à la mandibule une échelle de contacts occlusaux possibles entre ces 2 positions. L'équilibration occlusale primaire est alors réalisée au laboratoire, sur articulateur.
Il est possible de limiter les conséquences de la perte de substance mandibulaire par des techniques conventionnelles de kinésithérapie, associées à de la mécanothérapie. Dans le cadre de la kinésithérapie des hémi-résections mandibulaires, les troubles rencontrés sont récupérables surtout s'ils sont traités précocement et immédiatement après l'intervention chirurgicale [47].
Lorsque la perte de substance interruptrice de la mandibule a été compensée dans de bonnes conditions, l'occlusion « normale » s'établit spontanément et la rééducation aura pour objectif de maintenir le jeu articulaire et la bonne tonicité de la musculature.
Quand la reconstruction chirurgicale mandibulaire n'a pu être réalisée, l'importance de la perte de substance détermine le préjudice fonctionnel et esthétique. La kinésithérapie compensera au mieux la rupture des équilibres osseux, dentaires et neuromusculaires, en luttant contre la latéro-déviation mandibulaire du côté réséqué et en s'opposant au recul mandibulaire.
En l'absence de reconstruction mandibulaire, l'occlusion enregistrée est en général l'occlusion de convenance [44], car le maintien avec une prothèse complète des rapports normaux entre les arcades maxillaire et mandibulaire paraît illusoire [22] (fig. 18a et 18b). Par ailleurs, la conservation d'une occlusion normale n'est pas souhaitable, car la pression unilatérale de l'hémi-arcade mandibulaire a pour effet de déséquilibrer la prothèse complète maxillaire. Il est préférable que la prothèse mandibulaire vienne en occlusion avec la prothèse maxillaire sur une surface masticatoire située dans la partie moyenne et antérieure de la plaque palatine. La pression masticatoire s'effectue au centre de la prothèse et évite le déséquilibre. Les rapports de crêtes nécessitent souvent un montage en classe II, avec un surplomb important à gérer (fig. 19a à 19c. L'utilisation de dents postérieures anatomiques qui n'admettent qu'une seule position d'intercuspidie maximale n'est pas souhaitable, lorsque le rapport maxillo-mandibulaire est instable [38]. Dans ce cas, les dents prothétiques en résine seront choisies plus plates, à faible pente cuspidienne [48], avec une large surface occlusale [19,43] pour s'adapter aux mouvements erratiques de la mandibule. Le rétablissement de la courbe de Spee et de la sphère de Monson n'est pas indispensable [49].
Au contraire, dans les cas de mandibulectomies reconstruites, les rapports maxillo-mandibulaires se rapprochent de la normalité. Les concepts d'occlusion bilatéralement équilibrée, généralisée ou non, doivent alors s'appliquer dans la mesure du possible, en évitant toutefois toute surcharge au niveau des tissus fragiles [22] (zone de greffe).
En cas de perte de substance mandibulaire, reconstruite ou non, les patients présentent souvent une fragilité tissulaire, notamment au niveau des zones de greffes, et une crête résiduelle qui peut être irrégulière, entraînant une mauvaise répartition des pressions. Des tissus de comblement non muqueux en excès et non adhérents à l'os sous-jacent rendent le port de la prothèse complète mandibulaire difficile, voire insupportable pour le patient. Alors que l'emploi de résines polymérisées à chaud en milieu humide présente les meilleures qualités, l'utilisation de bases souples, dans certains cas, peut rendre service. Ces matériaux permettent de réaliser un amortisseur des contraintes et ainsi d'apporter une meilleure tolérance de la prothèse complète mandibulaire et du confort, en ménageant les tissus de soutien [50] (fig. 20a à 20c.
La mise en place de ces bases souples est réalisée soit de manière directe au fauteuil, soit de manière indirecte au laboratoire de prothèse.
Cependant, ces bases souples ont une durée de vie limitée et doivent être changées régulièrement [25]. En effet, la cohésion entre la résine dure et la base souple est souvent de qualité moyenne, les réinfiltrations sont rapides, et la porosité des matériaux employés entraîne une colonisation microbienne importante. Dans tous les cas, le protocole du fabricant doit être rigoureusement respecté, et un polissage soigneux est nécessaire. Le patient doit impérativement suivre des règles d'hygiène strictes, et les visites de contrôle sont indispensables.
Lorsque la réalisation de prothèses conventionnelles ne peut donner des résultats esthétiques et fonctionnels satisfaisants, la mise en place d'implants associée à des techniques de reconstruction microchirurgicale permet d'améliorer la rétention et la stabilité de la prothèse amovible complète mandibulaire [51, 52, 53, 54et 55], par l'intermédiaire de moyens de rétention secondaire tels que les attachements sphériques ou les barres de connexion [56, 57et 58]. Le choix des connexions se fait en fonction du parallélisme des implants, de leur position sur l'arcade et de leur axe par rapport au plan d'occlusion [59].
Pour certains auteurs, l'implantologie ne serait plus contre-indiquée en milieu irradié [60,61], même si la perte d'implants est supérieure chez ces patients [62]. Malgré ces résultats encourageants, la prudence est de rigueur en raison de la possibilité de survenue d'ostéite postradique et de ses conséquences désastreuses. Le mécanisme exact de l'atteinte osseuse suite aux radiations demeure mal connu, et les études restent difficilement comparables du fait des différences de protocole et des doses totales mises en jeu.
Aujourd'hui, peu de patients sont candidats à une réhabilitation prothétique sur implants, en raison des difficultés techniques, du pronostic de la maladie et du coût élevé [63,64].
La prise en charge des pertes de substance interruptrices acquises de la mandibule demeure complexe. Aujourd'hui, les objectifs de traitement s'étendent bien au-delà du simple remplacement du segment osseux [11]. La restauration des fonctions de mastication, de déglutition, de respiration et de phonation ainsi que l'amélioration de la qualité de vie, sont des buts à atteindre. Le traitement de choix consiste actuellement en une reconstruction chirurgicale par transplants osseux libres revascularisés qui permet de rétablir une anatomie aussi proche de la normale que possible [65]. Pour améliorer les fonctions et l'esthétique du visage, cette reconstruction est suivie d'une réhabilitation prothétique dentaire. C'est au sein d'une équipe multidisciplinaire que l'odontologiste doit agir en étroite collaboration avec les autres disciplines médico-chirurgicales [1]. Pour cela, les membres de ces disciplines doivent être sensibilisés à l'action de l'odontologiste et doivent intégrer la nécessité d'une consultation odontologique préalable au traitement. Ainsi, la coopération entre les différents intervenants est essentielle, car elle assure au patient la meilleure prise en charge [66]. Une reconstruction chirurgicale mandibulaire bien conduite, associée à des traitements complémentaires tels que la kinésithérapie maxillo-faciale, permet de réaliser la réhabilitation prothétique buccale dans de bonnes conditions.
La réhabilitation prothétique dentaire devrait être envisagée systématiquement, et dès le début de la prise en charge globale du patient. Le plus souvent, le chirurgien-dentiste est amené à réaliser des prothèses amovibles. Cependant, de multiples facteurs tels que des contraintes anatomiques, une limitation de l'ouverture buccale ou une absence de salive, compliquent fréquemment le traitement prothétique. Chaque étape clinique de la réalisation de la prothèse amovible doit s'adapter aux conditions particulières du patient traité, sans qu'une solution donnée soit généralisable à tous les patients. La stabilisation de la prothèse complète mandibulaire repose alors sur l'exploitation maximale des organes périphériques, des modifications anatomiques postchirurgicales, et sur l'équilibration finale du montage des dents prothétiques.
Les progrès de l'implantologie orale ont permis de surmonter les problèmes de rétention et de stabilité des prothèses dans de nombreux cas, mais certaines questions subsistent, notamment celles concernant la mise en place d'implants en milieu irradié (avec les risques d'ostéite postradique que cela comporte) ou sur leur biomécanique dans des segments osseux reconstruits.