Exploration fonctionnelle des articulations temporo-mandibulaires - Cahiers de Prothèse n° 139 du 01/09/2007
 

Les cahiers de prothèse n° 139 du 01/09/2007

 

ARTICULATION TEMPORO-MANDIBULAIRE (ATM)

Caroline Thual *   Klervi Courtieu **   Alain Hoornaert ***  


* Interne
** Assistante hospitalo-universitaire
*** MCU-PH

Résumé

Arcus Digma® (Kavo) est un outil de mesure de la cinématique mandibulaire qui permet de réaliser l'exploration fonctionnelle de l'articulation temporo-mandibulaire en modélisant en 3D la cinématique condylienne lors des mouvements fondamentaux et fonctionnels. Grâce à un concept innovant utilisant des ultrasons, les procédures d'enregistrement sont simplifiées : pas de plan de référence, pas de recherche de l'axe charnière. L'objectif de cet article est d'illustrer la forme des tracés obtenus pour des grades I, II, III ou IV de la classification de Giraudeau et al. [8] lors de l'analyse fonctionnelle de la cinématique mandibulaire. Il compare également les tracés enregistrés avec l'Arcus Digma® chez des patients présentant des articulations saines et ceux présentant des pathologies.

Summary

Functional exploration of temporomandibular joints: Arcus Digma®'s advantages

Arcus Digma® (Kavo) is a tool for measuring the mandibular kinematic which allows a functional exploration of the temporomandibular joint in representing in 3D the condylar kinematic during the fundamental and funtional moves. Thanks to an innovating process using ultrasonics, the recording procedure is simplified: no need for a reference plane, no search for a hinge axis. This article aims at showing the shape of the obtained lines for I, II, III or IV grades defined by Giraudeau et al.'s classification [8] during the functional analysis of the mandibular kinematic. It also compares the lines recorded with Arcus Digma® on patients with healthy joints and those with pathologies.

Key words

axiography, dysfunctions, mandibular kinematic, normal mandibular mobility.

L'axiographie est un examen fonctionnel de l'articulation temporo-mandibulaire (ATM) permettant d'objectiver la cinématique condylienne, d'établir des hypothèses sur l'état de cette ATM et de calculer les valeurs de programmation des articulateurs. Ce moyen diagnostique mécanique est peu utilisé par les chirurgiens-dentistes du fait d'une procédure d'enregistrement longue et fastidieuse.

Actuellement, ces procédés sont optimisés par des systèmes assistés par ordinateur. Différents programmes informatiques sont utilisés : Cadiax® (Gamma), Axiotron® (SAM) et récemment Arcus Digma® (Kavo).

L'Arcus Digma® est un outil de mesure de la cinématique mandibulaire [1] qui permet : l'exploration fonctionnelle de l'articulation temporo-mandibulaire, la visualisation en 3 dimensions de la cinématique condylienne lors des mouvements fondamentaux et fonctionnels, l'aide au diagnostic des dysfonctionnements de l'appareil manducateur, la localisation du point cinématique et le calcul des valeurs de programmation des articulateurs Kavo Prothe Plus® [2,3].

Le point cinématique est défini par la concordance entre les trajets d'ouverture et de propulsion, c'est-à-dire le point qui se trouve à l'endroit où les tracés des mouvements de propulsion et d'ouverture mandibulaire sont confondus.

Les protocoles d'enregistrement sont simplifiés, allégés, ce qui permet de gagner du temps lors de l'enregistrement et de l'analyse des données par rapport à l'axiographie mécanique.

Mode de fonctionnement

Le fonctionnement de l'Arcus Digma® [1] s'explique par le principe physique qui concerne la cinématique d'un solide d'une part, et l'utilisation des ultrasons et de la modification de la longueur d'onde émise par une source lors de son déplacement (effet Doppler) d'autre part.

Principe physique [1]

Le mouvement d'un solide est défini par la trajectoire de 3 points non colinéaires de ce solide. Si on considère la mandibule comme un solide indéformable, son mouvement peut être défini selon ce principe. Il n'est pas nécessaire que ces points soient les condyles mandibulaires. La recherche de l'axe charnière est de ce fait inutile.

Utilisation des ultrasons [1]

L'Arcus Digma® utilise les ultrasons qui passent d'un transmetteur (mobile) à un récepteur (fixe). Le transmetteur fixé à la mandibule par l'intermédiaire d'un arc mandibulaire possède 3 points d'émission d'ultrasons. Le récepteur fixé à la boîte crânienne à l'aide d'une armature péri-crânienne réceptionne les ultrasons émis par l'émetteur au niveau de 4 points. L'Arcus Digma® analyse donc 12 tracés de mesures 50 fois par seconde avec une fréquence de 40 Hz. Grâce à l'effet Doppler, il peut modéliser le mouvement mandibulaire.

Le mouvement mandibulaire analysé est restitué au niveau des points cinématiques des ATM droite et gauche et du point interincisif. Il est directement visible dans les 3 plans de l'espace (fig. 1) sur l'unité de contrôle au moment de l'enregistrement. Après enregistrement, les tracés obtenus peuvent être regardés dans le logiciel Arcus_PC® qui permet aussi une visualisation en 3D.

L'unité de commande permet de sélectionner 3 modes de fonctionnement différents :

- le mode analyse de fonctions décrit plus amplement ci-dessous ;

- le mode programmation de l'articulateur pour le réglage des boîtiers condyliens des articulateurs ;

- le mode EPA qui permet de comparer la position articulaire lors de différents enregistrements de l'occlusion entre eux ou par rapport à une position mandibulaire en relation centrée.

Protocole d'enregistrement

Le protocole d'enregistrement décrit ci-dessous, concerne l'exploitation proprement dite du mode « Function Analysis ». Pour utiliser ce mode, il faut tout d'abord le sélectionner sur l'écran de contrôle de l'appareil. Puis, on positionne successivement le maxillaire, puis la mandibule dans l'espace.

On place l'armature péri-crânienne avec le récepteur sur la tête du patient (fig. 2) et l'ensemble « fourchette occlusale-transmetteur » au maxillaire avec un matériau à empreinte du type silicone pour l'enregistrement de l'occlusion.

Dans la séquence « model position », on valide l'étape « upper jaw ».

L'Arcus Digma® enregistre la position du maxillaire, ce qui fixe sa position dans l'espace.

La fourchette occlusale est remplacée par l'arc mandibulaire sur lequel on place le transmetteur (fig. 3). Celui-ci est fixé sur les faces vestibulaires des dents mandibulaires grâce à une résine de type composite bis-acrylique, pour éviter tout échauffement de la gencive ou sensibilité dentaire. La position de l'arc doit permettre l'occlusion d'intercuspidie maximale et les mouvements de diduction et propulsion sans interférence. L'émetteur et le capteur doivent être les plus parallèles possible.

Toujours dans la séquence « model position », on valide l'étape « lower jaw » en demandant au patient de se mettre en position d'intercuspidie maximale. Cette nouvelle position est enregistrée.

Une fois ces 2 étapes réalisées, l'Arcus Digma® détermine les points cinématiques droit et gauche [3, 4et 5] : étape préalable indispensable pour effectuer l'analyse fonctionnelle de la cinématique mandibulaire.

D'après Yatabe [6], le point cinématique permet d'obtenir de meilleurs résultats d'un point de vue diagnostique (du fait d'une réciprocité des mouvements condyliens droit et gauche) : il n'entraîne pas de risque de « faux diagnostic » contrairement à l'axe charnière où le mouvement physiologique peut être confondu avec le mouvement pathologique, le point cinématique ayant une orientation antéro-supérieure à l'axe charnière.

Après enregistrement du point cinématique, l'analyse fonctionnelle de la cinématique mandibulaire [7] peut être entreprise à partir de plusieurs mouvements demandés comme suit :

- 3 mouvements d'abaissement/élévation (fig. 4) ;

- 3 mouvements de propulsion/rétropulsion (fig. 5) ;

- 1 mouvement de diduction droite (fig. 6) ;

- 1 Posselt sagittal (fig. 7) ;

- 1 Posselt frontal (fig. 8) ;

- 1 arc gothique (fig. 9).

Il est possible d'enregistrer quelques mouvements complémentaires. Pour cette étude, nous avons choisi : une diduction gauche, une ouverture simple ainsi qu'une propulsion simple.

Tracés normaux

Les tracés correspondant aux figures 4 à 11 illustrent ceux obtenus chez des sujets à mobilité mandibulaire normale. Les tracés représentés en vert correspondent au condyle droit et les tracés rouges au condyle gauche ; en jaune, les tracés incisifs.

À partir de ces tracés effectués chez des sujets dont la mobilité mandibulaire est normale et pour qui l'entretien clinique ne révèle pas d'antécédents de dysfonctionnement de l'appareil manducateur ou de traumatisme facial, nous pouvons définir un profil de tracé correspondant à une normalité articulaire prise au sens de modèle de référence et donc définir des critères idéaux : la cinématique mandibulaire est régulière, les condyles droit et gauche translatent de manière symétrique sans bruit, sans ressaut, sans limitation. Les tracés axiographiques montrent une translation condylienne régulière curviligne, des tracés d'aller et retour superposés (fig. 4).

Classification de A. Giraudeau et al.

Un rappel de la classification de A. Giraudeau et al. [8] s'avère nécessaire pour faire une corrélation par la suite avec l'analyse des tracés axiographiques et la mise en évidence des dysfonctionnements. Trouvant la terminologie classique inadéquate, A. Giraudeau et al. ont proposé des termes différents pour qualifier les stades des dérangements internes de l'articulation temporo-mandibulaire.

Selon ces auteurs, le terme de « déplacement » peut caractériser aussi bien un mouvement physiologique du disque qu'un mouvement pathologique et ne précise pas si celui-ci est accompagné ou non par le condyle. Les termes réductibles et irréductibles sont aussi considérés comme inadaptés, seule une vraie luxation pouvant être réduite. Les termes réversibles et irréversibles ne conviennent pas non plus, les phénomènes de métaplasie discale, d'étirements ou de déchirures ligamentaires accompagnant les dérangements intracapsulaires n'étant pas réversibles, même si, dans certaines phases de la cinématique mandibulaire, il peut y avoir un repositionnement condylo-discal transitoire. A. Giraudeau et al. proposent donc le terme de « désunion » condylo-discale, qui est plus adapté pour définir le dérangement intracapsulaire de l'ATM. Ainsi, une désunion condylo-discale comportant 4 grades peut être définie (le grade 0 correspondant à la normalité articulaire).

Grade I : désunion partielle avec réunion bouche ouverte

En occlusion d'intercuspidie maximale, la tête condylienne n'est plus en contact avec les bourrelets discaux, elle s'appuie uniquement contre le bourrelet postérieur. Le claquement est précoce, de faible intensité et sans déviation du dentalé, l'importance des signes étant fonction de l'amplitude de la désunion, de l'état neuromusculaire et de la laxité articulaire. Les tracés axiographiques sont subnormaux et l'examen d'imagerie par résonance magnétique montre qu'en occlusion d'intercuspidie maximale, la tête condylienne s'appuie uniquement contre le bourrelet postérieur du disque (fig. 12 et 13).

Grade II : désunion totale avec réunion bouche ouverte

En occlusion d'intercuspidie maximale, la tête condylienne est en arrière du disque (fig. 14 à 16). Le claquement est net, constant et réciproque ; il se produit toujours proche de l'OIM au retour. Il existe peu d'atteintes structurelles et d'inconforts fonctionnels lors des grades I et II.

Les tracés axiographiques montrent un ressaut bien distinct à l'aller et au retour toujours proches de l'OIM. L'imagerie par résonance magnétique montre qu'en occlusion d'intercuspidie maximale, le condyle est en arrière du disque et dans les phases d'ouvertures importantes, on observe une réunion condylo-discale.

Grade III : désunion totale sans réunion bouche ouverte

C'est une désunion condylo-discale pour laquelle il n'y a pas de réunion condylo-discale au cours de la cinématique mandibulaire. Des remaniements osseux et fibreux (adhérences) y sont souvent associés ainsi que des limitations fonctionnelles dans les phases inflammatoires. L'anamnèse révèle des antécédents de claquements et des épisodes de limitations des mouvements. Les tracés axiographiques montrent que l'amplitude des tracés d'ouverture est plus diminuée que celle de la propulsion et de la diduction. L'imagerie par résonance magnétique montre qu'en occlusion d'intercuspidie maximale le disque est en avant du condyle. On peut observer également des atteintes dégénératives évolutives des surfaces articulaires (fig. 17).

Grade IV : l'arthrose

Elle est définie par un remodelage important des structures articulaires suite à une atteinte dégénérative. La fonction est partiellement limitée et des crépitements nets sont diagnostiqués à la palpation articulaire. Les tracés axiographiques sont rectilignes du fait d'un aplatissement de la paroi postérieure de l'éminence articulaire et d'une amplitude très diminuée. L'imagerie par résonance magnétique montre que le complexe condylo-discal est désuni en occlusion d'intercuspidie maximale et en bouche ouverte. Le disque est atrophié ; la tête condylienne est aplatie et présente un ostéophyte antérieur et la paroi postérieure de l'éminence est complètement aplatie (fig. 18 et 19).

Le but de cette classification est d'être clairement comprise et partagée par un plus grand nombre de praticiens. Aussi, elle se veut principalement structurelle et comporte des catégories diagnostiques avec des signes cliniques suffisamment spécifiques pour un diagnostic précis. Le praticien est en effet confronté à l'aspect symptomatique et fonctionnel des dysfonctionnements de l'appareil manducateur.

Tracés anormaux

Après ce rappel de la classification de A. Giraudeau et al., indispensable pour comprendre et analyser la forme des tracés axiographiques, 5 situations cliniques sont illustrées.

Les enregistrements ont été réalisés chez un groupe de patients pris en charge dans la consultation du CSERD de Nantes pour distinguer, grâce à la forme des tracés axiographiques obtenus, les sujets à mobilité mandibulaire normale des sujets présentant un grade I, II, III ou IV.

Conclusion

Les tracés des 5 cas cliniques présentés à partir d'enregistrements effectués avec l'Arcus Digma® sont une illustration de l'intérêt de l'utilisation de cet outil dans le cadre de l'analyse fonctionnelle de la cinématique mandibulaire. Nous retrouvons les caractéristiques des tracés obtenus avec les autres types d'axiographes lors de situations pathologiques.

Ce dispositif est en outre facile à utiliser pour une pratique clinique quotidienne. Il se différencie ainsi des axiographes mécaniques et électroniques. Son analyse tridimensionnelle permet de repérer avec aisance un signe de dysfonctionnement de l'articulation temporo-mandibulaire.

L'Arcus Digma® ne se substitue pas à l'examen clinique indispensable au diagnostic des dysfonctionnements de l'appareil manducateur. Il se positionne comme un examen complémentaire simple, rapide et didactique dans l'arsenal thérapeutique de l'omnipraticien.

bibliographie

  • 1 Courtieu K.Étude de la reproductibilité d'un système de mesure de la cinématique mandibulaire Kavo Arcus Digma®. Thèse : doctorat en chirurgie dentaire Nantes, 2005.
  • 2 Giraudeau A, Laplanche O.Enregistrements des déplacements condyliens. In : Orthlieb JD, Brocard D, Schittly J, Manière-Ezvan, eds. Occlusodontie pratique. Paris : Éditions CdP, 2000:117-128.
  • 3 Hou Z, Feng H, Li G.Trace features of the mandibular condylar kinematic center during jaw protusive and open-closing movements in healthy subjects. Chin J Stomatol 2002;37(2):116-119.
  • 4 Hou Z, Feng H, Zheng Z, Zhao Y.A study on relationship between the contour of articular eminence and traces of the condylar kinematic center and its application in TMD patients. Chin J Stomatol 2004;39(l):70-72.
  • 5 Morneburg T, Pröschel P.Predicted incidence of occlusal errors in centric closing around arbitrary axes. Int J Prosthodont 2002;15(4):358-364.
  • 6 Yatabe M, Zwijnenburg A, Megens CCEJ, Naeije M.The kinematic center: a reference for condylar movements. J Dent Res 1995;74-1644-1648.
  • 7 Duminil G, Mantout B.Mouvements mandibulaires. In : Orthlieb JD, Brocard D, Schittly J, Manière-Ezvan A, eds. Occlusodontie pratique. Paris : Éditions CdP, 2000:41-49.
  • 8 Giraudeau A, Orthlieb JD, Laplanche O, Mantout B, Cheynet F, Chossegros C, Sarrat P.Dérangements intracapsulaires de l'articulation temporo-mandibulaire : proposition de classification. Cah Prothèse 2001;114:51-61.

bibliographie complémentaire

  • Dupas PH.Diagnostic et traitement des dysfonctions cranio-mandibulaires. Paris : Éditions CdP, 2000.
  • Dupas PH, Nuyer G, Desmons S, Toulet F, Descamp F.Doit-on toujours se servir d'un axiographe ? Stratégie Prothet 2005;(5)2:51-56.
  • Giraudeau A.Intérêt des examens complémentaires dans le diagnostic des désunions condylo-discales. Pages du CNO. Inform Dent 1997;79(8):505-506.
  • Giraudeau A.La laxité temporo-mandibulaire. Inform Dent 1997;79(12):795-806.