La relation centrée myostabilisée - Cahiers de Prothèse n° 141 du 01/03/2008
 

Les cahiers de prothèse n° 141 du 01/03/2008

 

Occlusodontie

Jean-Daniel Orthlieb *   Jean-Philippe Ré **   Christophe Perez ***   Laurent Darmouni ****   Bernard Mantout *****   Gérald Gossin ******   Anne Giraudeau *******  


* PU-PH
** Chargé de cours
*** AHU
**** Attaché d’enseignement
***** Chargé de cours
****** Chargé de cours
******* MCU-PH
********Faculté de chirurgie dentaire de Marseille Unité d’occlusodontologie 27, boulevard Jean-Moulin 13385 Marseille cedex 5

Résumé

Avec Slavicek et Okeson, le concept de la relation centrée est modernisé en comprenant mieux le rôle de chaque structure articulaire. Les structures osseuses créent le cadre global permettant à la fois la stabilité et le mouvement. Mais ce n’est qu’un cadre, une arène très ouverte en ce qui concerne l’ATM : beaucoup de mouvements autorisés donc peu de stabilité articulaire. La clé de la relation centrée est donc musculaire. Les ligaments ne sont pas élastiques, ils n’assurent pas la coaptation. Ils constituent des limites (comme des amarres) aux déplacements en en autorisant d’autres par défaut. La loi de Sicher énonce que dans toutes les articulations, les os qui y participent sont maintenus en contact articulaire étroit par les muscles qui animent l’articulation. Le concept de manipulation mandibulaire vers l’arrière, issu des heures glorieuses de l’école gnathologique, a été remplacé depuis les années 1980 (consensus de Newport aux États-Unis et congrès du CNO de Toulouse) par la recherche d’une coaptation en position haute. Le concept d’une inhibition totale des muscles du patient est rapidement apparu comme utopique, une activité musculaire de maintien postural étant toujours effective. Ainsi est apparue la recherche d’une coaptation condylo-disco-temporale haute, mais vers l’avant, par une pression sous-angulo-mandibulaire, objectif de la manœuvre de Dawson. Cette manipulation présente de nombreux inconvénients. Forte du concept de la relation centrée myostabilisée, la manipulation mandibulaire en relation centrée devient alors uniquement incitative, il s’agit en fait d’un simple accompagnement mandibulaire en demandant au patient de réaliser lui-même, lentement, quelques petits mouvements d’abaissement-élévation (environ 1 cm d’amplitude au niveau incisif approchant sans atteindre le contact occlusal). Par ses perceptions digitales, le praticien vérifie l’homogénéité du mouvement de simple rotation caractérisé par l’absence de crispations (oscillations verticales) et de translation (oscillations sagittales). C’est le patient lui-même, en activant son propre mouvement de fermeture, qui assure la coaptation correcte de son ensemble condylo-discal en haut, le long du tubercule articulaire. L’appui cervical, la stabilisation mandibulaire par le contrôle mentonnier, l’information globale du patient par les explications, la répétition de l’exercice et l’information périphérique par l’engrammation de la localisation du contact prématuré sont autant de paramètres qui facilitent l’obtention de la relation centrée.

Summary

Myostabilized centric relation : a simple, physiological and consensual concept

After Slavicek and Okeson, the concept of centric relation has been modernized by understanding better the role of each articular structure. The osseous structures create the overall framework allowing both stability and movement. But this is only a framework, a very open arena with regard to the TMJ : many allowed movements, thus little articular stability. A part of the key to the centric relation is thus muscular. The ligaments are not elastic, they do not guarantee coaptation. They are limits (like mooring ropes) to displacements while authorizing others by defect. Sicher’s law states that in all the joints, the relevant bones are maintained in close articular contact by muscles that animate the joint. The concept of backwards mandibular handling, resulting from the glorious hours of the Gnathologic School has been replaced since the Eighties (consensus of Newport in the United States and congress of the CNO of Toulouse) by research of a coaptation in high position. The concept of a total inhibition of the patient muscles quickly became utopian, a muscular activity of postural maintenance being always effective. Thus research of a high condylar-disk-temporal coaptation appeared, though forwards, by a sub-mandibular pressure ; which is sought for by the Dawson manoeuvre. This handling shows many disadvantages. With this guarantee of the myostabilized centric relation concept, handling mandibular in centric relation becomes only inciting, it is actually a simple mandibular accompaniment while the patient is required to do, himself, slowly, some small up and down movements (approximately 1 cm of amplitude at incisor level without reaching the occlusal contact). By his digital perceptions, the practitioner checks the homogeneity of the simple rotation movement characterized by the absence of contractions (vertical oscillations), and of translation (sagittal oscillations). It is the patient himself, by activating his own closing movement, which ensures the correct coaptation whole condylar-disk top along the articular tuber. Cervical support, mandibular stabilization by controlling chin, global information of the patient by the explanations, repetition of the exercise, peripheral information by engrammation of the premature contact localization, are as many parameters which help to obtain the centric relation.

Key words

anterior deprogramming appliance, bite registration, condylar position, interocclusal registration, occlusion, TMJ centric relation

Si l’occlusion d’intercuspidie maximale (OIM) constitue la position occlusale de référence, la relation centrée (RC) constitue la position articulaire de référence. Le concept de relation centrée, utilisé en dentisterie depuis 1 siècle, représente un élément clé de la pratique clinique quotidienne du fait de la nécessité de disposer d’une position mandibulaire de référence indépendante des dents, mais il ne fait pas l’objet d’un consensus. Depuis des générations, de nombreuses écoles, enfermées dans leurs certitudes, se déchirent autour du concept de position de référence non dentaire : relation centrée, relation myocentrée, position mandibulaire « énergétique », etc. Ces querelles sont stériles, elles naissent surtout de méconnaissances élevant des murs d’incompréhension. Chacune de ces conceptions possède vraisemblablement une part de vérité. Il y a 25 ans, Rudolf Slavicek [1] écrivait : « Pour un nombre non négligeable de praticiens, les diverses thèses proposées ont engendré confusion, incertitude et finalement résignation au lieu de la clarté et du pragmatisme attendus. »

Pour Okeson, « la position articulaire orthopédiquement stable » est obtenue lorsque les condyles sont dans leur position la plus supéro-antérieure dans la fosse articulaire ; elle est dite musculo-squelettiquement stable [2].

Sans prétendre à une connaissance universelle, une analyse objective, fondée sur les principes élémentaires de l’anatomie, de la physiologie et de la biomécanique, doit permettre de proposer un concept fédérateur par sa logique et sa simplicité de mise en œuvre. C’est l’objectif de cet article. Les auteurs fondent leur théorie sur leur expérience clinique et sur des arguments scientifiques faiblement validés : il s’agit donc d’un article d’opinion.

Position de référence indépendante des dents

Il existe un consensus : pour le chirurgien-dentiste, la notion de position mandibulaire de référence indépendante des dents est incontournable.

Par définition, une position de référence doit être reproductible. Cela signifie que l’on doit pouvoir retrouver exactement le même rapport maxillo-mandibulaire à différents moments, que ce soit cliniquement ou à l’aide des moulages des arcades dentaires. Chez le sujet denté, sans malocclusion majeure, la position mandibulaire dictée par l’OIM fournit une position mandibulaire stable, toujours la même, généralement indépendante des tensions musculaires. Elle correspond donc exactement au critère de reproductibilité que l’on attend d’une position de référence. Mais, pour tous les acteurs de la sphère odontologique, il est indispensable de disposer d’une position mandibulaire de référence indépendante des dents : soit parce qu’elles sont absentes, soit pour évaluer la qualité de la relation maxillo-mandibulaire que ces dents induisent.

Une position mandibulaire de référence a les caractéristiques suivantes. Elle est :

– non dentaire, c’est-à-dire indépendante de l’occlusion ;

– physiologiquement acceptable ;

– techniquement enregistrable ;

– reproductible en clinique ou au laboratoire.

Histoire de la relation centrée

La recherche d’une position mandibulaire de référence ne date pas d’hier. Elle est passée d’une simple relation osseuse condyle-fosse à des repères anatomophysiologiques plus élaborés.

En 1905, pour Campion [3], la rotation mandibulaire « pure » est possible jusqu’à 20 mm d’ouverture au niveau incisif.

En 1929, Gysi [4] constate que l’apex de son arc gothique représente la position mandibulaire la plus reculée non forcée, position de départ reproductible, physiologique, des mouvements mandibulaires.

En 1930, fondée sur l’observation de crânes secs, la première définition est donnée par la National Society of Denture Prosthetics : « En position de relation centrée, quand les têtes condyliennes sont dans une position la plus postérieure et que des mouvements de latéralisation sont encore possibles. »

En 1952, Posselt [5] définit la RC comme la position limite des mouvements mandibulaires. Il confirme, à partir de la RC, le mouvement de rotation « pure » : le mouvement axial terminal.

En 1971, Saizar [6] introduit la théorie discale et, pour Farrar [7], la RC est la position la plus haute des condyles pour laquelle un mouvement charnière peut être enregistré « sans dérangement discal ».

En 1973, Lundeen [8] parle de « powercentric » impliquant la mise en tension du système musculaire.

En 1978, Moffet [9], au cours du symposium de Chicago, évoque une position mandibulaire limite la plus reculée, l’appui ligamentaire assurant la reproductibilité.

En mars 1984, au symposium de Newport, des notions biologiques, histologiques, physiologiques et anatomiques sont intégrées au concept : « La RC n’est pas la position la plus reculée, il doit y avoir interposition discale, il s’agit d’une position non forcée. »

En même temps, en mars 1984 à Toulouse, le premier congrès du Collège national d’occlusodontologie (CNO) énonce : « La RC correspond à la situation de coaptation condylo-disco-temporale haute, simultanée, enregistrable à partir d’un mouvement de rotation, obtenue par guidage non forcé. » En 2001, il affine la définition dans son lexique : « La RC correspond à la situation condylienne de référence correspondant à une coaptation condylo-disco-temporale haute, simultanée, obtenue par contrôle non forcé. Elle est réitérative dans un temps donné et pour une posture corporelle donnée et enregistrable à partir d’un mouvement de rotation mandibulaire. »

Parallèlement, une école dite myocentrée, sous l’impulsion de Jankelson [10], s’est opposée au concept de la relation articulaire de référence. En France, l’école dite fonctionnaliste, représentée principalement par Jeanmonod [11] puis Abjean [12], adopte une relation musculaire comme référence, nommée « relation habituelle de fonction ».

Positions mandibulaires

Les positions mandibulaires déterminées uniquement par les muscles sont instables, donc non reproductibles.

Depuis les années 1980, de nombreux travaux montrent que toutes les positions mandibulaires maintenues par le simple jeu musculaire (sans appui dentaire ou squelettique) se caractérisent par leur absence de reproductibilité. Il est donc contre-indiqué de les rechercher comme position de référence. La posture de repos et la posture d’activité électromyographique minimale sont instables. Rugh et Drago, en 1981 [13], ont montré que la position de repos induite par stimulation électrique transcutanée (myomonitor) différait de la position de repos clinique, les deux n’étant pas reproductibles. Les techniques d’électrostimulation (TENS) aboutissent, de manière non reproductible, à une position souvent plus antérieure que l’OIM. La position obtenue ne peut être que dépendante de multiples variables liées à une stimulation indirecte de la masse musculaire (place des électrodes par exemple) [14]. La référence à la déglutition et à la phonétique est encore plus aléatoire. La panoplie des tests « énergétiques » semble montrer cliniquement une variabilité pour le moins fantaisiste ; nous n’avons pas connaissance d’expérimentation.

Si l’on exclut les appuis dentaires et que l’on considère les muscles comme incapables de stabiliser la mandibule de manière reproductible, il est donc nécessaire de confier ce rôle aux structures condyliennes. Il est indispensable de remarquer également que des tensions musculaires peuvent largement perturber cette stabilisation condylienne.

Mouvement axial terminal

Le mouvement axial terminal (rotation) est providentiel.

L’articulation temporo-mandibulaire (ATM) a une double capacité de rotation et de translation. Ces deux mouvements élémentaires se combinent systématiquement dans tous les mouvements spontanés [15]. Mais depuis Campion en 1905 [16], on sait qu’il existe une possibilité anatomique de stabilisation des 2 condyles mandibulaires qui autorise un simple mouvement de rotation dite pure, c’est-à-dire en l’absence de translation combinée [16, 17]. Ce mouvement de rotation est appelé mouvement axial terminal, il n’est possible que sur une plage d’environ 10° [18, 19], ce qui correspond à environ 10 à 15 mm d’ouverture au niveau des incisives. Ce mouvement n’est possible que lorsque l’axe bicondylien est parfaitement stable. Appelé alors axe charnière, il est en position dite de relation centrée. McCollum et Stuart ont montré que cet axe pouvait être localisé de manière précise [20]. Celenza [21] considère cette rotation comme la « providence du chirurgien-dentiste » car elle donne une position mandibulaire stable, donc reproductible, tout en permettant l’abaissement et l’élévation mandibulaire, ce qui autorise son enregistrement. Ainsi, la mandibule peut être en relation centrée alors que les dents sont plus ou moins séparées.

Stabilité condylienne

La reproductibilité de la position mandibulaire signifie stabilité condylienne.

C’est la stabilité de la situation condylienne, à droite et à gauche, qui permet la reproductibilité de la position mandibulaire. Cette stabilité condylienne en relation centrée est-elle musculaire, osseuse, ligamentaire, musculaire ? Les condyles doivent s’appuyer sur des structures anatomiques peu déformables, non mobiles, pour permettre une position stable. C’est bien là le problème des références musculaires qui ne peuvent constituer des structures garantissant à elles seules cette stabilité.

Stabilisation osseuse

Pour Stuart [22], la stabilité correspondait à un calage osseux (fig. 1 et 2). Ce concept a abouti à la notion de position condylienne la plus reculée, enchâssée au fond de la fosse mandibulaire (fig. 3 et 4 a et b).

Stabilisation ligamentaire

Pour Ramfjord et Ash [23], la stabilité était le résultat de la mise en tension ligamentaire, en particulier au niveau du puissant ligament latéral avec sa corde zygomato-mandibulaire [24]. Lauritzen [25] préconisait la manipulation dite en « tap-tap », destinée à inhiber le jeu musculaire du patient par la rapidité d’un mouvement mandibulaire répétitif entièrement réalisé par la main du praticien. Des études cliniques comparatives intra-individuelles ont montré la précision et la reproductibilité de cette technique, dite du push back [26, 27].

Okeson [28] remarque qu’une pression (même légère) vers l’arrière appliquée à la mandibule sépare le complexe condylo-discal du rebord postérieur du tubercule articulaire (alias éminence temporale), en particulier dans les articulations présentant une certaine laxité. Il souligne qu’en position condylienne la plus haute, il existe un certain jeu sagittal mais que seule la position antéro-supérieure est réellement stable, calée sur un point d’appui supérieur, antérieur.

Les ligaments empêchent la décoaptation, mais ne créent pas la coaptation articulaire.

De fait, les ligaments ne sont pas élastiques, ils n’assurent pas la coaption d’une articulation. Ils constituent des limites (comme des amarres) à certains déplacements en en autorisant d’autres par défaut. Naturellement, ces ligaments peuvent être plus ou moins lâches ou distendus par la fonction. La loi de Sicher, citée par Bell [29], énonce que dans toutes les articulations, les os y participant sont maintenus en contact articulaire étroit par les muscles animant cette articulation et non par les ligaments. En conséquence, en relation centrée, il doit y avoir coaptation condylo-disco-temporale pour garantir la stabilité, et cette coaptation est donc en partie musculaire.

Situation donnée par le praticien

Pour Dawson [30], la situation de la mandibule en RC, correspondant à un calage structurel transversal (sur les pôles condyliens médiaux), nécessite une pression verticale et en avant exercée par une manipulation bimanuelle du praticien. La stabilité mandibulaire transversale est anatomiquement confirmée par Zola [31], la reproductibilité de la manipulation (dans un nuage de points d’environ 1 mm de côté) est, entre autres auteurs, confirmée par McKee [32]. Malgré ses qualités de reproductibilité, cette manipulation présente des inconvénients majeurs de mise en œuvre :

– elle est directive voire coercitive, car ce sont les muscles du praticien qui sont activés pour positionner l’ensemble condylo-discal le long du tubercule articulaire ;

– elle a le désavantage de mobiliser les deux mains du praticien, nécessitant la présence d’une assistante pour marquer des contacts ou maintenir des supports d’enregistrement ;

– le praticien est placé derrière le patient, ce qui empêche tout contrôle visuel direct (fig. 5 et 6).

Situation donnée par le patient lui-même

Nous savons, depuis 1986 avec Bell [29] et depuis 1989 avec Okeson [28], qu’il est possible d’obtenir, naturellement, le résultat recherché par la manœuvre de Dawson. En effet, il existe un ensemble musculaire chargé d’amener physiologiquement la coaptation de l’ensemble condylo-discal le long du tubercule articulaire lors des mouvements de retour (fermeture, rétropulsion) [1]. Ce groupe musculaire est parfois dénommé appareil tenseur du disque [33]. Coiffant la partie antérieure de l’ensemble condylo-discal, cet ensemble est constitué des fibres respectivement du chef supérieur du muscle ptérygoïdien latéral, du muscle temporal et de la partie profonde du muscle masséter (fig. 7 et 8).

Bell disait que ce n’est pas au praticien de déterminer la position optimale du condyle dans une articulation saine, pas davantage aux rayons X ou aux stimulations électriques. C’est la physiologie qui la détermine par l’action musculaire complétée par le soutien ou la restriction ligamentaire [27]. Des expérimentations cliniques confirment la reproductibilité de cette position obtenue naturellement, sans influence des contacts occlusaux ni manipulation forcée [32].

La direction en éventail antérieur des forces générées par ces muscles stabilise sagittalement la position articulaire le long de l’éminence. Dans le plan transversal, la stabilité est accentuée par les pôles médiaux des 2 condyles, comme le faisait remarquer très justement Dawson. Okeson évoque une position musculo-squelettiquement stable [1]. Mais, pour cela, le chef inférieur du muscle ptérygoïdien latéral doit être inactif. Cette exigence constitue la nécessité et la difficulté de la manipulation en relation centrée.

Tout mouvement mandibulaire spontané du patient provoque inévitablement une activité propulsive du chef inférieur du muscle ptérygoïdien latéral. C’est la raison pour laquelle un individu ne peut se mettre en relation centrée tout seul et qu’une « manipulation » incitative est indispensable.

Obtenir cliniquement la relation centrée

Il s’agit d’une mise en confiance agissant, au niveau central, par des explications et, au niveau périphérique, par l’entraînement du mouvement et l’identification du contact prématuré (s’il existe).

Relâchement postural du patient

L’obtention clinique d’un mouvement axial terminal (rotation sans aucune translation) impose une diminution maximale de l’activité musculaire de maintien postural (cervical et mandibulaire). Il est indispensable que le patient dispose d’un appui cervico-occipital pour relâcher les muscles maintenant la posture de la tête. Lorsque le praticien maintient d’une main l’arcade dentaire maxillaire, il contribue nettement au relâchement des muscles cervicaux. La position de la tête du patient doit être dans le prolongement du corps, ni en extension ni en flexion. Pour faciliter le travail du praticien, le patient est assis sur un fauteuil incliné à environ 30°.

Le simple contact des doigts du praticien sur le menton induit également un relâchement des muscles gérant le maintien postural mandibulaire (fig. 9 a et 9 b, 10).

Information du patient

Préciser au patient quel est le but de la manœuvre et quels moyens seront mis en œuvre est un préalable à la manipulation. C’est la calme assurance du praticien, son langage simple, clair et doux qui inciteront à la mise en confiance :

– « Placez-vous dans la position, toutes les dents en contact » ;

– « Décollez légèrement les dents, c’est la position de repos » ;

– « Ouvrez légèrement (environ d’un doigt), refermez doucement en position de repos, sans venir en contact avec les dents » ;

– « Enchaînez 4 ou 5 fois ce petit mouvement d’ouverture-fermeture. »

Le praticien droitier maintient de sa main gauche la tête du patient par un appui digital (entre le pouce et l’index) au niveau des 2 canines maxillaires. De la main droite (entre le pouce et l’index), il crée un contact mentonnier léger et accompagne les mouvements mandibulaires du patient. C’est le patient qui réalise les mouvements, et non le praticien. La prise mentonnière a pour rôle de permettre au praticien de percevoir les éventuelles hésitations du mouvement qui signent l’absence d’un mouvement de rotation parfaitement « pur ».

Le patient doit identifier le contact prématuré :

– « Refermez doucement jusqu’au contact dentaire » ;

– « Montrez-moi de quel côté vous touchez en premier » ;

– « Plutôt devant, plutôt au fond ? Montrez-moi où. »

Dès ce moment, le mouvement mandibulaire est « éclairé ». Cette information proprioceptive dentaire aide considérablement au relâchement musculaire du patient. Pour être en complète confiance, celui-ci a besoin d’identifier la cible du mouvement de rotation, c’est-à-dire le contact en occlusion de relation centrée (ORC), dit contact prématuré. Il prend conscience de cette position (fig. 11).

C’est le patient qui réalise les mouvements d’abaissement-élévation, car ce sont ses muscles et non ceux du praticien qui créent la stabilité articulaire.

Le rôle du praticien reste indispensable pour créer et vérifier l’obtention des conditions favorables à la réalisation du mouvement axial terminal :

– amplitude de mouvement faible, 1 cm environ ;

– palpation mentonnière douce pour « sentir » toutes hésitations (crispations musculaires) et détecter toutes les propulsions ;

– le patient mobilise sa mandibule au commandement du praticien : « Ouvrez légèrement… Fermez doucement. »

L’indispensable validation

La manipulation en relation centrée restant toujours délicate, différentes étapes de validation sont nécessaires. Toujours assisté par le praticien, le patient devient capable de retrouver aisément cette position, de la conserver, pour permettre au praticien d’apprécier cliniquement le rapport occlusal global en RC et le trajet de la RC vers l’OIM. Le praticien marque ce contact en ORC avec un ruban marqueur (10 µm) et vérifie la reproductibilité de la marque. Si ce n’est pas le cas, la position mandibulaire en RC n’est pas stable.

L’ennemi de la manipulation en RC est le recrutement du muscle propulseur : le chef inférieur du muscle ptérygoïdien latéral. Le point de contact prématuré est repéré sur le schéma occlusal de la fiche du patient.

L’enregistrement de la position mandibulaire en RC est toujours à réaliser plusieurs fois (3 jeux de cire) pour valider au laboratoire la reproductibilité des positions enregistrées. La double base engrenée du moulage maxillaire monté en articulateur constitue un amplificateur d’erreur qui constituera un deuxième niveau de validation.

La troisième étape réside dans la comparaison de la localisation du contact prématuré obtenu sur l’articulateur et celui noté sur la fiche du patient.

Si ces trois étapes ne sont pas obtenues, cela signifie que le montage est faux ou que la situation musculo-articulaire perturbée interdit d’obtenir une RC stable.

En synthèse :

– première validation : reproductibilité clinique de la marque du contact prématuré ;

– deuxième validation : reproductibilité de plusieurs enregistrements contrôlés à l’aide de la double base engrenée ;

– troisième validation : reproductibilité de la localisation du contact en ORC sur articulateur ou en clinique.

Relation centrée instable

Instabilité articulaire et tensions musculaires créent une relation centrée instable. Le terrain mérite parfois d’être assaini. Tout d’abord, il existe parfois une très forte prématurité occlusale, concernant souvent une dent égressée, en malposition, créant une dysharmonie des courbes occlusales. Cette prématurité « d’évidence » doit être corrigée d’emblée, souvent par meulage ou extraction, avant de procéder à l’enregistrement de la RC (fig. 12).

Un état inflammatoire intra-articulaire ou péri-articulaire des tensions musculaires crée une activité permanente du chef inférieur du muscle ptérygoïdien latéral qui empêche la réalisation d’un mouvement de rotation homogène et interdit l’obtention d’une position de relation centrée. Si l’utilisation extemporanée d’une butée antérieure plate peut fréquemment relâcher les tensions musculaires, une thérapeutique initiale occlusodontique permet, dans bon nombre de cas, de retrouver des conditions pacifiées d’enregistrement.

Une relation centrée physiologique sous-entend, au sens strict, l’intégrité des deux ensembles condylo-discaux. Cependant, dans les cas de désunion condylo-discale chronique, il existe souvent une métaplasie tissulaire par fibrose de la zone rétro-discale et par aplatissement du bourrelet postérieur qui permet de recréer des conditions stables de fonction et d’obtention de la relation centrée. Toutefois, le praticien doit être conscient que les capacités d’absorption des contraintes de ces articulations sont vraisemblablement diminuées.

En l’absence de réelle articulation, comme dans une fracture condylienne, le praticien doit s’efforcer de trouver, suivant le même principe de manipulation que précédemment, un compromis entre recherche d’un centrage mandibulaire et stabilisation musculaire. Ce sont toujours des situations de compromis, dont l’instabilité intrinsèque est à compenser par un parfait calage occlusal.

Conclusion

Forte du concept de la relation centrée myostabilisée, la manipulation mandibulaire en relation centrée devient alors uniquement incitative, il s’agit en fait d’un simple accompagnement mandibulaire en demandant au patient de réaliser lui-même, lentement, quelques petits mouvements d’abaissement-élévation (environ 1 cm d’amplitude au niveau incisif approchant, sans l’atteindre, le contact occlusal).

Par ses perceptions digitales, le praticien vérifie l’homogénéité du mouvement de simple rotation caractérisé par l’absence de crispations (oscillations verticales) et de translation (oscillations sagittales). C’est le patient lui-même, en activant son propre mouvement de fermeture, qui assure la coaptation correcte de son ensemble condylo-discal en haut, le long du tubercule articulaire. L’appui cervical, la stabilisation mandibulaire par le contrôle mentonnier, l’information globale du patient par les explications, la répétition de l’exercice et l’information périphérique par l’engrammation de la localisation du contact prématuré sont autant de paramètres qui facilitent l’obtention de la relation centrée.

La relation centrée myostabilisée

• Position orthostatique du patient et du praticien

• Point d’appui cervical

• Stabilisation faciale et mandibulaire par le praticien

• Mouvement de rotation exécuté par le patient sous contrôle tactile du praticien

• Éducation du patient : perception du contact prématuré, mise en confiance

• Reproductibilité du mouvement de rotation sans translation (sensation tactile)

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