Étude électrochimique des alliages Ni-Cr utilisés en prothèse fixée - Cahiers de Prothèse n° 143 du 01/09/2008
 

Les cahiers de prothèse n° 143 du 01/09/2008

 

Matériaux

Anas Bennani*   Meriem Amine**   Soukayna Eladioui***  


*Professeur agrégé au service de
prothèse conjointe, CHU Ibn Rochd de Casablanca

12bis, rue Mausolé
Quartier des Hôpitaux
Casablanca
Maroc
**Résidente au service de prothèse
conjointe, CHU Ibn Rochd de Casablanca

Faculté de médecine dentaire
Rue Abou al alaa Zahar
Casablanca
Maroc
***Professeur et chef de
département de biophysique, Faculté de médecine
et de pharmacie de Casablanca

Rue Tarik Bnou Ziad
Casablanca
Maroc

Résumé

Le problème de la corrosion du Ni-Cr a été fortement débattu en raison des différences considérables observées dans le comportement électrochimique des alliages non précieux. L’objectif de cette étude est d’étudier les facteurs influençant le comportement électrochimique de l’alliage Ni-Cr en bouche, à savoir :

– le pourcentage en métal neuf et en métal récupéré ;

– le type et le degré de polissage ;

– le pH et la température de la solution ;

– la présence de 2 alliages de composition différente : le Ni-Cr et le Co-Cr.

Les résultats montrent qu’un alliage Ni-Cr présente un meilleur comportement buccal à condition de :

– utiliser un alliage ternaire Ni-Cr-Mo ;

– s’assurer que le pourcentage en alliage récupéré n’excède pas 25 % de la quantité d’alliage à couler ;

– polir avec une séquence codifiée de fraises et de meulettes assurant un très bon état de surface et permettant à la couche de passivation de se former correctement ;

– éviter le bimétallisme ;

– conseiller la diminution des prises alimentaires acides susceptibles de baisser le pH buccal et favoriser la corrosion de l’alliage ;

– éviter les changements brusques de température et surtout une augmentation de la température buccale.

Summary

Electrochemical behaviour of Ni-Cr alloys used in fixed prosthesis

The problem of the corrosion of Ni-Cr has been largely discussed because of the considerable differences noticed in the electrochemical behaviour of non-precious alloys. The objective of this article is to study factors influencing the electrochemical behaviour of the alloy Ni-Cr in the oral cavity, taking into consideration :

– the percentage out of brand new metal and reprocessed metal ;

– the type and the degree of polishing ;

– the pH and the temperature of the solution ;

– the presence of 2 alloys with different composition : Ni-Cr and Co-Cr.

The results show that an alloy Ni-Cr offers a better oral behaviour on condition that :

– a ternary alloy Ni-Cr-Mo is used ;

– the percentage out of reprocessed alloy does not exceed 25 % of the quantity of cast alloy ;

– a codified sequence of polishing burs and wheels is used in order to guarantee a perfect state of surface and allowing the passivation layer to take correct shape ;

– bimetallism is avoided ;

– the taking of acid food which are likely to lower the oral pH and enhance the corrosion of the alloy is reduced ;

– sudden temperature changes and especially an increase in the oral temperature are avoided.

Key words

bimettalism, casting procedure, chemistry, corrosion, non-precious alloy

En odontologie, les alliages précieux et semi-précieux ont été pendant longtemps les plus utilisés. Ils sont caractérisés par leur inertie chimique. Pour des raisons économiques et mécaniques, les alliages non précieux ont été introduits. Ces alliages, qui sont à base de nickel-chrome pour la prothèse fixée et à base de cobalt-chrome pour la prothèse amovible, doivent être biocompatibles, présenter une inertie chimique et électrochimique et permettre une mise en forme par coulée avec un niveau de précision comparable à celui des alliages précieux.

Le problème de la corrosion du Ni-Cr a été fortement débattu à cause des différences considérables observées dans le comportement électrochimique des alliages non précieux. Ce comportement électrochimique des alliages Ni-Cr dépend de leur composition et leur microstructure.

La résistance à la corrosion est obtenue principalement par des adjonctions massives de chrome et, dans une moindre mesure, de molybdène [1]. La structure intervient également sur le comportement électrochimique : les alliages multiphasés ont une tendance plus élevée à la corrosion [2, 3].

Le risque de corrosion augmente dans les cas de prothèse composite avec couplage du Ni-Cr et du Co-Cr. En effet, ce bimétallisme peut engendrer la formation d’une pile galvanique aboutissant à l’oxydation de l’alliage le moins noble (Ni-Cr). La littérature, très pauvre à ce sujet, rapporte une passivation entre les 2 alliages [4, 5].

L’objectif de ce travail est d’étudier les facteurs influençant le comportement électrochimique de l’alliage Ni-Cr en bouche, à savoir :

– le pourcentage en métal neuf et en métal récupéré ;

– le type et le degré de polissage ;

– le pH et la température de la solution ;

– la présence de 2 alliages de composition différente : le Ni-Cr et le Co-Cr.

Matériel et méthode

Matériel

Échantillons de l’étude

Cinq électrodes en Ni-Cr ont été préparées au laboratoire de prothèse. La composition de cet alliage donnée par le fabricant est la suivante : Ni : 74,8 % ; Cr : 12,7 % ; Mo : 9 % ; Be : 1,95 % ; Al : 2 % ; Co : 0,45 %.

Trois variables ont été respectées pour la réalisation de ces électrodes :

– 2 opérateurs différents ;

– composition différente de l’alliage (en % d’alliage neuf et d’alliage récupéré) ;

– 2 modes de polissage différents.

Les électrodes ont été numérotées de 1 à 5 :

– électrode 1 : 100 % alliage récupéré ;

– électrode 2 : 50 % alliage récupéré, 50 % alliage neuf ;

– électrode 3 : 25 % alliage récupéré, 75 % alliage neuf ;

– électrode 4 : 100 % alliage neuf, creuset neuf ;

– électrode 5 : 100 % alliage neuf.

Tous les échantillons ont été coulés sous forme d’un cylindre de 6 mm de diamètre et 40 mm de longueur.

Tous les cylindres ont été enrobés de résine, laissant une surface active moyenne de 0,28 cm2.

Deux procédés de polissage ont été adoptés :

– polissage à la fraise : effectué à main levée selon une chronologie bien établie par Kevser (cité par Grimonster et al., 1994 [6]) : sablage initial, surfaçage à la pointe montée dure, puis au disque de granulation moyenne, second sablage, polissage électrolytique, finition au caoutchouc dur, à la pierre ponce avec un cône de feutre, puis brillantage ;

– polissage au papier abrasif de granulométrie décroissante.

Après polissage, chaque échantillon a été rincé à l’acétone, puis passé au bain à ultrasons pendant 15 min. Ensuite, il a été rincé à l’eau distillée et trempé dans le milieu d’étude.

Milieux d’étude utilisés

Deux électrolytes différents ont été utilisés.

• Solution de Meyer

C’est une salive artificielle qui se rapproche de la salive naturelle avec un pH de 6,5 et dont la composition est la suivante :

– NaCl : 0,4 g/l

– KCl : 0,4 g/l

– CaCl2 H2O : 0,795 g/l

– Na2HPO4 H2O : 0,69 g/l

– Na2S 9H2O : 0,005 g/l

– Urée : 1 g

– Eau distillée : 1 l

• Solution de Ringer

Le deuxième milieu utilisé est la solution de Ringer avec un pH de 7,7 et dont la composition est :

– NaCl : 9 g/l

– KCl : 0,425 g/l

– CaCl2 6H2O : 0,24 g/l

– NaHCO3 : 0,2 g/l

– Eau distillée : 1 l

Le milieu buccal est un milieu variable où plusieurs paramètres interviennent : le pH, la température, le flux hydrodynamique… Ces différents paramètres ont été pris en compte dans cette étude :

• le pH : les pH étudiés vont du pH de la solution mère à un pH acide de 1,86.

Les solutions ont été acidifiées par ajout d’acide lactique (acide libéré par les bactéries de la cavité buccale).

Un pH compris entre 4 et 5 a aussi été étudié. Il correspond au pH des gels fluorés odontologiques commercialisés ;

• la température : deux températures différentes ont été utilisées :

– T = 37 °C : température corporelle ;

– T = 20 °C : cette température matérialise une prise alimentaire froide ;

• l’agitation : nous avons étudié l’influence de l’agitation du milieu sur le comportement électrochimique de l’alliage : stationnaire, 1 000, 2 000, 2 500, et 3 000 tours/min.

Méthodes expérimentales

L’analye électrochimique a été effectuée selon deux méthodes :

• l’évolution temporelle du potentiel à l’abandon : potentiométrie (fig. 1) ;

• l’évolution du courant en fonction du potentiel imposé : voltampérométrie (courbes de polarisation) (fig. 2).

Le montage comporte un ensemble compact comprenant un potentiostat, un générateur, une interface (Voltalab PGZ 402) et une cuve d’essai dans laquelle sont trempées 3 électrodes :

– 1 électrode de référence au calomel saturé en chlorure de potassium ;

– 1 électrode de travail ;

– 1 contre-électrode de platine, de surface au moins égale à l’échantillon étudié afin d’assurer une bonne répartition des lignes de courant.

L’ensemble est piloté par un système informatisé à l’aide du logiciel Voltamaster 4® (fig. 3).

Résultats

Étude électrochimique

Potentiel à l’abandon

L’étude du potentiel à l’abandon a concerné les électrodes 3 et 5 dont la composition en pourcentage d’alliage neuf et d’alliage récupéré est la plus utilisée en prothèse dentaire. Les résultats sont regroupés respectivement dans les tableaux I et II.

L’électrode 3 a été laissée pendant une semaine dans une solution de Ringer à pH = 7,9.

Le potentiel à l’abandon a été relevé à T0, T1 = 2 min, T2 = 5 min, T3 = 15 min, T4 = 30 min, T5 = 1 h et T6 = 1 semaine.

Dans la solution de Ringer, le potentiel à l’abandon de l’électrode 3 diminue de – 213 à – 237 mV après une heure d’immersion. Cependant, après une semaine, les potentiels sont très peu perturbés (autour de – 245 mV).

L’électrode 5 a été laissée pendant une semaine dans une solution de Meyer à pH = 6,5. Le potentiel à l’abandon a été relevé à T0, T1 = 2 min, T2 = 5 min, T3 = 15 min, T4 = 30 min, T5 = 1 h, et T6 = 1 semaine.

Dans la solution de Meyer, le potentiel à l’abandon de l’électrode 5 se stabilise autour de – 269 mV au bout d’une heure et ne descend pas au-dessous de – 288 mV. Après une semaine, aucune variation du potentiel n’a été enregistrée. Ce dernier reste stable autour de – 268 mV.

Voltampérométrie

Nous avons étudié respectivement l’influence du mode d’élaboration, du pH, du type de polissage, de la solution électrolytique, de l’agitation et de la température du milieu sur le comportement électrochimique de l’alliage Ni-Cr.

• Mode d’élaboration

Les 5 électrodes réalisées au laboratoire de prothèse ont des compositions différentes en fonction du pourcentage en métal neuf et en métal récupéré. Dans le tableau III, sont regroupés le potentiel, le courant de corrosion (i corr) et la résistance de polarisation (Rp) des 5 électrodes.

Un exemple des courbes de Tafel est représenté sur la figure 4.

Les électrodes 3 (75 % métal neuf et 25 % métal récupéré) et 5 (100 % métal neuf) ont été retenues pour la suite de l’étude électrochimique pour évaluer l’influence de certains paramètres (pH, polissage…) sur les propriétés électrochimiques du Ni-Cr qui les compose. Elles correspondent aux compositions les plus utilisées en prothèse.

• pH de la solution

Le pH buccal varie en fonction de plusieurs paramètres (le régime alimentaire, l’hygiène bucco-dentaire, le jour ou la nuit…). Ceci aura des répercussions différentes sur les alliages présents en bouche.

L’influence du pH sur la résistance à la corrosion des alliages Ni-Cr est donc étudiée. Le tableau IV résume l’évolution en fonction du pH, de E(i = 0), i corr et Rp de l’électrode 3 à 21 °C.

Le passage du pH de 7,76 à 1,86 entraîne une augmentation considérable du courant de corrosion, ce qui témoigne de la vulnérabilité de l’alliage Ni-Cr en milieu acide.

Le regroupement des tracés de Tafel illustre l’augmentation des courants de corrosion avec l’acidité du milieu.

À partir de ces résultats, on peut définir 3 groupes de pH selon la valeur de i corr et, par conséquent, la résistance à la corrosion :

• pH = 7,76 : un pH neutre où la valeur de corrosion est la plus faible et la résistance électrochimique plus importante ;

• pH = 4,84 : le courant de corrosion augmente sensiblement par rapport au pH précédent, mais reste à des valeurs faibles ;

• pH = 1,86 : ce pH très acide est très corrosif pour l’alliage Ni-Cr puisque le courant de corrosion atteint une valeur 25 fois plus grande que celle obtenue avec le pH neutre.

À la lumière des résultats obtenus avec l’électrode 3, nous avons jugé utile d’étudier le comportement électrochimique de l’électrode 5 à un pH neutre (pH = 7) et à un pH acide (pH = 2). Le tableau V résume l’évolution en fonction du pH, de E(i = 0), i corr et Rp de l’électrode 5 à 21 °C.

Le courant de corrosion augmente quand le pH passe de 7,70 à 2,26, ce qui témoigne de la vulnérabilité de l’alliage Ni-Cr en milieu acide.

Le regroupement des tracés de Tafel illustre l’augmentation des courants de corrosion avec l’acidité du milieu.

La différence entre les deux pH est beaucoup plus accentuée pour l’électrode 3. Ceci pourrait être expliqué soit par la différence de composition entre les 2 électrodes soit par la différence du mode de polissage utilisé (polissage papier pour l’électrode 3 et polissage fraise pour l’électrode 5). Nous allons donc essayer de vérifier cette deuxième hypothèse.

• Type de polissage

Nous avons étudié l’influence du type de polissage sur la résistance à la corrosion de l’alliage Ni-Cr à pH acide. Le tableau VI résume l’évolution, en fonction du mode de polissage, de E(i = 0), i corr et Rp de l’électrode 3 à 21 °C.

À pH acide, le courant de corrosion est plus faible avec un polissage fraise (mode de polissage adopté en prothèse dentaire) qu’avec un polissage papier. Le même résultat est obtenu avec l’électrode 5 dont les valeurs sont regroupées dans le tableau VII.

• Solution électrolytique

La concentration en chlorures de la solution est aussi un facteur qui peut influencer le comportement électrochimique des alliages Ni-Cr. À pH équivalent, l’électrode 3 présente un courant de corrosion plus important dans la solution de Ringer que dans la solution de Meyer (tabl. VIII).

• Agitation du milieu

Le tableau IX regroupe les résultats relatifs à l’évolution de i corr en fonction de l’agitation du milieu.

À 37 °C (température corporelle), en milieu stationnaire, l’électrode 3 présente un potentiel de corrosion à – 81 mV.

À 1 000 et 2 500 tours/min, le courant de corrosion varie peu par rapport au milieu stationnaire. Cependant, à 3 000 tours/min, on note une augmentation du courant de corrosion qui peut rendre l’alliage plus propice à la corrosion. Cette diminution de la résistance à la corrosion est favorisée par une accentuation du phénomène de diffusion et de transfert ionique dans la solution électrolytique.

• Température du milieu

Le tableau X regroupe les résultats relatifs à l’évolution de E(i = 0) et de i corr en fonction de la température du milieu.

En milieu stationnaire, à pH acide, l’augmentation de la température du milieu entraîne une augmentation du courant de corrosion de l’électrode 3.

Courbes d’Evans

Un essai de simulation de la pile de corrosion a été monté avec une électrode Ni-Cr et une électrode Co-Cr. Le Ni-Cr ayant le potentiel le plus bas se comporte en anode et serait donc susceptible à la corrosion. Cependant, à cause du faible écart entre les potentiels des deux électrodes (50 mV), on a constaté une absence de passage de courant dans la pile. Ce blocage de la pile pourrait être dû soit à une passivation à l’instant où les deux électrodes sont court-circuitées, soit au faible écart entre les deux tensions à l’abandon.

Discussion

Les résultats de cette étude ont montré que les alliages Ni-Cr se comportent différemment en fonction de plusieurs paramètres.

• Les résultats du potentiel à l’abandon des électrodes 3 et 5 montrent une stabilisation du potentiel après une heure d’immersion. Ce potentiel ne subit pas de grand changement dans la semaine qui suit. Ceci pourrait être en faveur d’une passivation rapide de l’alliage Ni-Cr dans une salive artificielle (Ringer et Meyer) à pH variant entre 6,5 et 7,7.

Ces résultats sont comparables à ceux de Lubespere et al. [7] dont l’analyse des courbes de polarisation linéaire a montré une passivation des alliages Ceral (Ni-Cr) au voisinage du potentiel de corrosion après immersion pendant 10 heures dans une solution de Meyer.

L’alliage utilisé dans cette étude est un alliage ternaire Ni-Cr-Mo appartenant au groupe III (moins de 16 % de Cr, avec du Mo). Plusieurs études ont montré que ces alliages ternaires avaient un meilleur comportement électrochimique et une meilleure résistance à la corrosion. Une étude de Huang en 2002 [8] sur l’effet de la composition chimique des alliages Ni-Cr-Mo sur leur comportement à la corrosion a révélé que :

– la résistance à la corrosion de cet alliage est associée à la formation à la surface de couche de passivation contenant du Ni (OH)2, NiO, Cr2O3, et MoO ;

– un pourcentage de 12 à 35 % de Cr et de 8 à 12 % de Mo immunise l’alliage Ni-Cr contre la corrosion par piqûre.

Toumelin-Chemla a rapporté en 1998 que le molybdène et, dans une moindre mesure, le manganèse, augmentent la tendance à la passivation des alliages Ni-Cr [9].

La structure de l’alliage joue également un rôle très important dans le comportement électrochimique. En effet, les alliages multiphasés contenant des éléments peu nobles (exemple : la phase Ni3Be) ont une tendance plus élevée à la corrosion.

• En fonction du mode d’élaboration (% en alliage récupéré par rapport au % en alliage neuf), on note une augmentation du courant de corrosion en fonction du pourcentage en alliage récupéré. En effet, le courant de corrosion de l’électrode 1 (100 % alliage récupéré) est le plus élevé ; celui de l’électrode 4 (100 % alliage neuf) est le plus bas. Ceci montre une corrosion plus importante pour les alliages ayant un taux élevé d’alliage récupéré qui, par leur contact avec le matériau de revêtement, s’oxydent et emprisonnent des impuretés.

Une différence de courant de corrosion entre l’électrode 4 (100 % alliage neuf, creuset neuf) et l’électrode 5 (100 % alliage neuf) a été aussi notée. Elle pourrait être due à l’incorporation d’impuretés dans l’électrode 5 au moment de la coulée dans le creuset.

Dans la littérature, les résultats des études divergent concernant l’influence des protocoles de coulée sur le comportement des alliages Ni-Cr :

Mulders et al. en 1996 [10], Fuchs en 1978, Kufmann en 1977 et Marx en 1967 ont trouvé que les procédés de coulée ont une influence non significative sur le comportement des alliages à la corrosion ;

Fingers et al. en 1975, Sauer en 1982 (Geurtsen en 2002 [11]) et ont trouvé, en revanche, une influence significative.

On peut déduire des travaux de Ingersoll et al. en 1995 [12] et Guyonnet et al. en 1992 [13] que le pourcentage d’alliage récupéré par rapport à celui de l’alliage neuf ne doit pas excéder 25 %, et que la masselotte ne doit pas être utilisée plus de 3 fois, au risque de favoriser la corrosion des alliages Ni-Cr.

En fonction du pH, le comportement des alliages Ni-Cr connaît une grande variation. En effet, l’acidité du milieu favorise la corrosion du Ni-Cr.

Ces résultats confirment ceux de Wataha et al. [14] qui ont montré une augmentation du relargage des ions Ni de 1,5 μg/cm2 à 10 μg/cm2 entre un pH = 4 et un pH = 1.

• Le type de polissage joue également un rôle très important dans le comportement des alliages face à la corrosion. Un polissage à la fraise a montré de meilleurs résultats qu’un polissage papier.

L’importance de l’état de surface a fait l’objet de plusieurs études dont celle de Naim et al. en 1998 qui a analysé l’importance de l’état de surface dans la biocompatibilité d’un biomatériau. La composition de la solution influence également les propriétés électrochimiques des alliages Ni-Cr. En effet, une solution riche en chlorures augmente le risque de corrosion de ces alliages et les rend plus vulnérables électrochimiquement.

Les résultats de Lubespere et al. [7] vont dans le même sens avec un ralentissement de la cinétique de croissance des piqûres de l’alliage Ni-Cr, en réduisant la concentration en chlorures de la solution de 1/10.

Colon et Para-Morice [15] montrent que jusqu’à 20 g/l de NaCl, le potentiel de rupture de l’alliage Ni-Cr reste constant et sa décroissance au-delà de cette concentration est faible.

• Un autre facteur qui influence le comportement électrochimique des alliages concerne la température du milieu. En effet, une augmentation de la température est en faveur d’une diminution de la résistance à la corrosion. Elle s’accompagne d’une diminution de la concentration en oxygène de la solution et du fluage du matériau [16].

• Nous avons également étudié l’influence de l’agitation du milieu sur les propriétés électrochimiques des alliages. Elle semble être une cause de corrosion, comme le démontre l’augmentation de i corr d’un milieu stationnaire à un milieu agité. Cette situation pourrait se présenter lors d’une séance de détartrage avec les vibrations engendrées par les ultrasons, ce qui favorise l’augmentation des échanges ioniques dans la solution électrolytique.

• Le bimétallisme est l’un des facteurs les plus incriminés dans la corrosion endobuccale.

Nous avons étudié une situation clinique fréquente dans les traitements prothétiques combinés avec couplage de deux alliages de composition différente (Ni-Cr et Co-Cr). Il a été noté une absence de passage de courant dans la solution expliquée par un phénomène de passivation entre les 2 alliages. La différence entre les 2 potentiels étant faible (50 mV), le Ni-Cr, dont le potentiel est le plus faible, devrait se comporter en anode par rapport au Co-Cr. Mais la formation rapide de couches d’oxyde à la surface (Ni (OH)2, NiO, Cr2O3, et MoO) protège l’alliage contre la corrosion.

Ces résultats corroborent ceux de Guyonnet et al. [5] qui ont conclu a une passivation des deux alliages.

Néanmoins, d’autres auteurs comme Bégin et Cheylan [17] mettent en garde contre la présence de ces 2 alliages en bouche et préconisent dans ce genre de situation clinique de réaliser les deux types de prothèse dans le même alliage (technique de surcoulée Co-Cr sur Co-Cr).

Khamis et Seddik [18] ainsi que Ozdemir et Arikan [19] ont comparé le comportement électrochimique des alliages Ni-Cr et Co-Cr en bouche. Ils ont conclu à une grande sensibilité du Ni-Cr à la corrosion par piqûres dans les solutions chlorurées alors que le Co-Cr présente un comportement plus noble.

Conclusion

La tenue en service des pièces prothétiques coulées par procédé de cire perdue dépend de multiples facteurs dont les propriétés mécaniques et électrochimiques de l’alliage utilisé.

L’amélioration de la qualité des pièces doit passer par une analyse rationnelle des relations entre conditions de mise en forme, structure et propriétés.

Dans ce contexte, les résultats obtenus au cours de ce travail permettent de tirer les conclusions suivantes :

– la composition et le mode d’élaboration de l’alliage affectent le comportement électrochimique du Ni-Cr ;

– le mode de polissage utilisant une séquence bien codifiée de fraises et de meulettes procure un meilleur état de surface propice pour favoriser la résistance à la corrosion du Ni-Cr ;

– la baisse du pH est dommageable pour les alliages Ni-Cr surtout avec un état de surface initial altéré ;

– l’augmentation de la température et l’agitation du milieu favorisent la corrosion des alliages Ni-Cr ;

– le Ni-Cr se passive rapidement dans un pH neutre ;

– en présence de l’alliage Co-Cr, le Ni-Cr se comporte comme une anode. Cependant, l’absence de passage de courant dans la solution témoigne d’une passivation entre les deux alliages.

Un alliage Ni-Cr présente un meilleur comportement buccal si on respecte les conditions suivantes :

– utiliser un alliage ternaire Ni-Cr-Mo ;

– s’assurer que le pourcentage en alliage récupéré n’excède pas 25 % de la quantité d’alliage à couler ;

– polir avec une séquence codifiée de fraises et de meulettes assurant un très bon état de surface et permettant à la couche de passivation de se former correctement ;

– éviter le bimétallisme ;

– conseiller la diminution des prises alimentaires acides susceptibles de baisser le pH buccal et favoriser la corrosion de l’alliage ;

– éviter les changements brusques de température et surtout une augmentation de la température buccale.

bibliographie

  • 1 Meyer JP, Degrange M. Alliages nickel-chrome et cobalt-chrome pour la prothèse dentaire. Encycl Med Chir 1992:23O65 T10.
  • 2 Serre D, Perrin MY, Montheillet F, Haudin JM, Exbrayat J. Étude de la microstructure de trois états coulés d’un alliage Ni-Cr-Mo. J Biomat Dent 1994;9.
  • 3 Pouyssegur V, Serre D, Fiorucci G, Exbrayat J, Haudin JM. La coulée sous pression d’un alliage Ni-Cr-Mo : influence des paramètres de solidification sur la microstructure et les propriétés mécaniques. J Biomat Dent 1997;12.
  • 4 Kurdik B, Buch D. Les alliages en prothèse composite. Real Clin 1998;9(4):503-512.
  • 5 Guyonnet JJ, Grégoire G, Joniot-Champion S, Sadeghi J. Electrogalvanisme buccal et sa pathologie. Encycl Med Chir 1993:23063 D10.
  • 6 Grimonster J, Bercy P, Reusens B, Catalan A. Polissage et finition : techniques pour tous les matériaux d’obturation et de prothèse. Encycl Med Chir 1994:23360 J10.
  • 7 Lubespere R, Bui N, Meyer JM, Lubespere A, Clauzade M. Application de diverses méthodes électrochimiques à l’étude des alliages semi-précieux et non précieux. J Biomat Dent 1986;2(3).
  • 8 Huang H. Effect of chemical composition on the corrosion behavior of Ni-Cr-Mo dental casting alloys. J Biomed Master Res 2002;60(3):458-465.
  • 9 Toumelin-Chemla F. Propriétés électrochimiques des alliages métalliques utilisés en odontologie. Encycl Med Chir 1998;23063C10.
  • 10 Mulders C, Darwish M, Holze R. The influence of alloy composition and casting procedure upon the corrosion behaviour of dental alloys : an in vitro study. J Oral Rehab 1996;23:825-831.
  • 11 Geurtsen W. Biocompatibility of dental casting alloys. Crit Rev Oral Biol Med 2002;13(1):71-84.
  • 12 Ingersoll CE, Briggs P, Chatelier JL. Les lois de la coulée en alliagelurgie dentaire. Art Tech Dent 1995;6(6).
  • 13 Guyonnet JJ, Grégoire G, Champion S, Champion J, Joniot B. Notions fondamentales sur le travail des métaux. Encycl Med Chir 1992:23646A10.
  • 14 Wataha JC, Lo c k wood PE, Khajotia SS, Turner R. Effect of pH on element release from dental casting alloys. Prosthet J Dent 1998;80(6):691-698.
  • 15 Colon P, Para-Morice B. Résistance à la corrosion d’un alliage Ni-Cr-Fe-Mo riche en fer : influence des chlorures et des traitements thermiques. J Biomat Dent 1985;1(3).
  • 16 Exbrayat J. Les alliages à base d’or et les alliages à base de nickel : les différents facteurs de la corrosion endobuccale. Cours de CES de biomatériaux, Paris VII Garancière.
  • 17 Bégin M, Cheylan M. Prothèse composite : surcoulée cobalt-chrome sur cobalt-chrome. Cah Prothèse 1999;106:49-63.
  • 18 Khamis E, Seddik M. Corrosion evaluation of recasting non-precious dental alloys. Int Dent J 1999;45(3):209-217.
  • 19 Ozdemir S, Arikan A. Effects of recasting on the amount of corrosion products released from two Ni-Cr based metal alloys. Eur J Prosthodont Rest Dent 1998;6(4):149-153.