Apport du collage en prothèse fixée - Cahiers de Prothèse n° 148 du 01/12/2009
 

Les cahiers de prothèse n° 148 du 01/12/2009

 

Prothèse fixée

Olivier Guastalla  

Diplômé de la Faculté de Paris-V, ancien interne des hôpitaux de Paris, ancien assistant de la Faculté d’odontologie de Lyon309, rue Victor-Hugo
69400 Villefrance-sur-Saône

Résumé

L’adhésion aux tissus dentaires, que ce soit l’émail ou la dentine, est une technique aujourd’hui efficace et reproductible. Les produits disponibles tendent à simplifier les protocoles, en limitant le nombre d’applications et donc les manipulations. En prothèse fixée, le collage permet de limiter la préparation aux seuls tissus lésés, la rétention n’étant plus obtenue aux dépens des parties saines de la dent. Il est alors possible de réaliser des restaurations partielles collées dans de nombreuses situations. Les facettes et les onlays permettent d’assurer un bon résultat esthétique avec un excellent pronostic. Cependant sont apparues sur le marché des nouvelles céramiques (zircone) et des nouvelles colles automordançantes (RelyX® de 3M Espe, MaxCem® de Kerrhawe, etc.). Si le protocole permettant une adhésion forte sur les céramiques vitreuses (feldspathiques, Emax® de Ivoclar-Vivadent) est aujourd’hui bien codifié, la zircone est une céramique très dense dont le collage n’est pas aujourd’hui maîtrisé. De même, si les colles automordançantes permettent de simplifier l’adhésion en prothèse conjointe, les résultats obtenus en termes de valeur d’adhérence ne sont pas comparables à ceux obtenus par un traitement classique avec un adhésif et un composite d’assemblage.

Summary

Advantages of bonding in fixed prosthodontics

Bonding to dental tissue, either enamel or dentin, is an up-to-date and efficient reproducible technique. Products available tend to simplify protocols, limiting the number of application and thus the manipulations. In fixed prosthodontics, bonding can limit tooth removal to damaged tissues, prosthetics retention no longer depends on the healthy parts of the tooth. It is possible to achieve bonded partial restorations in many situations. Veneer and onlays can provide a good cosmetic result with an excellent prognosis. However new ceramics (zirconia) and new self-etching resins such as RelyX® (3M Espe), Maxcem® (Kerrhawe) have been introduced in the market. If the protocol for strong adhesion on vitreous ceramics (feldspath, Emax® of Ivoclar-Vivadent) is now well codified, zirconia is a dense ceramic whose bonding is not totally known. In the same way, if self-etching resin can simplify prosthesis bonding, the results obtained in terms of values are not alike to those obtained by conventional two-steps treatment with an adhesive and a bonding resin.

Key words

bonding, ceramics, resin, zirconia

Point sur le collage aux tissus dentaires [1]

Le scellement d’éléments de prothèse n’est efficace que si certains paramètres de rétention sont respectés au niveau des dents préparées. La surface de friction développée ainsi que la faible convergence des parois opposées préparées influencent l’efficacité du scellement.

Depuis l’avènement de l’adhésion aux tissus dentaires, les ciments de scellement ont été petit à petit concurrencés par des « colles » qui permettent une rétention moins tributaire de la forme rétentrice de la préparation.

En prothèse fixée, l’adhésion peut revêtir plusieurs formes :

– les ciments verre ionomère qui ont une adhésion faible, mais spontanée aux tissus dentaires. On parle de « scellement adhésif », car les forces d’adhésion obtenues sont faibles, et ne permettent pas de s’affranchir des règles de préparation des prothèses scellées ;

– les composites de collage associés à un système adhésif appliqué avant sur les tissus dentaires ;

– les colles automordançantes, plus récentes, ambitionnent un collage efficace avec un protocole simplifié.

Enfin, l’adhésion est aussi hautement liée à la nature chimique de la prothèse à assembler. Un alliage métallique ne se colle pas comme une céramique, et toutes les céramiques ne se collent pas de la même manière. Comme nous le détaillerons par la suite, un des apports du collage est de pouvoir travailler avec des restaurations partielles bien moins mutilantes pour la dent que les restaurations périphériques. Ces restaurations partielles sont dans la mesure du possible en céramique, nous nous concentrerons donc sur cette problématique d’adhésion.

Le but de cet article est de développer un des apports du collage pour mettre en œuvre des restaurations partielles moins mutilantes en privilégiant cette problématique de l’adhésion focalisée sur la céramique.

Systèmes adhésifs

Pour les tissus dentaires, les systèmes adhésifs connaissent une évolution ininterrompue depuis plusieurs décennies. Si l’objectif est toujours d’améliorer les valeurs d’adhésion obtenues, la tendance est à la simplification des protocoles de mise en œuvre.

La difficulté technique réside dans le traitement de 2 surfaces aux propriétés physico-chimiques très différentes : l’émail et la dentine. On sait aujourd’hui que l’adhésion à l’émail est obtenue par clavetage micromécanique dans un relief de surface obtenu par attaque acide. La dissolution partielle de l’émail par mordançage, puis l’infiltration par une résine fluide polymérisable aboutissent au collage à l’émail.

L’adhésion à la dentine est un défi différent en raison de sa structure riche en eau et en protéine. Longtemps le collage dentinaire a reposé sur l’infiltration des tubuli par la résine de l’adhésif. Ces prolongements de résines (appelés tags) assuraient en effet par friction dans les canalicules une certaine force de rétention. Cependant, les résines se contractant durant leur polymérisation, cette adhésion ne garantissait pas l’étanchéité. Dès lors que la résine n’obture pas complètement les tubuli, des problèmes de sensibilité et de reprise de carie étaient fréquents. Afin de pallier ces défauts, les systèmes adhésifs récents exploitent ce que l’on nomme la couche hybride [2, 3]. À la surface de la dentine préparée réside un réseau de fibres collagéniques débarrassé de sa portion minérale par attaque acide. La résine infiltre ce réseau de fibres pour créer une couche d’interdiffusion dentine-adhésif. Cette couche hybride bien qu’épaisse de seulement quelques micromètres assure à la fois rétention et étanchéité.

Si les principes d’adhésion à l’émail et à la dentine sont bien codifiés, la mise en œuvre pratique reste délicate.

Parmi les produits les plus utilisés aujourd’hui, on retiendra les systèmes faisant appel à un mordançage fort, l’acide orthophosphorique, qui doit être rincé avant application de l’adhésif (système M&R pour mordançage et rinçage) ; par opposition aux systèmes où l’adhésif est lui-même automordançant (système SAM pour système automordançant) [3]. Les avantages et inconvénients de ces 2 groupes de systèmes adhésifs sont résumés dans le tableau I.

Colles automordançantes

Depuis quelques années sont apparues des colles automordançantes. On peut les décrire comme des résines composites en général chémopolymérisables et photopolymérisables, capables de réaliser une attaque acide des tissus dentaires. Leur utilisation dispense de l’application d’un adhésif à la surface des tissus dentaires.

Le protocole de collage est alors grandement facilité. La surface dentaire est nettoyée ; la colle automordançante est mise en place dans l’intrados de la prothèse. L’ensemble est ensuite photopolymérisé avant élimination des excès.

Les valeurs d’adhésion obtenues tant sur la dentine que sur l’émail sont bonnes bien qu’en deçà de ce que l’on obtient avec un protocole comprenant un adhésif et un composite de collage [4] (fig. 1).

De plus, ces colles automordançantes offrent un faible recul clinique. Leur avantage réside donc dans un gain de temps, le protocole de mise en œuvre étant des plus simples. Cependant, on réservera leur utilisation dans les situations où la rétention mécanique de la pièce prothétique est déjà importante (onlay, couronne) et on évitera leur emploi dans les cas de faible friction rétentrice (par exemple : facette).

Adhésion aux différents systèmes tout céramique

Les systèmes tout céramique entrent dans l’âge de la maturité. Il est aujourd’hui possible de substituer pour les restaurations unitaires, tant dans les secteurs antérieurs que postérieurs, une couronne en céramique, aux classiques restaurations céramo-métalliques. Lorsque l’on réalise une préparation périphérique, le caractère adhésif du mode d’assemblage n’a que peu d’importance. C’est plus le résultat esthétique qui doit être en accord avec les propriétés optiques de la céramique employée.

En revanche dans les cas de restaurations partielles, comme les inlay-onlays, les facettes, ou les bridges collés, le collage de la céramique doit être très efficace pour assurer la pérennité de la restauration (fig. 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9). Or, les propriétés de collage sont très variables selon le système céramique utilisé.

Actuellement, on dispose de 3 grands systèmes de céramiques renforcées : les céramiques alumineuses (Inceram® de Tecalliage, Procera® de Nobel Biocare...), le système Emax® de Ivoclar-Vivadent (céramique disilicate pressée), et la zircone (Diadem® de Diadem, Lava® de 3M Espe...).

Qu’il s’agisse des systèmes à base d’alumine ou de zircone, l’adhésion à la prothèse demeure problématique. En effet, la grande densité obtenue entre les grains de céramique empêche de créer un relief de surface permettant une accroche adhésive, que ce soit par sablage ou par un traitement acide [5, 6]. L’emploi d’un composite de collage ou de colle automordançante ne permet pas d’obtenir des valeurs d’adhésion équivalentes à ce que l’on obtient sur les tissus dentaires.

Seules certaines colles ayant des propriétés chimiques particulières permettent une adhésion à ces céramiques. L’utilisation du Panavia® (Panavia® F2.0 de Kuraray), colle contenant du MDP (phosphate dihydrogène 10-méthacryloyloxydécyle) donne des résultats très convaincants tant sur la zircone que sur l’alumine [5].

En revanche, avec les céramiques vitreuses (Emax®, céramiques feldspathiques), il est possible de réaliser une dissolution partielle de la phase vitreuse par application d’un acide fluorhydrique. Il en résulte un relief en surface permettant l’accroche de résine de collage et donc une adhésion forte [7] (fig. 10, 11, 12, 13 et 14).

Les valeurs d’adhésion obtenues sont très importantes, ce qui explique les taux de succès importants de ces céramiques lors de réalisation de restaurations partielles collées [6-8].

Les valeurs d’adhésion obtenues sur différents systèmes céramiques sont présentées dans la figure 15.

Conséquences sur les opportunités de traitement [12]

La pérennité des restaurations est directement liée à la capacité à préserver les tissus dentaires sains. Le choix de restaurations partielles, faisant appel au collage pour compenser la faible rétention des préparations, permet de traiter des dents de manière esthétique et durable.

La préservation de la vitalité pulpaire est un enjeu trop souvent sous-estimé. Par habitude ou manque de formation, peu de prothèses sont réalisées sur dent pulpée. Pourtant, la pulpe préservée offre un rempart sûr et durable contre la contamination apicale. Tout traitement endodontique présente un risque d’échec immédiat (fracture d’instrument, fausse route...) ou différé par perte d’étanchéité (lésion péri-apicale).

Mais une raison plus importante qui devrait inciter à conserver la vitalité pulpaire est celle du résultat esthétique à moyen et long terme. Quand la dent est dépulpée, une coloration inéluctable de la racine se produit. Ce changement de teinte laisse apparaître un liseré sombre à la jonction des prothèses et est très souvent à l’origine de mécontentement de la part des patients. Ce processus de coloration radiculaire n’est pas réversible contrairement aux colorations coronaires. Le praticien n’a alors d’autre choix que de réaliser une nouvelle prothèse, en abaissant la limite de la préparation, ce qui ne fait que retarder la survenue à moyen terme de la même déconvenue.

Dans les cas de perte tissulaire importante, on peut bien souvent substituer une restauration périphérique mutilante nécessitant la dépulpation par une restauration partielle collée sur dent pulpée. Les onlays et les facettes permettent de réparer durablement la dent, en conservant la vitalité et donc la teinte naturelle de la dent et de sa racine [13]. En cas de problème endodontique, une fois la couronne réalisée, il est tout à fait possible de traverser la restauration pour faire le traitement radiculaire (fig. 16 et 17). Dans cette optique, les céramiques mordançables par leur collage efficace sont des matériaux de choix [14, 15].

Devant un délabrement dentaire important, l’approche thérapeutique doit d’abord se focaliser sur la suppression des tissus cariés (fig. 18, 19, 20, 21, 22 et 23). Ensuite, on doit évaluer la résistance mécanique des structures résiduelles. La présence de limite supra- ou juxtagingivale, donc d’émail périphérique, permet un collage dans de bonnes conditions, et donc oriente vers la restauration partielle collée sur dent pulpée. Le collage permet d’assurer la rétention sans rechercher d’ancrage intraradiculaire.

La réalisation d’une couche d’adhésif protège la pulpe efficacement, et la céramique collée joue parfaitement le rôle de substitut amélaire.

Conclusion

L’adhésion dentaire est aujourd’hui une technique efficace et sûre. De leur côté, les céramiques ont évolué pour atteindre aujourd’hui l’âge de maturité. L’adhésion permet aujourd’hui de faire évoluer les concepts de préparation. Si celle-ci doit toujours assurer la stabilisation de l’élément prothétique, elle doit se limiter autant que possible aux tissus dentaires perdus, et aux exigences mécaniques du matériau de restauration. Il est possible avec les céramiques mordançables d’obtenir des valeurs d’adhérence égalant celles obtenues sur l’émail. La cohésion entre céramique et tissus dentaires est alors très forte. Cependant, il convient d’être prudent devant la multitude de systèmes disponibles pour le praticien. En effet, les adhésifs automordançants, s’ils simplifient la mise en œuvre, ne permettent pas d’obtenir une adhésion maximale. Par ailleurs, les céramiques alumineuses et la zircone sont difficiles à coller. Il convient donc de bien connaître les matériaux utilisés afin d’assurer la meilleure pérennité prothétique.

La restauration partielle collée est le chaînon manquant entre le soin conservateur et la prothèse périphérique conventionnelle. En préservant la vitalité pulpaire et les tissus sains de la dent, les onlays et les facettes retardent le recours à la dépulpation et le besoin d’un ancrage radiculaire. Le résultat esthétique et biologique est meilleur ; le pronostic pour la dent sur l’arcade est meilleur.

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