Silicones polyvinylsiloxanes et enregistrement des rapports mandibulo-maxillaires - Cahiers de Prothèse n° 148 du 01/12/2009
 

Les cahiers de prothèse n° 148 du 01/12/2009

 

Matériaux

Gérard Derrien*   Vincent Jardel**  


*PU-PH
**MCU-PH
***UFR d’odontologie
22, avenue Camille-Desmoulins
29200 Brest

Résumé

Les matériaux destinés à l’enregistrement des rapports mandibulo-maxillaires sont nombreux et variés. Leur utilisation n’est cependant pas toujours aisée. La plupart de ces matériaux ne sont pas adaptés (manipulation et propriétés mécaniques) aux concepts actuels de la relation centrée. Les élastomères silicones à base de polyvinylsiloxanes ont considérablement évolué : ils sont très fluides lors de l’injection, durcissent rapidement (30 à 60 s) et ont peu de variations dimensionnelles. Ils sont très rigides (adjonction de charges dans une proportion de 80 % en poids) après polymérisation. Ainsi, ils n’altèrent pas l’enregistrement lors de la mise en articulateur. Leur utilisation est simple et reproductible, elle est à la portée de tous les praticiens.

Summary

Polyvinyl siloxanes-based silicones and maxillomandibular relation’s recording. Part 1 : materials

Materials aimed at recording maxillomandibular relation are plenty. However, their handling is not always simple. Most of those materials do not fit in with the current concepts of maxillomandibular centric relation. Silicone-elastomers based on polyvinyl siloxanes have been tremendously improved : they are fluid while being injected, have a fast setting time (30 to 60 s) and the volumetric contraction of elastomers in polymerisation is clinically slight. They are heavy charged (80 % in terms of weight). Mounted casts in articulator are hence accurate and reliable. Their handling is easy and reproducible, they can be used by all dental practitioners.

Key words

centric relation, materials, maxillomandibular relation’s recording, polyvinyl siloxanes

La nature et les propriétés des matériaux utilisés pour l’enregistrement des rapports mandibulo-maxillaires ont été largement décrites dans la littérature [1-9]. Les plus fréquemment cités sont notamment les plâtres, les résines, les pâtes thermoplastiques, les cires, les pâtes à l’oxyde de zinc. Souvent, ces produits sont même associés comme la cire et la pâte à l’oxyde de zinc [10-15].

La résistance initiale des cires à 60 °C est de 7 N ; elle augmente très rapidement avec le refroidissement [16]. Ces matériaux ne satisfont plus aux modalités et aux exigences actuelles de l’enregistrement des relations mandibulo-maxillaires (cf. partie 2 : 55-61).

Pour ce qui concerne les propriétés, il convient de noter que lors de l’enregistrement, les matériaux doivent être très plastiques, voire fluides – pour ne pas interférer avec la position mandibulaire et ne pas créer de déplacements dentaires –, puis durcir rapidement en bouche – le patient ne peut en effet maintenir la position trop longtemps – sans variations dimensionnelles. La mise en articulateur requiert un matériau très rigide, voire cassant pour ne pas altérer l’enregistrement en se déformant. Ils doivent en outre être faciles à utiliser, satisfaire aux règles d’hygiène et de compatibilité biologique.

Des produits à base de silicone sont aujourd’hui en mesure de répondre aux critères précédemment énoncés. En effet, les élastomères silicones à base de polyvinylsiloxanes (avec du méthylhydrogène siloxane) réticulants par addition sont proposés avec des charges (dioxyde de silice ou organo-silicates complexes) de nature et de concentrations différentes.

La résistance initiale de ces silicones pour l’enregistrement varie de 0,5 N à 13,8 N. Cette résistance croît rapidement pendant le temps de travail. Le temps de travail est donc court [16].

Ces produits ont considérablement évolué ces dernières années. En effet, les silicones comme matériaux d’enregistrement des rapports mandibulo-maxillaires ont été ignorés pendant de nombreuses années, car la rigidité du produit polymérisé était insuffisante. La dureté finale de ces produits apparaît comme une donnée essentielle.

L’adjonction de charges organo-minérales à base de silice a permis de rendre ces matériaux plus rigides.

En vue de réaliser une étude comparative, nous avons demandé aux sociétés distributrices de mettre des échantillons de leurs produits à notre disposition afin de les tester et de les comparer. Dix sociétés ont répondu à notre demande. Ont été évalués les duretés shore A et D, le module d’élasticité, et le pourcentage de charges contenu dans chaque produit au moyen d’une analyse thermogravimétrique (TGA). Ces données sont significatives de la rigidité et de la dureté finale du produit polymérisé. Des images de microscopie électronique complètent cette analyse pour visualiser la densité, la taille et l’organisation des charges.

Ces données sont rapportées dans cette première partie. L’utilisation clinique de ces produits sera développée dans la partie 2.

But de l’étude

Cette étude évalue 10 produits commerciaux, tous injectables avec des viscosités très voisines pendant l’injection (fig. 1). Les caractéristiques principales (données fabricants) sont regroupées dans le tableau I.

Duretés shore A et D

Les fabricants proposent la dureté shore comme élément de référence de la rigidité du produit polymérisé.

Dureté shore (1907) : mesure de l’élasticité par profondeur de pénétration, utilisée dans le domaine des élastomères [17].

Pour l’odontologie, trois références de dureté shore correspondent aux produits utilisés (tabl. II).

La correspondance entre les 3 duretés shore 00, A, et D est rapportée dans la figure 2.

Il est apparu intéressant de vérifier les « données fabricants » concernant les duretés shore A et D. Pour cela, des éprouvettes (fig. 1) de chaque produit ont été réalisées en respectant les conditions habituelles d’utilisation. Trois enregistrements par échantillon ont permis de déterminer une moyenne et un écart type. Deux appareils de mesure Mitutoyo® ont été utilisés (fig. 3 et tabl. III). Les résultats sont reportés dans le tableau IV.

Les valeurs mesurées sont très voisines de celles proposées par les fabricants. Les différences ne sont pas significatives. À 1 heure, les valeurs évoluent peu. Pour compléter ces données mécaniques, le module de Young et la valeur de rupture en contrainte ont été calculés (expérimentations effectuées dans les laboratoires d’analyse mécaniques d’Ifremer, Brest).

Module d’élasticité

Le module de Young ou module d’élasticité est la constante qui relie la contrainte de traction et la déformation pour un matériau élastique isotrope. Un matériau dont le module de Young est très élevé est dit rigide. Les matières plastiques et organiques (comme les silicones) sont généralement peu rigides. La mesure du module de Young des éprouvettes de type 2 en silicone a été effectuée à l’aide d’une machine Instron® à une vitesse de traction de 10 mm/minute [20].

Des éprouvettes aux normes ISO 37 : 2005 [20] ont été réalisées (fig. 4).

Les résultats sont présentés dans le tableau V. Ils montrent que ces matériaux sont très rigides, voire cassants, cela en raison de l’incorporation de charges au sein de la matrice en silicone. Il n’a pas été possible de déterminer la nature exacte de ces charges. Toutefois, une analyse thermogravimétrique permet d’en évaluer le pourcentage (expérimentations effectuées dans les laboratoires d’analyse mécanique d’Ifremer).

Pourcentage de charges

L’analyse thermogravimétrique (TGA) mesure les variations de poids dans un matériau en fonction de la température (ou du temps) en atmosphère contrôlée. Ses principales utilisations comprennent la mesure de la stabilité thermique et de la composition d’un matériau. L’appareil de mesure se compose d’une enceinte étanche permettant de contrôler l’atmosphère de l’échantillon, d’un four permettant de gérer la température, d’un module de pesée (microbalance), d’un thermocouple pour mesurer la température et d’un ordinateur permettant de contrôler l’ensemble et d’enregistrer les données. La microbalance est sous atmosphère inerte (fig. 5). Dans cette étude, la détermination du pourcentage en poids des charges contenues dans chaque silicone a été réalisée par une analyse thermogravimétrique (ATG) à l’aide d’une machine TA instruments® Q600. L’augmentation de température était de 20 °C/minute sous un flux d’azote de 10 ml/minute.

Pour les 10 matériaux comparés, le pourcentage en poids des charges varie de 64,64 % pour le Regisil PB® (Dentsply) à 82,71 % pour le Imprint Bite® (3M Espe). Le matériau le plus rigide, donc au module de Young le plus élevé, est le Flexitime® Bite (Heraeus) avec un module de Young de 46,06 MPa ; le moins rigide étant le Memosil® 2 (Heraeus) dont le module de Young n’est que de 7,97 MPa.

Notons qu’il n’y a pas de corrélation directe entre le taux de charges évalué (évaluation approximative puisque ni la nature de ces charges ni la composition des produits ne sont connues de manière exacte) et les valeurs des modules de Young. Cela montre que la nature des charges et leur interrelation influencent davantage la rigidité du produit que le pourcentage évalué dans celui-ci. La combustion des produits se faisant également à des températures différentes induit une hétérogénéité dans la nature des matrices.

À titre d’exemple, seules les courbes obtenues avec 5 produits différents sont présentées : Virtual CADbite™ (fig. 6), Imprint Bite® (fig. 7), Regisil PB® (fig. 8), Flexitime® Bite (fig. 9), Memosil® 2 (fig. 10).

Microscopie électronique à balayage

La microscopie électronique à balayage permet de caractériser la structure des matériaux en évaluant la densité, la répartition et la taille des charges (groupe d’imagerie et d’analyse en microscopie de l’Université de Bretagne occidentale).

Les charges sont naturellement de tailles différentes au sein d’un même produit, 1 µm pour les plus grosses.

Seules les images des produits les plus caractéristiques sont présentées : Memosil® 2 (fig. 11), Flexitime® Bite (fig. 12), Futar® D Fast (fig. 13), Imprint Bite® (fig. 14), Virtual CADbite™ (fig. 15).

Memosil® 2 est le produit le plus souple. Aucune présence de charges n’a été notée.

Microscope électronique AFM VEECO

Le microscope électronique AFM VEECO produit des images caractéristiques (nanoscope multimode V) (groupe d’imagerie et d’analyse en microscopie de l’Université de Bretagne occidentale). Elles sont obtenues en mode « tapping », la pointe est excitée proche de sa fréquence de résonance. Lorsqu’elle rentre en contact intermittent avec la surface, un déphasage apparaît plus ou moins sensible suivant sa nature. Il est alors possible de différencier des composants de différentes natures en image de phase.

Enfin, les pointes utilisées sont des pointes TAP150, MPP-12100, de fréquence de coupure aux alentours de 179 kHz et de constante de raideur k = 5 N/m, bien adaptée à l’étude des polymères. Les échantillons ont été surfacés à l’aide d’un ultramicrotome Leica®.

Seules les images obtenues avec les 3 produits les plus caractéristiques sont présentées : Memosil® 2 (fig. 16 et 17), Flexitime® Bite (fig. 18 et 19), et Futar® D Fast (fig. 20 et 21). Les autres produits ont des aspects semblables. Les charges de tailles variables (1 µm pour les plus grosses) présentent un aspect très dense.

Conclusion

Les matériaux à base de polyvinylsiloxane présentent désormais les qualités requises pour l’enregistrement des rapports mandibulo-maxillaires. Les produits présentés dont la dureté finale shore est élevée répondent aux exigences. Le temps de séjour en bouche ne devrait pas excéder 60 secondes. Dans cette étude, l’un des premiers produits proposés sur le marché, le Memosil® 2, a été conservé comme référence. Ce produit est trop souple après polymérisation ; la précision du transfert sur articulateur est incertaine. Tous les produits sont très fluides lors de l’injection en bouche, leur temps de durcissement est compris entre 30 s et 1 min. Ils ne sont pas thixotropes (ne s’étalent pas sous leur propre poids) et se figent dans la position initiale. La manipulation est identique (pistolet automélangeur). Les fabricants ont incorporé des charges en grande quantité pour les rendre plus rigides après la polymérisation. Ces charges sont également traitées (silanes) pour obtenir une liaison entre elles et avec le silicone. La stabilité dimensionnelle est remarquable. Le transfert sur articulateur peut être différé de quelques heures, car les produits sont stables. La mise en œuvre sera décrite dans la partie 2 de cette publication.

Remerciements à Dominique Choqueuse (et son équipe) de Ifremer (département essais mécaniques, Brest) et au Groupe d’imagerie et d’analyse en microscopie de l’Université de Bretagne occidentale (Brest) pour leur précieuse collaboration.

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