Découvrir l’origine des anciens esclaves de Sainte-Hélène grâce à leurs dents
 
Dents d'esclaves modifées

Fouilles archéologiques de Sainte-Hélène. Dents d'esclaves modifiées.

02/02/2017

L'île de Sainte-Hélène redécouvre son histoire

Paléo-odontologie

« Napoléon est mort à Sainte-Hélène ». La comptine est dans les mémoires des écoliers français. Mais pour les descendants des esclaves, cette île est aussi le lieu qui a accueilli des milliers d’affranchis libérés par la Royal Navy britannique entre 1840 et la fin des années 1860.

Plusieurs équipes de paléontologues, généticiens et historiens ont cherché, dans l’ADN et grâce aux dents des corps découverts sur place, les origines ethniques et géographiques des individus déplacés sur l’île dans cette période sombre de l’Histoire.

L'île de l'exil, l'île de la liberté

Sainte-Hélène est située au milieu de l'océan Atlantique sud, à près de 2000 km de la Namibie et à plus de 3000 km du Brésil. La Compagnie britannique des Indes orientales arrache l’île à la Hollande en 1659 pour en faire une étape dans le trajet transatlantique, avant de céder la petite île de 122 km2 à la Couronne d’Angleterre en 1834, soit 13 ans après l’avoir prêtée à la France pour qu’y soit exilé Napoléon Bonaparte.

Lorsque l’Angleterre déclare la Traite illégale, en 1807, des patrouilles sillonnent l’Atlantique pour arraisonner les navires qui transportent les futurs esclaves depuis leur lieu d’enlèvement, en Afrique de l’Ouest, vers les deux Amériques. Sainte-Hélène, au milieu du trajet, devient le point de dépose des esclaves libérés. Près de 27 000 esclaves y sont amenés en 25 ans. On dénombre plus de 10 000 affranchis, des enfants pour la plupart, qui s’installent durablement dans la vallée de Rupert, près de la capitale, Jamestown. Cette population initiale de l’île, qui n’avait pas d’indigènes avant l’arrivée des ex-esclaves, a été étudiée par plusieurs équipes d’archéologues, financées par le gouvernement britannique entre 2006 et 2015.

Où trouver l'information ?

C’est à l’occasion de travaux préliminaires à la construction de l’unique aéroport de l’île que les premiers corps sont découverts. 325 individus sont exhumés, la plupart âgés de 12 ans et moins. Pour identifier les origines de ces individus, les archives de la Compagnie sont précieuses mais insuffisantes : 36 000 voyages y sont recensés, impliquant 12 millions d’africains déplacés, et l’origine ethnique autant que géographique des individus ne sont pas renseignés. Les futurs esclaves étaient kidnappés parfois à des centaines de kilomètres de leur lieu d’embarquement, ce qui explique les difficultés à raconter leur histoire individuelle. De plus, l’ADN de ces corps est difficilement récupérable dans ces contrées tropicales. Enfin, le parti pris des chercheurs est de comparer l’ADN des restes avec des données génomiques de populations modernes dans les pays d’origine supposée des individus. Mais la communauté scientifique ne possède pas une base de données contemporaines suffisante pour effectuer cette comparaison…

Grâce à l’ADN, les chercheurs concluent que le groupe déterré à Sainte-Hélène est vraisemblablement originaire de la région de l’actuel Cameroun. Mais les individus, « malgré qu’ils aient été retrouvés enterrés ensemble et ont pu arriver sur le même vaisseau, avaient des origines ethniques différentes » et parlaient vraisemblablement différentes langues, écrit H. Schroeder (H. Schroeder et al, Proc. Natl Acad. Sci. USA 112, 3669-3673;2015). Les archives d’embarquement suggèrent que les navires esclaves ayant abordé Sainte Hélène ont embarqué depuis des ports le long de l’Afrique centrale et de l’Ouest, incluant l’Angola d’aujourd’hui et la région du Congo. Certains individus sont vraisemblablement venus de territoires plus lointains encore, incluant le Mozambique et Madagascar.

Grâce aux dents, de nouvelles conclusions

Sur les restes de 63 individus, les paléogénéticiens s’intéressent particulièrement aux dents : en effet, l’ADN des os est un indice, mais les rites de passage africains à l’âge adulte impliquaient à l’époque des altérations de la dentition : limées, ébréchées volontairement en pointes, le traitement esthétique de la dentition des groupes ethniques retrouvés à Sainte-Hélène peut être rapprochée avec des données culturelles de plusieurs pays africains. Autres indices : les nivaux de certains isotopes chimiques, comme le strontium, varient sur les dents en fonction de la géochimie locale, ce qui permet de circonscrire les lieux de vie dans l’enfance de ces anciens esclaves, jusqu’à la formation de leurs dents définitives.

Le groupe de la vallée de Rupert a des niveaux d’isotopes identiques, comme s’ils avaient grandi dans la même région géographique. « Cela pourrait être la preuve que les personnes étaient enlevés non pas un par un mais par groupes de personnes de la même région », déclare Kate Robson Brown, anthropologue en biologie à Bristol. Une liste des navires d’origine potentiels ainsi que des ports de départs hypothétiques est dressée. Les chercheurs examinent la variété des modifications dentaires : les modifications spécifiques peuvent relier le propriétaire initial des dents à une affiliation ethnique, et être croisée ensuite avec des données sur son génome… Certaines des modifications dentaires semblent avoir été réalisées peu de temps avant la mort de l’individu, peut-être même à bord des navires esclaves. « Il n’est pas impossible d’imaginer que ces jeunes personnes ont créé des groupes par affinités entre eux durant la capture, la dégradation en esclavage et le voyage en mer ».

D'où venons-nous ?

Les recherches sur les restes sont arrêtées en 2015, et pourtant toute la lumière n’est pas encore faite sur les individus exhumés dans la vallée de Rupert. Mais grâce à la paléogénétique, la paléo-odontologie et l’analyse génétique des corps, les communautés descendantes de ces esclaves ont pu lever une partie du voile sur leurs origines ethniques et géographique. Les os sont restés sur l’île, dans l’attente de nouvelles études ou de données de comparaison supplémentaires, qui pourront peut-être apporter de nouvelles réponses à la question « d’où venons-nous ? ».

Véronique Seignard


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