Entretien avec Dennis Tarnow | Implant à la rencontre | Editions CdP
 
Dennis Tarnow, Olivier Fromentin et Jacques Attias

09/09/2017

Entretien avec Dennis Tarnow

Implant à la rencontre

Réflexions autour de plus de 35 années de pratique de l’implantologie. Dennis Tarnow répond aux questions d'Olivier Fromentin, rédacteur en chef d'Implant, et de Jacques Attias, membre du comité scientifique d'Implant.

Quel est votre cursus professionnel et quelle est votre activité aujourd’hui ?

Dennis Tarnow : J’enseigne également à la Columbia University où je suis responsable de l’enseignement de l’implantologie pour tous les étudiants. Je suis à la faculté deux jours par semaine pour enseigner et dans mon cabinet deux autres jours pour exercer. Le vendredi, je donne généralement des cours ou des conférences.

Je fais de la recherche clinique, dans le cadre de mon cabinet, avec mes partenaires et, en fonction des thèmes, nous avons également des programmes de recherche au sein de l’université pour différentes sociétés.

Ces recherches sont consacrées à des thématiques prothétiques, parodontales, implantaires ou en rapport avec l’esthétique en général. Ce sont les thèmes principaux de toute ma carrière professionnelle et ils sont tous interdépendants. D’abord, je me suis intéressé à la dent, puis les implants sont apparus et c’était donc la parfaite et la plus logique évolution pour poursuivre la thématique « paro-prothèse » qui a toujours été la mienne.

Je pratique une activité implantaire depuis 1982, après avoir assisté aux cours de formation à Toronto de G. Zarb et P.I. Brånemark. C’était un enseignement extraordinaire, initialement consacré uniquement au traitement de l’édentement complet puis, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, nous avons tous évolué vers le traitement des édentements partiels et unitaires. Cette période a vraiment été une époque de diffusion rapide de l’implantologie dans le monde entier. Cela a été une aventure magnifique pour nos patients et pour la dentisterie.

À la Columbia University, je participe à des travaux de recherche transversale chez l’animal sur les cellules-souches avec les Dr Jeremy Mao et Daniel Oh. Ces travaux sont conduits en complément des autres sur mes sujets de recherche habituels concernant la forme des implants et les relations avec différents aspects biologiques étudiés chez l’homme et chez l’animal, en fonction des programmes d’études universitaires et en partenariat avec différentes sociétés commerciales.

Selon votre expérience, quelles sont les grandes évolutions de l’implantologie ?

Dennis Tarnow : C’est une question intéressante parce que, du fait de l’enseignement de Brånemark, nous traitions seulement des patients édentés complets à la mandibule puis quelques patients édentés complets au maxillaire. Vous implantiez dans cette arcade édentée, recouvriez les implants par la gencive et laissiez s’écouler un délai de 3 à 6 mois. Puis nous avons commencé à comprendre qu’il n’était pas nécessaire d’enfouir les implants. Donc, si je pense à cette évolution dans le domaine de l’implantologie, je crois que Brånemark nous a fourni une méthode standardisée pour obtenir une intégration de l’implant sans interface fibreuse. C’est vraiment l’évolution initiale majeure de l’implantologie.

Un autre élément de réponse concernant ces évolutions est en rapport avec le fait que, à l’époque, nous n’avions qu’un seul diamètre d’implant, de 3,75 mm de type Brånemark, avec un diamètre de 4 mm en solution de rechange. Laissez-moi vous raconter une anecdote... En 1990, alors que je mettais sur pied le Département d’implantologie à la New York University, le doyen m’avait demandé d’intégrer Léonard Linkow dans le corps enseignant car il donnait déjà un cours renommé. Léonard Linkow était connu pour ses implants lames, il avait déjà une longue expérience clinique dans l’implantologie avec plusieurs milliers d’implants posés. Je l’ai rencontré et je lui ai demandé ce qu’il pensait de Brånemark. Il m’a répondu : « Oh, laissez-moi tranquille avec cela ! » Je savais qu’il utilisait des implants vis de type Brånemark depuis 7 ou 8 années déjà et je lui ai demandé ce qu’il voulait dire. Il m’a répondu que nous étions des débutants, que nous commencions à peine notre apprentissage, que nous étions seulement au tout début de la compréhension du domaine de l’implantologie... Il a dit : « Cet implant de 3,75 ou 4 mm de diamètre avec différentes longueurs, vous pensez que cela va être suffisant ? Non, cela ne sera jamais suffisant... Vous commencez juste à comprendre l’implantologie et à traiter des patients, mais cela ne sera jamais suffisant pour traiter l’ensemble des patients. » Je lui ai demandé ce qu’il voulait dire. Il a répondu que nous n’avions qu’une vis, qu’un seul modèle de vis.

Il utilisait, pour sa part, des vis et des lames de formes et de dimensions différentes, il en avait plus de 50 modèles. À ma question sur une telle diversité, il a répondu qu’il n’avait aucune expérience de la régénération osseuse guidée : « Quand un patient venait dans mon cabinet, je devais prendre en compte son capital osseux, et cela quel qu’il soit, et trouver une solution. Je n’avais pas de solution pour construire de l’os. »

C’est maintenant ce que nous pouvons faire. C’est toujours un peu compliqué mais je sais que c’est possible alors que ce n’était pas le cas dans les années 1970-1975. Linkow n’avait pas notre connaissance actuelle et, donc, il devait adapter son implant au volume osseux du patient !

Notre conversation se tenait en 1990 et Linkow a affirmé que tous les patients ne pouvaient être traités avec un seul type de vis, même de longueurs différentes, et que cela allait nécessairement évoluer, que nous étions au début de l’aventure... Nous sommes en 2017 et sa prophétie s’est réalisée. Aujourd’hui nous utilisons des implants étroits, des implants de diamètres standard, des implants de larges diamètres. Linkow avait raison, il vient de décéder mais il avait compris, à l’époque, que nous utiliserions différents diamètres, différentes longueurs d’implants, plus courts ou plus larges, avec la possibilité de construire de l’os et donc de pratiquer l’implantologie d’une manière tout à fait différente de la sienne.

N’y a t-il pas eu d’autres innovations majeures depuis cette période ?

Dennis Tarnow : Une autre évolution après tout ce qui vient d’être évoqué concerne probablement l’état de surface implantaire, je pense...

Au-delà du titane comme matériau, son état de surface est essentiel pour le délai à respecter avant une mise en charge. Brånemark parlait de 3 à 6 mois car la surface de ses implants était lisse du fait de l’usinage, elle était en fait trop lisse. Leurs spires présentaient partout des stries d’usinage qui permettaient l’intégration osseuse mais pas de manière très efficace car il faut se rappeler que l’ostéo-intégration est un phénomène mécanique, c’est un blocage mécanique. Beaucoup ne comprennent pas cela, ils pensent que l’os se développe intimement au contact de la surface en titane. En microscopie optique, il semble que l’os soit lié à l’os mais en fait, en microscopie électronique, on voit bien qu’il existe une discontinuité, un petit espace, entre l’os et la surface constituée d’oxyde de titane. C’est à travers cet espace que se produisent des déplacements ioniques entre l’os et l’oxyde de titane. Par quel processus exact, nous l’ignorons, mais c’est une réalité. En fait, il existe un espace mais insuffisant pour du tissu fibreux, donc il n’y a pas de mobilité possible pour l’implant.

Mais la manière dont l’implant s’ancre dans l’os est mécanique, c’est pourquoi les surfaces rugueuses permettent une intégration et une utilisation beaucoup plus rapides que les surfaces usinées lisses de Brånemark. Avec les implants actuels, à surface dite texturée ou à rugosité contrôlée, l’intégration osseuse est accélérée et vous pouvez les mettre en fonction plus rapidement car il existe une surface développée plus importante pour réaliser ce blocage mécanique. Dans ce cadre, il s’agit d’un blocage non par liaison chimique mais vraiment par liaison mécanique. C’est typiquement l’état de surface poli du col implantaire qui a conduit aux difficultés rencontrées avec l’implant Tissue Level de Straumann, avant la mise au point du Bone Level, lorsqu’il était utilisé enfoui dans le secteur antérieur. Cette partie polie ne s’intégrait jamais au tissu osseux, l’os ne se développait qu’au contact de la surface rugueuse et s’arrêtait à la limite de la surface polie, alors qu’il s’agissait du même type de titane commercialement pur.

Remerciements à P. Khayat et M. Metz pour avoir rendu possible cette rencontre pour Implant.

Olivier Fromentin et Jacques Attias. Réflexions autour de plus de 35 années de pratique de l’implantologie : entretien avec Dennis Tarnow, Implant, 2017, 95:175-178.

Traduction par Olivier Fromentin

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