Handicap et dépendance : soins adaptés - Clinic n° 02 du 01/02/2010
 

Clinic n° 02 du 01/02/2010

 

REPORTAGE

Catherine FAYE  

Le RSBDH-RA* (Réseau santé bucco-dentaire & handicap, Rhône-Alpes) prend en charge des personnes en situation de handicap et de dépendance. Ce réseau de santé ville-hôpital est un prolongement du service d'odontologie du centre hospitalier Le Vinatier, deuxième hôpital psychiatrique français, à Bron, dans la banlieue lyonnaise. Il coordonne dépistage, prise en charge précoce, traitement et prévention des pathologies bucco-dentaires de ses patients, en collaboration avec praticiens libéraux, établissements médico-sociaux, EHPAD...

nGilles a 50 ans. Grand sportif, ce père de 2 adolescents a été 14 fois champion de France de course de côte moto en montagne. Il y a 2 ans, il a eu un grave accident lors d'une compétition. Son tronc cérébral a été touché, sa mâchoire fracturée. Intubé pendant 2 mois, il a fallu lui extraire plusieurs dents et couronnes à tenons. Nourri par sonde gastrique, il souffre de troubles de la déglutition, fait des fausses routes et a un rétrécissement de la trachée. « À l'hôpital de Chambéry, on ne nous a pas donné beaucoup de solutions, on voulait lui faire une extraction complète et lui mettre un appareil », expliquent sa femme et sa soeur qui ont fait 100 km pour l'accompagner au CH Le Vinatier. « On s'est battues, même pour faire prendre en charge le transport jusqu'à Lyon, mais rien à faire ! » Dans le service d'odontologie, le praticien qui s'est occupé de ce patient en chaise roulante lui a fait un détartrage et une seule extraction. À l'occasion des prochaines séances, il lui refera 2 couronnes à tenons. « On se sent soulagées. Ici, l'équipe a l'habitude de prendre en charge des handicapés. On a pu rester à côté de Gilles toutes les deux : ça l'apaise. Le dentiste l'a bien rassuré et lui a expliqué ce qu'il allait faire : il est enfin considéré ».

« Même ce champion de France n'est plus traité comme il l'aurait été avant son accident... » déplore Éric-Nicolas Bory, chef du service. « Éthiquement, je trouve cela inacceptable. Il pourrait être notre frère, voire nous-même. Beaucoup de gens oublient que le handicap, la dépendance, ça peut arriver à tout le monde. » Convaincu de l'importance de la santé orale pour les plus vulnérables, cela fait plus de 20 ans qu'il consacre son temps et son énergie à faire reconnaître un système de santé bucco-dentaire pour les personnes handicapées, dépendantes, jeunes ou âgées. « C'est un problème de santé publique, d'identification des besoins des personnes. Il y a aussi une carence en termes de formation. Enfin, il s'agit d'un problème d'éthique et de déontologie : c'est un choix. »

Un constat alarmant

Capucine, 6 ans, est polyhandicapée psychomoteur. À la suite d'une chute, sa famille a cherché un cabinet dentaire pour la faire soigner. En vain. Elle n'a été prise en charge qu'un an après : une de ses dents de lait avait été impactée et était restée en l'état pendant tout ce temps-là, générant des caries. « On l'a laissée comme ça, souffrir. Et puis, le praticien qui a accepté de s'en occuper a voulu lui arracher la quasi-totalité des dents. Mais les dents... ça sert à quelque chose ! » , raconte Éric-Nicolas Bory. Selon une étude récente, 97 % des handicapés ne reçoivent pas de soins dentaires dans la région Rhône-Alpes et l'état bucco-dentaire des Français les plus fragiles est inquiétant. Cette population risque de développer des pathologies bucco-dentaires, avec des répercussions sur leur état de santé général, leur comportement, leur confort, leur qualité de vie. Ses besoins sont spécifiques : techniques de communication particulière, formation adaptée des praticiens, suivi personnalisé.

Une effervescence tranquille... L'atmosphère du service d'odontologie du CH Le Vinatier, créé en 1979 et ouvert aux consultants externes en 1987, est sereine. L'unité accueille des patients souffrant de handicaps mentaux ou physiques lourds, de paralysie cérébrale, de troubles psychiques, de polyhandicaps, de maladies rares..., ainsi que des personnes âgées dépendantes. L'équipe est constituée d'une trentaine de personnes dont 20 chirurgiens-dentistes, praticiens hospitaliers, attachés ou libéraux. Les praticiens libéraux qui font des vacations au sein du service ont suivi une formation spécifique. Un travail en équipe pluridisciplinaire, avec des psychologues, des infirmiers ainsi que des experts en gériatrie et dans le domaine du handicap, a permis de mettre en place un partenariat avec des établissements médico-sociaux. Outre les soins, l'équipe s'attache à traiter les troubles de l'oralité, comme la mastication, en prenant en compte la dimension psychique.

Avec une file active de 2 050 patients, ce service est devenu un centre ressource régional en santé orale. Il abrite 4 salles de soins : 2 sont destinées aux soins sous sédation, l'une d'elles peut accueillir les patients alités ; les 2 autres sont consacrées aux soins prothétiques et aux soins dentaires classiques. Non loin de la salle de radiologie, le dispositif de stérilisation, très rigoureux, a été mis en place dès 1997 par le chef de service, exigeant en ce qui concerne l'hygiène.

Réseau de solutions

« Deux structures se sont créées au sein du service : dans un premier temps, l'association SOHDEV (Santé orale, handicap, dépendance et vulnérabilité) et puis, en 2004, le RSBDH-RA », explique Éric-Nicolas Bory. La première, la SOHDEV**, est reconnue pour la formation initiale et continue dans le domaine de la santé orale des professionnels médicaux et paramédicaux impliqués dans la prise en charge et l'accompagnement des personnes en situation de handicap, de dépendance ou de vulnérabilité. « C'est en quelque sorte la tête pensante de tout ce que nous mettons en oeuvre. » Le RSBDH-RA a pour objectif de promouvoir la complémentarité entre différents praticiens pour participer à une prise en charge globale de la personne handicapée ou dépendante et apporter une qualité de soins. Cité en référence par la ministre de la Santé, c'est la première organisation de ce type en France même s'il existe d'autres réseaux de santé bucco-dentaire moins développés dans le pays. Son financement est public. Une soixantaine d'établissements ont signé une convention avec la structure : CMS (centres médico-sociaux), FAM (foyers d'accueil médicalisés), IME (instituts médico-éducatifs), foyers de vie, EHPAD (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes)... Dix mille personnes handicapées ont été prises en charge depuis 1997. Le réseau propose une offre graduée de soins, en fonction de la complexité et de la coopération du patient, chez un chirurgien-dentiste libéral : prévention, dépistage, éducation pour la santé, soins (si le soin n'a pas pu être effectué et malgré une approche comportementale, un second rendez-vous est pris). Si le patient est réticent, une prémédication, l'inhalation de MEOPA (mélange équimoléculaire d'oxygène et de protoxyde d'azote) ou une anesthésie générale est proposée, en coordination avec les équipes médicales et éducatives. « Le réseau est un outil, une première phase. Le but, c'est qu'il se développe. Et qu'il y ait une reconnaissance de sa spécificité », insiste son créateur.

L'implication des chirurgiens-dentistes libéraux est essentielle. Trente-quatre praticiens libéraux adhèrent au réseau et peuvent prendre en charge, dans leur propre cabinet, des patients en situation de handicap ou de dépendance, après avoir participé aux formations ad hoc . Ils bénéficient d'un forfait annuel de coordination complémentaire. C'est le cas de Christine Bovier-Lapierre qui s'est rapprochée du réseau : « Cela apporte un enrichissement professionnel et personnel, une meilleure coordination des soins... » Pour les patients qui nécessitent une sédation, elle se rend au service d'odontologie du CH Le Vinatier où elle dispense des soins une demi-journée par semaine. « Notre objectif est d'accentuer les prises en charge dans les cabinets lorsque le patient est coopérant », explique Caroline Laurendon, responsable de la communication.

Pratiques spécifiques

Éric-Nicolas Bory a mis en place des pratiques spécifiques pour rassurer les patients : « Prendre son temps, c'est ce qui compte. Établir un dialogue, créer du lien. Le praticien explique, négocie. Si un soin est refusé, il sera fait la prochaine fois. Enfin, si on n'arrive pas à effectuer le soin, on réadapte la prémédication. » L'approche comportementale est essentielle lorsqu'il s'agit de faire des soins à des personnes fragiles, angoissées, lorsqu'elles ont du mal à s'exprimer ou à appréhender l'autre ou la douleur. Elle permet d'établir une relation de confiance entre le praticien et le patient. La technique est appelée « tell, show and do » (explique, montre, puis fait). « Le personnel doit être bienveillant. Un jour, une mère m'a dit : «C'est la première fois qu'on considère mon enfant comme une personne» », se souvient Éric-Nicolas Bory. « Un individu qui sort du ventre d'une femme est un être humain, comme les autres. » « Ce type d'approche comportementale est fréquemment suffisant lors d'une prise en charge, ajoute Caroline Laurendon, mais certaines pathologies nécessitent une prémédication sédative, une sédation consciente, voire parfois une anesthésie générale. » Le recours à la sédation consciente par inhalation de MEOPA permet d'éviter l'anesthésie générale. Enfin, l'aspect psychologique est aussi abordé par des actions en amont, comme l'utilisation de pictogrammes pour préparer les enfants autistes avant qu'ils soient pris en charge par un praticien.

Soins oubliés

Depuis 1 an, le Réseau prend en charge les personnes âgées dépendantes, de plus en plus nombreuses. Une population oubliée. Plus de 50 % d'entre elles n'ont pas bénéficié de soins ou d'examen dentaire depuis plus de 5 ans et de 60 à 80 % ont besoin de soins. « Les complications de caries ou la maladie des gencives peuvent avoir des répercussions graves sur des organes essentiels à la vie : coeur, poumons, reins, articulations... Des micro-organismes pathogènes de la cavité orale peuvent migrer par voie sanguine vers ces organes essentiels et être à l'origine, par exemple, d'une endocardite infectieuse, d'une pneumopathie ou d'une glomérulonéphrite », explique le chef du service d'odontologie.

Pour résoudre le problème d'accès physique aux soins, le réseau propose une prise en charge sur le lieu de vie des personnes âgées, notamment par l'utilisation d'unités portatives d'intervention en santé orale (UPISO) qui permettent la réalisation de soins au lit de résidents d'établissements. Elles sont souvent utilisées en complément de l'unité mobile, un cabinet dentaire itinérant. Environ 400 personnes âgées dépendantes sont prises en charge par le Réseau : 17 % viennent pour leurs soins au CH Le Vinatier, 20 % sont soignées sur place avec l'UPISO et le reste profite de l'unité mobile.

Engagement moral

L'unité mobile se déplace dans les EHPAD, les établissements médico-sociaux. Elle nécessite une grande organisation, un travail en amont. Tout est sanglé pour le transport et la mise en place : branchements, électricité, sorties d'eau... Aujourd'hui, elle est installée sur le parking du centre Les Mollières (un foyer d'accueil médicalisé pour adultes déficients visuels qui présentent des pathologies psychiatriques lourdes), à L'Arbresle, à une trentaine de kilomètres de Lyon. Le centre a été prévenu de son arrivée et a préparé une liste de patients à traiter. Les dossiers sont préparés et remis au praticien qui y inscrit ses remarques. Le foyer récupère ensuite les données.

Sur un écran lumineux, une radio. Guillaume Jarrigeon, praticien libéral, s'adresse à Pauline : « Montre-moi tes jolies dents... Tu vas sentir de l'eau. » Son accompagnatrice lui caresse la main. « Il faut ouvrir plus grand que ça, comme quand tu fais un sourire ! » Praticiens et assistantes parlent à la patiente pour la mettre en confiance. « À chaque fois, on remet un petit cadeau au patient, explique Rose-Marie Di Rienzo, assistante dentaire, ils adorent ça et après ils reviennent facilement. » Elle travaille dans l'équipe depuis 1 an. « Le côté humain est primordial. Une fois le contact établi, les patients nous reconnaissent. Hier, Pierre a refusé d'être soigné : il pleurait, il avait des gestes de défense. Mais aujourd'hui, il est revenu et s'est laissé faire. Ce qui est intéressant, c'est de prendre son temps. »

À l'arrière du camion, un hayon élévateur permet aux personnes invalides d'accéder facilement au cabinet en fauteuil roulant. Car il s'agit d'un véritable cabinet équipé avec un matériel de haute technologie. À l'entrée, une radiographie panoramique numérique est reliée à un ordinateur dans la salle de soins ; quasi aérienne, elle bouge verticalement et ne procure aucune sensation d'enfermement. Le patient peut rester assis dans son fauteuil roulant. Juste après la salle de soins, vaste et ergonomique. Enfin, la salle de désinfection, au fond : le matériel sera stérilisé plus tard, au centre hospitalier.

« L'unité mobile, c'est royal. On a tout sur place. » Guillaume Jarrigeon adhère au Réseau depuis 3 ans. « D'abord c'est un état d'esprit. Et un engagement moral. Le travail en équipe est un des aspects principaux du Réseau avec des personnes «ressource» comme les psychiatres. Ce qui est intéressant aussi ce sont les conférences médicales, la connaissance du handicap, de la psychologie, de la neurologie. » Il consacre un douzième de son temps de travail au Réseau. « Mes premières séances auprès de patients souffrant de handicaps sévères ont été dures. Mes rêves devenaient productifs. Aujourd'hui, je suis plus à l'aise. Et c'est une telle bouffée d'oxygène de voir d'autres cas cliniques ! » Il envisage de créer son propre cabinet organisé autour de l'accueil d'un public handicapé. Un projet en concordance avec l'action du Réseau et de son mentor, Éric-Nicolas Bory. « L'avenir de la santé est là, s'enthousiasme ce dernier. Si chaque chirurgien-dentiste donnait une demi-journée par semaine aux handicapés et aux personnes âgées, la situation évoluerait. Il s'agit là d'une dimension humaine. Et cela permet de relativiser les problèmes du quotidien : on voit l'essentiel. »

Formation

L'objectif est de faire évoluer les pratiques au quotidien. La formation est organisée sous forme de colloques. Dispensée par des professionnels de la santé bucco-dentaire, elle permet aux praticiens libéraux d'acquérir les compétences nécessaires pour la prise en charge des personnes en situation de handicap ou de dépendance et de maîtriser le travail de coordination en réseau. Les colloques accueillent entre 30 et 50 personnes. La participation est de 120 euros la journée.

Prochains colloques Santé orale & handicap

Jeudi 6 mai 2010

Prise en charge des personnes en situation de handicap, de dépendance ou de vulnérabilité dans le cadre du RSBDH-RA.

Jeudi 10 juin 2010

Autisme et santé orale : du diagnostic à la prise en charge.

* www.reseau-sbdh-ra.org ** www. sohdev.org