Photos cliniques et portraits - Clinic n° 09 du 01/09/2017
 

Clinic n° 09 du 01/09/2017

 

PHOTOGRAPHIE

Didier CRESCENZO*   Hélène CRESCENZO**   Michel BECKER***  


*Prothésiste dentaire
**Prothésiste dentaire
***Ancien assistant hospitalo-universitaire
Paris V
Pratique privée

Entre le praticien et le laboratoire de prothèse la photographie est devenue indispensable pour la transmission d’informations comme la forme, la couleur mais également la direction à prendre lors de la mise en place d’un plan de traitement et des choix thérapeutiques.

La fidélité des images obtenues mais aussi la facilité de leur réalisation vont conditionnés la qualité des échanges d’information et donc le résultat final. Leur utilisation ultime se retrouve dans la conception d’une simulation virtuelle du projet de traitement.

Afin d’obtenir un VEP correct, la qualité des photographies prime dans l’analyse esthétique des patients [1].

Recommandation des plans photographiques du VEP

Importance des plans photographiques du type « portrait »

Ces photographies seront prises aussi bien à l’échelle faciale que dento-gingivale, issues d’un protocole précis et reproductible, à l’aide d’un matériel bien adapté. Aussi, nous ne conseillons pas de prendre des photos avec un simple appareil photo compact, une tablette ou un téléphone (Android) car les capteurs y sont souvent de moins bonne qualité ou la déformation des images règne.

De plus, les prises de vue à l’aide d’une tablette ou d’un smartphone, où la focale de l’objectif est un grand-angle (20 ou 24 mm), déforment énormément la morphologie faciale du patient en photo « portrait » ou intrabuccale. Par conséquent, aucune analyse de mesure mathématique ne sera fiable lors d’un projet avec de telles photographies, surtout si l’on souhaite être précis.

Les photographies « portrait » et intrabuccales doivent être prises avec le même appareil et le même objectif. Pour cela, nous recommandons un appareil reflex APS-C ou FX, avec une préférence pour les APS-C, Nikon ou Canon, etc., équipé d’un objectif macro du type 85 ou 105 mm, focale fixe (pas de zoom). Il ne faut pas d’objectif grand angle et il faut proscrire tablette et smartphone (fig. 1 et 2).

Pour réaliser une analyse VEP, il est nécessaire d’avoir 3 ou 4 portraits de face avec un sourire graduel (du type sourire d’Aboucaya) [2] (fig. 3), ainsi que quelques photographies intrabuccales avec différents degrés d’angulations du plan occlusal, le but étant de pouvoir repositionner des photos ­intrabuccales sur la photo « portrait » du patient avec la même angulation (posture du visage + plan occlusal).

Quelle posture ?

Dans le quotidien, les praticiens ou exceptionnellement les prothésistes ne font pas attention à cet élément.

La posture est primordiale dans l’analyse esthétique car, pour faire cette analyse, le praticien a besoin de voir de manière rapide et précise les éventuelles asymétries ou un problème d’axe d’un visage quel que soit le type de patient (typologie). Il est bien évident qu’il est plus facile de détecter une différence d’axe, de plan ou de parallélisme dans un visage quand le sujet est pris en photo systématiquement selon les mêmes axe et plan (posture), plutôt que d’analyser un sujet pris en photo sous des axes et plans totalement différents avec de légères rotations droite/gauche. Il est indispensable de « rationaliser » les prises de vue « portrait ».

Il est préférable de classer les plans photographiques par ordre d’importance et de penser à les effectuer avant les soins ou de prévoir cette étape lors de la première consultation d’étude. Il est recommandé que le praticien ou le prothésiste photographe ainsi que le patient soient assis lors de la prise des photos, et que le photographe prenne appui soit sur son bureau ou, mieux, un trépied afin d’être encore plus stable [3] (fig. 4).

Posture de la tête

Sans la mise en garde qui suit, la plupart du temps on prend deux types de photos « portrait » :

• soit le type stressé en mode « garde-à-vous » ;

• soit le type relax en mode « zen attitude » ou « fou rire ».

On analyse un sourire non plus sur un plan horizontal, mais plutôt sur une courbe car, en bouche, on n’observe que des courbes : les courbes de Wilson, de Spee et la courbe frontale incisive.

Cette dernière facilitera l’analyse frontale du sourire avec l’aide de la courbure de la lèvre inférieure.

À l’inverse, si on part sur un plan horizontal d’un sourire, cette analyse risque d’être mal interprétée par la présence de la courbe de la lèvre inférieure.

Il est très important de trouver l’équilibre d’un futur sourire en tenant toujours compte des lèvres qui le bordent : elles en représentent le cadre du sourire [4] (fig. 5 7).

Afin de mieux comprendre comment mettre son patient dans la bonne posture, il faut que, dans un premier temps, on ait dans la visée de son appareil photo le mode quadrillage, qui aura été activé dans le menu de l’appareil ; à défaut, les collimateurs peuvent aussi faire office de repère dans la visée, mais à condition que l’appareil soit en mode AF (autofocus). Ainsi, avec l’une des lignes du quadrillage, on aura la possibilité d’aligner tout simplement les deux lobes des oreilles et, entre ces deux premiers repères, le point sous-nasal dans un mouvement de rotation autour de l’axe transversal de la tête (en jaune) (fig. 8).

Autre point important, avec ces repères, on sera parallèle au plan de Francfort car les deux repères coïncident. Par expérience, il sera aussi demandé au patient d’attacher ses cheveux s’ils recouvrent ses oreilles. Dans cette position, quelle que soit la typologie du patient, on obtient une base totalement reproductible qui a pour but de rationaliser ce portrait de face.

Plan frontal

Le mouvement autour de l’axe vertical va influer sur la bonne ou mauvaise interprétation du milieu interincisif, défini par l’axe médian. Pour cela, il est indispensable de visionner une proportion similaire de la joue droite et de la joue gauche en prenant comme repères, d’un côté comme de l’autre, la commissure des lèvres et un lobe d’oreille (fig. 9).

À cette fin, il faut demander au patient de tourner très légèrement la tête à droite ou à gauche (de quelques degrés seulement). Le photographe peut aussi se ­déplacer tout simplement à droite ou à gauche du patient en le gardant dans la visée de son appareil photo.

Axes de référence

Enfin, la troisième et dernière position, l’axe sagittal, est à l’inverse des deux premiers points, de moindre importance car l’incidence de ce mouvement sera très facilement corrigée par n’importe quel logiciel qui ouvrira cette photo par rotation de l’image (fig. 10).

Cas clinique

Présentation du cas

Brigitte se présente à la consultation, gênée tant fonctionnellement qu’esthétiquement par son sourire qui ne la satisfait pas :

- fonctionnellement, en classe II division 2 avec une version palatine importante du groupe antérieur maxillaire et une morsure du palais par les incisives mandibulaires ;

- esthétiquement, les dents antérieures sont conoïdes, petites avec un manque de prédominance dans le sourire.

Pour ce cas, à l’évidence, le traitement devra passer par une étape orthodontique [5]. L’examen clinique initial est complété par des empreintes et un bilan photographique.

L’ensemble est confié à Hélène et Didier Crescenzo (laboratoire Esthetic Oral) pour la réalisation du VEP.

Réalisation du VEP

Un projet esthétique virtuel du cas sera effectué selon les recommandations de prises de vue définies plus haut, afin d’être très précis dans l’analyse esthétique de cette patiente. Il sera réalisé à l’aide de l’outil Keynote (Mac) mais peut être fait également avec le logiciel PowerPoint (PC) [6]. Aucun autre logiciel ou investissement supplémentaire qu’un appareil photo reflex n’est nécessaire. Le but de cette étape est de prévisualiser les futures restaurations, dans l’intérêt de mieux communiquer entre les acteurs, soit les 3 P (praticien, patient, prothésiste).

La sélection d’une photographie du type VEP, avec mise en place des différentes lignes et courbes - LBP (ligne bipupillaire), LSN (ligne sous-nasale), LPI (ligne du plan incisif), AM (ligne de l’axe médian), CFI (courbe frontale incisive) -, a pour but de cadrer cette analyse et de construire le futur nouveau sourire [7].

Cette trame de lignes est déjà en place dans un Keynote, afin de ne pas avoir à la recréer chaque fois. On glisse tout simplement la photo « portrait » du nouveau patient sous cette dernière, puis on ajuste les lignes sur ou sous les repères faciaux.

La courbe frontale incisive, quant à elle, sera créée et ajustée chaque fois en fonction de la morphologie faciale du patient (fig. 11).

Après avoir sélectionné puis mis en place tous les repères fondamentaux, on mesure la hauteur et la largeur de chaque dent concernée à l’aide d’un pied à coulisse (sur le patient ou sur le modèle d’étude) et on rapporte toutes ces mesures sur l’image (chiffres en blanc).

Puis on construit, avec Keynote, le masque esthétique et la règle virtuelle sera ajustée à l’échelle réelle (chiffres en blanc). Il sera alors facile de mesurer la différence entre les bords des masques (bord libre, hauteur de collet et largeur) et la dent naturelle de la photo, puis de soustraire ou d’additionner la hauteur et la largeur afin d’obtenir les bonnes cotes dans le futur projet (chiffres en vert) qui débouchera sur la confection d’un wax-up, lui-même ultérieurement transformé en mock-up en bouche à l’aide d’une clé en silicone en double mélange [8] (fig. 12 à 14).

Grâce aux masques ou aux contours, on peut également anticiper la nécessité d’une éventuelle gingivectomie ou d’une élongation coronaire, ou proposer un traitement orthodontique. Le but est d’éviter les mutilations inutiles. De plus, il sera possible d’opacifier et de modifier ces masques par l’intermédiaire d’une bibliothèque de formes, créée au cours des différents cas réalisés, formes toutes modi­fiables pouvant être adaptées au cas en cours (fig. 15 à 17).

Cette dernière image sera une vue totalement purifiée du projet. Elle aura un rôle important dans la présentation du plan de traitement au patient qui a besoin de voir un « avant » et un « après » pour comprendre l’analyse du praticien (fig. 18).

Le but de cet article n’est pas de décortiquer le mode d’emploi du projet esthétique virtuel mais, plutôt, de mettre en lumière le cadrage (plan photographique) et les différentes prises de vue par ordre d’importance car, et c’est regrettable, dans de nombreuses publications (revues diverses, réseaux sociaux, etc), les auteurs font des analyses sans se soucier des plans ou des cadrages, ce qui peut entraîner (malgré soi), dans la plupart des cas, une analyse approximative ou erronée. Il faut aussi comprendre que l’utilisation de cet outil générera deux visions différentes de cette analyse :

• un aspect analytique afin :

- de construire un projet précis pour guider le prothésiste dans l’élaboration technique avec les mesures obtenues par addition ou soustraction,

- de faire comprendre la faisabilité ou non du projet au patient, projet qui peut être plus ou moins complexe à mettre en œuvre car il nécessite souvent l’intervention de spécialistes supplémentaires au sein même de l’équipe (chirurgie, parodontie, ortho­dontie) en amont du traitement,

- de fixer les limites de compétence de chacun des intervenants ;

• un aspect communication qui aura un rôle dans l’acceptation de la proposition de traitement et/ou dans la prévisualisation de l’ampleur du traitement avant de le commencer.

Mais de toute évidence, une fois les analyses effectuées, peu importe le logiciel ou la technique virtuelle que l’on peut trouver sur le marché, la concrétisation de la conception du projet esthétique doit être réalisable par le prothésiste avec des mesures précises. Le dernier mot sera la validation en bouche par le port d’un mock-up issu du wax-up dès la première séance. Il restera en bouche pendant quelques minutes, heures, jours, voire semaines ­selon l’importance du cas, ou encore plusieurs mois dans le cas d’une restauration bimaxillaire de grande étendue en fonction du changement fonctionnel et esthétique du projet.

La patiente dont le cas a été présenté revient après une phase orthodontique. Celle-ci a permis de lever la supraclusie, d’ouvrir l’arc et de se retrouver dans une situation confortable permettant de proposer la reconstitution esthétique souhaitée.

De nouvelles empreintes en double mélange sont prises. Guidées par le projet esthétique virtuel, des cires de diagnostic (wax-up) sont réalisées [9]. Les dents à modifier sont ainsi redessinées selon les mesures prédéfinies virtuellement.

Sur le modèle modifié, une clé en silicone double mélange, de dureté Shore élevée, est enregistrée (Zetalabor de chez Zermack pour le putty et Oranwash pour le light). La clé est détourée très précisément en cervical des dents à traiter [8].

De la résine bis-acryl (Luxatemp, DMG ; Protemp™, 3M ESPE…) est placée dans cette clé, dans le cas présent de 13 à 23. Très compressive au niveau des dents postérieures, elle va trouver son calage.

Les excès sont éliminés avec soin, le mock-up obtenu permet de valider les volumes, la forme et les rapports occlusaux du projet (fig. 19 et 20).

Une fois validée, la maquette servira de guide pour la préparation des dents traitées. La préparation, calibrée, se fera en fonction de ces maquettes. Grâce à ce dispositif, les préparations seront particulièrement conservatrices.

L’avantage supplémentaire du couple gouttière/mock-up est que, tout au long du traitement - préparations, empreintes, essayage des biscuits, finitions puis collage -, on a à sa disposition des provisoires parfaitement adaptées (puisqu’elles sont issues des maquettes réglées et validées). Ces provisoires pourront à loisir être déposées et refaites à chaque séance, facilement.

Ensuite, la préparation des 6 dents antérieures (fig. 21) est effectuée, avec prise des empreintes en double mélange. Celles-ci sont traitées au laboratoire. Six facettes sont réalisées et essayées au stade du biscuit. Leur intégration est validée par le praticien puis, après finition et glaçage, lors d’une nouvelle séance, elles sont collées.

Le résultat final est validé ici par le sourire libéré de la patiente (fig. 22 à 25).

À chaque étape, selon les protocoles décrits plus haut, des photographies sont prises.

C’est le seul moyen fiable, pour celui qui n’a pas la chance d’avoir à son cabinet un céramiste, de pouvoir valider tout au long du traitement les différentes étapes.

Conclusion

Nous l’avons vu, avec des moyens relativement peu onéreux et peu encombrants, nous pouvons offrir à l’équipe prothétique que nous formons avec notre laboratoire un excellent moyen de communication.

C’est pour nous d’un grand confort puisque nous appuyons notre communication visuelle sur l’objectivité apportée, entre autres, par l’image, à l’opposé de celle fournie par des écrits ou quelques dessins…

Pour le patient, enfin, il est excessivement rassurant, surtout pour ces plans de traitement à visée esthétique, de pouvoir appréhender le résultat avant même que l’on ait « touché » à quoi que ce soit et que, tout au long du processus, on puisse se servir du projet esthétique virtuel et des mock-up comme d’une référence.

Bibliographie

  • [1] Crescenzo D, Crescenzo E. Le projet esthétique virtuel. Un nouvel outil pour les traitements esthétiques. Inf Dent 2014;43:2-9.
  • [2] Aboucaya WA. Le sourire : classifications et critères d’applications en esthétique faciale. Nouv Presse Med 1973;39:2611-2616.
  • [3] Crescenzo H, Crescenzo D. Le projet esthétique virtuel. Un nouvel outil pour les traitements esthétiques. Stratégie Prothétique 2015;15:143-152.
  • [4] Cholet E. Le sourire publicitaire. Thèse de doctorat en chirurgie dentaire. Bordeaux : université de Bordeaux, 2015.
  • [5] Tirlet G, Attal JP. Une approche contemporaine, conservatrice et adhésive. Inf Dent 2014 ;31:7.
  • [6] Quentin G, Atlan A, Decup F. Projet esthétique virtuel. De l’analyse à la réalisation. Clinic 2017;356:269-267.
  • [7] Crescenzo H, Crescenzo D, Becker M. L’esthétique par reconstitution prothétique conventionnelle au travers d’une consultation pluridisciplinaire. QDRP 2016;10:327-337.
  • [8] Tirlet G. Les full mock-up. BioMatériaux dentaires Clinique 2016;1.
  • [9] Koubi S, Gürel G, Masshi R, Margossian P, Tassery H. Le projet esthétique et fonctionnel : nouveau « GPS » de la dentisterie moderne. QRDP 2014:4:257-272.

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