Réflexe d'ouverture buccale en prothèse complète et prothèse implanto-portée - Cahiers de Prothèse n° 101 du 01/03/1998
 

Les cahiers de prothèse n° 101 du 01/03/1998

 

Occlusodontie

Harald Tschernitschek *   Jürgen Strempel **   Albrecht Roßbach ***  


* Professeur
** Assistant scientifique
*** Professeur
Medizinische Hochschule Hannover -
Poliklinik für zahnärztliche Prothetik
Carl-Neuberg-Str. 1
D-30625 Hannover, Allemagne

L'apparition de l'implantologie a apporté un espoir important chez les édentés totaux, surtout mandibulaires. Les études fondamentales confirment ces améliorations probantes observées en clinique par les prothèses complètes stabilisées par des implants. L'espoir est ainsi devenu un progrès.

Résumé

Chez 83 patients (60 avec des prothèses complètes et 23 avec des prothèses implanto-portées), le réflexe d'ouverture buccale est enregistré des deux côtés au moyen d'électromyographie de surface. Le réflexe est provoqué par le contact interarcade au cours d'une succession de tapotements dentaires. Les durées des périodes de silence chez les patients avec prothèses complètes sont en moyenne de 20,2 ± 8,9 ms. Chez les patients avec prothèses implanto-portées, elles sont considérablement plus courtes avec 12,3 ± 3,7 ms. La comparaison avec un test t révèle des différences statistiquement significatives entre les deux groupes (p < 0,0002). Nous concluons que les différences de réflexe d'ouverture buccale entre les prothèses complètes et les prothèses fixées implanto-portées correspondent à une meilleure régulation neuro-musculaire et une meilleure efficacité masticatoire des patients avec prothèses implanto-portées. Nos résultats indiquent que les implants peuvent éviter la détérioration de l'efficacité de la mastication des patients édentés.

Summary

The jaw-opening reflex in patients with complete dentures and with implant based dentures

In 83 patients (60 patients with complete dentures and 23 patients with implant based dentures) the jaw-opening reflex was recorded bilaterally by means of surface electromyography. The reflex was elicited by the tooth contact during a repetitive jaw movement of tooth tapping. Silent period durations in patients with complete dentures showed mean values of 20.2 ± 8.9 ms. In patients with implant based dentures they were considerably shorter with 12.2 ± 3.7 ms. The comparison with a t test revealed statistically significant differences between the two groups (p < .0002). We conclude that these differences of the jaw-opening reflex between complete dentures and implant based fixed dentures correspond with a better neuromuscular regulation and better masticatory ability of the patients with implant based dentures. Our results thus indicate that implants may counteract the deterioration of mastication in edentulous patients.

Key words

implant based dentures, jaw-opening reflex, masseteric EMG, silent period, tooth contact

Les mouvements mandibulaires nécessaires à l'élocution, la mastication, la déglutition et autres sont sous la dépendance d'une régulation neuromusculaire par un système cybernétique (fig. 1) dans lequel il faut distinguer les mouvements musculaires volontaires des mouvements réflexes [1]. L'influence des traitements dentaires sur les réponses réflexes d'activation et d'inhibition des muscles masticateurs reste encore mal connue. Les types de réflexes différents pourraient emprunter une voie différente [2]. Cette étude se concentre sur ce qui est appelé le « réflexe d'ouverture buccale ». Ce réflexe polysynaptique complexe provoque l'activation des muscles abaisseurs et une inhibition simultanée des muscles élévateurs antagonistes [3]. L'enregistrement électromyographique du muscle masséter permet d'observer que son inhibition provoque une pause d'innervation connue sous le nom de période de silence [2, 4, 5] (fig. 2). Le réflexe d'ouverture buccale peut être provoqué par différents types de récepteurs parmi lesquels les récepteurs du ligament parodontal [6, 7], les récepteurs articulaires [8], les récepteurs musculo-tendineux [9] et, à des seuils plus élevés, les nocicepteurs pulpaires [10]. L'implication des récepteurs acoustiques peut également être prise en compte [11]. Au cours de la mastication, le réflexe d'ouverture buccale peut être considéré comme un mécanisme protecteur des dents et du parodonte en réponse à des contacts occlusaux inhabituels [12].

La perte des dents est inévitablement à l'origine de la perte d'un système complet de récepteurs : les récepteurs du ligament parodontal. Avec la mise en place de prothèses complètes, les informations concernant les contacts dentaires et les forces subséquentes sont fournies essentiellement par les récepteurs de la muqueuse gingivale, activés au travers de la base prothétique en résine. Les récepteurs de la muqueuse gingivale prennent la place des récepteurs à point de départ parodontal disparus [5, 13]. L'activité neuromusculaire peut être utilisée pour mesurer la capacité masticatoire [2]. Par conséquent, lorsque des implants sont utilisés pour stabiliser une prothèse complète, des changements au sein du système cybernétique sont inévitables, donnant lieu à des différences d'activité neuromusculaire mesurables.

L'objectif de cette étude est d'évaluer les effets des prothèses complètes conventionnelles et implanto-portées sur le réflexe d'ouverture buccale.

Méthodes

Le réflexe d'ouverture buccale est étudié chez 83 patients. Les patients peuvent être divisés en deux groupes :

- le groupe 1 : 60 patients porteurs de prothèses complètes (moyenne d'âge 64,6 ±10,7 ans) ;

- le groupe 2 : 23 patients porteurs d'une prothèse complète maxillaire et d'une prothèse implanto-portée mandibulaire (moyenne d'âge 60,7±10,3 ans).

Le réflexe d'ouverture buccale est induit physiologiquement par les contacts dentaires au cours de tapotements répétitifs des dents avec une fréquence d'environ deux cycles par seconde. Chez tous les patients, un électromyogramme (EMG) avec électrodes de surface des deux masséters est réalisé. Les signaux d'EMG sont amplifiés entre 50 Hz et 10 kHz, numérisés et stockés dans le disque dur d'un ordinateur PC. Le son provenant des contacts dentaires, enregistré avec des micros placés dans le pavillon externe des oreilles, est utilisé pour confirmer le déclenchement du réflexe. Pour évaluer les périodes de silence, un logiciel est mis au point qui détecte automatiquement les phases d'activité musculaire dans le signal EMG et localise l'arrêt de l'innervation. Il est convenu que la période de silence commence au dernier pic du signal de l'EMG avant la pause d'innervation et finit avec le début d'une nouvelle déviation de la ligne. Les périodes de silence visibles sur l'écran de l'ordinateur, où leurs début et fin sont cliqués avec la souris, sont acceptées. Un nombre moyen de 18 phases d'activité, 9 de chaque côté, est évalué pour chaque patient. De façon à minimiser la variabilité des mesures, toutes les évaluations sont réalisées par le même évaluateur [14]. Le durée moyenne de toutes les périodes de silence d'un patient et l'écart type sont utilisés pour procéder à l'analyse. L'analyse statistique a été faite avec le test t et le logiciel SPSS/PC [15].

Résultats

Les périodes de silence sont observées chez 93,8 % des patients avec des prothèses complètes conventionnelles (groupe 1 : 1 056 des 1 136 phases d'activité), mais chez seulement 83 % des patients porteurs de prothèses implanto-portées (groupe 2 : 377 des 454 phases d'activité). La figure 3 montre trois phases d'activité sur l'EMG des masséters d'un patient porteur d'une prothèse conventionnelle. Les périodes de silence sont évidentes. Sur la figure 4, les phases d'activité d'un patient porteur d'une prothèse fixée implanto-portée sont visibles avec des périodes de silence beaucoup plus courtes. La durée des périodes de silence chez les patients porteurs de prothèses complètes est en moyenne de 20,2 ± 8,9 ms. La variabilité, mesurée par l'écart type de la durée de toutes les périodes de silence d'un patient, a une valeur moyenne de 8,5 ± 4,8 ms. Chez les patients porteurs de prothèses fixées implanto-portées mandibulaires, les périodes de silence sont considérablement plus courtes avec en moyenne 2,2 ± 3,7 ms. De plus, la variabilité est réduite à 5,0 ±3,1 ms. La comparaison avec un test t révèle des différences statistiquement significatives entre les deux groupes (p < 0,0002) pour les deux paramètres (fig. 5).

Discussion

Dans les premières expériences, il a été montré que les périodes de silence sur l'EMG du masséter peuvent être observées chez des sujets porteurs de prothèses partielles et les patients édentés complets [2, 16]. Des durées des périodes de silence semblables aux valeurs de notre étude ont été rapportées par différents chercheurs [2, 17]. Cependant, les résultats des différentes études ne peuvent être comparés de façon sérieuse. La première raison est due aux différences de définition de la période de silence par les différents chercheurs [18]. La deuxième raison est le fait que les périodes de silence dans l'EMG du masséter peuvent être le résultat de réflexes différents ayant des interconnexions nerveuses différentes. Les périodes de silence du masséter peuvent être générées par le « réflexe de tapotement des maxillaires » (= réflexe massétérin) [19, 20], le « réflexe de la bouche vide » [5, 21] et le « réflexe d'ouverture buccale » (= réflexe linguo-mandibulaire) [3, 22], et seules les études portant sur le même réflexe peuvent être comparées. Notre étude prend en compte le réflexe d'ouverture buccale.

Dans notre étude, les patients porteurs de prothèses fixées implanto-portées ont une période de silence significativement plus courte que les patients porteurs de prothèses complètes conventionnelles. Cette différence de durée moyenne des périodes de silence entre les deux groupes de patients doit être due aux types de prothèses différents. Une différence se trouve dans le nombre différent de récepteurs provoquant le réflexe. Chez un patient édenté, le réflexe d'ouverture buccale est essentiellement dû aux récepteurs de la muqueuse buccale au travers de la base prothétique en résine alors que, chez les patients porteurs de prothèses fixées implanto-portées, les récepteurs de la muqueuse ne peuvent être activés que par la gencive maxillaire. Cependant, chez les patients porteurs de prothèses complètes, les récepteurs des arcades mandibulaire et maxillaire sont activés, d'où un influx nerveux plus fort, avec une durée des périodes de silence augmentée [23]. Si la prothèse mandibulaire bascule ou glisse sur les tissus de soutien - problème plus fréquent avec les prothèses mandibulaires qu'avec les prothèses maxillaires -, les stimuli de pression prolongés peuvent de plus contribuer à augmenter la durée des périodes de silence. L'écart type de la durée de toutes les périodes de silence d'un patient peut être interprété comme une mesure de variabilité individuelle des périodes de silence. Chez les patients porteurs de prothèses complètes conventionnelles, non seulement la durée des périodes de silence est plus importante que chez ceux porteurs de prothèse implanto-portée, mais la variabilité des périodes de silence est nettement supérieure. Ce dernier facteur peut être interprété comme le résultat d'une moindre stabilité des prothèses : même lors de l'exécution des mouvements mandibulaires très réguliers, la prothèse mandibulaire, surtout, a tendance à bouger sur les tissus supportant la prothèse, provoquant par là des stimuli de pression de durées variables entre les contacts dentaires successifs. Ceci correspond aux résultats de Verkindère et al. [2] selon lesquels les patients porteurs de prothèses complètes ont une plus grande dispersion de durée des périodes de silence que les témoins aux dents naturelles.

Conclusion

Les différences de réflexe d'ouverture buccale entre les groupes de patients avec des prothèses complètes conventionnelles et des prothèses fixées implanto-portées sont dues aux différences des stimuli. Une période de silence plus courte et de variabilité moindre chez les patients avec prothèses implanto-portées indique une amélioration de la régulation neuromusculaire comparée aux patients porteurs de prothèses complètes conventionnelles. Les implants peuvent donc être considérés comme limitant le risque de diminution de l'efficacité masticatoire des patients édentés.

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