articulation temporo-mandibulaire (ATM)
Michèle Hervy-Auboiron* Bernard Fleiter -** Alain Lautrou -***
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Orthodontiste, DU d'occlusodontie
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MCU-PH
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PU-PH
Avec une prévalence estimée à 4 %, le syndrome d'apnées obstructives du sommeil (SAOS) est un problème de santé publique majeur. Actuellement, la ventilation à pression positive continue (VPPC) est le traitement de référence, traitement palliatif qui nécessite une motivation importante et durable du patient. Présentées comme de possibles alternatives thérapeutiques, les orthèses d'avancée mandibulaire ont démontré leur efficacité et permettent une prise en charge des nombreux réfractaires à la VPPC. Les propulseurs proposés, largement utilisés en orthodontie depuis longtemps, provoquent une avancée forcée du maxillaire inférieur et on ne peut exclure des effets secondaires possibles aux plans articulaire, musculaire ou dento-parodontal lors d'un port prolongé. Le principe de l'orthèse d'avancée mandibulaire induite (OAMI) repose sur l'hypothèse suivante : une avancée mandibulaire induite, stimulée, impliquant un recrutement musculaire spécifique, peut-elle être préconisée chez les patients atteints de SAOS et offrir des améliorations comparables à celles obtenues par les orthèses de propulsion forcée ?. Les premiers résultats semblent montrer qu'il existerait un effet rémanent intéressant sans action scoliodontique rapportée. La propulsion mandibulaire est envisagée comme une réponse fonctionnelle et non une position forcée.
Induced mandibular advancement devices: a therapeutic alternative for the sleep obstructive apnea syndrome
With a prevalence estimated at 4 %, the sleep obstructive apnea syndrome is a major health issue. Currently, the ventilation with a continuous positive pressure is the recommanded therapeutics, a palliative treatment which demands a true and long-term motivation from the patient. Set up as possible therapeutic alternatives, the mandibular advancement devices have performed well and help to treat the numerous patients who object to the ventilation with a continuous positive pressure. The proposed propulsors, which have been for a longtime widely used in orthodontics, trigger a forced mandibular advancement. Articular, muscular or dental and periodontal side effects are hence not to be excluded. The principle of the induced mandibular advancement device lies on the following hypothesis : can an induced mandibular advancement, stimulated and implying a specific muscular effort be recommanded to patients with sleep apnea and offer improvements closed to those obtained with forced propulsion oral appliances ? Considering the first results, it seems that there could be an interesting residual effect without any reported scoliodontic action. Mandibular propulsion is taken as a functional response and not as a forced position.
Le syndrome d'apnées obstructives du sommeil (SAOS), dont la prévalence augmente, est avant tout une symptomatologie. Aussi, de nombreuses équipes travaillent actuellement sur les alternatives orthopédiques de traitement, en particulier sur l'utilisation d'un système de propulsion mandibulaire ayant pour objectif d'induire de nouvelles positions vélaires et linguales qui permettent une augmentation dimensionnelle des voies aériennes supérieures. Ainsi, c'est par une action musculaire que sera obtenue une amélioration physiologique.
Les systèmes de propulsion mandibulaire actuellement utilisés sont surtout les bielles et orthèses monoblocs qui assurent une avancée clairement quantifiée, mais forcée. La participation musculaire à l'avancée est alors totalement passive et le point d'application de la contrainte est dentaire. La solution proposée dans cet article est un système de propulsion induite à point de départ muqueux. Dans ce cas, l'avancée mandibulaire est secondaire à la réponse musculaire réflexe, et non l'inverse.
En premier lieu, il convient de différencier les ronchopathes vélaires simples (fig. 1) des ronchopathes apnéiques (fig. 2). En effet, le ronflement n'est pas toujours synonyme d'apnée. Seul l'examen polysomnographique permet de dépister le patient apnéique.
Le syndrome d'apnées obstructives du sommeil est défini par une série d'épisodes d'obstruction complète ou partielle pendant le sommeil, conduisant à des hypopnées (diminutions) ou à des apnées (arrêts du flux aérien) (tab. I) [1,2].
L'apnée est toujours clairement définie, qu'elle soit centrale (absence de commande respiratoire) ou obstructive (obstruction des voies aériennes supérieures avec persistance des efforts respiratoires) ; elle se caractérise par un arrêt supérieur ou égal à 10 secondes du flux aérien.
La définition de l'hypopnée obéit à une mesure quantitative et correspond à une diminution d'au moins 50 %, pendant au moins 10 secondes, du flux aérien. Cependant, cette chute de moitié n'ayant aucune signification et manquant de précision, on y associe également une désaturation artérielle en oxygène d'au moins 4 %. Les hypopnées peuvent s'accompagner de microréveils et surtout peuvent désorganiser le sommeil.
L'index d'apnées et hypopnées par heure de sommeil (IAH) est la valeur communément utilisée pour définir le SAOS et en évaluer la sévérité. En règle générale, on considère qu'un patient souffre de SAOS si l'index AH est supérieur à 10.
IAH = Nombre d'apnées + nombre d'hypopnées × 60 / Durée du sommeil en minutes
La clinique prime toujours et il serait réducteur d'évaluer la sévérité d'un SAOS à la seule lecture de l'IAH. Les handicaps engendrés par un SAOS, qu'ils soient physiologiques ou relationnels, justifient en eux-mêmes la prise en charge thérapeutique.
Les voies aériennes supérieures sont délimitées par des structures rigides (palais dur, dents) et des tissus mous (langue, pharynx, vélum, cordes vocales) [2]. Sur le plan morphologique, certaines anomalies des voies aériennes supérieures favorisent, pour des raisons d'ordre architectural, les SAOS (micrognathies, rétrognathies). On note également que tout phénomène inflammatoire siégeant au niveau des muqueuses tapissant les voies aériennes supérieures va, en diminuant le diamètre de celles-ci, augmenter le risque de SAOS.
Les tissus mous sont naturellement déformables sous l'action des forces musculaires ou sous l'impulsion du flux aérien.
Les forces de collapsus sont essentiellement composées par la pression négative intraluminale (forces de Bernouilli) qui diminue avec l'augmentation du débit aérien.
Les forces musculaires sont les seules visant à ouvrir le carrefour aéro-pharyngé. L'autre composante est la pression tissulaire, matérialisée par le poids des tissus mous dont l'action occlusive s'ajoute à la pression négative intraluminale.
La contraction des muscles respiratoires créant une pression négative, un mécanisme protecteur est mis en place par la contraction des muscles dilatateurs du pharynx, avant même le début de l'inspiration.
En fait, la collapsibilité des voies aériennes supérieures est modifiée par toute variation des activités toniques et phasiques des muscles mis en jeu. En cas d'apnée, lors de la reprise ventilatoire, après fermeture des voies aériennes supérieures, l'activité du génioglosse, chef de file des dilatateurs du pharynx, est très importante sur les enregistrements électromyographiques.
Dans l'attente d'une thérapeutique probablement chimique permettant une réponse étiologique, les orthèses d'avancée mandibulaires représentent une alternative thérapeutique très appréciée ; l'avancée basi-linguale obtenue permet de retrouver la lumière pharyngée.
En orthopédie dento-faciale (ODF), la propulsion mandibulaire est préconisée dans les cas où la croissance de la mandibule est recherchée. L'avancée peut être conduite (monobloc, bielles) ou stimulée (appareils fonctionnels), le point de départ de l'activation est alors muqueux et ne sollicite aucune participation dentaire [3, 4, 5, 6, 7et 8].
Si l'objectif de la propulsion en ODF est dento-squelettique, il est totalement fonctionnel dans le traitement du SAOS. De ce constat est née l'idée d'obtenir une propulsion plus fonctionnelle qu'orthopédique visant à provoquer un recrutement musculaire antagoniste des forces qui obstruent les voies aériennes supérieures.
Une avancée réflexe de la mandibule est provoquée grâce à la présence de coussinets de résine solidarisés à une gouttière mandibulaire et situés en regard de la zone muqueuse tapissant les épines mentonnières (ex-apophyses geni). Cette gouttière est solidarisée à une seconde, maxillaire, par deux vérins latéraux dont l'activation progressive permet de maintenir le contact muqueux des coussinets en poursuivant la propulsion induite (fig. 3 à 6). La stimulation qui en résulte est transmise au centre concerné du système nerveux central où elle est transformée en messages moteurs efférents [9]. Le principal avantage de ce dispositif d'avancée mandibulaire induite est d'éviter de générer la réaction musculaire visco-élastique des rétropulseurs mandibulaires, réaction qui se développe avec les propulseurs mécaniques (bielles) ou monoblocs lorsque ces dispositifs mettent en tension ce groupe de muscles (sus-hyoïdiens, temporal postérieur).
Cette réaction visco-élastique des muscles rétropulseurs est responsable de l'effet activateur utilisé en orthopédie dento-faciale pour corriger les dysmorphoses dento-alvéolaires [10, 11et 12]. Cet effet n'est pas recherché et peut même s'avérer désastreux pour l'ensemble dento-parodontal (fig. 7a à 7c.
Pour tester l'efficacité de l'orthèse d'avancée mandibulaire induite dans le traitement des SAOS, on analyse l'index d'apnées-hypopnées (IAH). Une réduction inférieure à 50 % de l'IAH initial est considérée comme inefficace. Une réduction supérieure à 50 % de l'IAH qui est néanmoins supérieur à 10 est considérée comme partiellement efficace. Une réduction ramenant l'IAH initial à une valeur inférieure à 10/heure est considérée comme efficace.
Un certain nombre de questions restent en suspens face au port prolongé des orthèses d'avancée mandibulaires dans le traitement des SAOS. Elles concernent :
- l'effet de l'orthèse sur les variables cliniques (asthénie chronique, somnolence diurne) et polysomnographiques (autres que l'IAH) ;
- la tolérance dentaire, musculaire et articulaire de l'orthèse ;
- la satisfaction des patients.
L'efficacité est appréciée sur le plan :
• clinique :
- évaluation de la somnolence par le questionnaire d'Epworth (fig. 8) ;
- évaluation de la fatigue chronique par une échelle visuelle analogique ;
• polysomnographique : temps total de sommeil, efficacité du sommeil, durée du sommeil lent léger (stades 1 et 2), durée du sommeil lent profond (stades 3 et 4), pourcentage de sommeil paradoxal, index de microéveil, désaturation nocturne (nombre d'épisodes de désaturation, temps passé avec une saturation < 90 %) ;
• céphalométrique [10,13 14] : les clichés sont réalisés par le même cabinet de radiologie. Il s'agit des mesures suivantes :
- selon la méthode de Tweed : longueur du voile du palais (7), espace aérien postérieur EAP (13), MP-H (5 : distance de la partie supéro-externe de l'os hyoïde à la droite tangente au bord inférieur de la mandibule), distance voile du palais à la paroi postérieure du pharynx (6), angles SNA, SNB et ANB (8-9-10) ;
- selon la méthode de Delaire : angles C3-FM-NP et C3-FM-Me (11-12) ;
- angle goniaque (2) divergence faciale (1) ;
- I/F (4), i-m (3).
Le choix de certains de ces angles ou distances permet, notamment, de dépister une éventuelle survenue de versions dentaires ou alvéolaires. En effet, ces mouvements sont classiquement décrits en cas de port prolongé de monoblocs et de propulseurs à bielles (fig. 9 à 12).
La tolérance et la satisfaction sont évaluées par échelle visuelle analogique. Un protocole d'examen, inspiré de la fiche d'examen proposée par l'European Academy of Craniomandibular Disorder, a été synthétisé dans un tableau qui permet d'évaluer différents paramètres musculaires, dentaires, articulaires. Il offre la possibilité d'une étude future et comparative des différents systèmes de propulsion mandibulaires utilisés dans le traitement des SAOS.
Les patients présentant les affections suivantes sont exclus des indications de l'OAMI :
- lésions buccales rendant douloureux, voire impossible le port de l'orthèse ;
- nombre de dents insuffisant au niveau maxillaire (inférieur à 6) ;
- architecture maxillaire impropre au port d'une gouttière ;
- parodontopathie évolutive ;
- ventilation buccale stricte (obstruction nasale majeure) ;
- classe squelettique III majeure ;
- biproalvéolie incisive majeure ;
- arthralgie majeure.
- patient de sexe masculin
- né le 25-4-1960 ;
- taille : 183 cm ;
- poids : 100 kg ;
- indice corporel : 29 kg/m2 ;
- rhonchopathie sévère ;
- SAOS dépisté depuis 4 ans ;
- VPPC mal supportée (furonculose nasale récurrente) ;
- radiofréquence pratiquée sans succès.
Parallèlement aux résultats obtenus sur les apnées, aucun effet secondaire dentaire, articulaire ou musculaire n'a été observé tabl. II à V
La littérature orthodontique rapporte des conséquences scoliodontiques suite à un port prolongé de propulseurs mandibulaires à bielles [15,16]. Cet inconvénient pourrait être minoré par le dispositif OAMI en raison du principe même de cette orthèse reposant sur une propulsion stimulée et non forcée. Il faut rappeler qu'il n'existe aucune contrainte sur les dents.
Si l'orthèse améliore significativement le problème des apnées, la compliance reste une des conditions majeures à la poursuite et à la réussite du traitement. Or, cette compliance dépend fortement de la préservation des conforts articulaires et occlusaux.
Actuellement, seule la ventilation à pression positive continue (VPPC) est d'une efficacité certaine et totale dans le traitement des SAOS. L'avancée de la mandibule par orthèse n'est qu'une alternative thérapeutique. L'objectif physiologique poursuivi par l'OAMI est d'améliorer la tonicité musculaire, susceptible de contrer les forces du collapsus responsables de l'obturation des VAS, tout en évitant les effets sur la denture.
La propulsion mandibulaire devient une réponse à provoquer plus qu'un état à atteindre.
Remerciements au laboratoire Kleiner pour son concours dans la réalisation de l'OAMI.