« On ne lève pas le secret médical » - Clinic n° 02 du 01/02/2020
 

Clinic n° 02 du 01/02/2020

 

SECRET MÉDICAL

Actu

Le Grenelle des violences faites aux femmes a fait surgir la question d'une possible évolution du secret médical. Nathalie Delphin, qui préside le syndicat des femmes chirurgiens-dentistes (SFCD), réagit sur ce point. Le SFCD émet aussi des propositions pour « désamorcer » les relations tendues des libéraux avec les centres de santé.

Un rapport de l'Inspection générale de la justice (IGJ) suggère de lmodifier le secret médical « dans le sens d'un allégement ». Évoquant ce sujet en clôture du Grenelle sur les violences faites aux femmes, le Premier ministre a souhaité, « lorsque cela peut sauver des vies, offrir la possibilité aux médecins de déroger au secret médical ». Édouard Philippe a insisté sur le fait que cela concernait « des cas très stricts, les cas d'urgence absolue où il existe un risque de renouvellement de violence ».

Êtes-vous favorable à une évolution du secret médical ?

Nathalie Delphin : Les propos d'Édouard Philippe sont plus mesurés que ce qui est préconisé dans le rapport. Pour moi, l'annonce du Premier ministre rappelle aux professionnels de santé leur obligation lorsqu'ils se trouvent face à un patient en danger de mort imminente. Le code de déontologie autorise déjà à lever le secret médical sans l'autorisation du patient. Cette possibilité nous remet ainsi dans notre rôle de citoyen qui doit sauver une personne en danger de mort. En pratique, les médecins craignent la plainte sur cette levée du secret et les sanctions en chambre disciplinaire, qui peuvent aller jusqu'à l'interdiction d'exercice. Cette annonce rappelle donc aussi aux conseils de l'ordre qu'ils doivent être attentifs à ce devoir des professionnels de santé. Dans tous les autres cas, on ne lève pas le secret médical. C'est extrêmement important pour conserver la confiance entre le patient et le praticien.

Mais comment aider les victimes ?

N. D. : Il y a beaucoup de travail dans ce domaine. On ne peut pas faire retomber sur les professionnels de santé le manque de moyens d'autres structures comme la justice ou la police. Nous avons tous notre rôle à jouer dans un cadre bien défini. Une façon d'aider les victimes est de mettre en place des formations transversales entre les différents professionnels pour connaître les rôles de chacun. Dans nos formations pour les chirurgiens-dentistes, nous faisons intervenir entre autres des juristes, des psychologues et des commissaires de police.

Par ailleurs, le thème des violences est abordé au cours de la formation initiale à Clermont-Ferrand, Nancy et Bordeaux, et nous intervenons dans le cadre de formations continues à la faculté de Bordeaux.

Craignez-vous pour le secret médical ?

N.D. : Il faut être vigilant et ne pas commencer à céder sur ce point. C'est compliqué parce que les patients, dans le domaine dentaire, ne considèrent pas les informations médicales comme importantes. En fait, le dentaire est une porte d'entrée. Les complémentaires voudraient la levée du secret médical ou font en sorte de l'obtenir. Elles font des demandes abusives d'éléments par le biais de « chirurgiens-dentistes consultants » et menacent de ne pas rembourser si elles ne les obtiennent pas. Or c'est illégal. Il est bien stipulé dans la convention que les complémentaires ont la possibilité de saisir le service médical de la sécurité sociale si elles estiment qu'il y a un problème. Et les chirurgiens-dentistes conseils sont dans leur rôle quand ils enquêtent. Ils le font d'ailleurs dans un cadre très pointu et sont indépendants.

Le SFCD participe au groupe de travail de l'Ordre sur les « chirurgiens-dentistes consultants » des complémentaires. Nous ne sommes pas d'accord, quand le groupe de travail souhaite mettre en place une charte qui organise le glissement des rôles et missions des chirurgiens-dentistes conseils du service médical vers ces chirurgiens-dentistes consultants salariés des organismes complémentaires d'Assurance maladie. Pour le SFCD, cette charte n'a pas lieu d'être.

Comment traiter le problème posé aux libéraux par le nombre croissant d'ouverture de centres de santé ?

N. D. : Les centres de santé font partie du paysage. Nous ne sommes pas contre. Mais il existe un « vide juridique » pour les centres qui ne sont ni territoriaux ni mutualistes. Ces centres de droit privé ne subissent aucun contrôle. Ils se déclarent à l'ARS et c'est fini. L'ARS peut contrôler mais elle ne le fait pas. Nous demandons que l'Ordre ait aussi la possibilité de les contrôler. Après tout, chez les libéraux, une SELARL est une personne morale et elle paie une cotisation ordinale. Les centres de santé sont aussi des personnes morales exerçant la chirurgie dentaire. Il faut que ces centres soient inscrits au tableau afin que l'ordre puisse devenir cette deuxième voie de contrôle qui mettrait les centres devant leur responsabilité vis-à-vis du code de déontologie et les encadrerait comme nous le sommes tous. Cette solution permettrait de désamorcer les relations tendues entre les centres et les libéraux. C'est à l'Ordre de faire la démarche pour que, politiquement, la porte s'ouvre. Le SFCD soutiendra l'Ordre dans cette action

Votre syndicat n'est pas « représentatif ». Quelle est votre force dans la profession ?

N. D. : On est ce lanceur d'alerte, ce poil à gratter qui agace. Nous disons les choses. Nous travaillons. La confiance des hommes et des femmes qui nous rejoignent vient de notre liberté d'expression et de notre indépendance.