DES MEULAGES POUR TRAITER LES DTM : PAS DE PRÉCIPITATION ! - Clinic n° 06 du 01/06/2023
 

Clinic n° 06 du 01/06/2023

 

Occlusion

Mathilde SAVIGNAT*   François GRAUX**  


*MCU-PH, Département des Sciences anatomiques, Faculté de Chirurgie dentaire, Université de Lille. UF Occlusodontie, Service d’Odontologie, CHU de Lille.
**MCU-PH, Département de Prothèses, Faculté de Chirurgie dentaire, Université de Lille. UF Occlusodontie, Service d’Odontologie, CHU de Lille.

Les traitements des dysfonctionnements temporo-mandibulaires (DTM) ont eu tendance au fil des années à se simplifier et à être de moins en moins invasifs. Cette transition dans la stratégie thérapeutique est due à deux éléments principaux.

• Le premier est que les DTM ont une étiopathogénie multifactorielle et qu’il est clairement établi que le rôle des dents et de l’occlusion dans l’apparition de douleurs qui lui sont liées est le plus souvent...


Résumé

L’occlusion a été par le passé considérée comme responsable de la survenue des DTM. Des meulages ont donc été utilisés de façon stéréotypée dans le but d’obtenir une occlusion idéale. On sait aujourd’hui que la part de l’occlusion dans la survenue des DTM est minime. Néanmoins, les meulages dans le but de traiter les DTM sont encore largement utilisés. La prise en charge des DTM, dont l’étiologie est multifactorielle, doit être la moins invasive possible. Cet article propose une prise en charge des DTM dans laquelle la (faible) place du meulage n’est donnée raisonnablement qu’à la suite d’un diagnostic précis, en seconde intention, et dans le cadre d’une prise en charge plus globale dans laquelle le patient doit être pleinement impliqué.

Les traitements des dysfonctionnements temporo-mandibulaires (DTM) ont eu tendance au fil des années à se simplifier et à être de moins en moins invasifs. Cette transition dans la stratégie thérapeutique est due à deux éléments principaux.

• Le premier est que les DTM ont une étiopathogénie multifactorielle et qu’il est clairement établi que le rôle des dents et de l’occlusion dans l’apparition de douleurs qui lui sont liées est le plus souvent mineur.

• Le second est le principe de l’économie tissulaire, qui est à juste titre devenu omniprésent dans notre profession.

Vouloir ainsi traiter un DTM uniquement par un meulage, une « équilibration » occlusale, est illusoire.

Malgré ces principes et les recommandations de bonnes pratiques qui en découlent (2016), les résultats d’une étude récente montrent que l’équilibration occlusale, incluant donc les techniques par soustraction, est utilisée en première intention dans le traitement des DTM par plus de 40 % des praticiens [1].

Ces pratiques, pourtant aujourd’hui obsolètes, sont l’héritage de la conception mécaniste historique de la discipline occlusodontique. Les concepts ont évolué au gré de l’acquisition de nouvelles connaissances mais les pratiques restent très ancrées et le (très) faible rôle de l’occlusion dans les DTM n’est aujourd’hui pas encore bien accepté [2].

HISTORIQUE

L’optimisation de l’occlusion par diverses thérapeutiques a été évoquée pour la première fois par Pline l’Ancien vers l’an 77. Dans sa monumentale encyclopédie Histoire Naturelle, il préconisait de « combler les irrégularités des dents ». Une centaine d’années plus tard, Galien fut le premier à préciser une thérapeutique utilisée en écrivant : « Quand une ou plusieurs dents […] se situent au-dessus du niveau des autres, la partie dépassant est éliminée à l’aide de petites limes ».

Ce n’est que bien plus tard, à partir de 1850, que la science de l’occlusion s’est développée dans le but premier de concevoir et de régler les dents prothétiques dans une position de référence articulaire ainsi que lors de la cinématique mandibulaire [3].

La position de référence idéale, voire parfaite, a pris le nom de relation centrée et a été définie dans les années 1920 par l’école gnathologique comme étant « la position la plus haute, la plus postérieure, la plus médiane des condyles dans leurs cavités respectives ».

Des corrélations fortes entre contacts dento-dentaires, fonction mandibulaire et intégrité des articulations temporo-mandibulaires étaient décrites et un DTM se devait d’être traité par un changement de l’occlusion. La création d’une occlusion en relation centrée exigeait des reconstitutions prothétiques sur la quasi-totalité des dents, même saines. La position enregistrée sur le patient dans les années 70 était obtenue en forçant la mandibule dans une position reculée.

L’acquisition de nouvelles connaissances sur l’anatomie et la neurophysiologie de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) a entraîné des modifications des concepts occlusaux et des moyens nécessaires pour les mettre en œuvre.

Dans les années 80, il est montré que la manipulation forcée vers l’arrière entraîne une réaction réflexe en sens inverse initiée par les propriocepteurs articulaires [4]. La manipulation sera dès lors non forcée et la position condylienne dans la fosse mandibulaire en relation centrée sera en position antéro-supérieure.

La définition de la relation centrée a ainsi évolué jusqu’à la version détaillée dans le glossaire des termes prothétiques (GPT-9) [5] : « La relation centrée est une relation maxillo-mandibulaire, indépendante du contact dentaire, dans laquelle les condyles s’articulent en position antéro-supérieure contre les versants postérieurs des éminences articulaires. Dans cette position, la mandibule est purement limitée à un mouvement de rotation. À partir de cette relation maxillo-mandibulaire, sans contrainte physiologique, le patient peut effectuer des mouvements verticaux, latéraux ou de propulsion. Il s’agit d’une position de référence reproductible et cliniquement utile pour le montage des moulages ».

C’est cette position de relation centrée qui est aujourd’hui utilisée pour des reconstructions prothétiques de grande étendue, quand les références dentaires ne sont pas suffisantes ou lorsque celles-ci vont être modifiées, par exemple lors d’un traitement orthodontique ou par orthèse occlusale.

Incriminer l’occlusion seule dans l’apparition de douleurs, c’est avoir une vision mécaniste très limitée de l’étiologie des DTM dont on sait maintenant qu’elle est multifactorielle.

MODÈLE ÉTIOPATHOGÉNIQUE DES DTM

C’est à la suite d’un procès aux États-Unis en 1987, intenté et gagné par un patient qui incriminait son traitement d’orthodontie comme cause d’apparition de douleurs faciales et articulaires, que la recherche pour étudier les relations entre l’occlusion et l’apparition des DTM s’est fortement développée [6].

La relation directe occlusion-dysfonction a été ainsi remise en cause dès le début des années 1990. En effet, les premières études ont montré qu’il n’existe pas de relation entre les malocclusions et l’apparition de douleurs. Des patients avec des malocclusions majeures n’ont pas forcément de douleurs et, à l’inverse, des patients avec une occlusion fonctionnelle peuvent souffrir de douleurs liées à un DTM.

L’impact de l’occlusion dans la survenue des DTM est estimé à 10 % [1, 6]. Aucune des anomalies de l’occlusion qui ont pu être étudiées depuis les années 1990 jusqu’à aujourd’hui ne peut être associée à un trouble musculaire ou articulaire spécifique [2, 7].

Ces anomalies de l’occlusion peuvent avoir un rôle dans la survenue des DTM en fonction des capacités d’adaptation de l’individu [8]. La région cranio-mandibulaire a une adaptabilité importante et une modification de l’occlusion, par exemple par une réhabilitation prothétique ou de l’orthodontie, est la plupart du temps bien tolérée [7].

L’occlusion fait partie du premier des trois axes définis comme composant le modèle étiopathogénique des DTM. Ces trois axes sont [9] :

- axe I : la dimension structurelle, qui comprend non seulement l’occlusion mais aussi les ATM et les muscles masticateurs ;

- axe II : la dimension psychosociale, c’est-à-dire l’état émotionnel du patient dans son contexte environnemental et culturel, qui peut influencer son comportement manducateur et particulièrement majorer les para-fonctions ;

- axe III : la dimension biologique, c’est-à-dire le terrain du patient d’un point de vue systémique (pathologies générales telles que la polyarthrite rhumatoïde).

C’est ainsi que l’occlusion doit être prise en compte non pas seule mais dans le contexte biologique, structurel et comportemental du patient. Les anomalies de l’occlusion, lorsqu’elles sont d’installation progressive, font partie des facteurs prédisposants des DTM. Elles n’en sont pas des facteurs déclenchants [10].

Le stress, qui majore les para-fonctions, est quant à lui un facteur important du déclenchement et de l’entretien des douleurs liées aux DTM [11, 12]. Sous l’effet du stress, le système réticulaire, qui régule les contractions musculaires, ne joue plus son rôle de filtre. Il favorise uniquement les contractions musculaires et inhibe les périodes de repos qui sont indispensables au bon fonctionnement des muscles. Des serrements permanents et des douleurs sont alors observés et concourent à la création d’un cercle vicieux de la douleur.

En effet, en présence d’un stress chronique, l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, impliqué dans les réponses neuro-endocriniennes, est hyperactivé. Il en résulte, entre autres effets, que la perception de la douleur est modifiée et que la douleur ressentie est augmentée.

ÉTABLISSEMENT DU DIAGNOSTIC

Avant tout acte, il est indispensable de réaliser un examen clinique afin de pouvoir poser un diagnostic précis et de proposer un plan de traitement adapté. De nombreux auteurs ont décrit des protocoles de réalisation du diagnostic des DTM [13, 14]. Il convient d’en rappeler les grandes lignes.

Il commence avec l’anamnèse, qui permet dans un premier temps de connaître les éventuelles pathologies générales du patient (évaluation de l’axe III). L’entretien porte ensuite largement sur l’historique et la caractérisation des douleurs. Le praticien doit avoir une écoute active et bienveillante. Au cours de cette anamnèse, le niveau d’anxiété et l’état émotionnel du patient (évaluation de l’axe II) devront impérativement être appréciés.

La réalisation d’un examen minutieux de l’appareil manducateur est indispensable (évaluation de l’axe I). Pour cela, une palpation des différents muscles masticateurs et de la posture céphalique est réalisée afin de préciser la présence de contractures musculaires et de douleurs. Une palpation articulaire au niveau des pôles latéraux des ATM mais aussi en intra-auriculaire doit être faite afin de déceler une composante articulaire.

Les éventuels bruits articulaires (claquements, crépitations) lors de la cinématique mandibulaire sont relevés.

La réalisation du diagramme de Farrar permet d’apprécier les déplacements de la mandibule au cours des mouvements de diductions et d’ouverture buccale. L’étude des rapports d’amplitude entre ces différents mouvements permet de préciser un peu plus la nature de la pathologie.

Une étude axiographique peut ensuite être effectuée afin de visualiser les déplacements condyliens. Cette partie de l’examen est très souvent ignorée mais présente un réel intérêt diagnostique car elle peut notamment révéler des blocages articulaires parfois non détectables avec la seule observation clinique.

Les examens complémentaires tels que l’imagerie permettent ensuite de confirmer ou de préciser le diagnostic dont le but est de différencier les troubles d’origine purement musculaire des dysfonctionnements musculo-articulaires. Il est à noter que l’imagerie est d’une aide précieuse pour établir le diagnostic différentiel avec d’autres pathologies, y compris des pathologies extra-articulaires (ossification du ligament stylo-hyoïdien, hyperplasie du processus coronoïde…). Il faut en effet garder à l’esprit que le diagnostic des DTM est le plus souvent, du fait de son étiologie multifactorielle, un diagnostic d’exclusion.

L’examen doit également être complété par une analyse des relations entre l’occlusion et la posture corporelle au moyen de tests simples qui permettent d’orienter le patient, si nécessaire, vers les thérapeutes spécialisés. Cette étape permet également de vérifier les relations entre l’occlusion, la posture corporelle ainsi que les capteurs oculaires qui sont en relation par différentes connexions nerveuses centrales, notamment le reflexe oculo-céphalogyre.

Dans le cas des troubles musculaires, les douleurs sont occasionnées par une surcharge de travail au niveau musculaire (bruxisme, para-fonctions) alors que, dans le cas des dysfonctionnements musculo-articulaires, c’est un dysfonctionnement ou une anomalie du complexe condylo-disco-temporal exacerbé par le bruxisme qui est à l’origine de la pathologie. Cette distinction est très importante à considérer car les symptômes sont différents et conditionnent une prise en charge thérapeutique spécifique [13, 15].

Le diagnostic est essentiel d’autant plus que certaines modifications occlusales récentes perçues par le patient peuvent être la conséquence directe, et non la cause, d’un DTM. C’est par exemple le cas pour des pathologies musculaires telles que le spasme [10] qui, en modifiant la position mandibulaire, entraîne une modification de l’occlusion. Certaines pathologies articulaires telles que les désunions condylo-discales ou les pathologies dégénératives de l’ATM peuvent également déclencher une modification de la position de la mandibule et donc de l’occlusion [7, 16]. Modifier l’occlusion du patient par meulage sans chercher à traiter l’origine du DTM est encore plus dommageable dans ces cas spécifiques et ne peut que contribuer à son amplification.

PRISE EN CHARGE DE PREMIÈRE INTENTION

L’objectif du traitement ou plus précisément de la prise en charge des DTM est de ramener le patient dans sa zone d’équilibre. Pour ce faire, les moyens thérapeutiques les plus simples et les moins invasifs possibles doivent être privilégiés. Un point crucial est que le patient doit être pleinement impliqué dans sa propre prise en charge, il doit être placé au centre de celle-ci.

Chaque patient doit ainsi être pris en charge en prenant en compte l’historique et le cadre dans lequel les douleurs sont apparues ou se sont amplifiées. En effet, les facteurs psychosociaux constituent une large proportion des facteurs déclenchants et deviennent prépondérants quand la douleur se chronicise [17].

En première intention, des informations et explications quant à sa pathologie et à l’apparition de la douleur doivent être données.

Des conseils comportementaux de mise au repos musculo-articulaire doivent être prodigués et être assortis de conseils sur les techniques de gestion du stress. Des techniques cognitivo-comportementales peuvent être mises en place et des exercices de rééducation musculo-articulaire proposés. Dans certains cas, en présence de douleurs importantes, un traitement médicamenteux à base d’antalgiques peut être utilisé [18].

Le praticien doit dans tous les cas donner à son patient toutes les réassurances nécessaires.

Le but de ces traitements non invasifs est de corriger les habitudes nocives qui ont rendu le DTM symptomatique.

Si, après réévaluation à 1 mois, ce traitement n’est pas suffisamment efficace, un traitement orthopédique par orthèse peut être envisagé.

PRISE EN CHARGE DE SECONDE INTENTION

Pour obtenir une amélioration des symptômes, l’orthèse doit respecter certains impératifs. Elle doit :

- être confortable, de façon à obtenir une observance maximale ;

- recouvrir la totalité d’une arcade, de préférence mandibulaire afin de ne pas perturber la phonation et l’esthétique ;

- être rigide, car l’orthèse doit être parfaitement stable et ne doit pas se déformer. L’utilisation d’une résine souple est contre-productive car elle induit un « effet chewing-gum » incitant le patient à mastiquer [19] ;

- être accompagnée d’un suivi régulier (toutes les 2 semaines pendant environ 2 mois) pour effectuer les réglages de l’orthèse mais aussi faire le point sur les conseils comportementaux prodigués.

Une orthèse respectant ces impératifs a pour premier effet de faire disparaître les engrammes (mémoire neuro-musculaire) néfastes et, ainsi, de repositionner la mandibule dans une position stabilisée et assainie. Il a d’ailleurs été montré par IRM fonctionnelle qu’un traitement par orthèse occlusale modifie les voies centrales de la douleur impliquées dans les DTM [20].

Afin d’être tout à fait efficace, l’orthèse doit par ailleurs être adaptée au type de DTM dont souffre le patient.

Pour un DTM d’origine musculaire, le traitement occlusal consiste à réaliser une orthèse occlusale de type musculaire qui a pour principal objectif d’obtenir la décontraction musculaire en shuntant les contacts dento-dentaires devenus nocifs et en permettant une normalisation du fonctionnement du système réticulaire. Les contacts dentaires des dents antagonistes doivent être généralisés sur l’ensemble de l’orthèse, équilibrés en intensité et simultanés. Ce dispositif est porté le plus souvent possible durant quelques semaines avec contrôles réguliers d’équilibration de l’orthèse afin d’obtenir une position mandibulaire stable et non adaptative (figure 1).

En présence d’un DTM d’origine essentiellement articulaire, une orthèse de type décompression est réalisée. Les réglages sont différents de ceux réalisés pour l’orthèse de type musculaire. En effet, les premiers contacts des dents antagonistes sur l’orthèse doivent être simultanés et situés au niveau des dents distales de l’arcade (figure 2a). Ce n’est que lorsque l’on demande au patient de serrer sur l’orthèse que les contacts sont obtenus sur le reste de l’orthèse. Ces derniers doivent également être réguliers et équilibrés (figure 2b). Cette orthèse est portée en permanence et équilibrée régulièrement de la même façon durant quelques semaines. Ceci permet de lever les spasmes musculaires et de soulager la zone rétro-discale comprimée sous l’influence du bruxisme et qui est responsable des douleurs articulaires.

INDICATIONS DES « MEULAGES »

Les « meulages » font partie des techniques de stabilisation occlusale. L’équilibration occlusale comprend également les techniques additives par collage, les restaurations au sens large et l’orthodontie. Ce sont des traitements invasifs, le plus souvent irréversibles et, de ce fait, leur indication doit être clairement posée avant de les entreprendre. Il faut bien garder à l’esprit que l’équilibration occlusale comme traitement des DTM n’est fondée sur aucune preuve scientifique [8].

L’occlusion « idéale » n’est pas l’objectif du traitement des DTM. En effet, nombre de patients ayant une occlusion correcte présentent des douleurs en rapport avec un DTM, l’inverse étant également vrai.

En revanche, dans le cadre du traitement d’un DTM, seules les anomalies occlusales d’évidence relèvent d’une équilibration occlusale en première intention. Parmi celles-ci, nous pouvons citer les exemples d’une dent égressée qui entraverait la cinématique mandibulaire ou d’une restauration réalisée tout récemment et qui serait en surocclusion. Il faut toutefois impérativement considérer ces anomalies occlusales même majeures dans le plan de traitement global du patient. Si pour des raisons prothétiques et afin de corriger les courbes occlusales, des meulages seront à réaliser, ils peuvent alors être effectués en première intention. Mais si un traitement orthodontique est envisagé, il n’est en revanche pas question de meuler les dents en première intention.

Un traitement par orthèse occlusale (prise en charge de seconde intention) ayant pour effet de reprogrammer le système musculaire et les ATM, la position mandibulaire thérapeutique est légèrement différente de la position mandibulaire d’avant traitement [19]. Lorsque le patient ferme la bouche dans la position thérapeutique (orthèse retirée), il se trouve gêné par un ou deux contacts prématurés (figure 3). Il est alors indiqué de les supprimer afin d’obtenir une occlusion harmonieuse et équilibrée et d’améliorer le confort du patient (figure 4). Cette étape est entreprise lorsque la symptomatologie du DTM a disparu. Cette harmonisation des contacts ne concernant qu’une ou deux dents ne pourra être réalisée qu’à la condition que le coût tissulaire soit faible. Elle ne doit en aucun cas intéresser un grand nombre de dents tel que cela avait été décrit et se réalisait par le passé. Lorsque l’économie tissulaire ne peut être respectée, il convient de mettre en œuvre d’autres techniques de stabilisation telles que l’orthodontie.

Les objectifs de cette harmonisation consistent, d’une part, à redonner des contacts équilibrés et généralisés en respectant les principes de centrage et de calage et, d’autre part, à intégrer l’occlusion dans les différentes fonctions de l’appareil manducateur grâce au guidage antérieur. En résumé, supprimer les contacts prématurés lors du mouvement de fermeture de la bouche et supprimer les interférences lors des différentes excursions mandibulaires constituent donc les rares indications actuelles des rectifications occlusales soustractives après port d’une orthèse occlusale.

Les différentes étapes de la prise en charge sont reprises sur la figure 5.

Lors de cas cliniques complexes, notamment lorsque des travaux prothétiques doivent être effectués, une analyse occlusale sur articulateur devrait être réalisée afin de simuler les corrections occlusales qui devront être apportées et d’en apprécier l’importance [16, 21].

CONTRE-INDICATIONS DES MEULAGES

Deux types de contre-indications aux meulages peuvent être décrits.

Tout d’abord, les contre-indications d’ordre technique : dans le cas de dents fortement abrasées et/ou d’une perte de dimension verticale d’occlusion (DVO) [21], il n’est pas question de délabrer davantage le capital dentaire du patient.

Le second type de contre-indications concerne les patients à dimension psycho-sociale forte. Ces patients ont en général un désintérêt vis-à-vis de la rééducation personnelle et une demande de soins invasifs pour retrouver un « équilibre » mythique ; ils changent fréquemment de praticien pour espérer atteindre ce but [18]. Certains de ces patients ont un véritable trouble de la perception occlusale, appelé dysesthésie ou hypervigilance occlusale. Il se manifeste par un inconfort occlusal, persistant depuis plus de 6 mois, en l’absence d’anomalies occlusales évidentes. Le patient analyse de façon compulsive son occlusion par des serrements, à la recherche de la « bonne occlusion ». Ces serrements favorisent les contractures musculaires, notamment des masséters, qui vont contribuer à altérer la perception du patient et à renforcer l’inconfort occlusal, créant ainsi un véritable cercle vicieux. Dans 75 % des cas, la dysesthésie occlusale survient à la suite de modifications occlusales même minimes et toutes les tentatives d’équilibration entraînent des échecs qui renforcent la conviction du patient que son problème réside en son occlusion [22].

Ce type de patient est à identifier car tout acte risque de le faire entrer dans une spirale de surtraitements. C’est pourquoi il faudra s’abstenir de toute intervention sur les dents et privilégier la rééducation comportementale pour que le patient se déconnecte de son occlusion.

CONCLUSION

L’objectif de la prise en charge des DTM est non pas de les traiter mais de ramener le patient dans sa zone adaptative. Les capacités d’adaptation de la région cranio-mandibulaire sont très importantes mais peuvent faire défaut dans certaines circonstances. C’est principalement dans ces situations que les DTM deviennent symptomatiques.

L’adaptabilité est fonction de facteurs périphériques (vulnérabilité anatomique et/ou surcharge musculaire liée à des para-fonctions) mais aussi de facteurs centraux qui mènent à une conscience occlusale augmentée [8] et à une modulation de la perception de la douleur [20].

Les meulages occlusaux ne peuvent pas agir sur ces facteurs et ne peuvent donc pas traiter les DTM. Ils peuvent, dans quelques cas particuliers ou après traitement par orthèse, être utilisés de façon raisonnée. C’est ainsi qu’ils ne doivent jamais être réalisés de façon stéréotypée tel que cela fut décrit et appliqué durant un trop grand nombre d’années.

Les connaissances sur les DTM, en particulier sur les mécanismes neurobiologiques des douleurs chroniques qui leur sont associées [20], vont très probablement dans le futur encore remettre en cause nos croyances actuelles et modifier nos modalités de prise en charge. C’est pourquoi il est primordial de traiter dès aujourd’hui les DTM de la façon la moins invasive possible, et particulièrement en laissant si possible aux dents naturelles la morphologie qu’elles ont acquise au fil du temps.

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Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.