Greffe du maxillaire à visée implantaire Étude rétrospective de 28 cas de Lefort 1 avec greffe osseuse crânienne et pose implantaire différée - Implant n° 1 du 01/02/2007
 

Implant n° 1 du 01/02/2007

 

Chirurgie

Joël Ferri*   Ludovic Lauwers**   Thierry Tiberghien***   Hélène Dubois****   Pierre Elias*****  


*Professeur des universités
Chef de service
**Praticien hospitalier
Responsable de prothèse sur implants
***Attaché en implantologie
****Attachée en implantologie
*****Attaché en implantologie
Service de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale
Hôpital Roger-Salengro
CHRU Lille
59037 Lille

Résumé

L'atrophie maxillaire évoluée peut être traitée de diverses manières. Plusieurs techniques permettent de fournir une quantité d'os suffisante pour assurer une insertion implantaire. Parmi celles-ci, l'ostéotomie de Lefort 1 avec greffe osseuse est une technique classique. La pose implantaire peut être réalisée en 1 ou 2 temps.

Cet article présente une étude rétrospective de 28 cas pris en charge par cette technique avec pose implantaire différée. Les résultats y sont rapportés et discutés.

Summary

Advanced maxillary atrophy can be treated in many ways. Several techniques allow sufficient bone quantity to ensure an implant rehabilitation. Lefort 1 osteotomy with bone grafting is one of those. Implants can be placed in 1 or 2 stages.

This article sets out a retrospective study of 28 patients treated with this technique and a 2-stages implant placement. The results are reported and discussed.

Maxillary graft aimed at implantation: retrospective study of 28 Lefort 1 cases with skull bone graft and 2-stages implant placement. Implant 2007;13(1):21-28.

Key words

implant, maxillary atrophy, Lefort 1 osteotomy, bone graft

En 1989, Sailer présentait une technique de réhabilitation implantaire du maxillaire comprenant une ostéotomie de Lefort 1 avec greffe osseuse et implantation immédiate[1]. Quelques années plus tard, l'idée d'une approche chirurgicale par ostéotomie de Lefort 1 est reprise par Cawood et al., mais, cette fois, la pose implantaire est différée[2]. Rapidement devant les bons résultats de ces techniques dans la prise en charge de ces grandes atrophies maxillaires, les traitements comprenant une ostéotomie de Lefort 1 n'étaient plus discutés[3 - 5]. Cependant, jusqu'ici, les publications rapportaient l'utilisation d'os iliaque ou d'un mélange d'os iliaque et d'hydroxyapatite.

Cet article présente une étude prospective de 28 cas traités par ostéotomie de Lefort 1 et greffe osseuse d'origine membraneuse, l'os étant prélevé sur la calvaria et utilisé sous forme de copeaux. La technique chirurgicale est décrite ; l'étude porte sur la masse osseuse présente au 6e mois postopératoire et sur le taux de succès implantaire. Les complications sont rapportées.

Matériel et méthode

Matériel

L'étude porte sur 28 patients (6 hommes et 22 femmes), âgés de 20 à 65 ans, présentant un édentement total maxillaire avec atrophie osseuse ne permettant pas une insertion implantaire simple. L'évaluation de la masse osseuse a été réalisée par Dentascanner®. Dans tous les cas, il existait une relation maxillo-mandibulaire de classe III directement liée à l'édentement ou antérieure à celui-ci et aggravée par la perte dentaire. La technique chirurgicale consiste en la réalisation d'une ostéotomie de Lefort 1 avec greffe osseuse crânienne. L'ostéotomie n'a pas de particularité ; elle a été parfaitement décrite par Bell[6]. Il faut toutefois rapporter le risque de fracture du plateau palatin sur des maxillaires particulièrement atrophiques[7, 8]. Par la suite, le plateau palatin descendu, la muqueuse du bas-fond sinusien est retirée dans sa totalité, ne laissant aucun reliquat. Le deuxième temps opératoire consiste en un prélèvement de greffon crânien pariétal tel que l'a décrit Tulasne[9]. Les différents fragments sont ensuite broyés en copeaux, ces derniers étant utilisés pour remplir les 2 sinus. Deux plaques osseuses sont ensuite posées par-dessus les copeaux, puis fixées en compression au maxillaire par des vis titane. Le montage réalisé donne une densité et une stabilité osseuses élevées. Le maxillaire est ensuite repositionné dans une situation préalablement définie par le montage prothétique (Fig. 1a à 1e.

Six mois plus tard, un bilan scanographique est réalisé pour évaluer l'os disponible pour la pose implantaire. Le nombre d'implants insérés dépend de la réhabilitation prothétique envisagée. Le matériel d'ostéosynthèse est retiré lors de la pose implantaire sauf lorsque l'intégration osseuse ne le permet pas.

Les implants posés sont de type endo-osseux vissés. Leur longueur est de 10 à 18 mm ; leur diamètre varie de 3,8 à 5 mm. Au total, 241 implants ont été placés, soit une moyenne de 8,6 implants par patient.

La phase prothétique débute 6 mois après la pose implantaire. Le suivi des patients s'échelonne sur 1 à 6 ans.

Méthode

L'évaluation du succès implantaire est clinique et paraclinique : tout implant mobile douloureux ou inexploitable sur le plan prothétique est considéré comme un échec. L'exploration paraclinique est réalisée par panoramique dentaire effectué systématiquement au 6e mois postopératoire. Un examen radiographique rétro-alvéolaire complète ces investigations au moindre doute clinique ou paraclinique.

Dans tous les cas, un Dentascanner® a été réalisé en préopératoire et au 5e mois postopératoire en vue d'une évaluation quantitative et qualitative de la greffe réalisée. Il permet de mesurer la hauteur osseuse présente dans les secteurs molaires. C'est sur ces sites que les mesures osseuses sont réalisées transversalement et verticalement.

Résultats

Dans le sens vertical, le gain quantitatif osseux est, en moyenne, de 10,14 mm en molaire. Transversalement, il est de 7,64 mm en molaire.

Aucune infection n'est à déplorer.

La greffe a toujours rendu possible la mise en place d'implants.

Au total, 241 implants ont été posés : 236 ont été utilisés. Parmi les 5 non utilisés, 4 étaient intégrés mais étaient difficilement exploitables de par leur position, soit 2 %.

Notons également que la normalisation, ou l'amélioration des rapports maxillo-mandibulaire a engendré une amélioration esthétique.

Discussion

Quantité et qualité de l'os obtenu (Fig. 2a à 2d)

Il ne semble pas exister de résorption significative de la greffe. La plaque osseuse supérieure est parfaitement identifiable, ce qui permet de contrôler l'évolution de l'os sous-jacent.

L'os apparaît hétérogène, ce qui peut s'expliquer par la manière dont l'os est conditionné (broyat d'os d'origine pariétale et quelques fragments de diploé). Dans tous les cas, la densité osseuse est restée très élevée. Souvent d'ailleurs, cette densité est plus importante que celle de l'os maxillaire initial, ce qui s'explique, d'une part, par l'origine pariétale du greffon dont on connaît la très haute densité et, d'autre part, par la compression des copeaux qui est réalisée par cette technique. À la différence des résultats obtenus par greffe iliaque où une certaine hétérogénéité était retrouvée[7], la densité est ici élevée avec une certaine homogénéité des résultats. Cliniquement, lors de la pose des implants, l'os apparaît bien vascularisé permettant une excellente prise primaire de l'implant.

La quantité d'os obtenue est importante ; elle est facilement appréciable par l'augmentation de hauteur osseuse sur le site molaire.

Infection

Aucune infection n'a été constatée. Ce résultat est intéressant, ce d'autant plus que les techniques classiques de greffe en onlay rapportent souvent un taux d'infection de 2 à 5 %, voire plus lors d'utilisation de membranes[10]. Cette complication pourrait cependant être sous-estimée dans notre étude. En effet, la technique de Lefort 1 entraînant une section de la cloison sinuso-nasale, un écoulement infectieux est toujours possible dans le cavum sans manifestation clinique majeure. Certains cas pourraient ainsi être passés inaperçus. Toutefois, aucune perte de greffe n'étant survenue, cette hypothèse est peu probable. Dans notre technique, nous avons retiré la membrane sinusienne alors qu'une autre procédure a été décrite par Jensen et Sindet-Pedersen[11] avec conservation de la membrane sinusienne. De notre point de vue, la réalisation d'une ostéotomie de Lefort 1 avec conservation de la membrane sinusienne est une technique difficile et l'absence de complication infectieuse dans notre série nous incite à ne pas préconiser cette technique. D'ailleurs, dans les 2 techniques initiales, la muqueuse sinusienne était sectionnée et retirée et aucune complication infectieuse n'a été rapportée.

Taux de succès implantaire

Celui-ci est tout à fait satisfaisant (98 %). Il est similaire à celui que nous obtenons dans les cas de pose implantaire sans greffe osseuse. Il peut s'expliquer par l'excellente qualité de l'os obtenu. La pose différée est également le garant d'une pose plus adaptée aux impératifs prothétiques. La reconstruction osseuse et la pose implantaire dans le même temps opératoire sont impossibles avec cette technique où l'os est posé en copeaux. Les délais que nous préconisons entre la reconstruction et la pose implantaire sont longs en comparaison de ceux pratiqués par d'autres équipes. Ce choix s'explique par la nécessité de revasculariser un os d'origine membraneuse avec des masses osseuses greffées, parfois considérables.

Réhabilitation prothétique (Fig. 3a à 3c, 4a à 4c, et 5a à 5c)

Dans notre série, 17 patients ont bénéficié d'une prothèse amovible stabilisée sur barre et 11 autres d'une prothèse fixée (7 bridges classiques et 4 prothèses sur pilotis).

Le choix prothétique est fonction de la demande des patients, de leur hygiène buccodentaire et du coût de la réhabilitation. La prothèse sur barre est moins onéreuse ; elle nécessite moins d'implants et est plus facile à nettoyer.

C'est cette orientation prothétique qui détermine le nombre d'implants et leurs positions.

Les données anatomiques initiales telles que la quantité d'os ou le décalage des bases osseuses n'ont aucunement biaisé le choix prothétique. En effet, après chirurgie, les sites implantables et la morphologie osseuse nous ont toujours laissé libre choix quant au nombre et à l'emplacement des implants.

L'amélioration esthétique est parfois considérable. Elle n'est pas uniquement due à la nouvelle prothèse, mais est également liée à l'ostéotomie de Lefort 1. Cela a déjà été rapporté[7] et la nouvelle technique proposée ne change pas cette donnée.

Conclusion

La technique de reconstruction du maxillaire avec ostéotomie et greffe osseuse est, pour nous, une technique de choix dans la chirurgie préprothétique à visée implantaire lorsque se trouvent associés grandes atrophies maxillaires et décalages des bases osseuses. La technique que nous avons présentée reposant sur l'utilisation d'os crânien en copeaux et une pose implantaire différée est obligatoire. Elle permet, avec un taux de succès implantaire élevé, toutes les possibilités prothétiques, qui peuvent dès lors être choisies en fonction des souhaits, des données psychologiques et des impératifs financiers des patients.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Sailer H. A new method of inserting endosseous implants in totally-atrophic maxillae. J Cranio Maxillofac Surg 1989;17:299-305.
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  • 3. Locher MC, Hermann F, Sailer H. Results after Le Fort I osteotomy in combinaison with titanium implants: sinus inlay method. Oral Maxillofac Surg Clin North Am 1994;6(4):679-688.
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  • 5. Stoelinga PJ, Slagter P, Brouns JA. Rehabilitation of patients with severe (class VI) maxillary resorption using Lefort 1 osteotomy, interposed bone grafts and endosteal implants: 1-8 years follow-up on a 2 stages procedure. Int J Oral Maxillofac Surg 2000;29:188-193.
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  • 8. Peuvrel G, Ferri J, Bado Silveira F. Avantage de l'ostéotomie maxillaire avec greffon et implants en un temps en chirurgie préprothétique implantaire : une étude rétrospective portant sur 4 cas. Implant 1999;5(3):181-193.
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  • 10. Tidwell JK, Blijdorp PA, Stoelinga PJ, Brouns JB, Hinderks F.Composite grafting of the maxillary sinus for placement of endosteal implants: a preliminary report of 48 patients. Int J Oral Maxillofac Surg 1992;21:204-209.
  • 11. Jensen J, Sindet-Pedersen S. Autogenous mandibular bone grafts and osseointegrated implants for reconstruction of the severely-atrophied maxilla: a preliminary report. J Oral Maxillofac Surg 1991;49(12):1277-1287.