Importance de l'analyse tridimensionnelle pré-opératoire du positionnement de l'implant zygomatique - Implant n° 2 du 01/05/2020
 

Implant n° 2 du 01/05/2020

 

Implants zygomatiques

N. Boutin   B. Cannas   E. Racy   R. Jouvrot   L. Garbarini  

La réhabilitation du maxillaire édenté par une prothèse fixe supportée par des implants dentaires est une technique fiable et documentée. Au minimum 4 à 6 implants conventionnels sont nécessaires pour envisager une réhabilitation maxillaire. La résorption post-extractionnelle entraîne une diminution des volumes du maxillaire à la fois dans la zone antérieure (incisives, canine, prémolaires) et dans la zone postérieure (molaire) selon un processus centripète. Dans la zone...


Résumé

Résumé

Le positionnement d'un implant zygomatique, depuis son ancrage dans l'os zygomatique, puis le long de la paroi vestibulaire du sinus jusqu'à la position de son col par rapport à la crête alvéolaire peut avoir des répercussions sur la prothèse (design, maintenance) et sur le sinus lui-même (intra, extra-sinusien). Cet article reprend la classification ZAGA d'Aparicio et montre, par la planification pré-opératoire sur logiciel, le rapport entre le positionnement de l'implant, les volumes osseux, les sinus, les émergences prothétiques et leurs conséquences.

La réhabilitation du maxillaire édenté par une prothèse fixe supportée par des implants dentaires est une technique fiable et documentée. Au minimum 4 à 6 implants conventionnels sont nécessaires pour envisager une réhabilitation maxillaire. La résorption post-extractionnelle entraîne une diminution des volumes du maxillaire à la fois dans la zone antérieure (incisives, canine, prémolaires) et dans la zone postérieure (molaire) selon un processus centripète. Dans la zone postérieure, la diminution du volume est accentuée par le phénomène de pneumatisation du sinus. La pose d'implants conventionnels peut alors être contre-indiquée par le manque, voire l'absence de volume osseux. Pour s'affranchir des difficultés liées aux pertes de volumes, deux options sont envisageables : soit réaliser une reconstruction des volumes osseux suivie de la pose d'implants, soit exploiter l'ancrage osseux à distance au niveau de l'os zygomatique[]. Cette seconde option, sous condition d'obtenir la stabilité primaire nécessaire, permet de réaliser une mise en charge immédiate d'un bridge sur les implants zygomatiques[].

Comme pour tout traitement implantaire, les antécédents médicaux (prothèse valvulaire, diabète, biphosphonates...) et les habitudes de vie (tabac...) seront évalués. Dans le cadre de l'utilisation d'implant zygomatique, une attention particulière sera portée sur le sinus et un contact avec l'ORL proposé en cas de doute : perméabilité du méat moyen, aspect de la membrane sinusienne... Toute pathologie sinusienne devra être traitée avant la pose d'implant zygomatique.

pHYSIOLOGIE DES CAVITÉS SINUSIENNES[3-5]

La spécificité du maxillaire postérieur est conditionnée par la présence du sinus, qui est une cavité stérile, dont l'effraction doit être parfaitement justifiée et maîtrisée. Ces cavités stériles communiquent avec les fosses nasales par un petit orifice appelé ostium. Ainsi, toute effraction dans cette zone stérile doit être parfaitement justifiée et maîtrisée. L'ostium sépare cette cavité stérile des fosses nasales qui, elles, présentent un milieu septique.

Le nez est un filtre dont le rôle est de réchauffer, humidifier et surtout nettoyer l'air qui est destiné à l'organe noble d'échanges gazeux qu'est le poumon.

La flore nasale et la flore buccale constituent un écosystème de défense bactérien qui travaille en complément des cellules immunocompétentes. Cette flore s'arrête au niveau des ostiums qui sont le siège d'une concentration importante de cellules immunocompétentes dont le rôle est de protéger le milieu stérile des cavités sinusiennes

Le sinus maxillaire se distingue par son drainage anti-gravitaire qui s'explique par les caractéristiques histologiques et physiologiques de la membrane sinusienne. En effet, les parois du sinus maxillaire sont recouvertes d'une muqueuse respiratoire qui est sensiblement la même que la muqueuse nasale avec laquelle elle est en continuité. À l'état sain, cette muqueuse sinusienne, aussi appelée membrane de Schneider, est souple, fine et donc fragile, avec une épaisseur entre 0,2 et 0,8 mm. On observe toutefois une grande variation d'épaisseur, pouvant aller jusqu'à des hyperplasies sinusiennes qui ne sont pas pathologiques en l'absence de signes cliniques.

La muqueuse sinusienne est recouverte sur toute sa surface d'un film de mucus produit par les cellules caliciformes et les glandes séro-muqueuses du chorion et composé de nombreux éléments immunocompétents (mucines, IgA sécrétoires, lactoferrine, lysozymes et antioxydants). Ce mucus tapisse, lubrifie et protège l'épithélium sous-jacent contre les agressions extérieures. Il capture les agents nocifs qui seront évacués de la cavité sinusienne au travers de l'ostium par le mouvement des cils et leur action anti-gravitaire. Les cellules ciliées décrites par Messerklinger jouent ainsi un rôle fondamental de véritable tapis roulant de drainage vers la zone de l'ostium.

La muqueuse sinusienne assure donc un drainage muco-ciliaire, évitant notamment une prolifération bactérienne. Et, de par sa perméabilité aux gaz, la muqueuse sinusienne joue également un rôle dans les échanges gazeux entre la cavité sinusienne et le sang qui l'irrigue. C'est pourquoi toute effraction de la membrane de Schneider est susceptible de perturber les conditions normales d'aération et de drainage des cavités sinusiennes.

On comprend facilement que toute altération de ce fragile drainage (au cours d'un rhume, une sinusite, après une chirurgie) va entraîner un stockage muqueux qui peut tout à fait remplir rapidement la cavité sinusienne, constituant ainsi un excellent milieu de culture bactérienne. Lorsque cette infection est rapidement évolutive, on parle de sinusite aiguë ; lorsque la pathologie dure plus de 2 mois et se répète, on parle de sinusite chronique.

CLASSIFICATIONS : Prise de dÉcision sur le positionnement spatial de l'implant zygomatique

Prise de décision thérapeutique radiologique

Sur le cliché panoramique, Bedrossian et al.[,] relèvent 3 zones anatomiques [fig. 1] :

- zone 1 : bloc incisivo-canin ;

- zone2 : région prémolaire ;

- zone 3 : région molaire.

La réalisation d'un CBCT vient préciser les volumes osseux et, en fonction de la présence d'os dans ces régions, différentes approches chirurgicales sont proposées [Tableau 1 et fig. 2].

Prise de décision du positionnement de l'implant zygomatique par planification sur imagerie 3D et double scanner

La technique originale[] proposait un trajet intra-sinusien de l'implant. Chez les patients présentant une paroi latérale sinusienne concave, ce positionnement de l'implant entraîne une émergence palatine excessive du plateau de l'implant avec un bridge étendu au niveau palatin, ce qui peut entraîner des difficultés d'élocution et d'hygiène. En permettant un trajet extra-sinusien de l'implant[,], l'évolution de la technique initiale a permis un positionnement anatomiquement et prophétiquement guidé. Dans cette nouvelle approche, le corps de l'implant pourra avoir un trajet soit entièrement intra-sinusien, soit entièrement extra-sinusien, en fonction de l'anatomie du patient et du projet prothétique. Les différentes situations de l'implant sont recensées selon 5 types dans la classification ZAGA d'Aparicio (Zygomatic Anatomy-Guided Approach)[] [fig. 3 à 7].

L'importance du positionnement spatial de l'implant zygomatique aura une incidence sur la forme de la prothèse et, par conséquent, sur l'élocution du patient, la facilité au nettoyage et à la maintenance en fonction d'une émergence plus ou moins palatine du pilier implantaire[,] [fig. 8].

Une simulation informatique issue d'une imagerie 3D en double scanner (scanner de la prothèse complète du patient marquée de repère radio-opaque, en bouche du patient, puis scanner de cette même prothèse seule) permet de positionner spatialement avec grande précision l'implant depuis son ancrage dans l'os zygomatique, son trajet intra ou extra-sinusien jusqu'à son émergence prothétique [fig. 9].

Plus l'implant sera en position intra-sinusienne dans les situations ZAGA 0, 1 ou 2, plus l'émergence prothétique sera palatine, ne devant pas dépasser les 15 mm jusqu'au sommet de la crête, situation décrite comme échec par Aparicio et al.[] [fig. 10 et 11].

Plus l'implant zygomatique sera extra ou juxta-sinusien, dans les situations ZAGA 3 ou 4, plus le col de l'implant se situera à proximité ou sur la crête, ayant pour conséquence directe une émergence prothétique occlusale et confortable pour le patient.

Mais, au-delà des considérations prothétiques, la planification va aussi permettre de classifier l'implant dans l'une des catégories ZAGA d'Aparicio, permettant d'appréhender son rapport avec le sinus et la membrane sinusienne et, donc, d'adapter les protocoles chirurgicaux afin de respecter au maximum l'écosystème sinusien décrit plus haut[,].

Ainsi, dans les classifications ZAGA 0, 1 et 2, la fenêtre sinusienne vestibulaire pourra être très étendue, voire même totalement effondrée, l'implant zygomatique ayant un trajet totalement intra-sinusien ou directement sur la paroi vestibulaire, la remplaçant complètement[]. Il est totalement illusoire, comme décrit dans certains ouvrages, de vouloir décoller délicatement la membrane pour y positionner l'implant dessous, car ces décollements de très grande étendue provoquent quasi systématiquement un déchirement de grande ampleur de la muqueuse. Ainsi, et pour respecter la physiologie de la cavité sinusienne, il faudra dans ces cas opérer sur un sinus parfaitement sain, après accord de l'ORL, et obtenir des sutures parfaitement étanches lors de la fermeture des lambeaux afin d'éviter toute communication bucco-sinusienne et un maximum de complications sinusiennes[] [fig. 12].

Malgré ce trajet quasi totalement intra-sinusien, Ruben Davo et al.[,] ont montré, après exploration intra-sinusienne par endoscopie plusieurs mois après la pose d'implants zygomatiques intra-sinusiens, l'application d'une membrane de Schneider saine sur l'ensemble du titane intra-sinusien n'entraînant aucune répercussion sur la physiologie du sinus.

A contrario, dans les classifications ZAGA 3 et 4, l'ancrage apical de l'implant dans l'os zygomatique ne se fera que par l'intermédiaire d'une petite fenêtre sinusienne rappelant les volets vestibulaires des greffes de sinus. Cette petite effraction sinusienne devient tout à fait compatible avec la santé du sinus et présente moins de risque de complication que les positionnements intra-sinusiens des implants[] [fig. 13].

CONCLUSION

La chirurgie des implants zygomatiques est une chirurgie complexe qui, au-delà du geste technique et des risques anatomiques, doit respecter un positionnement précis de l'implant depuis son ancrage dans l'os zygomatique jusqu'au positionnement de son col sur la crête. Seule une planification sur logiciel 3D avec simulation du projet prothétique pourra décider avec précision dans quelle classification ZAGA se situera l'implant. Une émergence prothétique la plus proche possible de la crête devra être recherchée, imposant une situation extra ou juxta-maxillaire de l'implant. Cependant, en fonction de l'anatomie sinusienne, l'implant pourra avoir un trajet totalement intra-sinusien ou en grande partie intra-sinusien. Dans ces cas, même si les études montrent que cette situation n'entraîne aucune répercussion postopératoire sur la physiologie du sinus, une parfaite connaissance de la physiopathologie du sinus doit éliminer toute pathologie avant l'intervention. Dans le cas contraire, une consultation et une prise en charge ORL sont obligatoires.

Cette réflexion est importante et oblige le chirurgien, lors de son analyse, à faire parfois un compromis entre un design prothétique pas forcément idéal et une position implantaire la moins iatrogène possible sur le sinus. Ce positionnement idéal doit être reproduit chirurgicalement grâce à la chirurgie guidée prescrite en chirurgie zygomatique. Il semblerait que la navigation puisse, dans un avenir proche, répondre à ce problème.

Enfin, toutes les études citées dans cet article concernent l'utilisation d'implants à surface lisse mais le développement de certains industriels semble s'orienter vers des états de surface rugueuse dont on ne maîtrise pas aujourd'hui les comportements à long terme en position intra-sinusienne.

Auteurs

Nicolas Boutin

Docteur en chirurgie dentaire Université Paris 5

Sapo implant

Exercice privé exclusif en implantologie orale, Paris 15 (France)

Exercice privé à la clinique Blomet Paris 15 (France)

Bernard Cannas

Docteur en chirurgie dentaire Université Paris 5

Sapo implant

Exercice privé exclusif en implantologie orale, Trilport (France)

Chargé d'enseignement CES anatomie physiologie de l'appareil manducateur Université de Paris

Ancien attaché hospitalier hôpital de Lagny (Marne la Vallée)

Régis Jouvrot

Docteur en chirurgie dentaire

Exercice privé exclusif en implantologie orale, Centre JUPITER St MALO (France)

Emmanuel Racy

Docteur en médecine

Chirurgien maxillo-facial et ORL

Exercice privé Paris

Laure Garbarini

Docteur en chirurgie dentaire

Exercice privé exclusif en implantologie orale, Centre JUPITER St MALO (France)

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