La greffe osseuse crânienne : qui, quand, pourquoi, comment ? - Implant n° 2 du 01/05/1999
 

Implant n° 2 du 01/05/1999

 

Repères

Arguments

Jean-François Tulasne  

Stomatologiste
Chirurgien maxillo-facial

On pourrait nommer la greffe osseuse crânienne, « greffe de Tessier », tout comme on appelle « greffe de Thiersh », la greffe de peau mince ou « greffe d'Ollier », la greffe tibiale ostéopériostée. Même si le premier prélèvement d'os crânien a été réalisé en 1929 par Dandy [1], Paul Tessier (fig. 1), avec 2 300 prélèvements crâniens en 15 ans, est véritablement le...


On pourrait nommer la greffe osseuse crânienne, « greffe de Tessier », tout comme on appelle « greffe de Thiersh », la greffe de peau mince ou « greffe d'Ollier », la greffe tibiale ostéopériostée. Même si le premier prélèvement d'os crânien a été réalisé en 1929 par Dandy [1], Paul Tessier (fig. 1), avec 2 300 prélèvements crâniens en 15 ans, est véritablement le père de la greffe osseuse crânienne (GOC). En 1982, il publiait son expérience sur l'utilisation de l'os pariétal crânien chez 103 patients [2]. Le premier cas, une fracture du plancher de l'orbite, avait été traité en 1972. En fait, c'est à partir de 1978 que les greffons osseux ont commencé à être prélevés de plus en plus souvent sur la voûte crânienne. J'ai vécu de près cette évolution puisque, assistant de Paul Tessier en 1976 et 1977, je prélevais, quotidiennement ou presque, pour mon patron des côtes et des greffons iliaques ou tibiaux. A mon retour à Paris en 1980, le crâne représentait déjà une source importante d'os autogène et allait devenir les années suivantes le site donneur quasi exclusif pour les reconstructions crâniennes et faciales.

Les publications sur la greffe osseuse crânienne sont très rares. En reconstruction préimplantaire, on n'en retrouve que deux (par la même équipe !) dans la littérature anglo-saxonne [3-4]. Les autres sont le fait de neurochirurgiens, d'oto-rhino-laryngologistes et de chirurgiens plasticiens (formés pour la plupart à Paris chez le maître de la chirurgie cranio-faciale). L'article le plus complet est paru en 1995 dans la revue américaine de chirurgie plastique [5], article suscité par Tony Wolfe, un des trois « fils spirituels » américains de Paul Tessier. Un questionnaire envoyé à tous les membres de la Société internationale de chirurgie cranio-faciale avait pour but de relever les complications qu'ils avaient eues (ou dont ils avaient pu avoir connaissance) lors de prélèvements crâniens. Sur plus de 13 000 prélèvements, les 11 cas de complications neurologiques, pour la plupart transitoires, étaient le fait de chirurgiens n'ayant aucune ou très peu d'expérience en chirurgie cranio-faciale. Le procédé apparaissait donc sûr entre des mains entraînées.

Cet article de Kline et Wolfe est assorti de considérations sur les autres sites de prélèvements osseux en chirurgie reconstructive, sur la technique de prélèvement crânien et la conduite à tenir vis-à-vis d'éventuelles complications en cours de prélèvement. Surtout, il se double d'une « discussion » par Paul Tessier qui, à partir d'une expérience personnelle unique portant, en 45 ans de reconstruction faciale, sur plus de 9 000 prélèvements osseux (environ 4 300 iliaques, 2 100 costaux, 700 tibiaux et 2 300 crâniens), analyse en détail le « comment » et le « pourquoi » de la GOC : techniques de prélèvement, instrumentation spécifique, avantages (décisifs) et inconvénients (mineurs) de l'os crânien.

L'article de Robert Zerbib résume parfaitement l'attitude actuelle en chirurgie reconstructive préimplantaire : privilégier l'os cortical en raison des mauvais résultats généralement observés avec les greffons iliaques à prédominance spongieuse, utilisés de tout temps par les « oral surgeons », ORL, orthopédistes et maxillo-faciaux. Je me souviens avec amusement de la période 1992-1993 où, à l'occasion du congrès annuel de l'Association dentaire française, nous avons, Zerbib et moi, confronté nos opinions sur le matériau idéal de construction préimplantaire. En 1992, chargé d'organiser une séance sur « L'implantologie d'exception », j'avais invité Robert Zerbib à présenter son expérience de la greffe iliaque puisque, à l'époque, il utilisait exclusivement ce type d'os, suivant en cela l'enseignement classique dispensé dans les services de chirurgie faciale à l'exception, bien sûr, des services français ou étrangers où officiait Paul Tessier. Ayant à mon tour traité de la reconstruction par greffe crânienne, je vis mes arguments contestés par mon confrère qui me démontra, publications savantes et coupes histologiques à l'appui, la supériorité de l'os spongieux sur l'os cortical. L'année suivante, dans une séance sur les acquisitions récentes en implantologie, je fis une présentation sur le même sujet et eus, cette fois, l'heureuse surprise de voir mon confrère se lever pour soutenir mes conclusions et renforcer ma confiance en l'os cortical par d'autres arguments scientifiques plus en accord avec la réalité des faits.

La supériorité de l'os cortical sur l'os spongieux n'est plus contestée par personne : l'os mandibulaire est utilisé comme greffon par de nombreux parodontistes et le prélèvement crânien n'est rejeté, à juste titre, que par les chirurgiens non entraînés à l'abord neurochirurgical et les patients inquiets d'une possible déformation de leur voûte crânienne. Sur près de 400 sinus opérés, nous avons utilisé l'os crânien dans 84 % des cas et ce, dès le troisième cas, c'est-à-dire en 1990, en raison de sa forte densité et de la simplicité des suites opératoires (fig. 2a et 2b). Avec un taux d'ostéointégration de 95 %, on peut considérer comme résolu le problème de l'ancrage implantaire dans les secteurs postérieurs maxillaires. En revanche, malgré la résistance qu'il offre aux phénomènes de résorption, l'os cortical ne peut assurer une reconstitution anatomique des procès alvéolaires. Il nous manque encore quelques millimètres pour donner toute satisfaction à nos confrères prothésistes. Nous y parviendrons sûrement, mais ceci est une autre histoire...

Bibliographie

  • 1. Dandy WE. An operative treatment for certain cases of meningocele (or encephalocele) into the orbit. Arch Ophtalmol 1929;2:123.
  • 2. Tessier P. Autogenous bone grafts taken from the calvarium for facial and carial applications. Clin in Plast Surg 1982;9: 531-538.
  • 3. Dickerson NC, Hellstein JW, Hanson LJ. Autologous calvarial and iliac onlay bone grafts in miniature swine. J Oral Maxillofac Surg 1993;51:898-903.
  • 4. Donovan MG, Dickerson NC, Hanson LJ, Gustafson RB. Maxillary and mandibular reconstruction using calvarial bone grafts and Brånemark implants : a preliminary report. J Oral Maxillofac Surg 1994; 52:588-594.
  • 5. Kline RM, Wolfe SA. Complications associated with the harvesting of cranial bone grafts. Discussion by Paul Tessier. Plast Reconstr Surg 1995;95:5-20.