Mise en charge immédiate - Implant n° 4 du 01/12/2000
 

Implant n° 4 du 01/12/2000

 

Repères

Arguments

Marc Bert  

Docteur en sciences odontologiques
Attaché Paris VII
Service d'implantologie

Le concept prévalant en implantologie dans les années 1970-1980 était celui de la fibro-intégration, c'est-à-dire que l'implant était entouré d'un tissu conjonctif censé lui apporter un amortissement semblable à celui qu'un ligament donne à une dent naturelle. Les résultats à moyen et long termes n'ont pas été à la hauteur des espérances que cette technique apportait. Dans une thèse de 3e cycle soutenue en 1981 ainsi que dans des ouvrages ultérieurs [

Le concept prévalant en implantologie dans les années 1970-1980 était celui de la fibro-intégration, c'est-à-dire que l'implant était entouré d'un tissu conjonctif censé lui apporter un amortissement semblable à celui qu'un ligament donne à une dent naturelle. Les résultats à moyen et long termes n'ont pas été à la hauteur des espérances que cette technique apportait. Dans une thèse de 3e cycle soutenue en 1981 ainsi que dans des ouvrages ultérieurs [1], j'ai publié des études à 15 ans sur ce concept (Fig. 1) qui mettaient en évidence une dégradation constante des résultats, avec 37 % de succès au maxillaire après 15 ans et 78 % à la mandibule, et surtout une courbe décroissant régulièrement avec le temps. À partir des années 1980, Brånemark a crédibilisé les implants en introduisant le concept de l'ostéointégration, c'est-à-dire un contact direct entre l'os et l'implant dont les résultats à 15 ans montrent une remarquable stabilité dans le temps (Fig. 2), à l'inverse des implants fibro-intégrés. Ce concept repose sur 6 principes:

- biocompatibilité du matériau : le titane. La plupart des implants utilisés en 1970-1980 étaient en titane commercialement pur, les autres en tantale, biomatériau très proche du titane. Sur ce point, Brånemark n'a apporté aucune innovation ;

- forme de l'implant : une vis. Si diverses lames ont été utilisées dans ces années-là, de nombreux implants en forme de vis étaient également mis en place (vis de Cherchève, de Muratori, etc). Sur ce principe, Brånemark n'a rien apporté de nouveau ;

- état de surface de l'implant favorisant sa mouillabilité. Tous les implants en titane des années 1970-1980 avaient un état de surface irrégulier favorisant l'adhésion des cellules cicatricielles ;

- préparation du site osseux receveur, c'est-à-dire essentiellement le non-échauffement de l'os pendant son forage, qui était un souci constant de la préparation du néo-alvéole implantaire sur lequel les travaux de Brånemark n'ont pas apporté de remise en cause ;

- asepsie opératoire, déjà mise en place pour tous les actes de chirurgie buccale ;

- conditions de mise en charge.

C'est sur ce point que Brånemark a révolutionné les techniques antérieures de mise en place des implants : alors que la mise en charge quasi immédiate était la règle, Brånemark a introduit la notion de mise en nourrice des implants pendant un délai de 4 à 6 mois. Cette notion a été confirmée dès 1979 par Brunski qui a établi que, tous les autres paramètres étant égaux, un implant à mise en charge immédiate développait systématiquement une interface fibreuse avec l'os. En revanche, un implant mis en nourrice pendant quelques mois voyait se développer un contact direct avec l'os, gage de stabilité à long terme de l'implant [2]. Depuis, les travaux de Akagawa et al. [3] ont confirmé ce point sur le chien beagle : « Un implant en 1 temps, sans super-structure prothétique, avec une alimentation type “croquette” montre systématiquement une interface fibreuse. Un implant enfoui, dans les mêmes conditions, montre un contact direct avec l'os sur une surface variable. »

L'apparition, il y a quelques années, des implants ITI Bonefit a battu en brèche ce concept : ces implants sont laissés hors charge, mais ne sont pas enfouis. Ils sont cependant soumis à différentes pressions comme le bol alimentaire, la langue, la joue. Les travaux de Sagara et al. [4] révèlent (Fig. 3) que le pourcentage de contact osseux à 3 mois est maximal avec l'enfouissement total de l'implant (hors charge, 2 temps), moyen avec les implants type ITI Bonefit (hors charge, 1 temps) et réduit avec les implants à mise en charge immédiate (en charge, 1 temps). Il est bien évident que si ce n'est pas de l'os qui est au contact de l'implant, c'est un tissu fibreux qui n'apporte pas de stabilité à long terme.

Malgré la sécurité apportée par la mise en nourrice des implants, le concept de la mise en charge immédiate refait actuellement surface, s'appuyant sur une étude de Tarnow et al. [5] portant sur 70 implants de 10 mm de longueur au minimum et 10 patients: 67 des 69 implants mis en charge immédiatement ont été ostéointégrés ; 37 des 38 implants laissés en nourrice ont été ostéointégrés. Au vu de cette étude, la mise en charge immédiate est, dans certains cas, préconisée avec un os d'une certaine densité, des implants de grande longueur et certains types de prothèse, sans que les définitions de ces paramètres fassent l'objet d'un consensus de la communauté scientifique. D'ailleurs, d'autres auteurs ayant testé cette mise en charge immédiate présentent des résultats moins en faveur de cette technique:

- étude de Schnitman et al [6]. sur 63 implants et 10 patients : 28 implants mis en charge immédiatement, 4 échecs (15 %) ; 35 implants mis en nourrice, pas d'échecs ;

- étude de Ericsson et al. [7] sur des implants de 13, 15 et 18 mm : sur les 14 implants avec une couronne provisoire en sous-occlusion, 2 implants sont perdus, l'un à 3 mois, l'autre à 5 (15 %) ; 8 implants en nourrice, aucun échec.

Mon expérience personnelle de la mise en charge immédiate est équivalente, avec un nombre supérieur d'échecs immédiats par rapport à la technique classique de l'enfouissement, échecs qu'il ne m'est actuellement pas possible de rattacher à un type d'os particulier, à une prothèse définie et à une longueur d'implant, certains implants de grande longueur dans des os de bonne densité n'ayant pas été ostéointégrés.

On le voit, la plus grande prudence s'impose vis-à-vis d'une technique qui paraît nouvelle pour certains, mais dont l'usage dans les années 1970-1980 n'a pas généré de bons résultats à long terme. Aucun protocole n'est actuellement défini ou ne fait l'objet d'un consensus. Il semble que la plus grande prudence soit de mise pour cette technique qui, sur un plan juridique, ne correspond pas aux données acquises (et non nouvelles) de la science.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Bert M. Complications et échecs en implantologie. Paris : Éditons CdP, 1996.
  • 2. Brunski JB. The influence of functional use of endosseous dental implants on the tissue-implant interface. J Dent Res 1979;58:1953-1962.
  • 3. Akagawa Y, Hashimoto M, Kondo N, Satomi K, Takata T, Tsuru H. Initial bone-implant interfaces of submergible and supramergible endosseous single-crystal sapphire implants. J Prosthet Dent 1986,55:96-100.
  • 4. Sagara M, Akagawa Y, Nikai H, Tsuru H. The effect of early occlusal loading on one-stage titanium alloy implants in beagle dogs. A pilot study. J Prosthet Dent 1993;69:281-288.
  • 5. Tarnow DP, Emtiaz S, Classi A. Immediate loading of threated implants at stage 1 surgery in edentulous arches: ten consecutive case reports with 1-to 5-year data. Int J Oral Maxillofac Implants 1997;12:319-324.
  • 6. Schnitman P, Wöhrle PS, Rubenstein JE, Da Silva JD, Wang NH. Ten-year results for Brånemark implants immediately loaded with fixed prostheses at implant placement. Int J Oral Maxillofac Implants 1997;12:495-503.
  • 7. Ericsson I, Nilson H, Lindh T, Nilner K, Randow K. Immediate functional loading of Brånemark single tooth implants. A 18 months'clinical pilot follow-up study. Clin Oral Implant Res 2000;11:26-33.

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