Dossier clinique
Gilles Montalbot * Érik Zerath ** Jean-François Tulasne ***
*Chirurgien-dentiste
Attaché des hôpitaux de Lyon
Diplôme universitaire d'implantologie orale et maxillo-faciale
66, Grande-Rue
01290 Pont-de-Veyle
**Médecin en chef
Spécialiste en anatomopathologie humaine
Spécialiste de recherches du service de santé des armées
Coordinateur des activités de recherches spatiales de l'IMASSA
IMASSA BP 73 - 91223 Brétigny-sur-Orge
***Ancien interne des hôpitaux de Nantes
Ancien chef de clinique
Chirurgie plastique et esthétique
Chirurgie maxillo-faciale
26, avenue Kléber
75116 Paris
Dans un article précédent [1, 2], nous avons décrit un cas de résorption extrême traité à l'aide de greffes pariétales (1996) et d'implants supportant un bridge à extension. Cinq ans plus tard, quels enseignements peut-on tirer de ce type de restauration ?
Le contrôle clinique montre :
- qu'il est possible d'apposer d'une façon durable des greffons cortico-spongieux de part et d'autre de la symphyse mentonnière résorbée au stade terminal entre les trous mentonniers par voie transcutanée sous-mentale [3] ;
- que les implants endo-osseux demeurent ostéointégrés en répondant aux critères d'Albrektsson dans ce complexe os greffé/os basal ;
- que les coupes histologiques réalisées à 1 an postopératoire selon les techniques décrites par Meunier (os non décalcifié fixé dans l'alcool éthylique, inclus dans du métacrylate de méthyle et coloré au solochrome cyanine R, au May-Grumwald-Giemsa, au trichrome de Goldner et au Von Kossa) ont montré un os vital avec tout son dynamisme ostéogénique (ostéoblastes pavimenteux, volumineux, alignés le long des travées ostéoïdes ; ostéocytes ; structures haversiennes bien visibles, objectivées par la lumière polarisée après coloration au solochrome) ;
- que la reconstruction chirurgico-prothétique est fiable à 5 ans (Fig. 12 et 13).
Plusieurs séries de clichés ont été réalisées en 1995, 1996, 1997, 1999 et 2001 (Fig. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 et 11) : clichés panoramiques, coupes axiales et coupes coronales obliques, reconstituées selon le logiciel Dentascan. Elles ont été effectuées dans les mêmes conditions par le même cabinet de radiologie (Paris-Hoche).
L'observation des clichés montre:
- une intégration parfaite des greffons sur l'os basal ;
- le maintien de l'ostéointégration des implants ;
- le gain osseux en hauteur progressif des branches horizontales de la mandibule de 1996 à 2001, surtout au-dessus des trous mentonniers.
L'existence d'une relation entre l'environnement mécanique du tissu osseux et les événements liés au remodelage qui contrôlent la structure et la masse osseuse est aujourd'hui une évidence largement acceptée. Cela ne doit pas occulter le fait que les bases physiologiques de cette relation restent encore à découvrir. La fonction prédominante du tissu osseux est d'assurer le rôle de charpente solide, ainsi que le rôle mécanique de soutien prépondérant et celui de réservoir de minéraux, notamment de calcium. Si la forme et les dimensions des pièces osseuses sont très étroitement le fait du capital génétique de chaque individu, l'architecture osseuse et, de là, la masse osseuse sont liées, pour leur part, plus particulièrement aux stimulations mécaniques, perçues par le segment osseux considéré.
Il a en effet été démontré in vitro [4] et in vivo [5] que la contrainte mécanique est un paramètre capable de modifier le métabolisme et l'activité cellulaire osseuse. Cela implique que les cellules osseuses sont capables de détecter des signaux mécaniques et de les transformer en phénomènes appropriés conduisant à des adaptations structurales cellulaires et tissulaires. Si la loi de Wolff, qui associe masse et fonction du tissu osseux, est déjà plus que centenaire [6], c'est surtout dans les 20 dernières années que les avancées ont été les plus nombreuses dans ce domaine. Plusieurs notions ont ainsi été acquises. Concernant le type de contrainte mécanique, on sait que l'adaptation osseuse à une augmentation de contrainte mécanique résulte plus de la répétition de contraintes unitaires dynamiques que de l'application continue et permanente d'une contrainte statique. Cependant, il est aussi rapidement apparu que les contraintes mécaniques devaient avoir une intensité minimale (minimum effective strain : MES ) en deçà de laquelle elles ne pouvaient être efficaces [7]. Enfin, il est communément admis aujourd'hui que les contraintes par compression, voire par tension, sont les plus efficaces en termes d'adaptation osseuse. Dans l'observation relative à cette patiente, il semble que l'ensemble des conditions favorables à une augmentation de masse osseuse ait été réuni. La mastication rendue possible par l'implantation est de nature à provoquer des stimulations mécaniques itératives dynamiques avec un mode d'application en compression. L'adaptation de l'os mandibulaire à la contrainte mécanique de la mastication a d'ailleurs déjà fait l'objet d'une mise en évidence expérimentale [8].
À un niveau plus avant, c'est-à-dire au niveau intra-tissulaire osseux, il est fortement suggéré que la cellule la plus probablement impliquée dans la transduction du signal mécanique pourrait être l'ostéocyte [9]. La transduction du signal vers la cellule osseuse pourrait emprunter la voie des canalicules qui parcourent la matrice osseuse, occupées par les prolongements cellulaires des ostéocytes et par un environnement liquidien qui pourrait, lui-même, être l'objet de mouvements de flux et de gradients de forces hydrostatiques [10].
Différentes voies transmembranaires ont été étudiées pour comprendre comment l'information pouvait être transmise dans la cellule elle-même, en particulier les voies de la cyclo-oxygénase [11] et de la NO-synthase [12, 13]. Une chaîne d'événements séquentiels se trouve alors activée, comprenant l'activation de la synthèse de certaines prostaglandines aboutissant à l'augmentation de la synthèse d'acides ribonucléiques signant ainsi le début des phénomènes adaptatifs cellulaires à la contrainte mécanique. Ces événements sont sous la dépendance de différents facteurs. Ces facteurs sont d'abord locaux, les cellules (ostéoblastes et ostéocytes) étant organisées en réseaux communiquant par des jonctions de type gap [14] ; par ailleurs, ces mêmes cellules synthétisent et relarguent dans leur micro-environnement des facteurs locaux (igFs, TGFs, BMPs…) dont on a démontré le rôle dans les phénomènes osseux liés aux modifications de contraintes mécaniques [15]. Ces facteurs sont, en outre, généraux et l'on sait l'importance des facteurs nutritionnels et hormonaux (en particulier relatifs à la ménopause) dans l'acquisition et le maintien du capital osseux.
Dans ce contexte, il est maintenant bien connu que le métabolisme osseux est capable de se modifier très rapidement (en quelques heures, voire quelques jours), en réponse à une sollicitation mécanique, que ce soit par augmentation (exercice physique) ou par défaut (hypodynamie), même si la traduction tissulaire de ces modifications ne sera sensible à la mesure (par voie histomorphométrique et, a fortiori, par mesure externe) que quelques semaines plus tard [16]. Le cas clinique décrit illustre ces données fondamentales.
La masse osseuse mandibulaire peut s'accroître pour s'adapter aux forces croissantes engendrées par le retour progressif de la mastication. D'autres exemples et d'autres auteurs vont dans le même sens [17].
L'implantologiste contribue à maintenir ou à reconstruire le capital osseux des maxillaires.
Remerciements à : Nicolas Fousson pour sa collaboration.