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Mohamed KAHIL * Michel SIXOU **
*Laboratoire de Biologie bucco-faciale
Faculté de Chirurgie dentaire
Université Paul-Sabatier, Toulouse, France
La flore sous-gingivale, associée aux lésions parodontales sévères, est dominée par des espèces bactériennes anaérobie stricte et capnophiles. Plusieurs approches diagnostiques sont à notre disposition : microbiologique, immunologique et moléculaire. Le but de cette étude est d'étudier, par la culture bactérienne et par les sondes d'ADN génomique global, la fréquence de détection de trois pathogènes parodontaux, Actinobacillus actinomycetemcomitans, Porphyromonas gingivalis et Prevotella intermedia dans des prélèvements de flore sous-gingivale appartenant à 100 patients présentant des lésions parodontales sévères.
Ces trois pathogènes ont été détectés respectivement dans 49, 51 et 78 cas sur 100 par la méthode moléculaire et dans 4, 28 et 52 cas sur 100 par la culture.
Cette étude a confirmé, d'une part, la prévalence de ces trois espèces dans les lésions parodontales évolutives et, d'autre part, la meilleure sensibilité des sondes d'ADN génomique global par rapport à la culture bactérienne dans leur détection, notamment dans l'identification d'Actinobacillus actinomycetemcomitans.
La meilleure sensibilité des techniques moléculaires ne remet pas en question l'intérêt de la culture pour le clinicien. L'antibiogramme lié à la culture bactérienne reste un élément clé de notre thérapeutique anti-infectieuse. La complémentarité de ces deux techniques permet aux praticiens une meilleure prise en charge des pathologies parodontales.
Subgingival plaque associated with severe periodontal lesions is dominated by some strictly anaerobic and capnophile bacterial species. Some of the diagnostic approaches currently used include : culture, immunological and molecular diagnostics. The purpose of this study is to compare the detection of three major periodontal pathogens Actinobacillus actinomycetemcomitans, Porphyromonas gingivalis and Prevotella intermedia by DNA genomic probes and reference culture methods.
Actinobacillus actinomycetemcomitans, Porphyromonas gingivalis and Prevotella intermedia were respectively detected in 49, 51 and 78 of the 100 samples selected using molecular methods and in 4, 28 and 52 sample using culture methods.
This study confirms the prevalence of three periodontal pathogens in subgingival plaque samples associated with severe periodontal lesions.
The genomic probes are more efficient than the reference culture methods for the identification of these periodontal pathogens.
These two technics are complementary. They allowe better treatment of periodontal diseases. Antibiotic assay associated with bacteria culture is an essential biological test for anti-infectious treatment.
Les maladies parodontales sont des maladies infectieuses à manifestations inflammatoires, caractérisées par la destruction de l'os alvéolaire et par la perte de l'organe dentaire aux stades les plus avancés. Il est actuellement admis que les formes cliniques les plus sévères sont associées à une flore sous-gingivale spécifique dominée par des bactéries Gram négatif (Newman, 1990), à métabolisme respiratoire anaérobie strict ou capnophile.
La flore bactérienne de la cavité buccale est dense, riche et complexe. Plus de 300 espèces bactériennes sont identifiées chez le sujet sain. Certaines espèces ont un potentiel pathogène pour les tissus parodontaux. Leur identification est directement liée au diagnostic et à la notion de potentiel évolutif des maladies parodontales (Moore, 1987 ; Moore et Moore, 1994).
Les trois principaux micro-organismes impliqués dans les lésions parodontales actives sont Actinobacillus actinomycetemcomitans, Porphyromonas gingivalis et Prevotella intermedia (Slots, 1986 ; Söder et al., 1993
Actinobacillus actinomycetemcomitans est le micro-organisme spécifique des parodontites juvéniles localisées (Zambon et al., 1983 ; Zambon, 1985 ; Slots et Listgarten, 1988 ; Asikainen et al., 1997). Porphyromonas gingivalis prédomine dans la flore sous-gingivale associée aux parodontites à progression rapide (Chen et Slots, 1993 ; Socransky et al., 1998). Ces deux espèces bactériennes sont souvent associées à Prevotella intermedia dans les lésions actives des parodontites de l'adulte (Slots, 1986 ; Slots et Chen, 1993).
L'identification de ces trois micro-organismes permet la détection des sujets à risque de développer une maladie parodontale et l'évaluation de l'activité de la lésion ainsi que l'appréciation de l'efficacité thérapeutique (Slots et Rams, 1990).
La méthode de référence utilisée pour identifier et quantifier ces pathogènes parodontaux dans les prélèvements de plaque sous-gingivale est la culture bactérienne (Slots, 1986), mais de nombreux éléments techniques limitent les performances de celle-ci (Listgarten, 1992). La culture bactérienne présente un certain nombre d'inconvénients comme le manque de sensibilité, dû au principe même de la dilution sériée exigée par cette méthode, la lenteur, le coût et les exigences métaboliques respiratoires de certains micro-organismes anaérobies. L'ensemble de ces contraintes réduit le champ d'application de cette technique d'analyse (Socransky, 1977).
Ces limites techniques suggèrent de faire appel à une autre méthode de diagnostic plus sensible, plus rapide et qui n'exige pas la préservation vitale des micro-organismes anaérobies. Les nouvelles approches de biologie moléculaire et notamment les sondes ADN répondent à ces critères et permettent de dépasser un certain nombre de ces limites (French et al., 1986 ; Savitt et al., 1988 ; Strzempko et al., 1987 ; Haffajee et al., 1992). Le principe des sondes ADN repose sur les propriétés structurales de l'ADN. En effet, les deux chaînes polydésoxyribonucléotidiques de la molécule d'ADN s'apparient entre elles d'une façon spécifique et complémentaire. Cette propriété intrinsèque permet à la sonde ADN de reconnaître et de s'apparier avec une séquence d'ADN complémentaire, unique et spécifique du micro-organisme recherché et cela parmi des millions d'autres. Cet appariement est détecté grâce au marquage préalable de la sonde par un élément radioactif ou non radioactif. La sensibilité déjà élevée des sondes ADN peut encore être augmentée par l'utilisation des techniques d'amplification génique (PCR : Polymerase Chain Reaction) (Saiki et al., 1988).
L'examen par sondes ADN n'exige pas une mise en culture. Il permet de traiter plusieurs échantillons en même temps, ce qui le rend plus rapide et moins coûteux que la méthode de référence.
Les conditions de transport et de traitement des prélèvements sont moins contraignantes que celles de la culture bactérienne, car cette méthode n'exige pas la viabilité des micro-organismes. Cette caractéristique est d'un grand intérêt dans l'étude de la flore sous-gingivale associée aux maladies parodontales en raison de la forte sensibilité de ces bactéries à l'oxygène de l'air (Loesche et al., 1992).
Plusieurs types de sondes d'ADN sont à notre disposition (Kaplan et Delpech, 1996) :
- les sondes d'ADN génomique global : ce sont des sondes de grande taille puisqu'elles concernent la totalité du génome bactérien (107 nucléotides environ), ce qui peut les exposer à des hybridations croisées avec un ADN provenant d'une espèce bactérienne différente de celle à l'origine de la sonde, d'où leur spécificité moyenne. Di Rienzo ont constaté et jugé non significatif ce phénomène, en étudiant l'hybridation croisée entre les sondes dirigées contre Actinobacillus actinomycetemcomitans, d'une part, et Haemophilus aphrophilus, d'autre part.
Leur grande taille rend leur conservation par congélation plus difficile, car des cassures de la sonde peuvent apparaître lors de congélation et de décongélation successives, en raison des contraintes physico-chimiques liées à la formation des cristaux de glace ;
- les sondes d'ADN génomique à clonage aléatoire : ce sont des sondes de petite taille, puisqu'elles n'impliquent qu'un fragment d'ADN de l'ordre de 2 000 à 5 000 nucléotides. Ces fragments sont obtenus par clonage aléatoire. Leur taille leur confère une spécificité meilleure que celle des sondes d'ADN génomique global ainsi qu'une meilleure conservation par congélation ;
- les oligonucléotides de synthèse : ce sont des fragments d'ADN de 18 à 25 nucléotides, le plus souvent synthétisés par des automates. Les forces d'affinités de ces sondes avec l'ADN cible sont faibles en raison du nombre réduit de nucléotides composant ces éléments. Le choix de la séquence concernée par ces sondes est délicat et exige une connaissance parfaite du génome.
L'objectif de notre étude est de comparer la fréquence de détection d'Actinobacillus actinomycetemcomitans, Porphyromonas gingivalis, Prevotella intermedia dans des prélèvements de plaque sous-gingivale provenant de lésions parodontales sévères et ce par deux techniques d'identification bactérienne : la culture bactérienne et les sondes d'ADN génomique global.
Les prélèvements de flore sous-gingivale de cette étude concernent 100 patients provenant pour la plupart de la population de la Haute-Garonne et présentant des lésions parodontales sévères. Il s'agit de 47 hommes et de 53 femmes, dont la moyenne d'âge est de l'ordre de 36 ans. Certains de ces patients sont traités au centre de soins bucco-dentaires de la Faculté de Chirurgie dentaire de Toulouse, d'autres sont traités dans le secteur privé.
Ces patients n'ont subi aucune antibiothérapie au cours des six mois précédant le prélèvement. Le choix du ou des sites prélevés est basé sur la gravité clinique des lésions (profondeur de poche, perte d'attache, saignement…).
Les prélèvements de la flore sous-gingivale ont été réalisés à l'aide de pointes de papier absorbantes stériles (pointes Mynol®, réf. 111476, Regular Style Fine, Block Drug Corporation) (Slots, 1986 ; Rosling et al., 1986 ; Beltrami et al., 1987 ; Lavanchy et al., 1987 ; Sixou et al., 1991). cette technique a été adoptée en raison de son efficacité dans la collecte des bactéries anaérobies (Zambon et al., 1983 ; Christersson et al., 1985 ; Dahlén et al., 1989 ; Sixou et al., 1991). Chaque prélèvement a été précédé par le nettoyage du site à l'aide de compresses et de sérum physiologique stérile, puis par son isolement de la salive par des rouleaux de coton. Les pointes sont insérées dans le sillon gingival jusqu'à la sensation de résistance et laissées en place pendant 10 secondes. Elles sont ensuite placées dans 2 ml du milieu de transport (VGMA III de Möller, modifié par Slots et al., 1986), qui est un milieu semi-gélosé, préréduit, qui préserve donc la vie des micro-organismes anaérobies et qui ne modifie pas la composition du prélèvement (Slots, 1986).
Les prélèvements sont traités au laboratoire dans un délai maximal de 48 heures. En raison de la nature semi-gélifiée du milieu de transport, une préchauffe à 37 °C pendant 15 minutes précède la dispersion des bactéries à l'aide d'un vortex à sa puissance maximale pendant une minute. L'ensemble des prélèvements subit une série de dilution (10-1, 10-2, 10-3, 10-4) dans un bouillon Wilkins-Chalgren, puis 100 µl des dilutions appropriées sont ensemencés.
Le milieu gélosé utilisé pour la culture d'A. actinomycetemcomitans est un milieu sélectif : TSBV (Slots, 1982) composé de 4 % de tryptocaséine de soja, 1 g/l d'extrait de levure, 10 % du sérum de cheval stérile, 75 µg/ml de bacitracine et de 5 µg/ml de vancomycine.
Le milieu gélosé utilisé pour la culture de P. gingivalis et de P. intermedia est non sélectif : GS (Holdman et al., 1970) composé de 40 g/l de tryptocaséine de soja, 1 g/l d'extrait de levure, 5 % de sang de mouton stérile, 0,4 % d'hémine et 0,0002 % de ménadione.
Toutes les étapes, de la dispersion des micro-organismes jusqu'à l'identification, ont eu lieu dans une chambre d'anaérobiose à 37 °C pendant 8 jours avec contrôle de croissance à 15 jours (Anaerobic chamber par Plas-Labs ; Lansing USA - Bioblock).
La lecture et l'identification bactérienne ont été réalisées selon des critères morphologiques, biochimiques et enzymatiques (Slots, 1982 ; Holt et al., 1994).
A. actinomycetemcomitans est un coccobacille à Gram négatif, capnophile, formant sur le milieu sélectif TSBV des colonies de petites tailles (0,5 à 1 mm de diamètre), aux contours irréguliers, translucides. Leur surface, bombée et lisse, peut présenter parfois une image étoilée. Elles sont de consistance ferme et adhérente à la gélose.
P. gingivalis et P. intermedia sont des bacilles à Gram négatif, anaérobies stricts, formant sur le milieu non sélectif GS des colonies de tailles moyennes (1 à 4 mm de diamètre), pigmentées en brun, brun foncé (P. intermedia) à noir (P. gingivalis), bombées, lisses et aux contours réguliers. Exposées à la lumière ultra-violette à 366 nm (Spectroline, Spectronics Corporation, New York, USA), les colonies de P. gingivalis n'émettent aucune fluorescence, par contre les colonies de P. intermedia émettent une fluorescence qui va du rouge orangé jusqu'au rouge brique selon l'âge de la colonie.
Les caractéristiques biochimiques de ces trois micro-organismes ont été mises en évidence par l'utilisation de galeries de tests biochimiques (API 20 A, ATB 32 A - Biomérieux) et enzymatiques (Rapid 32 A, API ZYM Biomérieux).
Les génomes bactériens servent à l'élaboration des sondes. Ils ont été extraits à partir des souches de références :
- A. actinomycetemcomitans (FDC Y4) ;
- P. gingivalis (W93) ;
- P. intermedia (NCTC 9336).
Le même protocole d'extraction d'ADN a été adopté pour les trois sondes.
Les colonies sont récoltées à partir d'une culture bactérienne pure d'une souche de référence, sur gélose, puis dispersées dans 3 ml du bouillon Wilkins-Chalgren (WC). Après centrifugation, les culots sont lavés deux fois dans une solution de Tris-HCl (10 mM) pH à 8,2, puis incubés à 37 °C pendant 1 heure dans une solution composée de : PEG à 24 % (20 M), Tris-HCl (20 mM), lysozymes (200 µg/ml).
Les culots subissent une deuxième incubation à 50 °C, pendant 1 heure, dans une autre solution contenant : SDS à 10 %, Tris-HCl (10 mM) à pH 8, protéinase K (15 µg/ml). Après déprotéinisation au phénol (un volume égal au volume total) et une centrifugation (1 000 G, 15 minutes, + 4 °C), l'ADN présent dans le surnageant est précipité en ajoutant : acétate de sodium 0,1 %, éthanol 95° refroidi, MgCl2 1 %.
L'ADN est récupéré, sous forme des masses visqueuses, à l'aide d'une baguette de verre et incubé dans du TE (pH 8) contenant de la RNase (40 µg/ml) à + 4 °C pendant une nuit.
L'ADN est extrait avec du chloroforme et précipité une deuxième fois avec de l'éthanol refroidi et de l'acétate de sodium puis stocké à - 20 °C dans du TE (pH 8).
Le marquage de l'ADN génomique est réalisé avec le digoxigenine-d-uracile triphosphate (DIG DNA, labeling detection kit Boehringer Mannheim), selon le protocole suivant (fig. 1) :
- dénaturation (séparation des deux brins) par chauffage (100 °C, 10 minutes), suivi d'un refroidissement brutal dans de la glace (4 °C) ;
- hybridation avec des hexanucléotides représentant toutes les séquences nucléotidiques possibles (amorces) à 37 °C pendant 1 heure ;
- des nucléotides triphosphates marqués sont ajoutés (DIG-d-UTP), en présence d'une polymérase (fragment de Klenow de la DNA polymérase I). Les brins d'ADN complémentaires des monobrins de départ sont ainsi synthétisés et marqués ;
- la réaction est arrêtée avec de l'EDTA (0,2 M) ;
- les sondes sont ensuite précipitées et resuspendues dans du TE et conservées à - 20 °C.
Les sondes ainsi élaborées ont subi des contrôles concernant, d'une part, la qualité de marquage, et d'autre part, leur spécificité.
La qualité de marquage est testée en comparant l'intensité de celui-ci avec celle d'un ADN de référence préalablement marqué et fourni par le kit de marquage. Ces contrôles ont confirmé la bonne qualité du marquage des sondes élaborées.
La spécificité des sondes a été appréciée en mettant les sondes en présence d'autres ADN provenant d'une vingtaine d'espèces bactériennes appartenant à la cavité buccale et différentes de celle à l'origine de la sonde. Aucune hybridation croisée n'a été constatée.
Les échantillons de plaque sous-gingivale transportés dans le milieu VGMA III et précédemment utilisés pour l'examen par culture ont été conservés à + 4 °C et réutilisés pour l'extraction de l'ADN.
L'extraction d'ADN a été commencée par un préchauffage des échantillons à 37 °C pendant 15 minutes. Les micro-organismes sont ensuite dispersés à l'aide d'un vortex. 500 µl de chaque échantillon ont été prélevés, centrifugés et lavés deux fois avec du TE. Une première incubation est réalisée dans une solution contenant du lysozyme (200 µg/ml) et de la RNase (32 µg/ml), à 31 °C, pendant 30 minutes. Une deuxième incubation est effectuée à 50 °C, pendant 30 minutes après avoir ajouté de la protéinase K (15 µg/ml). L'ADN subit ensuite une dénaturation (chauffage suivi d'un refroidissement brutal) et une précipitation.
L'ADN a été extrait par la technique phénol-chloroforme à part égale, puis précipité avec de l'éthanol refroidi et conservé dans du TE à + 4 °C.
L'hybridation correspond à la réassociation des monobrins d'ADN contenant des séquences strictement complémentaires, même si cette séquence est unique parmi un grand nombre d'autres.
La technique d'hybridation adoptée dans notre étude est le dot-blot (fig. 2). Elle consiste à déposer et immobiliser l'ADN dénaturé (monobrin) de chaque échantillon étudié, sous forme de spot calibré sur un support solide - une membrane en nylon chargée positivement (Boehringer Mannheim Biochemica) - et à le mettre en contact avec une solution d'hybridation contenant la sonde. Si la sonde rencontre des séquences homologues au sein d'un spot, elle s'y réassocie. Cette réassociation est ensuite détectée par une réaction immuno-enzymatique faisant intervenir un substrat colorimétrique.
Un spot témoin positif (ADN à l'origine de la sonde) et plusieurs spots témoins négatifs (ADN provenant des bactéries bien identifiées et différentes de la bactérie recherchée) ont été aussi déposés sur la membrane pour détecter une éventuelle hybridation croisée non spécifique de la sonde.
L'hybridation a été précédée par une phase de pré-hybridation (à 42 °C pendant 1 heure) pour saturer les sites non spécifiques de la membrane. La solution de préhybridation contient du SSC 20X (2,5 ml), formamide (5 ml), Na-lauryl sarcosine (0,1 %), solution de blocage (2 ml).
L'hybridation a été réalisée à 42 °C, pendant une nuit, dans une solution identique à celle de la préhybridation, dans laquelle a été ajouté la sonde préalablement dénaturée.
L'hybridation a été suivie par une étape de post-hybridation ou de lavage avec une solution de SSC 20X et SDS 10X afin d'éliminer de la membrane la sonde non fixée.
La détection de la sonde hybridée a été réalisée par une technique immuno-enzymatique avec révélation par un substrat colorimétrique (fig. 2), en faisant appel à un anticorps anti-DIG-alkaline-phosphate. Les complexes obtenus, DIG et anti-DIG, ont été révélés par un système amplificateur sandwich en dot-blot. En effet, les anti-DIG sont couplés à une enzyme permettant une réaction colorée en présence de son substrat inclus dans la solution de détection. L'apparition des spots colorés traduirait la présence de l'ADN cible et donc de la bactérie recherchée dans l'échantillon.
Les résultats de notre étude sur la fréquence de détection de trois pathogènes parodontaux (A. actinomycetemcomitans, P. gingivalis, P. intermedia), par deux approches diagnostiques - la culture bactérienne et les sondes d'ADN génomique global -, sont présentés dans le tableau I.
Cent patients atteints des parodontites sévères sont pris en compte dans cette étude.
Ces résultats montrent que le taux de détection ou bien la prévalence respective de chaque micro-organisme est de :
- 50 % pour A. actinomycetemcomitans ;
- 54 % pour P. gingivalis ;
- 81 % pour P. intermedia.
Nous pouvons constater qu'A. actinomycetemcomitans a été détecté dans 4 % des cas par la culture bactérienne, alors que son taux de détection par la technique moléculaire a été de 49 %. La détection d'A. actinomycetemcomitans par la culture non confirmée par les sondes a été constatée dans un seul cas.
En ce qui concerne P. gingivalis et P. intermedia, l'examen par culture a permis leur détection respectivement chez 28 % et 52 % des sujets, alors que l'examen par sonde les a détectés dans 51 % et 78 % des cas. Cependant, leur identification par culture n'a pas pu être confirmée par la technique moléculaire dans 6 cas.
Le tableau II présente le taux de détection des différentes associations entre les trois micro-organismes étudiés.
La présence simultanée des trois micro-organismes n'a pas pu être détectée par la culture, par contre l'examen par sonde a mis en évidence cette association dans 28 % des cas.
L'association d'A. actinomycetemcomitans, P. gingivalis, d'une part, et celle de A. actinomycetemcomitans et P. intermedia, d'autre part, a été respectivement rencontrée dans 0 % et 1 % des cas par la culture et dans 27 % et 35 % des cas par les sondes. Par contre, l'association de deux micro-organismes pigmentés en noir (P. gingivalis et P. intermedia) a été plus fréquemment rencontrée, puisqu'elle a été constatée dans 25 % des cas par culture et dans 44 % des cas par les sondes.
La comparaison statistique des résultats obtenus pour chacune des trois bactéries et par chacune des deux techniques fait appel à un chi2 modifié car les variables sont appariées. Le test de Mac Nemar a donc été choisi pour cette raison. Nous avons obtenu, pour chacune des trois bactéries (A. actinomycetemcomitans, P. gingivalis et P. intermedia), les p suivants : 21,1, 16,5 et 38,1. Ces probabilités sont supérieures à 5 %. Nous rejetons donc l'hypothèse nulle. Ces deux techniques ne sont pas équivalentes.
La prévalence, la virulence et la difficulté d'éradication d'A. actinomycetemcomitans, P gingivalis et P intermedia (Slots et al., 1986 ; Bragd et al., 1987 ; Rodenburg et al., 1990 ; Van der Weijden et al., 1994 ; Pavicic et al., 1994 ; Flemmig et al., 1998), ainsi que leur incompatibilité avec le processus de « guérison » des tissus parodontaux (Renvert et al., 1990 ; Listgarten, 1992 ; Socransky et Haffajee, 1993) apportent à leur identification un grand intérêt. En effet, celle-ci aide à l'établissement d'un diagnostic et à proposer un pronostic. Elle permet aussi de déterminer une antibiothérapie ciblée et d'évaluer l'efficacité du traitement parodontal engagé.
L'objectif de notre étude est de comparer la fréquence de détection de ces trois micro-organismes par la culture bactérienne et par les sondes d'ADN génomique dans des prélèvements de flore sous-gingivale provenant des lésions parodontales sévères. Les résultats obtenus montrent clairement une fréquence de détection plus élevée de ces trois micro-organismes par la méthode moléculaire, par rapport à celle de culture. Par ailleurs, cette étude confirme leur forte implication dans les lésions avancées, puisque leur prévalence a été respectivement de 50, 54 et 81 % des cas.
L'identification d'A. actinomycetemcomitans par culture chez 4 sujets (4 %) montre une discordance avec les valeurs publiées dans la littérature : Slots (1986) le détecte dans 50 % des lésions évolutives, Rodenburg le retrouvent chez 54 % des patients atteints de parodontites sévères et non traitées et chez 55 % des patients réfractaires au traitement, Van der Weijden , eux, déterminent une prévalence de l'ordre de 38 %. Cette discordance peut être attribuée à plusieurs faits : d'une part, les prélèvements n'intéressaient qu'un seul site par patient et ne reflétaient pas la flore sous-gingivale globale du patient et, d'autre part, le niveau de dilution élevé, 10-3, adopté dans notre étude est imposé par la densité des prélèvements. En effet, les prélèvements de flore sous-gingivale étudiés appartiennent à des patients présentant des lésions parodontales sévères avec une symptomatologie importante. Ces prélèvements présentent donc un nombre important de micro-organismes, de l'ordre de 108 à 109 bactéries par ml. Il en résulte des cultures très denses et une lecture difficile, voire impossible, si le niveau de dilution adopté était inférieur à 10-3. Un autre élément permettant d'expliquer la faible proportion d'A. actinomycetemcomitans isolé par culture dans nos prélèvements est la présence très fréquente de Fusobacterium nucleatum. La cytotoxicité de Fusobacterium nucleatum est augmentée quand il est en présence d'A. actinomycetemcomitans (Johansson et al., 1994) et le développement d'A. actinomycetemcomitans est réduit.
Porphyromonas gingivalis a été identifié par les deux techniques chez 54 % des sujets. Ce chiffre est inférieur aux chiffres publiés par Söder (95 %), ainsi que par Ali , soit 96 % des patients, et proche de celui de Rodenburg qui est de 48 %.
La prévalence déterminée de Prevotella intermedia (81 %) est proche des résultats d'Ali , 76 %, et de Söder , 90 %. D'autres auteurs lui ont attribué une prévalence plus faible, tels que : Slots (1986), Rodenburg , Van der Weijden , qui l'ont détecté respectivement chez 20,8, 63 et 53,8 % de leurs patients.
Durant ces dernières années, l'utilisation des nouvelles approches diagnostiques par sondes moléculaires a permis de constater une plus forte prévalence de ces trois micro-organismes dans les lésions parodontales sévères.
De nombreuses études associent leur présence à la gravité des lésions parodontales. Leur potentiel pathogène synergique a été souligné par plusieurs auteurs (Slots, 1986 ; Rodenburg et al., 1990 ; Söder et al., 1993 ; Van der Weijden et al., 1994 ; Mombelli et al., 1991 ; Al-Yahfoufi et al., 1994). Les résultats de notre étude confirment cette synergie puisque leur présence simultanée a été détectée chez un nombre important de sujets (tableau II). Des résultats non publiés obtenus dans notre laboratoire confirment le rôle prépondérant de ces trois micro-organismes pathogènes parodontaux dans la gravité, le niveau de destruction et l'évolutivité des lésions parodontales. Des résultats identiques ont été obtenus par les deux méthodes dans 53 cas pour la détection d'A. actinomycetemcomitans, 71 cas pour celle de P. gingivalis et 68 cas pour l'identification de P. intermedia (tableau I, C+ S+ et C-S-).
Sur les 100 cas étudiés, l'identification par sonde a été plus performante (tableau I, C-S+) dans 46 cas pour A. actinomycetemcomitans, 26 cas pour P. gingivalis et 29 cas pour P. intermedia. Le faible seuil de détection caractéristique de l'approche moléculaire peut expliquer cette performance.
En culture bactérienne, la croissance bactérienne sur un milieu gélosé en boîte de Pétri est la contrainte de base. La lecture et l'utilisation convenable d'une boîte de Pétri nécessitent un nombre d'UFC sur la gélose entre 50 et 500. Le niveau de dilution des prélèvements est directement lié à cette contrainte et à la richesse du prélèvement. Les prélèvements utilisés dans cette étude proviennent de formes cliniques de parodontites sévères avec des quantifications bactériennes très élevées (109 bactéries/ml). Il est donc nécessaire de pratiquer des dilutions sériées importantes pouvant atteindre 10-5. Un tel niveau de dilution rend la culture bactérienne faiblement sensible pour les prélèvements denses.
La sensibilité des sondes utilisées a été évaluée avec des concentrations prédéfinies de bactéries immobilisées sur membrane et hybridées avec les sondes d'intérêts (Sixou et al., 1994). Les sondes sélectionnées donnent un signal clairement perceptible à partir de 103 micro-organismes. La sensibilité des sondes génomiques utilisées est donc supérieure à celle de la culture.
Récemment, la supériorité d'une technique moléculaire (sonde d'ADN cloné), par rapport à celle de la culture bactérienne, a été attribuée à la présence des faux positifs (van Steenbergen et al., 1996). Pour évaluer ce phénomène, les sondes d'ADN génomique adoptées dans notre étude ont été validées et confirmées par une précédente étude (Sixou et al., 1994). Par ailleurs, un témoin positif et des témoins négatifs d'hybridations ont été testés sans que ceci révèle des hybridations croisées en dehors de l'ADN cible. Cette série d'examens et de contrôles a été motivée par la grande taille de nos sondes. En effet, elles sont formées par la totalité du génome de la bactérie d'intérêt. L'avantage d'une telle taille est une interaction forte avec l'ADN cible. Par contre, l'inconvénient majeur est le risque de réaction croisée avec d'autres génomes bactériens, en raison d'interaction avec des zones d'ADN non spécifique et donc l'apparition des faux positifs. Ce risque théorique a été évalué vis-à-vis d'une trentaine d'espèces bactériennes bucco-dentaires et jugé non significatif (Sixou et al., 1994), à l'exception des sondes dirigées contre A. actinomycetemcomitans où nous avions constaté une faible hybridation croisée avec l'ADN provenant d'Haemophilus aphrophilus. L'intensité de cette hybridation est faible et il est facile, pour l'opérateur, de la distinguer d'une hybridation vraie avec l'ADN cible d'A. actinomycetemcomitans.
La contre-performance de l'approche moléculaire par rapport à la culture bactérienne constatée dans 7 cas (tableau I, colonne 3) a été rencontrée par d'autres auteurs et pour d'autres techniques moléculaires (tableau III). Ce phénomène a été attribué souvent à une détérioration du matériel génétique lors des différentes étapes de l'examen (Slots et al., 1993 ; Riggio et al., 1996 ; Savitt et al., 1988).
Cette supériorité de l'examen par culture a été constatée par Ali dans la détection d'A. actinomycetemcomitans. Ils l'ont attribuée à la capacité de ce micro-organisme de se multiplier dans le milieu de transport VGMA III qui contient des éléments nutritifs (peptone, agar, gélatine…). En effet, l'analyse des prélèvements par culture a été réalisée après un délai dépassant 48 heures de transport, ce qui augmenterait la concentration d'A. actinomycetemcomitans dans le prélèvement (Dahlén et al., 1989). Nous avions déjà constaté ce phénomène dans une étude comparative de différents milieux de transports dans la préservation de bactéries pathogènes impliquées dans les maladies parodontales (Sixou et Lodter, 1997). Par contre, dans le cadre de cette étude, les prélèvements ont été stockés à + 4 °C entre l'examen par culture et l'examen par sonde et donc la croissance bactérienne entre les deux examens ne peut pas être à l'origine de la supériorité du diagnostic moléculaire. Une autre technique moléculaire qui a connu un développement important depuis 1985 est l'amplification génique ou PCR. La PCR (Polymerase Chain Reaction ou réaction d'amplification en chaîne utilisant une polymérase) est une technique de plus en plus fréquemment utilisée en diagnostic bactériologique des maladies parodontales. Cette technique est basée sur le principe qu'une grande quantité d'ADN spécifique peut être synthétisé à partir d'une seule copie d'ADN par l'intermédiaire de deux petits fragments d'ADN (de 10 à 30 bases de longueur), appelés amorce. Chacune d'entre elles complémente une partie de la molécule d'ADN devant être amplifié à chacune des extrémités de la molécule cible. Une enzyme spécifique, appelée taq polymerase qui n'est pas détruite par les températures élevées, permettra la synthèse des nouveaux brins d'ADN en présence d'un excès de nucléotides. Ces réactions d'amplification sont faites dans un appareil qui génère des cycles de différentes températures (thermocycleur) qui permettra aux réactions d'amplification de se produire. Le champ d'application de la PCR était principalement la recherche fondamentale et, en bactériologie, l'étude des génomes bactériens. La PCR est un outil puissant qui a permis d'obtenir de nombreuses séquences cibles in vitro et de les séquencer. L'utilisation de cet outil en diagnostic bactériologique est en pleine expansion. Toutefois, son utilisation en routine en bactériologie orale reste peu répandue en France. Les multiples améliorations apportées à la PCR en font cependant une technique prometteuse pour un avenir proche.
Les diagnostics par sonde d'ADN ont un coût modéré comparativement à la technique de culture qui nécessite de multiples ensemencements et réactifs pour l'isolement et l'identification bactériens.
La vitalité durant le transport des bactéries anaérobies de la flore buccale est indispensable à la technique par culture, alors qu'elle n'est pas nécessaire dans la mise en œuvre des techniques moléculaires. Ce paramètre met en avant l'importance cruciale du milieu de transport en culture bactérienne dans la survie des échantillons prélevés et dans leur distribution relative.
L'importance croissante des examens microbiologiques en parodontologie et en implantologie a suscité le développement de plusieurs sociétés d'analyse bactériologique des principaux pathogènes parodontaux. Le développement de ces sociétés est principalement lié au développement des techniques de biologie moléculaire, à leur optimisation et à la baisse de leur coût.
Les praticiens ont maintenant à leur disposition des outils d'une grande puissance. À eux d'en faire profiter leurs patients à travers l'utilisation optimale de ces tests.
Malgré la supériorité confirmée par cette étude des sondes d'ADN génomique, la culture bactérienne reste une méthode de référence dans la phase de diagnostic des pathologies parodontales et péri-implantaires et ceci en raison de son aspect non ciblé et de la possibilité de réaliser l'antibiogramme, principal élément de notre thérapeutique anti-infectieuse dans ces pathologies.
Par contre, en raison de son aspect ciblé, l'indication principale de l'examen par sonde se situe dans la phase de réévaluation pour apprécier l'efficacité des thérapeutiques engagées et dans la phase de maintenance pour prévenir toute recontamination (notamment par A. actinomycetemcomitans).
Les deux approches diagnostiques étudiées sont donc complémentaires et la connaissance des avantages et des inconvénients respectifs de chacune de ces techniques permet au praticien de mieux gérer leur utilisation.
Demande de tirés à part
Dr Michel SIXOU, Laboratoire de biologie bucco-faciale, Faculté de Chirurgie dentaire, 3, chemin des Maraîchers, 31400 TOULOUSE - FRANCE