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Patrick HESCOT * Denis M.BOURGEOIS **
*Centre collaborateur OMS,
Union française pour la santé bucco-dentaire, Paris, France.
**Centre collaborateur OMS,
Laboratoire d'analyse des systèmes de santé, UMR 5823 du CNRS
Université Lyon I, France.
Les progrès obtenus depuis vingt ans dans le domaine de l'évaluation de l'état de santé parodontale et des besoins en traitement des populations sont importants. Ils reposent sur une évolution des méthodes épidémiologiques utilisées en santé communautaire. Ce travail présente une synthèse des actions entreprises en développant une argumentation particulière autour de l'indice CPITN. En 1999, il subsiste des problèmes méthodologiques vis-à-vis de systèmes d'enregistrement de données qui ne reflètent que partiellement la réalité. Au niveau international, la nécessité d'identifier, d'évaluer et de valider des indicateurs de qualité de vie est un facteur à prendre en considération pour améliorer la performance de la surveillance sanitaire et assurer, ainsi, des orientations de politique de santé fondées sur une approche concrète et réaliste.
Considerable progress has been observed over the last 20 years in the field of the evaluation of periodontal heath and treatment needs. They are based on an evolution of the methods used in community health using new information technology. This paper is an update of developments with a special focus on the CPITN index. In 1999, many difficulties still exist due to the monitoring of the data, which does not accuretely reflect reality. To ensure that health care policies are based on realistic and firm foundations, it is necessary to identify, evaluate and validate quality of life indicators at an international level.
La connaissance de l'état de santé, et donc des besoins en santé, des populations est l'essence même de la définition de politique de santé publique. Les recherches épidémiologiques conduisent à un processus d'analyse des tendances sanitaires permettant d'identifier les questions et les orientations nouvelles concernant les politiques des systèmes de santé (Lerer et al., 1998). Politiques de santé au travers de priorités qui consistent à orienter les fonctions de l'administration en privilégiant les principaux besoins et problèmes de santé individuels ou collectifs (Antezana et al., 1998). Elles devraient permettre notamment de fournir des soins de santé durables et de qualité, en réponse à l'évolution inéluctable des besoins des populations (OMS, 1995). Or, ces priorités sont d'autant plus difficiles à appréhender lorsque la société se trouve, comme c'est le cas actuellement, dans une période de transition économique, sanitaire, épidémiologique, démographique et technologique.
En parodontologie, Papapanou (1996) situe clairement la situation : « Les données épidémiologiques disponibles en parodontologie n'autorisent pas à valider la thèse de la diminution des maladies parodontales, du fait principalement du manque de recul dans la connaissance de l'évolution naturelle des maladies. » De même, les responsables concernés ne disposeraient pas assez des connaissances scientifiques nécessaires en matière de collecte et de diffusion de données comparables, fondées sur la prévalence, l'incidence et la sévérité des maladies parodontales (White et al., 1995). Ces constats soulignaient alors la difficulté d'orienter au mieux des intérêts de la population une politique de santé parodontale. Le débat va même au-delà des considérations purement épidémiologiques, puisqu'il n'y aurait pas consensus dans la littérature sur la reconnaissance des maladies parodontales comme problème de santé publique (Papapanou, 1994 ; Baehni et Bourgeois, 1998).
Cet article est une synthèse non exhaustive des actions internationales accomplies au cours des vingt dernières années pour la mise en œuvre de stratégies de collecte de données en santé parodontale afin d'évaluer les besoins en matière de santé, voire d'identifier les groupes les plus vulnérables. Il fait le point sur l'état actuel des connaissances de l'état de santé des populations et aborde les problèmes rencontrés dans les méthodes développées. De plus, il présente les perspectives de recherche et de développement des banques de données avec la nécessité de prendre en considération la qualité de vie des populations abordées par la sociologie.
Sans doute, un important effort de collecte de données, afin d'évaluer l'état de santé parodontale et les besoins en traitement des populations adultes des pays industrialisés, a été réalisé depuis les années 1960. Mais ces actions ont trouvé réellement leurs dimensions de santé publique en 1982, par le développement de l'indice des besoins de la collectivité en matière de traitement des maladies parodontales (CPITN) qui a été intégré à la banque mondiale de données bucco-dentaires de l'OMS (Ainamo et al., 1982 ; Barmes, 1994). L'atout majeur de l'indice CPITN, à l'origine sans doute de son impact international, réside dans le fait qu'il a été associé à sa création à une méthodologie épidémiologique particulière. Celle-ci incluait la recommandation d'une technique d'échantillonnage, de normes de calibration des examinateurs, d'édition de formulaire clinique, d'âge de référence (15-18, 35-44 et 65-74 ans). De même, un modèle de traitement informatique des données et de stockage standardisé de l'information ont été conjointement proposé (Barmes et Leons, 1986 ; Benhamgar et al., 1994).
Les avantages et inconvénients de cet indice ont été largement discutés dans la littérature (Barmes, 1999). Des adaptations citées par Lang (1998) ont depuis été proposées par l'Académie américaine de parodontologie en 1992 (Periodontal Screening Record), l'Association dentaire britannique (Basic Periodontal Examination) et l'Association dentaire suisse (Parodontale Grununtersuchung) pour une meilleure utilisation clinique. Le décalage initial observé entre la quantité de données épidémiologiques parodontales obtenues par rapport à l'ensemble des données liées à la santé dentaire par l'utilisation de l'indice CAO est flagrant pour la période 1965-1983 (White et al., 1995). Ainsi, la banque de données de l'OMS, créée en 1969, comportait en 1996 1 850 références (Nihtila et al., 1998) dont 346 concernaient la situation parodontale. De 1990 à 1995, la quantité de données internationales CPITN disponible est respectivement passée de 44 à 77 pour les 15-19 ans, de 60 à 225 pour les adultes de 35-44 ans et de 9 à 38 pour les 65-74 ans (WHO, 1996). La quantité d'informations - CPITN et CAO - pour les groupes d'âge adultes est à ce jour comparable. Nous observons curieusement une saturation et un tassement de l'information de qualité, liés aux âges de 12 ans en cariologie. Tout semble se passer comme si les données étaient en quantité suffisante dans un contexte sanitaire où il est généralement admis que l'amélioration de la santé dentaire des enfants est un fait acquis et ne justifierait plus de nouvelles études.
L'intérêt épidémiologique s'est donc récemment reporté en direction des populations adultes, peut-être pour la recherche, l'identification ou la justification de nouveaux besoins de santé. La conséquence observée est un regain d'études qui associent l'évaluation de la santé dentaire et de la santé parodontale. Par contre, le problème de méthodologie, lié à l'accès de ces groupes qui nécessite des techniques de sondage coûteuses pour l'identification d'échantillon représentatif, des ressources humaines et matérielles importantes, reste entier.
La compilation, puis la publication des données collectées ont permis indéniablement de mieux connaître l'évolution et la place des maladies parodontales dans la santé bucco-dentaire en particulier et la santé en général et de permettre, en collaboration avec la recherche clinique, une meilleure identification et une meilleure perception de la sévérité des maladies. Elle a donc conduit à une meilleure prise en charge préventive et thérapeutique de la population, des individus et des patients.
Nous avons donc une estimation, à ce jour, de la prévalence des maladies parodontales dont il faut cependant différencier les quatre grandes sources d'information :
- les études ponctuelles de 1965 à 1980, qui la plupart du temps sont difficilement exploitables en santé communautaire (Clerehugh, 1993) ;
- la Banque internationale de données d'évaluation de l'état et des besoins parodontaux de l'OMS. Elle enregistre, synthétise et standardise, après validation scientifique, tous les résultats internationaux publiés ou non (WHO, 1996). Les données significatives disponibles dans la banque de données de l'OMS pour la France sont présentées dans le tableau I ;
- les publications internationales, qui sont des articles de synthèses comme, par exemple, ceux de Pilot et Miyazaki (1991), Douglass (1991), Fox (1992), Beck et Slade (1996), ou des résultats d'études nationales ou régionales, dont nous pourrions citer celle du National Institute of Dental Research aux Etats-Unis (NHAENES, 1987), de Strohmenger ou Oliver et Brown (1998), Baehni et Bourgeois (1998). Ces études associent de plus en plus des indices de perte d'attache au détriment de l'indice CPITN (Beck et al., 1997 ; Dolan et al., 1997) ;
- le programme international de collaboration d'évaluation des déterminants de la santé bucco-dentaire développés de 1987 à 1995 entre sept pays - Etats-Unis, Japon, Allemagne, Nouvelle-Zélande, Pologne, Létonie, France - avec la mise à disposition des résultats de santé bucco-dentaire, sociologiques et des déterminants de la santé de trois groupes d'âge - étudiants, 35-44 ans et 65-74 ans - représentatifs (Chen et al., 1997).
Un débat s'est instauré, depuis une dizaine d'années, sur la représentativité de l'état de santé parodontale et donc des besoins analysés dans le cadre de ces études épidémiologiques. Selon les sources, elles ne refléteraient pas entièrement la réalité (Lennon, 1994 ; Gjermo, 1994 ; Holmgren, 1994 ; Ainamo et Ainamo, 1994 ; Miller et al., 1994).
Une critique porte sur la validation de l'indice CPITN comme indicateur de la santé parodontale communautaire. La discussion liée à l'opportunité de réactualiser cet indicateur de santé publique est recevable. Des auteurs lui reprochent de sous-évaluer la réalité, donc les besoins en soins. Ainsi, les récessions, dans le domaine de la chirurgie muco-gingivale, ne sont pas répertoriées (Baelum et al., 1993 ; Hancock et Newell, 1993 ; Baelum et al., 1995) et les maladies à risque - parodontite agressive, parodontite aiguë juvénile, etc. - ne sont pas abordées. D'autres chercheurs, à l'inverse, lui reprochent de surévaluer les besoins en traitements et ce principalement pour les détartrages surfaçages (Miller, 1987 ; Miller, 1988). L'indice surestimerait la prévalence et la sévérité de la profondeur de poche des adultes jeunes et sous-estime ces paramètres parmi les personnes âgées (Baelum et al., 1995).
Toujours est-il que c'est le seul indice de santé communautaire et que nous n'observons pas dans la littérature d'alternatives clairement exprimées. L'indice CPITN reste l'indicateur de référence (Burt et Eklund, 1992). L'OMS propose d'ailleurs, dans la nouvelle version OHS4 publiée en 1997, un formulaire qui associe l'indice CPTIN à un indice de récession gingivale (WHO, 1997).
L'autre débat, non spécifique à l'épidémiologie parodontale, porte sur la nature même des besoins définis dans le cadre des résultats observés de santé. Il est admis que ces besoins « normatifs » ne représentent qu'une partie de l'ensemble des besoins d'une population. Ce besoin est défini par l'expert, le professionnel et la communauté scientifique par rapport à une certaine norme de désirabilité ou d'optimalité. L'individu qui n'entre pas dans cette norme est classé individu en état de besoin par la société médicale. Sans référence, ni consensus sur la classification de la maladie, les soins ne trouvent pas de place dans la santé communautaire. Or, ces besoins ont l'inconvénient de refléter nécessairement l'état actuel des connaissances qui ne correspondent pas forcément aux connaissances d'hier et qui seront sans doute amenées à se modifier par la suite.
Face à ces besoins classifiés et hiérarchisés par la communauté, se trouve le besoin ressenti, qui se réfère aux perceptions des gens sur leurs problèmes de santé ou sur ce qu'ils désirent comme service de santé. Ainsi, la sociologie vient se placer en complément de l'épidémiologie et ce pour le plus grand bénéfice d'une juste évaluation de l'état de santé des populations. Ce qui devrait compter en parodontologie à la fin du XXe siècle est la perception ressentie par le patient plutôt que les démarches thérapeutiques qu'elle nécessite en vertu des critères cliniques (Papapanou, 1994).
Un effort important a été fait en direction de la collecte de données sociologiques bucco-dentaires basées sur la dimension de la qualité de vie (Gift et al., 1997 ; Rosenberg et al., 1988). Les informations sur le comportement des populations vis-à-vis de leur santé parodontale issues du volet sociologique sont, à ce titre, riches d'enseignements (Kawawura et al., 1993 ; Chen et al., 1997). Un courant de pensée américain animé par Andersen , Chen , relayé par Schou (1995) et Petersen (1995) en Europe, se dessine maintenant depuis les années 1985. De même, Locker et Slade développent une importante thématique de recherche en méthodologie pour la mesure de la qualité de vie en relation avec la santé bucco-dentaire (Allen et Locker, 1997 ; Slade, 1997 ; Slade, 1998 ; Allison et al., 1999).
L'analyse des réponses des 1 000 adultes français âgés de 35 à 44 ans représentatifs en 1993 des habitants de la région Rhône-Alpes, France, interrogés sur leur perception et comportement vis-à-vis du système de santé bucco-dentaire est significative. Elle soulignait la grande différence qu'il peut exister entre une interprétation des problèmes de santé identifiée en épidémiologie et la vision propre des individus (Hescot et al., 1996).
De même, il y a, dans le cadre de ces besoins ressentis, une forte implication des populations adultes dans leur santé dentaire en général et leur santé parodontale en particulier (Freeman et Linden, 1995). Ils identifient clairement l'état de leur santé dentaire, parodontale avec une perception médicale évidente. L'intérêt porté au corps et à sa propre santé est davantage perçu, favorisant ainsi un comportement préventif dans notre domaine. Il y a une prise de conscience de la responsabilité individuelle.
Ainsi, le besoin ressenti des populations adultes en France, mais ce constat s'applique également aux pays à niveau socio-économique comparable, apparaissait élevé. C'est, en tous les cas, une composante dont il faut tenir compte dans une perspective de planification et qui relativise, de manière flagrante, les résultats cliniques observés au travers des études épidémiologiques. Il souligne une attitude responsable de la population vis-à-vis de son état de santé parodontale, dentaire et générale, consciente des bénéfices qu'elle peut tirer de mesures préventives individuelles et collectives (Frandsen, 1985 ; Lang et al., 1995).
Ainsi, il est acquis que les maladies parodontales ne présentent plus, à ce jour, le caractère dramatique et inéluctable pour la santé dentaire annoncé dans les années 1960-1970. Le rapport OMS du premier comité d'expert en 1961 sur les maladies parodontales citait : « la maladie parodontale a un haut degré de prévalence affectant approximativement la moitié des enfants et la plupart des adultes. » Cette référence a été balayée dans les années 1980, au profit du concept de maladie parodontale associée à une progression linéaire, maladie parodontale abordée alors au singulier avec une évolution et une aggravation de la santé parodontale inéluctable. Le postulat qui prédomine encore aujourd'hui est que seule une petite proportion d'individus présente une parodontite sévère, sévère signifiant pouvant conduire à la perte des dents (Pilot et Miyazaki, 1991 ; Clerehugh, 1993). La gingivite modérée est usuelle. La plupart des adultes, qui présentent des pertes osseuses et/ou des pertes d'attache, ont encore une dentition fonctionnelle (Burt, 1991 ; Burt et Eklund, 1992 ; Oliver et Brown, 1993). La gingivite précède la parodontite, mais seulement une fraction des sites risque de développer une parodontite (Prayitno et al., 1993). La parodontite n'est pas une conséquence naturelle de l'âge. Enfin, les maladies parodontales ne seraient pas la cause majeure des pertes dentaires chez l'adulte, sauf peut-être chez les personnes âgées (Burt et Eklund, 1992 ; Hancock et Newell, 1993).
Un consensus international se dessine actuellement sur les principales tendances qui caractérisent l'état de santé parodontale des populations des pays industrialisés, de ses besoins en traitement, de même que l'influence des facteurs sociaux, économiques, démographiques et sanitaires, voire environnementaux, sans qu'il soit possible d'évaluer la part respective de chacun de ces déterminants (Papapanou et Lindhe, 1997 ; Baehni et Bourgeois, 1998).
Des résultats de l'indice CPITN issus du programme international de collaboration d'évaluation des déterminants de la santé bucco-dentaire - ICSII - (Chen et al., 1997), il ressort que :
- Les étudiants âgés de 18 à 25 ans auraient besoin prioritairement d'un enseignement d'hygiène bucco-dentaire, bien que des disparités soient observées entre les pays industrialisés - 27,5 % en Nouvelle- Zélande et 76,1 % au Japon, avec respectivement 9,6 % vs. 65,1 % d'entre eux qui ont besoin d'une prophylaxie parodontale et ce sur un nombre de sextants variant de 1,4 à 2,2. Par contre, et ceci est une constante internationale, aucune prévalence significative de poche parodontale supérieure à 3 millimètres n'est répertoriée dans un contexte, rappelons-le, où les parodontites juvéniles localisées et/ou généralisées et les progressions rapides de l'adulte jeune peuvent présenter des scores sensiblement différents selon les régions (Papapanou, 1996 ; Stabholz et al., 1998).
- Les populations adultes des pays industrialisés, âgées de 35 à 44 ans, auraient des besoins importants en instruction en matière d'hygiène bucco-dentaire. Ils varient de 87,5 % - taux minimal observé en France - à 93,3 % au Japon. Les besoins en prophylaxie seraient également très élevés, allant de 86 % en France à 93,3 % au Japon. La prévalence des formes plus sévères ne dépasserait jamais 9 % avec un minimum de 2 % en France. Pilot et Miyazaki (1991) décrivaient une fréquence de 5 à 15 % en Europe, données provenant d'études dont les effectifs étaient pour la plupart des pays faibles à très faibles. Cette prévalence est associée à une atteinte par sextant faible - 0,1 en moyenne. Seuls 12,5 % de la population française, âgée de 35 à 44 ans en 1993, présentaient un parodonte sain ; 59 % ont cliniquement un saignement ou du tartre, 27 % ont des poches comprises entre 3 et 5 mm alors que 2 % ont un diagnostic de poche profonde. Cette situation parodontale serait dans 59 % abordée par des actes simples et peu importants dans une situation clinique où le nombre moyen de sextants atteints par des poches modérées est de 1,3 (Bourgeois et al., 1997).
- L'état de santé parodontale des populations adultes de 65 à 75 ans est lié avant tout au taux d'édentés complets qui varie en Europe de 12,8 % en Italie, 16,3 % en France, 58 % au Royaume-Uni à 65,4 % aux Pays-Bas (Bourgeois et al., 1998). Le nombre de dents restantes en bouche est donc une caractéristique qui détermine logiquement l'état de la santé parodontale, mais également l'étendue des lésions éventuelles. Le nombre moyen de sextants exclus observé dans les études internationales ICS II varie de 1,4 à 3,9, ce qui pondère obligatoirement la quantité des soins à effectuer (Chen et al., 1997).
Les besoins en enseignement d'hygiène bucco-dentaire et en prophylaxie individuelle sont, là aussi, importants. L'étendue observée dans les études varie ainsi de 86,5 % en Nouvelle-Zélande à 99,4 % au Japon. Les soins complexes s'articulent autour d'une valeur allant de 3,9 % en Pologne à 19,1 % au Japon, mais sur un nombre de sextants extrêmement limité. Il serait plus logique de parler d'atteinte par site dentaire.
Trois mesures concernant la promotion de la santé parodontale des populations, la prévention et la prise en charge thérapeutique sont actuellement avancées dans la littérature :
- il faut maintenir, voire accentuer les messages d'enseignement d'hygiène bucco-dentaire et de prophylaxie, dont 90 % des populations adultes et âgées de 65 à 74 ans ont besoin (Fejerskov, 1995) ;
- il faut maintenir également des soins et des interventions de haute technologie, donc de haute qualité (Papapanou, 1994). Mais ces soins complexes ne nécessiteraient pas un volume d'actes très élevé, puisque le nombre moyen de sextants atteints, et donc de chirurgies à effectuer, est faible pour les poches de 6 mm et ce quel que soit l'âge des populations ;
- les soins parodontaux à assurer pour répondre aux besoins des populations s'articulent autour de modèles de santé communautaire associés à la prévention primaire où l'éducation sanitaire reste synonyme d'assurance qualité (Barmes, 1994).
Les orientations pour une nouvelle stratégie de la santé pour tous, prônées entre autres par Inglehart et Tedesco (1995), Lang , Schou et Locker (1997), Schou (1998) et Barmes (1999), devraient être abordées par :
- la promotion de la santé parodontale associant les professionnels de la santé et les populations pour couvrir l'ensemble des besoins identifiés ;
- la promotion de la prévention et de la prise en charge précoce, domaine de responsabilité de la profession ;
- la promotion de modèles de santé publique, pour lesquels la prise en charge économique des soins complexes apparaît dans le système de protection sociale français impérative.
Du fait de sa fréquence, touchant des segments importants de la population, en particulier les groupes les plus vulnérables, et des choix politiques et orientations sanitaires que la prise en charge de cette maladie nécessite, nous argumentons que les maladies parodontales sont, à ce jour, un problème de santé publique en accord avec la définition présentée par l'OMS (Leowski, 1998). D'autant qu'il faut souligner les incidences sur des droits fondamentaux, comme l'équité et la solidarité, qu'engendre cette maladie, en créant des déséquilibres dans l'accès aux soins.
Le traitement chirurgical en parodontologie reste un acte complémentaire de la prévention, dont l'objectif est la réduction de la prévalence et de l'incidence des maladies. Il faut prévenir ce que l'on peut. Par contre, en cas d'échec et en présence de lésions parodontales sévères qui requièrent des soins complexes, la qualité des interventions doit être extrêmement élevée (Pilot et Purdell-Lewis, 1992 ; Barmes, 1994 ; Oliver et Brown, 1998). L'accès à ces soins de haute technologie peut devenir une source de discrimination évidente, liée aux ressources économiques des populations, si aucune mesure de protection sociale n'est envisagée (Ismail et Szpunar, 1990 ; Bourgeois et al., 1991).
Le handicap majeur pour l'élaboration d'une banque de données parodontales de qualité à ce jour ne réside pas tant en la fiabilité de l'indice CPITN. La question serait plutôt d'ordre méthodologique : comment obtenir des données représentatives et régulières des populations adultes qui, par définition, sont des populations extrêmement difficiles à identifier ? Si un effort récent a été fait dans ce domaine, il faut être conscient que les données internationales comparatives de qualité en regard des tailles et représentativités des échantillons présentés sont peu nombreuses.
Actuellement, les charges financières inhérentes à la réalisation d'études épidémiologiques en parodontologie sont un frein évident à la mise en place d'un système de surveillance sanitaire de qualité. L'indice CPITN reste le niveau minimal d'information. Il faut, cependant, rechercher des données complémentaires en parodontologie (perte d'attache, parodontite agressive, parodontite aiguë juvénile…), en santé dentaire, dans les domaines médical, sociologique, économique et environnemental. De même, le développement de méthodes pour la mise en place de programmes épidémiologiques interdisciplinaires permettrait d'identifier des ressources supplémentaires, de diminuer les coûts de réalisation. Ce principe va également dans le sens d'une approche intersectorielle de la santé préconisée en santé publique (Creese et al., 1998 ; Kreisel et von Schirnding, 1998).
L'objectif devrait être d'étendre et d'améliorer les connaissances sur les causes, la prévention et la prise en charge des maladies parodontales. Il serait nécessaire d'accorder une attention toute particulière aux facteurs environnementaux et socio-économiques, de faciliter la collecte de données fiables et comparables sur la prévalence et l'incidence, en vue, notamment, de déterminer les tendances (Baehni et Bourgeois, 1998). L'élaboration d'études épidémiologiques à l'échelle européenne est à envisager. Ce serait également l'opportunité de favoriser l'échange d'informations et de documentations entre les professionnels et les responsables des politiques de santé publique et de promotion de la santé. Ces perspectives de développements méthodologiques pour une meilleure surveillance sanitaire de l'état de santé parodontale des populations devraient également prendre en considération :
- la création, puis le renforcement d'un réseau épidémiologique européen, en collaboration avec le programme de santé bucco-dentaire de l'OMS, les sociétés scientifiques et les partenaires institutionnels privés et publics (Möller et al., 1998) ;
- l'établissement de priorité en ce qui concerne la recherche épidémiologique sur les maladies parodontales dans le domaine de la biomédecine et de la santé, ce qui inclut des recherches orientées vers les diagnostics précoces, les facteurs de risque associés, la prédiction des sujets et des groupes à risque avec une attention particulière pour le facteur tabac et le diabétique (Beck et al., 1996) ;
- le développement d'indicateurs génériques communs aux principales maladies chroniques (diabètes, cancer, maladies respiratoires…) introduisant la qualité de vie, l'équité, les déterminants sociaux et économiques (Schou, 1998) ;
- l'élaboration de réseaux d'échange d'informations via la télématique sur les essais cliniques en cours, développés à partir de panels de chirurgiens-dentistes " sentinelles " afin d'accélérer l'évaluation de nouvelles méthodes de soins (Bourgeois et al., 1998) ;
- le soutien à des projets pilotes dans le domaine de l'assurance qualité, y compris la diffusion et l'évaluation des résultats, notamment en ce qui concerne les pratiques (Orquest, 1995 ; Petersen et Staehr Johansen, 1995).
La période de transition épidémiologique, économique, démographique et technologique, observée depuis 10 ans dans les pays industrialisés, est présentée dans la littérature comme une difficulté à l'élaboration de politiques de santé durables (Lerer et al., 1998). La parodontologie ne s'inscrit pas totalement dans ce schéma. Elle a eu la chance de bénéficier du développement d'une banque de données qui a ordonné les bases méthodologiques nécessaires à une bonne connaissance de l'état de santé des populations. L'outil nécessaire à la mise en place d'une surveillance sanitaire existe. Il est sans doute un des plus performants de l'ensemble des autres disciplines médicales (Baehni et Bourgeois, 1998). Cependant, il apparaît nécessaire de le réactualiser, en s'appuyant en partie sur les nouvelles technologies de communication, afin de s'adapter à l'évolution des connaissances et des orientations récentes prises en politique de santé publique. Les actions intersectorielles et interdisciplinaires seront les priorités de ce début de siècle (Kickbusch et Quick, 1998 ; Kreisel et von Schirnding, 1998 ; Visschedijk et Simeant, 1998). Il faudrait profiter de l'acquis obtenu dans la gestion et le développement de la base de données parodontales, pour positionner la discipline au centre d'un système de recherche sur les systèmes de santé beaucoup plus complexe introduisant la qualité de vie, l'assurance qualité et l'équité.
Demande de tirés à part
Patrick HESCOT, Centre collaborateur OMS pour le développement de nouveaux concepts d'éducation et de pratiques dentaires - Union française pour la santé bucco-dentaire - 6, rue Guillaume-Tell, 75017 PARIS - FRANCE.