Jurisprudence en matière d'hygiène et d'asepsie : recommandations médico-légales - JPIO n° 2 du 01/05/2005
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 2 du 01/05/2005

 

Articles

B. RAHAL*   P. MISSIKA**  


*Faculté de chirurgie dentaire
Garancière-Hôtel-Dieu
Paris-VII

Le Code de déontologie des chirurgiens-dentistes précise que le chirurgien-dentiste doit prendre « toutes dispositions propres à éviter la transmission de quelque pathologie que ce soit » (art. 3-1) et que, « dans tous les cas, doivent être assurées la qualité des soins, leur confidentialité et la sécurité des patients. L'installation des moyens techniques […] doit répondre aux règles en vigueur concernant l'hygiène » (art. 62).

De façon...


Le Code de déontologie des chirurgiens-dentistes précise que le chirurgien-dentiste doit prendre « toutes dispositions propres à éviter la transmission de quelque pathologie que ce soit » (art. 3-1) et que, « dans tous les cas, doivent être assurées la qualité des soins, leur confidentialité et la sécurité des patients. L'installation des moyens techniques […] doit répondre aux règles en vigueur concernant l'hygiène » (art. 62).

De façon générale, avant l'intervention du législateur en 2002, les obligations qui pesaient sur les professionnels de santé étaient essentiellement prétoriennes (par exemple, d'origine jurisprudentielle). On retrouvait des obligations de moyens, comme celle qui a trait aux soins (arrêt Mercier, Cour de cassation, 1936), des obligations de sécurité, comme celle qui a trait au geste opératoire, notamment, et des obligations de sécurité-résultat, comme celles qui ont trait à l'innocuité des produits administrés ou aux infections nosocomiales.

Définition de l'infection nosocomiale

La notion d'infection nosocomiale s'avère particulièrement difficile à cerner avec précision.

C'est une circulaire du 13 octobre 1998 du ministère de la Santé (relative à l'organisation de la surveillance et de la prévention des infections nosocomiales) qui a initialement défini l'infection nosocomiale comme étant une maladie provoquée par des micro-organismes, contractée par tout patient dans un établissement de soins après son admission, soit pour hospitalisation soit pour y recevoir des soins ambulatoires, et ceci que les symptômes apparaissent lors du séjour à l'hôpital ou après et que l'infection soit reconnaissable sur le plan clinique ou microbiologique, données sérologiques comprises.

Cette circulaire est intervenue alors que la loi du 1er juillet 1998 (relative au renforcement de la veille sanitaire et au contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme et à la suite de laquelle sera pris le décret du 6 décembre 1999, qui prévoit que la lutte contre les infections nosocomiales soit menée dans chaque établissement par un comité de lutte contre les infections nosocomiales [CLIN]). Cette loi avait mis à la charge des établissements de santé l'obligation d'organiser la lutte contre les infections nosocomiales.

Une circulaire du ministère de l'Emploi et de la Solidarité du 9 décembre 2000, prise en application de cette loi, remplace la circulaire de 1998 et définit plus simplement l'infection nosocomiale comme étant celle contractée dans un établissement de soins.

En l'absence de définition plus précise, c'est une interprétation encore plus large qui a été choisie par les juges : « Est aujourd'hui considérée nosocomiale l'infection qui se déclare chez le patient entre 48 heures et 1 an après la prise en charge de ce dernier, non seulement dans un établissement de soins public ou privé mais aussi en cabinet libéral, et ceci peu importe que les germes soient d'origine endogène ou exogène. »

Quel était le régime de l'infection nosocomiale avant la loi du 4 mars 2002 ?

Le régime de l'infection nosocomiale a lui aussi été construit par les juges avant d'être recadré par le législateur.

Dans un premier temps, pesait sur les établissements de soins une obligation de moyens en matière d'infections nosocomiales. Il incombait alors au patient d'apporter la preuve d'un défaut d'asepsie du matériel utilisé.

La Cour de cassation a ensuite instauré une présomption de faute à la charge des établissements de santé privés dans les cas où un patient contractait une infection en salle d'opération. Les établissements pouvaient dégager leur responsabilité par la preuve de l'absence de faute soit, in concreto, en apportant la preuve que les opérations d'asepsie avaient été correctement menées (Civ. 1re, 21 mai 1996. D. 1997. som 287).

Cette obligation a enfin été progressivement renforcée par les juges, jusqu'à aboutir, au fil de la jurisprudence, à une obligation de sécurité-résultat. C'est par trois arrêts retentissants rendus le 29 juin 1999 (appelés « Arrêts des staphylocoques dorés ») que la Cour de cassation a redéfini le régime de l'infection nosocomiale, tant à l'égard des établissements de soins qu'à celui des praticiens libéraux.

Elle a tout d'abord mis à la charge des établissements de santé privés une obligation de sécurité-résultat en cas d'infection nosocomiale contractée par un patient à l'occasion de son hospitalisation. Seule la preuve d'une cause étrangère pouvait exonérer les établissements de soins de leur responsabilité. (« Le contrat d'hospitalisation et de soins conclu entre un patient et un établissement de santé met à la charge de ce dernier, en matière d'infection nosocomiale, une obligation de sécurité-résultat dont il ne peut se libérer qu'en rapportant la preuve d'une cause étrangère. »)

On conçoit bien que, dans ces conditions, l'absence de faute ne suffise plus.

Il convient alors de s'interroger sur la définition de la cause étrangère. Trois situations sont visées, la force majeure, le fait d'un tiers ou le fait de la victime :

- la force majeure, de par son caractère exceptionnel incluant à la fois « imprévisibilité, irrésistibilité et extériorité », ne pourra par conséquent être que rarement utilisée ;

- le fait d'un tiers pourra être, pour l'établissement de soins, d'apporter la preuve que l'infection est due à un défaut d'asepsie imputable au praticien (lavage des mains, apport et introduction de trousse chirurgicale personnelle ou de matériel étranger au bloc opératoire…) ;

- le fait de la victime pourra être enfin un manquement aux règles élémentaires d'hygiène du patient lui-même, ou sa non-observation des prescriptions de son praticien.

De plus, à travers cette jurisprudence, les établissements ne sont plus les seuls concernés par l'obligation de sécurité-résultat : désormais, les praticiens libéraux sont soumis au même régime (« Un médecin est tenu vis-à-vis de son patient en matière d'infection nosocomiale à une obligation de sécurité-résultat dont il ne peut se libérer qu'en rapportant la preuve d'une cause étrangère »), qu'ils exercent dans un établissement de soins ou en cabinet privé.

Ces dispositions ont créé une situation quasi inextricable pour les praticiens libéraux :

- pour ceux qui exercent en clinique et qui ne maîtrisent pas l'action ou l'inaction de l'établissement en matière d'asepsie et de stérilisation ;

- pour ceux qui exercent dans leur propre cabinet, car la preuve de la cause étrangère est le plus souvent extrêmement difficile à produire, a posteriori et à distance. (Par exemple, faudrait-il alors, pour se prémunir aussi, instaurer le recours aux bilans biologiques systématiques avant tout soin, avec toutes les difficultés et les surcoûts que cela engendre en exercice privé ?)

Au vu des difficultés soulevées par ces dispositions, le législateur est intervenu en 2002 pour recadrer le régime de l'infection nosocomiale.

Apport des lois du 4 mars 2002 et du 30 décembre 2002

En ce qui concerne l'obligation de sécurité-résultat des établissements de soins, qu'ils soient publics ou privés, la jurisprudence antérieure est confirmée. La victime n'a donc toujours pas à apporter la preuve de sa contamination dans l'établissement de soins. Celui-ci est d'emblée présumé responsable et c'est à lui que revient la charge de prouver une cause étrangère, par exemple pour se mettre hors de cause.

On peut considérer que le législateur de 2002 a été plus clément que ne l'avaient été les juges envers les praticiens libéraux exerçant en cabinet privé. En effet, ceux-ci ne pourront voir leur responsabilité engagée que dans l'hypothèse où la victime d'une infection apporterait la preuve du caractère nosocomial de celle-ci, c'est-à-dire la preuve qu'elle a bien été contractée dans le cabinet du praticien.

En outre, le législateur a prévu la prise en charge, par la solidarité nationale (la loi du 4 mars 2002 a créé l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales [ONIAM]), des indemnisations les plus lourdes, consécutives aux dommages engendrés par une infection nosocomiale ayant entraîné un taux d'incapacité permanente partielle supérieure à 25 % ou le décès de la victime (loi n° 2202-1577 du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale).

Cependant, les praticiens exerçant en cabinet libéral ne sont pas à l'abri pour autant.

Tout d'abord, il faut retenir que les nouvelles dispositions législatives de 2002 ne s'appliquent que pour les dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés postérieurement au 4 septembre 2001. De ce fait, un même praticien pourra se voir appliquer deux régimes, dont les conséquences sont fondamentalement différentes, selon que le soin litigieux aura été prodigué avant ou après cette date :

- ainsi, pour tous les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés avant le 5 septembre 2001, sera appliquée la jurisprudence dite des staphylocoques dorés, qui fait peser, sur le praticien libéral, l'obligation prétorienne de sécurité-résultat : celui-ci ne pourra se mettre hors de cause qu'en rapportant la preuve d'une cause étrangère. La victime, quant à elle, n'aurait à produire d'autre preuve que celle de sa prise en charge dans le cabinet du praticien ;

- a contrario, pour les mêmes actes, réalisés par le même praticien et dans les mêmes conditions mais postérieurement au 4 septembre 2001, ce sera à la victime d'apporter la preuve du caractère nosocomial de son infection, c'est-à-dire la preuve que celle-ci a bien été contractée au sein du cabinet dans lequel elle a reçu ses soins.

Sur le plan pratique et en corollaire de nos obligations déontologiques brièvement rappelées au début de cet article, il convient de retenir également que l'ONIAM dispose d'une action subrogatoire contre le professionnel de santé visé à l'article L. 1142-14 du Code de la santé publique s'il est établi, notamment, un manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales.

On conçoit ainsi l'importance que revêt, pour chaque praticien, la « ligne de conduite » alliant rigueur et vigilance pour la maîtrise de la chaîne d'asepsie, autant que l'utilité d'un registre de stérilisation tenu à jour, tel qu'il est préconisé dans les articles précédents, pour satisfaire aux exigences déontologiques et médico-légales actuelles en chirurgie parodontale et implantaire.

Cette notion est d'autant plus fondamentale dans notre exercice quotidien que la victime dispose désormais d'un délai de 10 ans à compter de la consolidation de son état de santé pour demander réparation de son préjudice consécutif à un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale.

Demande de tirés à part

Bachir RAHAL : 42, rue Foucher-Le-Pelletier - 92130 ISSY-LES-MOULINEAUX - FRANCE.