Liens entre maladies parodontales et athéroscléroseUne revue de la littératureLinks between periodontal diseases and atherosclerosisA review of the literature - JPIO n° 03 du 01/09/2010
 

Journal de Parodontologie & d’Implantation Orale n° 03 du 01/09/2010

 

Article

Olivier HUCK*   Henri TENENBAUM**   Jean-Luc DAVIDEAU***  


*AHU-PH, service de parodontologie, Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg
**PU-PH
Département de parodontologie
Faculté de chirurgie dentaire
Université de Strasbourg
***PU-PH
Département de parodontologie
Faculté de chirurgie dentaire
Université de Strasbourg

Résumé

Les liens entre maladies parodontales et maladies systémiques font actuellement l’objet de nombreuses études. Celles-ci portent tout particulièrement sur les relations entre maladies parodontales et maladies cardio-vasculaires, notamment l’athérosclérose, les études épidémiologiques ayant montré un lien entre ces deux pathologies. De nombreuses théories biologiques – infectieuse, inflammatoire, immunitaire – ont été mises en avant. La théorie infectieuse considère le rôle direct des bactéries parodontopathogènes sur les composants de la plaque athéromateuse. La théorie inflammatoire se fonde sur les effets de la réaction inflammatoire se développant au sein du chorion gingival sur les composants de la plaque d’athérome via les différentes cytokines produites. Enfin, la théorie immunitaire met en avant le rôle joué par certaines réactions immunitaires croisées. L’ensemble de ces données permet d’expliquer les mécanismes potentiels pouvant être impliqués entre les deux pathologies. Il apparaît nécessaire de promouvoir la prise en charge des maladies parodontales dans le cadre de celle des patients à risque d’athérosclérose.

Summary

The relationship between periodontal diseases and systemic diseases is investigated in numerous studies. Of particular interest is the relationship between periodontal diseases and atherosclerosis as epidemiological studies have shown a link between these two diseases. Different hypotheses – infectious, inflammatory, immune – have been proposed. The infectious theory emphasizes the direct role of periodontal pathogens on the components of the atherosclerotic plaque. The inflammatory theory focuses on the effects of the inflammatory reaction developed in the periodontal pocket on the components of the atherosclerotic plaque via different cytokines which are spread through the blood flow. Finally, the immune theory emphasizes the role played by immune cross reactions. All these data explain the potential mechanisms involved in both diseases. It seems necessary to promote the treatment of periodontal diseases for patients with risk factors for atherosclerosis.

Key words

Periodontal diseases, atherosclerosis, inflammation, cytokines

Introduction

Actuellement, de nombreuses études semblent mettre en évidence une relation entre les maladies parodontales et certaines pathologies systémiques telles le diabète (Lamster et al., 2008), les accouchements prématurés (Agueda et al., 2008 ; Rakoto Alson et al., 2010), la polyarthrite rhumatoïde (Ishi et al., 2008) ou encore les maladies cardio-vasculaires (Beck et al., 1996). Cette mise au point portera essentiellement sur les relations entre maladies parodontales et athérosclérose. Nous souhaitons, grâce à une analyse rigoureuse des nombreuses études de la littérature médicale, réaliser une synthèse des différents mécanismes pouvant être impliqués dans ces deux pathologies. L’analyse de ces mécanismes pourra, d’une part, permettre la mise en place de nouvelles études visant à corroborer certaines hypothèses, et, d’autre part, apporter au clinicien, chirurgien-dentiste ou médecin, des données pouvant favoriser la mise en place de protocoles préventifs et thérapeutiques prenant en compte le rôle des maladies parodontales dans l’apparition et le développement de l’athérosclérose.

Athérosclérose : définition et physiopathologie

Les maladies cardio-vasculaires représentent, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 29,2 % de la mortalité mondiale et sont considérées comme la première cause de mortalité au monde. En France, ces pathologies représentent un problème de santé publique majeur en étant, à l’heure actuelle, la cause de près de 32 % des décès dont presque 25 % sont dus aux maladies coronariennes, soit environ 40 000 décès par an dont les neuf dixièmes interviennent après 65 ans (ANAES, 2004 ; Aouba et al., 2008). L’incidence des maladies cardio-vasculaires augmente avec l’âge avec un pic à 55 ans pour les hommes et à 65 ans pour les femmes, celles-ci étant globalement moins atteintes que les hommes (deux fois moins avant 65 ans), bien que cette différence s’atténue avec l’âge (ANAES, 2004).

L’athérosclérose est une maladie cardio-vasculaire touchant les artères de gros et moyen calibres. Cette pathologie est caractérisée par un remodelage de l’intima artérielle consistant en une accumulation locale de lipides, de glucides complexes, de sang et de produits sanguins, de tissu fibreux et de dépôts calcaires (OMS, 1958), l’ensemble de ces phénomènes aboutissant à la formation d’une plaque d’athérome. Les cellules formant ces plaques d’athérome appartiennent à deux familles, les cellules musculaires lisses artérielles provenant de la média artérielle et les leucocytes originaires du sang (monocytes macrophages et lymphocytes T). On retrouve, au sein de ces plaques d’athérome, des cellules particulières, les macrophages spumeux, comportant, dans leur cytoplasme, un grand nombre de vacuoles lipidiques (Gown et al., 1986).

La cause primaire de la formation des plaques d’athérome est le passage dans la paroi endothéliale, puis la phagocytose par les cellules macrophagiques, de certains lipides pro-athéromateux (cholestérol LDL, lipides oxydés), phénomènes associés à des dysfonctions innées ou induites du système vasculaire et des cellules endothéliales (Hansson, 2005 ; Packard et Libby, 2008 ; Rader et Daugherty, 2008). La formation des plaques d’athérome comprend plusieurs stades plus ou moins réversibles qui se caractérisent par leurs aspects histologiques, à savoir :

– accumulation de lipoprotéines de basse densité (cholestérol LDL, low density lipoprotein cholesterol) ;

– recrutement de monocytes, transformation en macrophages puis en cellules spumeuses ;

– formation du centre athéromateux et de la chape fibreuse ;

– évolution de la plaque jusqu’à la rupture (fig. 1).

L’épaississement de l’intima se retrouve dès l’enfance (1 adolescent sur 6 atteint aux États-Unis) et correspond à une infiltration de lipides qui s’associent aux protéoglycanes de la matrice sous-endothéliale. L’apparition de cellules macrophagiques qui, en capturant les lipides, se transforment en macrophages spumeux caractérise la formation de la lame graisseuse. La maturation fibro-lipidique de la plaque se caractérise par la migration et la prolifération des cellules musculaires lisses, la synthèse d’une matrice riche en collagène (capuchon fibreux), l’accumulation de lipides extracellulaires (corps lipidique), la calcification et la présence d’infiltrats lymphocytaires, le tout en des proportions variables selon les sites vasculaires, les individus et les circonstances. Cette maturation entraîne une sténose plus ou moins marquée et plus ou moins stable dans le temps (Rader et Daugherty, 2008). Les plaques dites instables sont relativement peu épaisses. Elles présentent un corps lipidique et un nombre important de cellules spumeuses, avec relativement peu de cellules musculaires lisses et un capuchon fibreux fin. La rupture du capuchon fibreux ou l’érosion de l’endothélium provoque une thrombose et une ischémie des tissus environnants (Thim et al., 2008). La pathologie athéromateuse entraîne de nombreuses complications résultant soit du phénomène de thrombose en lui-même, soit du fait de la dissémination au sein de la circulation générale d’un caillot sanguin provoquant à distance des accidents ischémiques ou thrombotiques pouvant avoir des conséquences graves, les accidents vasculaires cérébraux et les infarctus du myocarde étant les complications les plus nombreuses de l’athérosclérose.

Maladies parodontales et athérosclérose, un lien ?

Depuis plusieurs années, de nombreux auteurs se sont intéressés à la relation entre ces deux pathologies. D’un point de vue épidémiologique, un grand nombre d’études récentes ont mis en évidence le lien qui les unissait. Les premiers résultats des différentes études de cohorte (NHANES, INVEST, ARIC) ont montré une augmentation globalement assez faible et assez variable du risque cardio-vasculaire lié aux parodontites (Scannapieco et al., 2003 ; Beck et Offenbacher, 2005). Malheureusement, ces études de cohorte présentaient une hétérogénéité importante des critères de définition des maladies parodontales (examen clinique partiel, taux d’anticorps, bactéries) ainsi qu’une confusion entre les facteurs de risque communs aux deux pathologies. L’utilisation d’un meilleur contrôle des définitions des pathologies cardio-vasculaires et parodontales (Renvert et al., 2004) ainsi que des facteurs de risque qui leur sont communs, tels que l’âge, le sexe, le tabac et le diabète, ont permis de mettre en évidence un possible lien entre les deux types de pathologies.

Une méta-analyse récente (Nakajima et Yamazaki, 2009) a mis en évidence une augmentation du risque de développer une pathologie cardio-vasculaire de 1,14 fois (5 études de cohortes, 886 092 patients). Cette même méta-analyse montre également, cette fois-ci suite à l’analyse d’études cas/témoins, un odds ratio de 2,22 entre les deux pathologies (1 423 patients). De plus, certaines études cas/témoins ont montré que les maladies parodontales sont associées à la formation des plaques d’athérome chez les jeunes patients comme chez les seniors (Cairo et al., 2008 ; Starkhammar et al., 2008). Cette association entre maladie parodontale et formation de plaques d’athérome est intéressante, notamment afin d’argumenter dans le sens de protocoles de prévention systématique des pathologies cardio-vasculaires surtout chez les patients jeunes présentant des pathologies parodontales agressives.

Maladies parodontales et athérosclérose : aspects biologiques

D’un point de vue biologique, plusieurs hypothèses concernant l’association entre maladies parodontales et athérosclérose ont été proposées (Fong, 2000 ; Hamdan et al., 2008). Les trois principales hypothèses avancées sont la théorie infectieuse, la théorie inflammatoire et la théorie immunitaire (Gibson et al., 2006) (fig. 2). Par ailleurs, il est important de préciser que pour l’ensemble des théories, il est primordial de prendre en compte les facteurs de risque de la pathologie athéromateuse, la maladie parodontale ne pouvant à elle seule entraîner le développement de l’athérosclérose. Nous citerons comme principaux facteurs de risque des pathologies cardio-vasculaires l’âge, le sexe, les dyslipidémies, l’hypertension artérielle, le diabète et l’obésité, mais nous pouvons y ajouter des facteurs de risque génétiques (Schaefer et al., 2009).

Théorie infectieuse

L’influence et le rôle des bactéries buccales sur certains organes à distance forment une donnée introduite dès les années 1890 par Miller. Par la suite, le concept dit de l’infection focale est apparu (Billings, 1912). Ce concept est, à l’heure actuelle, toujours pris en compte, notamment pour les risques d’endocardite (Meurman et Hämäläinen, 2006) et certaines pathologies ophtalmiques (Wysluch et al., 2009), mais également dans le cadre de pathologies systémiques. De nombreux auteurs ont étudié les effets des bactéries orales sur la pathologie athéromateuse et principalement ceux des bactéries parodontopathogènes (fig. 3).

Certaines études ont eu pour but de démontrer que les bactéries parodontopathogènes peuvent être retrouvées dans la plaque d’athérome. Ainsi, la présence de bactéries parodontopathogènes telles que Porphyromonas gingivalis, Aggregatibacter actinomycetemcomitans, Prevotella intermedia et Tannerella forsythia a été mise en évidence au sein de la plaque d’athérome (Padilla et al., 2006). Ces résultats ont été corroborés par d’autres études (Elkaïm et al., 2008) qui ont également mis en évidence un parallèle entre la présence de P. gingivalis à la fois au sein de la poche parodontale et au niveau de la plaque d’athérome. L’ensemble de ces études a permis de démontrer que certaines bactéries à l’origine des maladies parodontales se retrouvent de façon importante au sein de la circulation générale, pouvant ainsi jouer un rôle dans la physiopathologie et le développement de l’athérosclérose. Des études ont été effectuées in vivo sur des modèles murins déficients en apolipoprotéine E. Elles ont permis de reproduire les effets d’une infection systémique de P. gingivalis sur les cellules endothéliales. Il a ainsi été montré que la bactériémie chronique entraînait un phénomène inflammatoire chronique. Ce phénomène inflammatoire va provoquer la production, par les cellules endothéliales, de facteurs pro-inflammatoires telle l’interleukine 1 bêta (IL-1β) (Li et al., 2002). Cette infection chronique et ce phénomène inflammatoire vont contribuer à l’accélération du développement de la lésion athéromateuse. Par ailleurs, il a été démontré qu’une infection chronique par P. gingivalis seul n’est pas suffisante pour provoquer le développement de l’athérosclérose, l’agent parodontopathogène n’ayant une influence qu’en présence de facteurs de risque comportementaux comme l’hypercholestérolémie (Rabus et al., 2009) ou une susceptibilité génétique.

Il apparaît clairement que l’action de ces bactéries se fait principalement par leurs nombreux facteurs de virulence, à savoir les gingipaïnes (Stathopoulou et al., 2009), le lipopolysaccharide ou encore les fimbriae (Yoshimura et al., 2009). Nakano et al. ont démontré, en analysant les différents génotypes bactériens présents au niveau des plaques d’athérome, que certaines souches de P. gingivalis étaient particulièrement actives au niveau parodontal mais également dans le développement de la plaque d’athérome (Nakano et al., 2008). Les auteurs de cette même étude ont pu mettre en évidence que les bactéries de type P. gingivalis ayant comme facteur de virulence des fimbriae de type II ou IV étaient les plus pathogènes car elles possédaient des capacités d’invasion des tissus plus importantes que celles possédant d’autres types de fimbriae. De plus, par l’intermédiaire des gingipaïnes, P. gingivalis est susceptible d’induire non seulement l’apoptose des cellules endothéliales par une voie caspase-dépendante ou caspase-indépendante mais également la destruction de structures d’adhésion de type intégrine β1 ou cadhérine (Sheets et al., 2006).

La localisation de bactéries parodontopathogènes telles que P. gingivalis au sein de la plaque d’athérome et, donc, au contact des cellules endothéliales peut donc avoir des incidences sur la physiopathologie de l’athérosclérose.

À l’heure actuelle, plusieurs études abordent les mécanismes bactériens au sein de la plaque d’athérome ; les bactéries pourraient notamment causer des dégâts cellulaires de manière directe par l’intermédiaire de leurs facteurs de virulence, notamment les gingipaïnes (Sheets et al., 2006) ou les dihydrocéramides (Zahlten et al., 2007).

Théorie inflammatoire

Les maladies parodontales ainsi que l’athérosclérose sont des maladies inflammatoires (Chapple, 2009). En réaction à l’agression bactérienne, les cellules épithéliales vont synthétiser de nombreuses cytokines telles que le TNF-α (tumor necrosis factor alpha, facteur de nécrose tumorale alpha), l’interleukine 6 (IL-6), l’IL-1β ou la prostaglandine E2 (PGE2) (Ekhlassi et al., 2008). Ces cytokines vont, à distance, stimuler la production d’autres cytokines par les cellules endothéliales telles que la protéine chimiotactique des monocytes 1 (MCP-1), le facteur de stimulation des colonies de macrophages (M-CSF, macrophage-colony stimulating factor), la molécule d’adhésion intercellulaire 1 (ICAM-1, intercellular adhesion molecule 1), la molécule d’adhésion des cellules vasculaires (VCAM, vascular cell adhesion molecule), la P-sélectine et l’E-sélectine (Chun et al., 2005). Les différentes cytokines produites par les cellules endothéliales au niveau de la plaque d’athérome vont pouvoir entraîner le développement de la pathologie athéromateuse. La production de VCAM, P-sélectine et E-sélectine va faciliter le passage des leucocytes vers l’endothélium ainsi que leur adhésion (Honda et al., 2005). La MCP-1 aura un rôle dans la migration des monocytes tandis que le M-CSF favorisera leur transformation en macrophages (fig. 4). Si l’on met en parallèle ces données avec la physiopathologie de l’athérosclérose, on peut d’ores et déjà dire que ces cytokines produites par suite de l’action de P. gingivalis et d’autres bactéries parodontopathogènes peuvent jouer un rôle dans l’établissement de la plaque d’athérome, le recrutement de cellules macrophagiques au sein de l’intima artérielle étant un des premiers stades de la pathologie. Il est également établi que les différentes cytokines produites lors de la maladie parodontale au niveau des cellules épithéliales ou au niveau endothélial lors d’une infection par P. gingivalis vont entraîner la production de protéine C réactive (CRP, C reactive protein) (Kadiroglu et al., 2006). La CRP est une molécule pro-inflammatoire dont l’augmentation est considérée comme un signe clinique d’une pathologie inflammatoire mais également comme un facteur de risque des maladies cardio-vasculaires (Libby et al., 2010). Elle aura comme effet sur les macrophages présents au sein de la plaque d’athérome, en présence de cholestérol LDL oxydé, de favoriser leur transformation en macrophages spumeux (Fu et Borensztajn, 2002) largement présents au sein de la plaque d’athérome. La localisation de la CRP a été mise en évidence in vivo au niveau des macrophages spumeux chez le lapin (Fukuchi et al., 2008), ce qui corroborerait son implication dans le développement de l’athérosclérose. Les implications de la CRP sont multiples, cette protéine étant considérée comme une molécule clé entre l’inflammation et le stress oxydatif retrouvé au niveau des cellules endothéliales. À cela s’ajoutent des propriétés d’activation du complément et des effets pro-inflammatoires. Il est intéressant de préciser que, malgré le fait que la CRP soit à l’heure actuelle considérée par certaines études comme un agent causal de l’athérosclérose, il a été montré qu’elle pourrait en fait n’être qu’un marqueur de la pathologie athéromateuse (Zacho et al., 2008).

Il apparaît donc que les cytokines synthétisées par les cellules épithéliales lors de la maladie parodontale, de même que celles produites par les cellules endothéliales, vont pouvoir entraîner une amplification du phénomène inflammatoire favorisant ainsi le développement de la plaque d’athérome.

Théorie immunitaire

Une troisième théorie a été proposée, fondée sur les capacités de réponse de l’hôte face à l’agression bactérienne (Beck et al., 1996). Cette théorie immunitaire comporte deux volets, le premier concernant le niveau de réponse inflammatoire plus ou moins élevé en fonction de l’individu, le second concernant un possible phénomène de réactivité croisée (fig. 5).

Beck et al. ont proposé une première hypothèse afin d’expliquer les relations entre maladies parodontales et athérosclérose. Ils ont élaboré leur théorie en prenant en compte les différences interindividuelles dans la réponse de l’hôte face aux agressions bactériennes. Cette réponse de l’hôte pourra être anormalement prononcée, entraînant une libération importante de médiateurs pro-inflammatoires tels que PGE2, IL1-β ou encore TNF-α par les monocytes. Ce phénotype monocytaire particulier est appelé hyperinflammatoire, les patients le présentant produisant de 3 à 10 fois plus de médiateurs pro-inflammatoires en réponse à un stimulus par lipopolysaccharide bactérien que ceux qui ne le présentent pas (Beck et al., 1996). Ces patients sont à risque sur le plan parodontal, les cytokines produites entraînant un recrutement des cellules de l’inflammation, la dégradation du tissu conjonctif ainsi que la destruction osseuse. Sur le plan cardio-vasculaire, certaines des cytokines produites telles que l’IL-1β, le facteur de croissance transformant bêta (TGF-β, transforming growth factor beta) ou le PDGF (platelet derived growth factor) notamment par les monocytes vont stimuler la prolifération des cellules musculaires lisses, entraînant ainsi un épaississement de la paroi vasculaire.

Le mécanisme de réactivité croisée est un phénomène immunologique ayant été décrit dans la littérature médicale comme étant un mécanisme possible de l’établissement et du développement de l’athérosclérose (Chun et al., 2005). Ce phénomène résulte de l’homologie possible entre les protéines de l’hôte et les protéines du choc thermique (Hsp, heat shock protein) bactériennes. En réponse à un stress, telles l’hypertension, une hypercholestérolémie ou une stimulation par le lipopolysaccharide de P. gingivalis, les cellules composant l’endothélium artériel de l’hôte vont produire des Hsp, notamment Hsp 60 (Ford et al., 2005). Les anticorps anti-Hsp bactériennes vont, du fait de l’homologie avec les Hsp humaines, provoquer des dégâts cellulaires favorisant le développement de l’athérosclérose. Cette réaction croisée se fera essentiellement au niveau de la lésion athéromateuse, certaines études ayant mis en évidence un taux élevé d’anticorps anti-Hsp 60, 65 et 70 dès l’apparition de la lésion artérielle (Blasi, 2008). Ce taux élevé d’anticorps anti-Hsp s’explique par la présence importante, au sein de la plaque d’athérome, de cellules en apoptose ou impliquées dans un processus de nécrose, les Hsp présentes dans ces cellules étant relarguées dans l’espace extracellulaire, entretenant ainsi la réaction auto-immune. Il a été proposé que cette auto-immunité dirigée contre les Hsp de l’hôte soit un mécanisme important dans la physiopathologie de l’athérosclérose (Choi et al., 2004), notamment dans les premières phases d’installation de la pathologie. La relation entre maladies parodontales et athérosclérose peut être expliquée par ce mécanisme, la présence de cellules T dirigées contre P. gingivalis ayant été mise en évidence dans la circulation générale des patients atteints de parodontopathie et d’athérosclérose (Choi et al., 2002).

Effets du traitement parodontal sur l’évolution de l’athérosclérose : bénéfices ?

Après avoir mis en évidence un lien possible entre les maladies parodontales et l’athérosclérose, de nombreux auteurs ont cherché à observer les effets potentiels des traitements parodontaux sur l’apparition et, surtout, sur le développement de l’athérosclérose. L’objectif du traitement parodontal est d’éliminer les bactéries présentes au sein des biofilms supragingival et sous-gingival. Cette élimination a pour but, au niveau parodontal, de supprimer le phénomène inflammatoire et d’obtenir une cicatrisation des tissus lésés. Au niveau systémique, ce traitement étiologique, associé ou non à une antibiothérapie, aura comme effet une réduction des marqueurs de l’inflammation tels la CRP (Piconi et al., 2009), le TNF-α (Dag et al., 2009) ou l’E-sélectine (Tonetti et al., 2007). Nous pouvons ainsi penser que l’élimination du facteur bactérien ainsi que la baisse des taux de cytokines pro-inflammatoires auront pour effet une amélioration de l’état vasculaire. Tonetti et al. ont montré que le traitement parodontal entraînait, au bout de 6 mois, une amélioration de la fonction endothéliale (Tonetti et al., 2007). Certains auteurs ont mis en évidence des différences en termes de résultats concernant la diminution des marqueurs de l’inflammation en fonction de la méthode de traitement employée, un traitement de l’ensemble du parodonte en une séance unique semblant donner de meilleurs résultats qu’un traitement réalisé par quadrant, principalement si l’on observe les taux d’IL-6 et de thrombomoduline (Ushida et al., 2008). Il semblerait donc que la mise en place d’un traitement parodontal chez un patient présentant à la fois une parodontopathie et une athérosclérose soit bénéfique pour ralentir le développement de la pathologie athéromateuse, les maladies parodontales pouvant, à l’heure actuelle, être considérées comme un facteur de risque de cette pathologie vasculaire. Néanmoins, ces résultats doivent encore être confirmés par d’autres études, notamment épidémiologiques.

Conclusion

Aujourd’hui, l’athérosclérose est une pathologie touchant une grande partie de la population des pays développés. La mise en évidence des maladies parodontales comme facteur de risque potentiel de cette pathologie devrait permettre de promouvoir, auprès des pouvoirs publics et des patients, la prise en charge systématique des maladies parodontales et les effets bénéfiques de leur traitement, dans un premier temps sur la santé bucco-dentaire des patients mais également sur la santé en général, car cela permettrait de contrôler un des facteurs de risque de l’athérosclérose et des maladies cardio-vasculaires en général.

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