Article
MCU, PH
Département de parodontologie
Faculté de chirurgie dentaire
Strasbourg
La polyarthrite rhumatoïde est une pathologie à composante inflammatoire et auto-immune aux conséquences importantes sur l’espérance et la qualité de vie des patients. À l’heure actuelle, l’ensemble des mécanismes physiopathologiques mis en jeu dans le déclenchement et le développement de cette pathologie ne sont pas encore totalement connus. La mise en évidence de nouveaux facteurs de risque constitue un champ d’investigation important. Dans ce cadre, les parodontites ont été identifiées comme pouvant être associées à cette pathologie. Les données épidémiologiques ont mis en évidence une association entre les deux pathologies et certaines hypothèses biologiques ont été proposées. En effet, le rôle de certaines bactéries parodontopathogènes retrouvées au niveau articulaire pourrait être l’un des mécanismes mis en jeu, la composante inflammatoire étant elle aussi particulièrement étudiée. Enfin, du fait des similitudes concernant les mécanismes et molécules impliqués dans les deux pathologies, le traitement respectif de chacune d’entre elles a des conséquences sur l’autre.
Rheumatoid arthritis is a chronic inflammatory and autoimmune disease with important deleterious effect on lifetime and quality of life. Actually, all the physiopathological pathways regarding the onset and the development of the disease are not fully understood. Investigations on new potential risk factors are a promising field of investigation. Periodontitis have been identified as being one of them. Epidemiological data showed an association between the two diseases and some biological hypotheses have been proposed. The effect of certain periodontal bacteria found at the joint level could be one of the mechanisms involved but the role of inflammation is also under investigation. Finally, because of similarities in the mechanisms and molecules involved in both diseases, the respective treatments of each of them have consequences for the other.
La polyarthrite rhumatoïde est une pathologie systémique auto-immune entraînant des complications systémiques, un handicap progressif, une mort prématurée et un coût socio-économique important (McInnes et Schett, 2011). Elle se caractérise par une inflammation chronique de la synoviale aboutissant à la destruction articulaire (Scott et al., 2010) et peut être associée à certaines manifestations extra-articulaires, notamment cardio-vasculaires, pulmonaires et hématologiques (Moreland et Curtis, 2009 ; Verstappen et Symmons, 2011). De nombreux facteurs de risque ont été identifiés telles une prédisposition génétique, la consommation de tabac ou encore la présence de certains pathogènes, en particulier Porphyromonas gingivalis (McInnes et Schett, 2011). Il semble primordial de mettre en évidence de nouveaux facteurs de risque et de comprendre les mécanismes physiopathologiques impliqués pour améliorer la prise en charge des patients atteints de cette pathologie. De ce fait, l’étude du lien entre parodontites et polyarthrite rhumatoïde est nécessaire.
À l’heure actuelle, les données concernant l’incidence et la prévalence de la polyarthrite rhumatoïde à travers le monde varient en fonction des études réalisées du fait des définitions de la pathologie, des méthodes statistiques employées ou encore de la zone géographique prise en compte. Dans les pays d’Europe du Nord et d’Amérique du Nord, on estime que l’incidence varie actuellement entre 20 et 50 cas pour 100 000 habitants. Cette incidence est légèrement plus faible dans les pays d’Europe du Sud où elle est d’environ 9 à 24 cas pour 100 000 habitants (Tobón et al., 2010). La prévalence est elle aussi variable : elle est comprise entre 0,5 et 1,1 % pour les pays d’Europe du Nord et d’Amérique du Nord et, tout comme l’incidence, elle est plus faible dans les pays du sud de l’Europe (de 0,3 à 0,7 %). En France, l’étude EPIRHUM a mis en évidence une prévalence de l’ordre de 0,31 % (Guillemin et al., 2005) mais des disparités interrégionales ont là aussi été mises en évidence, le Nord de la France présentant moins de cas que les régions du Sud (Biver et al., 2009). Enfin, cette pathologie touche majoritairement les femmes de plus de 65 ans, suggérant une influence hormonale (Scott et al., 2010).
Le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde ne repose pas, contrairement à d’autres pathologies systémiques, sur un seul signe clinique ou paramètre biologique. En effet, comme cette pathologie a des manifestations multiples, son diagnostic repose sur un ensemble de critères. En 2010, une nouvelle classification et de nouveaux critères diagnostiques ont été proposés par le Collège américain de rhumatologie (ACR, American College of Rheumatology) et par la Ligue européenne contre le rhumatisme (EULAR, European Ligue Against Rheumatism), afin de pouvoir diagnostiquer la pathologie le plus précocement possible. Les critères diagnostiques retenus sont l’atteinte articulaire, la présence de certains marqueurs biochimiques tels le facteur rhumatoïde et/ou les anticorps antipeptides cycliques citrullinés (Ac anti-CCP, anticyclic citrullinated peptides), la durée depuis l’apparition des premiers signes cliniques et certains marqueurs de l’inflammation tels la protéine C réactive (CRP, C-reactive protein) ou la vitesse de sédimentation (VS) des érythrocytes (Sokolove et Strand, 2010) (tableau 1). Cette nouvelle classification et cet ensemble de critères diagnostiques permettent un diagnostic précoce par rapport à l’ancienne classification datant de 1987, de plus avec une spécificité importante (96 %) (Kaarela et al., 2011).
La polyarthrite rhumatoïde est une pathologie regroupant un ensemble de processus biologiques faisant intervenir de nombreux phénomènes inflammatoires aboutissant à l’inflammation persistante de la synoviale et entraînant la destruction du cartilage et de l’os sous-jacent (Scott et al., 2010). Ce processus inflammatoire implique un grand nombre de types cellulaires, de cytokines et certains mécanismes auto-immuns. À l’heure actuelle, tous les mécanismes mis en jeu, notamment lors des phases précoces de déclenchement de la pathologie, ne sont pas totalement connus.
La mise en place du processus inflammatoire au niveau de l’articulation repose notamment sur les interactions entre lymphocytes B et T, macrophages et synoviocytes (Vallejo et al., 2003). Ces interactions vont entraîner la production de cytokines pro-inflammatoires telles que les interleukines (IL) 1, 6 et 15, le TNF-α (tumor necrosis factor α, facteur de nécrose tumorale α) ou l’interféron γ, aboutissant à un déséquilibre entre cytokines pro-inflammatoires et anti-inflammatoires. La sécrétion de ces nombreuses cytokines pro-inflammatoires aura pour conséquence l’activation des différents types cellulaires aboutissant à la production de métalloprotéases matricielles (MMP) par les synoviocytes, de collagénases par les lymphocytes T ou encore à l’activation des ostéoclastes entraînant la destruction articulaire (Christodoulou et Choy, 2006) et favorisera l’angiogenèse (Szekanecz et al., 2010). Par ailleurs, l’effet des différentes cytokines reste toujours un sujet de recherche, de nouvelles propriétés étant mises en évidence régulièrement, tel un possible effet anti-inflammatoire du TNF-α (Biton et al., 2011).
La polyarthrite rhumatoïde est une pathologie auto-immune. La présence de certains autoanticorps est un marqueur de la pathologie. Le facteur rhumatoïde est l’autoanticorps le plus classique et est dirigé contre le fragment Fc des immunoglobulines G (IgG) (Scott et al., 2010). Le deuxième groupe d’autoanticorps est représenté par les autoanticorps anti-CCP qui sont dirigés contre certaines protéines citrullinées, tels le fibrinogène, la vimentine, la fillagrine, le collagène de type 2 et l’α-énolase (Van Steendam et al., 2011). La citrullination de ces protéines est un processus enzymatique entraînant une modification post-traductionnelle, transformant un résidu arginine en un résidu citrulline et modifiant ainsi la structure tridimensionnelle de la protéine (Quirke et al., 2011). Le dosage de ces anticorps anti-CCP est, à l’heure actuelle, un des critères de diagnostic importants de la polyarthrite rhumatoïde (Renger et al., 2010).
Le facteur de risque majeur est le facteur génétique. En effet, de nombreuses modifications géniques ont été associées à la polyarthrite rhumatoïde, notamment le gène HLA. Certaines études ont mis en évidence une augmentation du taux d’anticorps anti-CCP chez des patients présentant certaines formes alléliques de quelques gènes tels HLA-DRB1 (Barton et Worthington, 2009), et diverses modifications épigénétiques ont également été incriminées (Trenkmann et al., 2010). D’autres facteurs de risque environnementaux ont été identifiés mais leur impact sur le développement de la pathologie reste encore controversé (Liao et al., 2009). Le tabac est ainsi considéré comme un facteur de risque important, certaines études ayant démontré une corrélation entre quantité et durée de consommation tabagique et survenue de polyarthrite rhumatoïde (Stolt et al., 2003 ; Costenbader et al., 2006). La consommation d’alcool, la vitamine D, l’utilisation de contraceptifs oraux, le niveau socio-économique et certains polluants sont également étudiés (Tobón et al., 2010 ; Scott et al., 2010). La mise en évidence d’anticorps dirigés contre certains pathogènes a suggéré un rôle dans le déclenchement ou le développement de la pathologie, notamment pour P. gingivalis (Hitchon et El-Gabalawy, 2011).
La recherche de facteurs de déclenchement ou de risque pour la polyarthrite rhumatoïde a conduit à évaluer l’association avec les parodontites. Ce champ d’investigation a été proposé, en premier lieu, du fait des conséquences fonctionnelles de la polyarthrite rhumatoïde sur les articulations, susceptible d’entraîner une diminution des capacités manuelles des patients pouvant ainsi rendre difficile la mise en place des techniques d’hygiène orale (Pischon et al., 2008). Par ailleurs, la physiopathologie complexe de ces deux pathologies inflammatoires ainsi que la présence de certains parodontopathogènes au niveau des articulations touchées ont suggéré une association entre elles (Culshaw et al., 2011).
Les résultats des études épidémiologiques ont permis de mettre en évidence une prévalence supérieure des parodontites chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde par rapport aux sujets non atteints : OR = 2,27 (Mercado et al., 2001) ; OR = 5,07 (Pischon et al, 2008) ; OR = 1,85 (Demmer et al., 2011) ; 63 % des patients atteints (Ziebolz et al., 2011). Le taux de perte dentaire est également plus élevé chez ces mêmes patients (Demmer et al., 2011). De manière intéressante, les indices de plaque relevés dans certaines études ne présentaient pas de différences significatives entre les deux groupes et n’étaient pas corrélés à la sévérité des lésions observées, suggérant l’effet d’autres facteurs (Mercado et al., 2001).
Sur le plan biologique, plusieurs hypothèses reliant les deux pathologies ont été proposées (De Smit et al., 2011). Le facteur génétique est étudié car certains gènes impliqués dans la réponse immunitaire sont considérés comme des facteurs de risque pour les parodontites et la polyarthrite rhumatoïde. Le gène HLA-DRB1 est particulièrement étudié puisqu’il a été démontré une association entre ce gène et les parodontites sévères (Bonfil et al., 1999 ; Machulla et al., 2002). De même, certains gènes de l’inflammation sont également impliqués dans les deux pathologies tel le gène codant pour l’IL1 (Laine et al., 2010). Récemment, il a été démontré, sur un modèle de rat, qu’une infection induite par P. gingivalis antérieure à l’établissement de la polyarthrite rhumatoïde exacerbait les manifestations articulaires (Bartold et al., 2010). Cette observation met en évidence un effet potentiel d’une pathologie inflammatoire sur le développement de la polyarthrite rhumatoïde. Une étude effectuée sur modèle murin de parodontite expérimentale induite par gavage a démontré l’influence de celle-ci sur l’aggravation de la polyarthrite rhumatoïde, notamment sur la destruction osseuse et sur l’augmentation de l’expression de RANK-L (receptor activator of nuclear factor kappa-B ligand) (Cantley et al., 2011). Le potentiel pathogène de la bactérie a également été observé in vitro sur des chondrocytes en culture, mettant en évidence une augmentation du taux d’apoptose à la suite du contact avec certains facteurs de virulence (Röhner et al., 2012).
La composante inflammatoire des parodontites pourrait être mise en jeu dans ce phénomène. Chez les patients atteints de parodontite, l’augmentation du taux de cytokines pro-inflammatoires sanguines a été observée (Andrukhov et al., 2011) et un effet à distance des cytokines produites sur l’entretien ou l’amplification des phénomènes inflammatoires a été proposé pour la polyarthrite rhumatoïde (Trombone et al., 2010), mais également pour d’autres pathologies systémiques telles les pathologies cardio-vasculaires (Huck et al., 2011a) ou les accouchements prématurés (Huck et al., 2011b).
La présence d’antigènes dirigés contre certaines bactéries parodontopathogènes dans les biofilms oraux, le sérum et le liquide synovial des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde a été détectée, les taux de Prevotella intermedia, P. gingivalis et Treponema denticola étant particulièrement mis en évidence (Martinez-Martinez et al., 2009). La capacité de P. gingivalis à citrulliner ses protéines endogènes et certaines protéines de l’hôte telles le fibrinogène ou l’α-énolase a conduit à considérer cette bactérie comme un élément favorisant la production d’anticorps anti-CCP. Cette capacité de citrullination des protéines est due à la présence, au sein de la bactérie, d’une enzyme spécifique, la peptidyl-arginine deiminase (PAD) (Rosenstein et al., 2004 ; Wegner et al., 2010 ; De Smit et al., 2011).
Cette relation entre les deux pathologies ne semble pas être à sens unique, des études récentes ayant montré, dans un modèle de polyarthrite rhumatoïde murin, que la lésion articulaire entraînait le développement de lésions parodontales via une augmentation de cytokines (Queiroz-Junior et al., 2011) (fig. 1).
Le traitement parodontal a pour objectif l’élimination du facteur étiologique principal, à savoir les biofilms bactériens supra-gingivaux et sous-gingivaux et de restaurer un équilibre au sein de la flore bactérienne commensale afin de diminuer l’inflammation tissulaire. Ce traitement étiologique est efficace localement puisqu’il permet de réduire le nombre de poches parodontales (Leininger et al., 2010) mais il peut également avoir des effets à distance via la diminution de cytokines pro-inflammatoires plasmatiques (Behle et al., 2009 ; Sun et al., 2011). Des études ont été menées chez des patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde et de parodontite. Chez ces patients, le traitement parodontal non chirurgical diminue la sévérité de l’atteinte articulaire (Al-Katma et al., 2007 ; Ortiz et al., 2009). Cette amélioration pourrait être due à la diminution non seulement de la charge bactérienne et donc à la réduction de l’action potentielle des parodontopathogènes au niveau de l’articulation mais également à celle des marqueurs de l’inflammation tels le TNF-α ou encore la CRP (Ortiz et al., 2009 ; Pinho et al., 2009).
De nombreuses molécules ont été mises au point dans le cadre du traitement de la polyarthrite rhumatoïde (Culshaw et al., 2011). Du fait des similitudes concernant les mécanismes impliqués entre les deux pathologies, certaines d’entre elles ont également démontré une action sur le plan parodontal. Le traitement par anti-TNF-α semble diminuer la perte osseuse chez les patients présentant une parodontite (Mayer et al., 2009), ce qui est également observé pour les inhibiteurs de l’IL1 dans un modèle murin de parodontite expérimentale (Oates et al., 2002). De nouvelles cibles thérapeutiques sont également envisagées, telle l’IL17 (Plater-Zyberk et al., 2009). Du fait de l’implication potentielle de cette cytokine dans la physiopathologie parodontale (Behfarnia et al., 2010), une molécule permettant son blocage pourrait également être utilisée dans le cadre d’un traitement parodontal. Enfin, les nouvelles perspectives de thérapeutiques impliquant la résolution de l’inflammation (lipoxines, résolvines…) pourraient constituer un outil efficace dans le traitement des deux pathologies (Conte et al., 2010 ; Van Dyke, 2011).
La polyarthrite rhumatoïde est une pathologie ayant des conséquences importantes sur la qualité de vie des patients. La mise en évidence de nouveaux facteurs de risque comme les parodontites semble essentielle afin de permettre un dépistage et une prise en charge précoces de ces mêmes facteurs. Il est donc important, dans la prise en charge des patients atteints ou à risque de polyarthrite rhumatoïde, de constituer un circuit de soins associant rhumatologue et chirurgien-dentiste et incluant un examen parodontal ainsi que la mise en place d’un traitement parodontal si nécessaire.