Les moyens de communication entre praticien, patient et prothésiste - Cahiers de Prothèse n° 108 du 01/12/1999
 

Les cahiers de prothèse n° 108 du 01/12/1999

 

Esthétique

Jean-François Lasserre *   Marc Sous **   Marc-André Leriche ***  


* Docteur en chirurgie
dentaire - Maître de conférences des universités -
Praticien hospitalier des CSERD

Université Victor Segalen Bordeaux 2
UFR d'odontologie
Service de prothèses
16, cours de la Marne
33082 Bordeaux Cedex
** Docteur en chirurgie dentaire-
Assistant hospitalier universitaire
Université Victor Segalen Bordeaux 2
UFR d'odontologie
Service de prothèses
16, cours de la Marne
33082 Bordeaux Cedex
*** Prothésiste dentaire
7, avenue Gambetta
88000 Épinal

Résumé

En prothèse fixée, une restauration esthétique du secteur antérieur est le fruit d'un travail d'équipe entre le praticien, son prothésiste et son assistant(e). Cependant, c'est l'établissement d'une bonne communication avec le patient qui permet de répondre le mieux à sa demande et d'obtenir son « consentement éclairé ». L'exposé du plan de traitement à l'aide d'un montage des modèles d'étude sur articulateur, l'utilisation d'une fiche de laboratoire bien rédigée et de diapositives, la conservation systématique d'une documentation préprothétique importante et l'utilisation de cires d'essai clinique sont autant de moyens simples qui contribuent à optimiser les résultats esthétiques.

Summary

Communication means between the dental practitioner, the patient and the prosthodontist

In fixed prosthesis, an aesthetic restoration of the anterior area is the result of a team work between the practitioner, his/her prosthodontist and his/her assistant. Throughout the treatment, sufficient technical information is given to the patient. Educational means as the set-up of study models on an articulator are also implemented to get his/her full approval. Numerous communication ways can be used between the practitioner and his/her prosthodontist to master the problems of the prosthetic teeth' colour and form. The compilation of a substantial peri-prosthetic documentation, the extracted teeth, the laboratory card, the slides, the wax up trials, the indications for corrections at the stage of armatures or ceramic biscuits are all means which contribute to optimize the aesthetic results.

Key words

aesthetic fixed prosthesis, aesthetic intraoral trial, colour of teeth, communication, form of teeth

Le succès d'une restauration esthétique repose sur la qualité de l'analyse préprothétique, sur la construction d'un plan de traitement avec une prise de risque évaluée et limitée et, bien sûr, sur les performances techniques du chirurgien-dentiste et du prothésiste [1, 2]. Cependant, sans le « consentement éclairé » du patient, nous ne pouvons parler de succès d'une réhabilitation esthétique. La proposition thérapeutique du praticien doit parfaitement répondre à la demande formulée par le patient et ce dernier doit comprendre chaque étape du traitement. Le dialogue avec le patient permet de lui faire accepter certaines situations de compromis ou de lui faire prendre conscience d'une demande esthétique inadaptée à son cas.

Chaque fois que le patient peut appréhender le travail de laboratoire dans sa dimension artistique en voyant le prothésiste évaluer la couleur des dents, monter et cuire la céramique et sculpter les formes, le succès du traitement s'en trouve fortement renforcé [3].

Les moyens de communication intéressent les deux grands domaines de l'analyse esthétique, celui de la couleur et celui de la forme. Les teintiers, la fiche de laboratoire, les diapositives constituent les moyens les plus courants d'analyse et de transmission de la couleur. Les modèles en plâtre, les cires d'essayage, des documents préprothétiques, les indications portées sur les armatures et les biscuits de céramique lors de l'essai clinique permettent la maîtrise de la forme et de l'agencement des dents prothétiques. Mais, en début de traitement, c'est l'articulateur qui est le meilleur support de dialogue avec le patient et avec le prothésiste.

Communication et montage sur articulateur

Un montage des modèles d'étude sur articulateur semi-adaptable est systématiquement effectué lors d'une réhabilitation esthétique importante. C'est sur ce simulateur des relations intermaxillaires que sont expliqués au patient les objectifs esthétiques et fonctionnels de son traitement [4]. Il est important que le montage sur articulateur soit réalisé au cabinet dentaire pour permettre au praticien de graver les lignes de références faciales sur le socle du modèle maxillaire :

- axe vertical du médian du visage ;

- parallèle à la ligne bipupillaire.

Trop fréquemment, les prothésistes se réfèrent au socle du modèle maxillaire pour définir l'horizontale, ce qui est une source d'erreur de positionnement de la ligne incisive et parfois du point interincisif. En effet, bien souvent les patients présentent des asymétries faciales et maxillaires marquées qui passent inaperçues si un relevé maxillaire à l'aide d'un arc facial n'est pas effectué. Quant à leurs bases, les modèles sont généralement réalisés sans mesure précise, empiriquement par rapport au plan occlusal de l'arcade. Les bases des modèles ne peuvent pas par conséquent être prises comme références d'orientation (fig. 1a et 1b).

Communication de la couleur

La communication de la couleur fait appel aux teintiers dentaires, à l'utilisation d'une fiche de laboratoire et à la transmission de photographies et de diapositives ou d'images numérisées [5, 6].

Les teintiers

Bien qu'il existe un grand nombre de teintiers, le praticien doit s'accorder avec le prothésiste pour définir le teintier de base à utiliser. Celui-ci correspond en général à la marque de céramique adoptée par le laboratoire. Il est utile d'avoir des teintiers complémentaires qui sont des échantillons bruts, issus de poudres de dentines opaques, de teintes de collets radiculaires ou d'émail transparent, montés sur des barrettes [7]. Il existe également des teintiers pour relever la couleur des préparations dans le cas où celle-ci pourrait influencer la teinte d'une restauration de céramique pure. Il est intéressant de remarquer que la communication verbale de la couleur est très nuancée. Pour la couleur rouge par exemple, le langage permet de différencier de manière précise plus de 26 nuances (fig. 2). Pour les infiltrations des sillons occlusaux, il est possible de se passer d'une référence de teintier et d'utiliser la dénomination de la couleur ou parfois d'une association alimentaire : caramel, jaune d'or, chocolat, vert kaki, noir, blanc laiteux, etc. (fig. 3).

La fiche de laboratoire

La fiche de laboratoire constitue le moyen le plus traditionnel et élémentaire de communication avec le prothésiste [6]. Elle comporte :

- la conception de la prothèse demandée ;

- le choix de l'alliage ;

- la description des préparations ;

- des remarques pour le montage sur articulateur semi-adaptable ;

- le concept occlusal adopté pour la prothèse ;

- la date de livraison de l'essayage ou de la prothèse terminée.

Les indications portant sur l'esthétique sont souvent incomplètes. Le prothésiste devrait toujours recevoir des informations sur :

- les teintiers utilisés ;

- le sexe et l'âge du patient ;

- la texture de surface des dents antérieures ;

- un schéma de couleur détaillé.

L'expérience acquise au contact des étudiants lors de cours à l'hôpital permet de donner cinq conseils simples pour le schéma de couleur :

1) dessiner une dent de grande taille, 6 à 8 cm pour une face vestibulaire, ce qui améliore la lisibilité des indications ;

2) dessiner la forme approchée de la dent avec des orientations mésiales et distales, afin de pouvoir localiser précisément les effets de couleur. Ne pas utiliser un schéma standard ;

3) pour les dents cuspidées, dessiner en plus de la face vestibulaire une vue occlusale, l'esthétique de la face occlusale à la mandibule étant plus importante que celle de la face vestibulaire ;

4) classiquement, les informations intéressent trois zones :

- 1/3 moyen pour lequel est indiquée la couleur de corps ou du noyau dentinaire de la dent dans son évaluation tridimensionnelle ;

- 1/3 cervical pour lequel sont indiqués les effets de saturation de la couleur vers le collet de la dent et, en particulier chez les patients âgés, les effets de teinte radiculaire qui font appel à des teintiers spécialisés ;

- 1/3 incisif pour lequel sont décrits les effets de la couche d'émail sur la lame dentinaire, le phénomène d'opalescence fréquent sur les dents jeunes, peu abrasées, ainsi que les effets d'infiltration et de fissuration des bords libres, rencontrés chez les patients plus âgés [8]. Sur les incisives, le schéma peut transversalement être sous-divisé en trois tiers correspondant aux trois lobes de construction d'une incisive. Cela donne au total neuf zones distinctes d'indication (fig. 4a et 4b) ;

5) une phrase de synthèse esthétique met en valeur les informations principales pour l'orientation du travail. Le prothésiste évitera ainsi de se perdre dans un schéma de teinte très détaillé sans mise en valeur des éléments essentiels (fig. 4a, 4b). Par exemple : dent jeune, d'aspect de surface irrégulier, de couleur uniforme 2 M1 du teintier Vitapan 3D master, avec peu d'effet translucide ou dent âgée, d'aspect de surface lisse et satiné, teinte de corps 4 m3 du teintier Vitapan 3D master, avec un fort dégradé sur le 1/3 cervical.

L'image

La diapositive est pour le praticien un moyen courant de communication [5]. Elle sera sans aucun doute supplantée par l'image numérique dont la qualité est en progression constante et qui présente les avantages d'une grande facilité de stockage et d'une transmission immédiate. Il est vrai que pour la diapositive, l'état des bains de développement, le lot de fabrication des pellicules, les conditions de prise de vue peuvent faire varier de manière importante l'appréciation de la couleur. De ce fait, la diapositive est utilisée non pas pour apprécier la tonalité chromatique d'une dent, mais pour donner une somme d'informations très utiles sur les caractérisations, l'importance des dégradés, la répartition des effets. En ce sens, elle paraît indispensable pour la réalisation d'une dent antérieure.

Dans certains cas, la photographie simultanée de la dent avec l'échantillon du teintier permet de visualiser les problèmes du choix de la couleur pour le prothésiste (fig. 5a et 5b). Lors des essayages, des diapositives peuvent être réalisées à l'aide de caches sombres. Ces derniers permettent de bien visualiser les effets de la prothèse zone par zone. Dans le cas présenté, si les effets du bord incisif sont agréables, le 1/3 cervical de la couronne céramo-métallique est beaucoup trop lumineux par rapport au collet de la dent naturelle (fig. 6a et 6b).

Communication de la forme

La communication de la forme fait appel : aux modèles en plâtre, à la réalisation de cires d'essais esthétiques, à la recherche de photographies anciennes, aux dents extraites et aux essais cliniques des armatures métalliques et des biscuits de céramique.

Les modèles en plâtre

Issus de différentes séries d'empreintes, les modèles en plâtre sont le support du travail de laboratoire.

Trois séries de modèles peuvent être utilisés dans le travail de la forme.

Les modèles d'étude

Dans le cas de restaurations antérieures étendues, il est essentiel de garder le référentiel morphologique de départ, constitué d'un jeu de modèles d'étude. Ces derniers seront, avec des diapositives, les seules références subsistant après les préparations des dents. Lors de la première séance clinique, deux empreintes de chaque arcade sont réalisées, un jeu de modèles étant stocké dans la boîte du patient et un autre servant à l'analyse préprothétique et à la confection des prothèses provisoires [9, 10].

Les modèles issus des empreintes des prothèses provisoires

La prothèse transitoire nécessite de nombreux réglages fonctionnels et esthétiques afin d'être totalement acceptée par le patient. Il est impératif de transmettre ce travail clinique morphologique au laboratoire par l'intermédiaire d'un jeu de modèles en plâtre. Ces modèles de prothèses transitoires doivent pouvoir se substituer en situation anatomique aux modèles de travail face aux modèles antagonistes. Il est alors possible de réaliser au laboratoire des clés en silicone [11], des programmations de la table incisive de l'articulateur qui sont autant d'éléments de transfert de données morphologiques précises.

Les modèles de travail

Le traitement du modèle de travail avec la préparation des modèles positifs unitaires fait perdre une somme importante de données morphologiques concernant la gencive marginale. L'utilisation de clés en silicone et de résines molles injectées permet de réaliser des fausses gencives qui donnent des indications assez précises sur le festonnage gingival et le volume des papilles proximales [6] (fig. 7a, 7b, 7c et 7d). Mais, dans le but d'obtenir une grande précision, il est possible de réaliser des modèles positifs unitaires (MPU) de dépouille qui se repositionnent parfaitement dans une fausse gencive en plâtre (technique de Marc-André Leriche) (fig. 8a, 8b et 8c).

Les cires d'essai clinique

Les cires d'essai clinique, réalisées en teinte dentine permettent une meilleure visualisation de la forme des dents que les cires de couleur bleue (fig. 9a, 9b, 9c, 9d, 10a, 10b, 10c, 10d, 10e et 10f). Leur intérêt est double :

• pédagogique : elles sont une base de discussion avec le patient lorsqu'elles sont présentées sur articulateur pour faire accepter un changement important d'agencement des dents (fig. 9a, 9b, 9c et 9d) ;

• sur le plan du diagnostic esthétique. Réalisées à partir d'une empreinte des préparations, elles peuvent être essayées en bouche en situation anatomique [12] pour permettre au praticien et au patient d'apprécier les changements de forme dans le cadre gingival et labial (fig. 10a, 10b, 10c, 10d, 10e et 10f).

Les photographies anciennes

Lorsque le patient accepte de rechercher des photographies anciennes, elles deviennent au cours des premières séances un excellent support de communication patient/praticien. Reconnaissons qu'elles sont souvent montrées avec pudeur et émotion. Ce sont de vieilles photographies en noir et blanc qui évoquent des souvenirs forts : mariage, baptême, réunion de famille ou des situations anecdotiques amusantes (fig. 11b). En outre, elles apportent des références de forme, d'axes d'émergence et d'agencements insoupçonnés, car les patients nécessitant de grandes restaurations esthétiques ont souvent eu plusieurs jeux de prothèses, ce qui a effacé toutes les références antérieures naturelles (fig. 10a, 10b, 10c, 10d, 10e, 10f, 11a, 11b, 11c et 11d).

Les dents extraites

Les dents du secteur antérieur extraites lors de la mise en place des prothèses transitoires doivent être impérativement conservées. Elles représentent des données précieuses pour le respect de la forme des dents prothétiques (fig. 12a et 12b).

Les indications de corrections lors des essais cliniques prothétiques

Cette rubrique regroupe un ensemble de moyens de communication entre le laboratoire et le cabinet à utiliser au cours des essais cliniques des prothèses [13].

Les tracés sur biscuit de céramique

Réalisés avec des crayons fins, ils peuvent indiquer des zones de correction axiales (fig. 13a). Nous pouvons visualiser, à l'aide d'un crayon rouge, l'importance de la pénétration sous-gingivale en dessinant la limite de la gencive marginale et des papilles sur le biscuit de céramique (fig. 13b).

Les apports en composites photo-polymérisables

Ils permettent de faire des corrections par addition de composites, des formes axiales, de la ligne incisive, des rapports des pontiques avec la muqueuse des crêtes. Le composite pourra être facilement éliminé au laboratoire par élévation de température (fig. 14a, 14b et 14c).

Les empreintes

Au stade de l'essai des armatures ou des biscuits de céramique, l'utilisation de silicones de basse viscosité pour réaliser des empreintes localisées permet de transmettre au laboratoire de nombreuses informations et de procéder à des rectifications [14]. L'ajustage des intrados, les rapports avec la gencive marginale, les rapports des pontiques avec la muqueuse des crêtes édentées sont parfaitement visibles en observant le degré de transparence du silicone (fig. 15a, 15b et 15c). Des « sur-empreintes » globales peuvent resituer sur les travaux en cours la gencive marginale lorsque des fausses gencives n'ont pas été réalisées sur le modèle de travail initial.

Conclusion

Les patients sont de nos jours très informés des possibilités des nouveaux matériaux à visées esthétiques et des progrès des techniques dentaires. De ce fait, l'esthétique du sourire devient une préoccupation quotidienne pour l'omnipraticien. Cela a l'avantage de rendre la pratique clinique plus motivante et créatrice. Face à des patients plus exigeants, le praticien doit développer les connaissances des règles de l'esthétique dentaire et systématiser les méthodes de diagnostic esthétique préprothétique. Le succès repose toujours sur l'établissement d'une relation de confiance avec le patient, fondée sur l'écoute et le dialogue. Le praticien et son prothésiste doivent convenir de moyens de communication fiables et adaptés à chaque cas clinique pour réaliser des prothèses fixées esthétiques dont l'aboutissement est « l'illusion du naturel ».

bibliographie

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  • 10 Vincent G, Lefevre M, Vincent M. Modèles de diagnostic. 2 - Réalisation. Cah Prothèse 1989;67:26-37.
  • 11 Cuenot JY. Contrôle de l'élaboration d'une armature de bridge céramo-métallique : méthode de la coquille vestibulo-incisivo-canine de contrôle. Cah Prothèse 1982;37:158-169.
  • 12 Pietrobon N. Imperfection parfaite, erreur fatale. Cah Prothèse 1993;83:81-85.
  • 13 Macheret F, Doumas T. Essais cliniques. Cah Prothèse 1996;96:66-75.
  • 14 Chiche JG, Pinault A. Esthétique et restauration des dents antérieures. Paris: Éditions CdP, 1995.

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