Occlusion, muscles et ATM pendant le sommeil - Cahiers de Prothèse n° 114 du 01/06/2001
 

Les cahiers de prothèse n° 114 du 01/06/2001

 

Articulation temporo-mandibulaire (ATM)

Michel Torabi-Teherani *   Matthieu Gabrièle **   Roger Joerger ***   Guy Hedelin ****   Christophe Petiau *****   Jean Krieger ******   Maurice Leize *******  


* Docteur en chirurgie
dentaire

18, rue de la Fecht
67000 Strasbourg
** Docteur en chirurgie dentaire
2, rue Joseph Ritter
67000 Strasbourg
*** MCU-PH
Faculté de chirurgie dentaire
Université Louis Pasteur - Strasbourg I
1, place de l'Hôpital
67000 Strasbourg
**** Docteur en science
Faculté de médecine
1, place de l'Hôpital
67000 Strasbourg
***** Docteur en médecine
62, rue du Faubourg national
67000 Strasbourg
****** Professeur en médecine
Hôpital civil de Strasbourg
Service de neurologie
******* Professeur
Faculté de chirurgie dentaire
Université Louis Pasteur - Strasbourg I
1, place de l'Hôpital
67000 Strasbourg

Résumé

L'étude de l'appareil manducateur de 9 dormeurs en fonction des différentes positions du corps, de la tête et de la main pendant le sommeil a mis en évidence l'intérêt de la position de la main comme appui mandibulaire, la finesse des muscles temporaux et l'existence d'un phénomène de controlatéralité. Une condylographie mécanique et électronique, un montage en articulateur, une analyse occlusale et une étude polysomnographique - comprenant une observation par caméra ultrasensible, l'enregistrement sonore par microphone et laryngophone - et un enregistrement des activités des muscles temporaux antérieurs et masséters droits et gauches ont été effectués.

Summary

Occlusion, muscles and TMA during the sleep: a polysomnographical and clinical study

A study about the masticatory system of 9 sleepers in accordance with different body, head and hand positions during sleep brings to the fore the interest of the hand's position as mandibular support, temporal muscles fine action and the “controlatéralité”. In this goal, several analysis are done: mechanic and electronic axiographic examinations, articulator setup, occlusal analysis, and a polysomnographic study, including ultra-sensitive cam observation, acoustic recording, and masseteric and temporalis right and left EMG recording.

Key words

sleep, temporo-mandibular joint, temporo-mandibular muscle

L'observation des contacts occlusaux, de l'activité musculaire et des déplacements des articulations temporo-mandibulaires (ATM) au cours du sommeil montre qu'aucun de ces trois éléments n'est inactif.

Il est étonnant de constater que plus de 90 % des travaux actuels sur le sommeil et l'appareil manducateur contiennent dans leur énoncé le terme bruxisme [1-8]. Pourquoi restreindre le champ d'investigation à une pathologie ? Parce que, historiquement, la recherche sur le sommeil est faite par une majorité de neurophysiologistes dont la vocation naturelle est l'étude des mécanismes du sommeil et des pathologies qui lui sont associées. Ce n'est que récemment que l'odontologiste a commencé à participer à l'élargissement du champ d'investigation en y intégrant des paramètres nouveaux et spécifiques tels que l'état de la denture ou des ATM [1-8].

La mise au point d'un protocole de polysomnographie adapté à l'observation de l'appareil manducateur n'a pas été facile : observer les contacts dentaires n'est pas une tâche aisée sous le scialytique du fauteuil dentaire, mais le faire la nuit chez le dormeur se révèle impossible. De plus, le matériel utilisable en laboratoire du sommeil est souvent totalement ou partiellement inadapté à l'étude de l'appareil manducateur. Les publications scientifiques restent, en effet, excessivement pauvres en protocoles satisfaisant les exigences actuellement requises et, fréquemment, des opinions contraires s'expriment sur le rôle joué par l'occlusion et sur son mode d'action au cours du sommeil.

Aussi, ce travail présentera-t-il deux objectifs : réfléchir à l'établissement d'un protocole et mettre en évidence le rôle supposé de l'occlusion sur le sommeil.

Physiologie du sommeil

Les mécanismes du sommeil sont connus et définis depuis longtemps [9,10]. Néanmoins, des différentes dérivations électro-encéphalographiques (EEG), l'association de l'enregistrement des muscles par électromyographie (EMG) et des mouvements oculaires par électro-oculographie (EOG) a permis, en 1968, à Recht-schaffen et Kales [11] de préparer un protocole d'étude systématisée des mécanismes du sommeil et de définir deux états du sommeil : le sommeil lent, synchronisé, orthodoxe, calme (chez le nourrisson) et sans phases de mouvements oculaires rapides, ou sommeil non-REM (non-rapid eye movement sleep) et le sommeil « paradoxal », désynchronisé, ou REM (rapid eye movement), actif chez le nourrisson.

• Lors du sommeil lent, 4 stades ont été décrits, classés de 0 à 4 :

- le stade 0 ou stade de veille calme, avec présence d'activité alpha (de 8 à 13 Hz) et/ou de fréquences EEG dites mixtes de faible voltage (8 Hz sont synonymes de 8 cycles par secondes) (fig. 1) ;

- le stade 1, premier stade du sommeil, défini par des fréquences EEG mixtes de faible voltage associées à des ondes alpha lentes (8 Hz) et à des ondes dites thêta (de 3,1 à 7,9 Hz), lesquelles sont prédominantes (fig. 2) ;

- le stade 2 se définit par la présence de fuseaux de sommeil ou spindles (de 12 à 14 Hz) d'une durée minimum de 0,5 seconde et/ou de complexes K, grandes ondes définies par leur amplitude en microvolts et leur aspect isolé. On note la quantité insuffisante (moins de 20 %) d'ondes lentes à ce stade (fig. 3) ;

- les stades 3 et 4 forment le sommeil lent profond ou « à ondes lentes ». Ils se distinguent des autres stades par leur proportion d'ondes lentes, ou delta (de 0,1 à 2,9 Hz). De 20 à 50 % de ce type d'ondes sont présents lors du stade 3 et au-delà lors du stade 4 (fig. 4).

• L'état de « sommeil paradoxal » se définit par la présence d'un EEG de petite amplitude, avec un mélange d'ondes thêta, parfois d'ondes alpha lentes, l'absence de tonus musculaire à l'EMG et la présence de mouvements oculaires rapides (fig. 5). L'EEG ressemble à celui du stade 1 et le « sommeil paradoxal » ne peut être reconnu sans l'enregistrement systématique des deux autres paramètres, EMG des muscles mentonniers et EOG.

L'application de l'outil informatique à l'étude du sommeil a modifié légèrement la classification des stades du sommeil sans cependant invalider les théories de Rechtshaffen et Kales [11-13].

Matériel et méthode

Caractéristiques de l'échantillon

L'échantillon se compose de 9 étudiants (4 garçons et 5 filles) en troisième année d'odontologie. Ils sont volontaires et choisis en fonction des critères de sélection cités ci-dessous. L'échantillon a été limité à 9 patients à cause des contraintes et de la lourdeur du protocole opératoire qui auraient dépassé les capacités de travail et trop restreint les missions du service de l'exploration du sommeil, dont la vocation première n'était pas de faire cette étude.

Les critères de sélection des patients sont les suivants :

- aucune (ou peu de) reconstitution dentaire restauratrice ou prothétique ;

- aucun traitement orthodontique ;

- absence d'anomalies morphologiques dentaires constitutionnelles ou acquises ;

- aucun trouble psychologique évident pouvant perturber le sommeil, cet élément étant défini au cours de la discussion préliminaire avec les sujets (épilepsie, psychopathies) ;

- si possible aucun trouble occlusal pouvant compromettre l'analyse occlusale et, donc, les résultats qui en découlent.

Protocole opératoire

Le protocole opératoire se compose d'une analyse occlusale et articulaire ainsi que de l'enregistrement des paramètres retenus pour décrire les phases de sommeil et l'activité musculaire. Il s'est inspiré d'études préalables et a été adapté à la nôtre [14, 15]. Il a été impossible d'étudier l'occlusion et les articulations pendant le sommeil par manque de moyens appropriés. Leur analyse s'est donc faite de jour et en état d'éveil.

Analyse occlusale et articulaire

Cette analyse comprend une étude de l'occlusion, un diagnostic (dys)fonctionnel de l'ATM ainsi qu'une condylographie mécanique [16] et électronique. Les deux méthodes sont utilisées afin que cette étude soit facilement reproductible et poursuivie par d'autres équipes, notamment celles qui ne sont dotées que de l'un des deux appareils, mécanique ou électronique.

Étude des rapports occlusaux

Les empreintes à l'alginate du maxillaire et de la mandibule des patients sont coulées en plâtre extradur puis sont montées en articulateur (fig. 6) avec un arc facial. Pour que ces montages soient fonctionnels, nous interposons en bouche 4 plaques d'enregistrement intermaxillaire de cire Moyco® : 2 plaques pour le mouvement d'entrée (à + 3 mm) et de sortie de cycle de mastication (à + 8 mm) à droite et 2 autres pour le mouvement d'entrée et de sortie à gauche. Les plaques de cire (fig. 7) permettent de confectionner des boîtiers condyliens thermoformés à l'aide de résine Plas-tray® moulée dans les boîtiers, selon le procédé utilisé par Lauret et Le Gall [17, 18] (fig. 8 et 9).

Diagnostic (dys)fonctionnel de l'ATM

L'examen clinique consiste en une palpation des muscles temporaux antérieur, moyen et postérieur, des masséters superficiel et profond, des ptérygoïdiens médial et latéral (à distance), des sterno-cléïdo-mastoïdiens et du plancher buccal (muscles souples ou durs).

La cinématique mandibulaire s'observe lors du mouvement d'ouverture et de fermeture en prenant comme référence les milieux interincisifs.

Examen condylographique

Les condylographies mécaniques sont réalisées avec un condylographe de type Sam®. Les ATM sont étudiées en ouverture-fermeture, diduction, incision et mastication (fig. 10).

Les condylographies électroniques sont réalisées grâce au système élaboré par les sociétés Gamma et Girr-bach Dental© r (fig. 11, 12 et 13) recourant au programme Cadiax®. À l'issue de ces condylographies,

À l'issue de ces condylographies, les patients sont répartis en 3 catégories :

- ATM physiologique normale ;

- ATM moyenne avec déplacement discal réductible ;

- ATM pathologique avec déplacement discal non réductible, voire une pathologie plus avancée.

Étude du sommeil

Chaque patient ne peut passer qu'une nuit à l'unité de pathologie du sommeil des hôpitaux universitaires de Strasbourg, dirigées par le professeur J. Krieger (fig. 14). Il eut été remarquable d'étendre l'expérimentation à trois nuits successives. En fait, cette étude a pu se dérouler lorsqu'il y avait des places dans ce service clinique hautement sollicité. Afin d'être préparés à cette unique nuit, les patients sont habitués aux électrodes la veille de l'expérimentation à leur domicile : ils placent sur leur visage de petites pastilles reliées à du fil et maintenues en place par du sparadrap hypoallergénique.

Les électrodes sont placées selon la méthode préconisée par Rechtschaffen et Kales en 1968 [11]. Elles vont enregistrer les activités cérébrale (EEG) et cardiaque (ECG) auxquelles s'ajouteront les EMG des muscles masséters superficiels droit et gauche et des temporaux antérieurs droit et gauche (fig. 15). Ces électrodes sont reliées à une table d'enregistrement (fig. 16). Les sujets sont observés par une caméra haute sensibilité (fig. 17 et 18), placée dans un coin de la chambre, équipée d'un zoom et qu'il est possible de faire pivoter. Ainsi, à chaque instant du sommeil, la position de la main, de la tête et du corps du sujet peut être déterminée. L'enregistrement des bruits éventuels (grincements, claquements, ronflements) se fait à l'aide d'un microphone (fig. 19) placé sur l'une des joues du sujet et d'un laryngophone (fig. 20) placé sur l'autre.

L'ensemble de ces éléments permet de définir la position de sommeil du sujet par rapport à la phase de sommeil et la durée de l'activité de chaque muscle étudié.

Enregistrement de l'activité musculaire

Seuls les muscles masséters et les muscles temporaux antérieurs sont pris en compte car ils sont le plus souvent étudiés [6, 7, 19-21] et rendus particulièrement responsables du bruxisme nocturne. Nous avons tenu à étudier ces muscles de façon bilatérale, à la manière de Lavigne et al. [22], et non de façon unilatérale, comme l'ont fait Solberg et al. [23]. En effet, à la lecture de ces travaux, on constate que ni l'activité ni la durée d'activité de ces muscles ne sont identiques à droite ou à gauche, et il semble que personne n'explique pourquoi ils fonctionnent de manière indépendante malgré leur position symétrique. Lors de chaque nuit, les éléments suivants sont relevés :

- l'heure de la survenue de l'activité musculaire. Seule l'activité au cours des stades du sommeil est prise en compte ;

- le stade du sommeil (tabl. I) ;

- la position du corps, de la tête et des mains ;

- les mouvements des sujets ;

- les bruits perçus ;

- le type d'activité des muscles étudiés (tonique, phasique, mixte ou myoclonique) ;

- la durée de chaque activité ;

- l'apparition de la déglutition (difficile à apercevoir avec nos moyens d'investigation, donc malheureusement non utilisable et non fiable).

Ce protocole a été adapté aux moyens à disposition : les mouvements du dormeur ne peuvent être observés que par la caméra. Il en est de même pour la déglutition [21]. Les positions des dormeurs se différencient selon 3 possibilités : position du corps, de la tête indépendamment du corps et position des mains sous la tête en tant qu'appui (en fait, cela comprend également le bras et l'avant-bras) (fig. 21, tabl. II, III et IV).

Analyse statistique

L'échantillon de 9 sujets est à l'évidence trop faible pour atteindre un niveau statistique valide. Il permet cependant de « présenter » un certain nombre d'observations et de réflexions étayées par un protocole strictement défini. Face à l'inexistence d'un protocole d'étude statistique dans le cadre de cet article, un système de valeur a été choisi de façon originale, mais objective.

Pour évaluer l'occlusion, 3 points ont été pris en compte en fonction de leur importance : la qualité d'entrée et de sortie de cycle, le nombre et la bonne répartition des points de contact en occlusion d'intercuspidation maximale (OIM) et le degré d'usure des dents sur les modèles en plâtre. À chacun des points est attribuée la valeur 1 si les critères de satisfaction sont remplis et 0 dans le cas contraire. Les critères de satisfaction sont l'existence de l'entrée et de la sortie de cycle avec au moins 14 points de contacts occlusaux en OIM et l'absence d'usure dentaire pathologique.

Il en est de même pour le diagnostic fonctionnel de l'ATM. En l'absence de symptomatologie douloureuse, la valeur attribuée pour la palpation musculaire est de 1 et de 0 dans le cas contraire. À une cinématique mandibulaire sans déviation ni déflexion est attribuée une valeur de 1 et de 0 dans le cas contraire.

À l'issue de la condylographie, à une articulation physiologique normale est attribuée la valeur 2, à une articulation moyenne avec déplacement discal réductible la valeur 1 et à une articulation pathologique la valeur 0.

Pour renforcer l'efficacité statistique, à chacune des valeurs est attribué un coefficient dépendant de l'importance de l'élément étudié.

En additionnant les scores obtenus, les occlusions sont classées en bonnes, moyennes et défectueuses, à droite et à gauche. Ces scores représentent globalement la qualité des rapports occlusaux.

L'activité des 4 muscles étudiés est calculée en fonction de l'addition de la durée d'activité pendant un des stades du sommeil (1, 2, 3-4 et paradoxal) et en fonction de la position du corps, de la tête et de la main. Le corps a été pris en compte dans 4 positions : corps tourné vers la droite ou la gauche, droit (rectiligne), patient couché sur le dos et sur le ventre. La tête a été prise en compte dans 3 positions : tête droite et tournée à droite ou à gauche. Seules deux positions ont été prises en compte pour la main : le sujet dort sur sa main (bras ou avant-bras), qui devient un appui pouvant agir sur la mandibule, ou non. Bien entendu, on ignore l'axe des pressions qui s'exercent sur la mandibule.

La nuit de sommeil a débuté vers 22 heures pour s'achever à 7 heures du matin. Les périodes de veille n'ont pas été prises en compte dans le temps de sommeil global. Un total pour chaque stade du sommeil étudié a été obtenu pour tous les patients.

À partir des scores obtenus, l'activité de chaque muscle a été corrélée avec les positions précitées, en fonction de chaque stade du sommeil. De même, l'activité des muscles l'a été avec les scores obtenus pour l'occlusion et les articulations. Les corrélations obtenues ne peuvent bien évidemment que donner une tendance qui s'avère toutefois suffisante pour relever quelques particularités.

Résultats

Lors du stade 1, les patients ont le plus dormi sur le ventre (46,7 ± 44,6 %) et le moins souvent sur le côté gauche (8,6 ± 12,2 %). La tête est tournée de préférence à droite (57,0 ± 35,5 %) avec une prépondérance de non-interposition de la main (65,9 ± 37,5 %).

Lors du stade 2, il n'y a plus de position préférentielle ; les 4 positions du corps sont observées de manière équivalente, mais la tête est toujours tournée le plus souvent à droite (58,8 ± 19,4 %). L'absence d'interférence de la main persiste toujours (63,6 ± 26,3 %).

Lors du stade 3, la position du corps reste répartie de la même façon qu'au stade précédent. Il en est de même pour la position à droite de la tête (62,9 ± 40,8 %) et de la main (70,9 ± 38,6 %).

Les positions du dormeur pendant le sommeil paradoxal sont identiques à celles constatées pendant le stade 3. En général, les 4 positions du corps (sur le dos, sur le ventre, sur le côté droit et sur le côté gauche) se répartissent en 4 groupes d'importance assez proche avec tout de même une moins grande tendance pour le côté gauche. Les patients ont préférentiellement dormi la tête tournée vers la droite sans interposition de la main.

Pendant le stade 1, il n'y a de corrélation entre la position ni du corps et de la tête, ni du corps et l'interposition de la main sur l'activité du muscle temporal droit. Lorsque le sujet a la tête tournée à droite et la main sous la mandibule, on observe une augmentation de l'activité du temporal droit. L'influence de la position du corps rectiligne ou tourné du côté droit avec la tête à droite semble plus importante sur le temporal gauche que si le sujet a la tête tournée à gauche. La position du corps, de la tête et de la main n'a pas d'influence sur le masséter droit. La corrélation entre corps tourné à droite, tête à droite, corps à gauche, tête à droite, et corps rectiligne, tête à gauche, influence l'activité du masséter gauche. La corrélation corps sur le ventre avec la tête à droite ou la tête à gauche semble se répéter.

Pendant le stade 2, les positions du corps, de la tête et de la main n'ont pas de corrélations notables entre elles et n'influent pas sur le temporal droit ; il en va de même pour le temporal gauche. Par contre, il n'y a rien de notable sur l'activité des masséters droit et gauche.

Pendant le stade 3, les résultats observés sur les temporaux ne sont pas très explicites, en revanche, il semblerait que la position du corps et de la tête influe sur l'activité des masséters. Les résultats observés lors du stade paradoxal sont trop divergents pour pouvoir nous permettre d'exprimer une opinion.

Discussion

La première question a concerné les éventuelles corrélations entre la position du dormeur et les phases du sommeil. Un dormeur change en effet 20 fois de position par nuit en moyenne. Il s'agit, pour cette étude, de ne se concentrer que sur les pourcentages de temps de sommeil et de temps écoulé dans différentes positions lors du sommeil. Il ressort que le stade 1 connaît des positions préférentielles de sommeil qu'on ne retrouve pas pendant les stades suivants.

La seconde question a concerné les éventuelles corrélations entre la position du dormeur et son activité musculaire. La corrélation entre les stades du sommeil, les positions du corps, de la tête et de la main avec les activités musculaires des muscles masticateurs a été étudiée de façon à pouvoir comparer l'activité bilatérale des temporaux puis des masséters en fonction de la position du dormeur. Il en découle une possible interaction entre la position du corps et de la tête, surtout en sommeil profond lent.

La troisième question porte sur le degré d'activité musculaire en général. Dès le stade 1, apparaît un phénomène que nous avons dénommé la « controlatéralité des activités musculaires » : quand un individu dort sur le côté, ce sont les muscles masticateurs du côté opposé qui sont le plus actifs. Ceci est souvent vrai pour le stade 2 où ce phénomène est plus net pour les temporaux que pour les masséters. Cette notion de controlatéralité entre le corps et les événements musculaires symétriquement opposés est plus nette qu'au stade précédent. Nous savons que la mandibule subit, comme tout objet, l'effet de la gravité [24]. Le sommeil lent entraîne un relâchement musculaire ; la mandibule, moins retenue par l'effet de sangle des muscles masticateurs, a ainsi tendance à chuter du côté où le patient dort. Par exemple, quand le corps est à gauche, le temporal droit semble fonctionner bien plus que le temporal gauche (11,6 contre 5,1 %). Par ailleurs, la position de la main par rapport à la tête pourrait influencer davantage l'activité des temporaux que celle des masséters.

La quatrième question met en évidence l'éventuel rôle stabilisateur de la main sous la mandibule. Nous avons observé un autre phénomène au niveau de la tête, qui ne se manifeste pas de manière régulière et qu'il faut appréhender avec précaution. En analysant les données des temporaux, lorsque le corps est tourné à droite et que le patient n'a plus sa main sous la mandibule, l'activité du temporal gauche augmente fortement, sans que l'on sache avec précision la direction de la force exercée. La main aurait ainsi un rôle stabilisateur sur la mandibule, l'empêchant de suivre la pesanteur et, ainsi, diminuant la tâche du temporal gauche. En revanche, ce phénomène ne s'est pas vérifié sur les masséters. Le fonctionnement aléatoire nocturne de ces derniers muscles ne permet donc en aucun cas de visualiser un quelconque schéma moteur répétitif de fonctionnement.

La cinquième question porte sur l'activité musculaire en période de sommeil profond. La diminution de l'activité musculaire étant l'une des caractéristiques du stade 3, les muscles masticateurs n'y font pas exception. Ainsi, le phénomène de controlatéralité est moins présent ici que dans des stades du sommeil plus légers. Un dormeur en stade 3 a de la sorte une ouverture buccale augmentée (les lèvres peuvent être jointes) et ses muscles masséters et temporaux ne rempliraient plus avec autant d'efficacité leur travail de maintien. Cette constatation pourrait donc s'ajouter à celle effectuée par l'équipe canadienne [4, 22, 24, 25].

La sixième question concerne la symétrie des activités musculaires. Il semble également que les muscles masticateurs gauches, notamment les temporaux, soient plus actifs la nuit, et ce d'autant que le patient dort le corps et la tête tournés à droite, suivant ainsi la théorie de la controlatéralité musculaire. L'activité nocturne des muscles masticateurs serait-elle soumise à une règle de symétrie ? Il semble apparaître une légère hyperactivité des muscles masticateurs gauches, notamment des temporaux. Ceci s'explique si le patient dort le corps et la tête tournés à droite mais, d'une manière plus générale, on n'arrive pas à intégrer les données diurnes aux données nocturnes (côté masticatoire préférentiel). Il semblerait aussi que certaines corrélations communes avec les autres stades du sommeil soient moins nettes au stade du sommeil paradoxal. Pour chaque position, les écarts entre les muscles droits et gauches sont très faibles. D'autres corrélations sont totalement opposées, montrant que lors du sommeil paradoxal, les phénomènes paraissent plus chaotiques, peu conformes aux théories et à une certaine logique observable lors des autres stades du sommeil.

La septième question concerne les éventuelles corrélations entre muscles, occlusion et ATM. Pour cette étude, l'activité électromyographique des 4 muscles (temporaux droit et gauche et masséters droit et gauche), par position et par stade du sommeil, a été corrélée avec le score occlusal et l'ATM droits et gauches. Après avoir effectué le calcul des coefficients de corrélation, un rapport logique entre ces 3 types d'éléments a été recherché : dans les cas d'occlusion ou d'ATM peu physiologiques, l'activité musculaire serait anormalement élevée mais, phénomène troublant, les coefficients de corrélation se modifient aléatoirement, de sorte que si des résultats logiques peuvent être parfois observés, ils ne sont peut-être dus qu'au hasard. Par conséquent, sans toutefois pouvoir le confirmer par un test de significativité, les muscles, l'occlusion et l'ATM ne s'influenceraient pas durant le sommeil. Une ATM peu physiologique et une occlusion défectueuse n'entraîneraient donc pas forcément des manifestations musculaires exacerbées.

Quelques réflexions sur les limites de cette étude

Par rapport au faible nombre de travaux dans le domaine occlusion-ATM-sommeil, cette étude ouvre des perspectives. Au cours de l'expérimentation, nous avons néanmoins rencontré des obstacles de plus en plus nombreux, tout en estimant avoir surmonté au mieux ceux qui précédaient.

L'inconvénient majeur réside dans le faible échantillon. En effet, un effectif de 9 sujets ne permet pas d'établir des affirmations par des tests statistiques significatifs, malgré l'énorme quantité de données obtenues.

Nous avons dû nous contenter d'une seule nuit par sujet (il en faudrait 3 et rappeler chaque sujet 6 mois plus tard) ; une nuit, c'est insuffisant compte tenu du stress engendré par l'idée de dormir dans un service hospitalier.

Le protocole exigeait l'observation précise de la position des sujets. Or, la caméra était fixe dans un coin de la pièce et, malgré le zoom, le champ de vision restait étroit, d'autant que les sujets se cachaient quelquefois sous les draps, de sorte qu'il était parfois difficile d'imaginer une position ou de visualiser une déglutition. Il serait plus judicieux d'imaginer plusieurs caméras autour du patient, ou un système semi-circulaire grâce auquel la caméra suit les mouvements du corps pour ne manquer aucun phénomène nocturne. Le service hospitalier possède un détecteur de positions, mais ce dispositif n'est pas assez précis pour notre étude.

L'enregistrement des bruits n'a pas été à la hauteur de nos espérances. En effet, malgré la fixation d'un laryngophone et d'un microphone sur les joues, beaucoup trop d'interférences (froissement des draps, mouvement du corps…) ont empêché de discerner d'éventuels événements tels que bruxisme, grincements ou claquements dentaires.

L'aspect dentaire est, à notre surprise, tout aussi délicat : il n'existe tout simplement aucune méthodologie qui puisse permettre au chercheur de visualiser les mouvements des ATM ou les contacts dento-dentaires pendant la nuit. Nous sommes donc contraints d'utiliser les techniques classiques d'analyse en état de veille.

La vision des cassettes et surtout des activités des muscles masticatoires étudiés représente notre unique source de données nocturnes. Au départ, il était prévu de prendre en compte chaque type de contraction musculaire (tonique, phasique, mixte et myo-clonique). Le peu de rentabilité de tels résultats par rapport à l'activité du muscle dans sa globalité est rapidement devenu évident pour une telle étude : beaucoup d'informations à gérer sans avoir pour autant une significativité évidente.

Le choix d'une analyse bilatérale des muscles masticateurs serait satisfaisant, elle montre une activité dissymétrique des muscles observés, notion aussi et encore soumise à discussion.

Conclusion

Après avoir analysé les différentes publications qui portent presque exclusivement sur l'étude du bruxisme, se pose la question suivante : comment se comportent les relations muscles masticateurs-occlusion-ATM pendant le sommeil ?

L'absence de protocole déjà établi conduit à en élaborer un selon les idées de chacun et les possibilités mises à disposition [15, 16, 24]. De cette étude, il ressort quatre constatations.

La première réside dans le fait que la vision couramment admise de notre appareil manducateur pourrait être révisée. Les différents éléments qui le composent n'interagiraient pas nécessairement de manière circulaire, mais linéaire. En effet, on observe que le système nerveux agit sur les muscles. Ceux-ci sont liés anatomiquement aux ATM et conduisent à l'occlusion, qui est le dernier maillon de la chaîne, sur lequel on peut visualiser les conséquences - comme l'usure - du fonctionnement de l'appareil masticateur. De ce fait, les ATM et évidemment l'occlusion ne suivraient que le jeu musculaire.

La deuxième constatation concerne la position du dormeur : l'activité musculaire ne serait pas influencée par la position du corps. Lorsque la tête est tournée à droite ou à gauche, on remarque une augmentation de l'activité musculaire des temporaux controlatéraux. Lorsque la mandibule, par sa masse, s'abaisse d'un côté pendant le sommeil, ce sont les muscles situés controlatéralement qui amortiraient cette descente. L'interposition des mains n'agirait pas comme un élément stimulateur de l'étirement musculaire, comme cela aurait été admis auparavant, mais plutôt comme un facteur stabilisateur de la mandibule, facilitant l'action de maintien de celle-ci en position d'équilibre. L'interposition des mains agirait donc dans le même sens que l'action musculaire controlatérale.

La troisième constatation porte sur les groupes musculaires. Malgré leur grande importance lors de la mastication, les masséters sembleraient être particulièrement peu influencés par les positions du dormeur, corps, tête et main confondus. Cependant, bien qu'agissant ensemble, ils participeraient au jeu de l'activité controlatérale.

La quatrième constatation porte sur la mandibule. Elle subit, comme toute masse, l'effet de son poids. Les muscles, notamment les temporaux, essayeraient de la maintenir en position d'équilibre, proche de la position de repos. Cette manifestation s'estomperait dans le stade du sommeil lent profond, la cause étant la diminution du tonus musculaire, par ailleurs observable dans l'organisme entier. L'échantillon statistique était composé de 9 patients « sains ». Qu'en est-il des ATM arthrosiques ou ankylosées, ou du patient édenté partiellement ou totalement [15, 16, 24, 26] ?

Dans la pratique clinique quotidienne, l'étude de l'appareil manducateur au cours du sommeil laisserait penser que la plus grande part du sommeil se déroule, à l'exception de la déglutition, en inocclusion. Ceci permettrait donc, lors des anamnèses, de moins incriminer les phénomènes nocturnes et inviterait par conséquent à encore mieux analyser la fonction masticatoire diurne.

Source : cet article est tiré de la thèse des Dr Torabi-Teherani et Gabrièle intitulée : Muscles, ATM et sommeil. Étude polysomnographique et clinique (1999).

bibliographie

  • 1 Attanasio R. An overview of bruxism and its management. Dent Clin North Am 1991;41(2):229-241.
  • 2 Attanasio R. Nocturnal bruxism and its clinical management. Dent Clin North Am 1991;35:245-252.
  • 3 Boutros NN, Montgomery MT, Nishioka G, Hatch JP. The effects of severe bruxism on sleep architecture: a preliminary report. Clin Electroencephal 1993;24:2.
  • 4 Holmgreen K, Sheikholeslam A. Occlusal adjustement and myoelectric activity of the jaw elevator muscles in patients with nocturnal bruxism and craniomandibular disorders. Scand J Dent Res 1994;102:238-243.
  • 5 Hicks RA, Conti PA, Bragg HR. Increase in nocturnal bruxism among college students implicate stress. Med Hypothesis 1990;33:238-243.
  • 6 Lavigne GJ, Goulet JP, Morrison F, Montplaisir JY. Le bruxisme, un vieux problème vu sous une perspective nouvelle. Réalités Cliniques 1994;5(2):199-207.
  • 7 Rugh JD, Harlan J. Nocturnal bruxism and temporomandibular disorders. Adv Neurol Fac Dyskin 1988;49:322-341.
  • 8 Sjöholm TT, Polo OJ, Alihanka JM. Sleep movements in teethgrinders. J Craniomand Dis Fac Oral Pain 1992;6:184-191.
  • 9 Loomis AL, Harvey EN, Hobart GA. III cerebral states during sleep, as studied by human brain potentials. J Exper Psychol 1937;21:127-144.
  • 10 Jouvet M. Phylogeny of sleep stages. Acta Psychiatr Belg 1994;94(4-6):256-267.
  • 11 Rechtschaffen A, Kales A. A manual of standardized terminology, techniques and scoring system for sleep stages of human subjects. Los Angeles : brain information services/Brain research institute, 1968.
  • 12 Billiard M. Le sommeil normal et pathologique. Paris : Masson, 1994.
  • 13 Kryger MH, Roth T, Dement WC, Hartmann E. Principles and practice of sleep medicine: bruxism. Philadelphie : Saunders, 1994:598-601.
  • 14 Nowlin TP, Nowlin JH. Examination and occlusion analysis of the masticatory system. Dent Clin North Am 1995;43:269-275.
  • 15 Nowlin TP, Nowlin JH. Examination and occlusion analysis of the masticatory system. Dent Clin North Am 1995;39(2):379-401.
  • 16 Joerger R, Leize M. Imagerie des DTM et examen axiographique. Real Clin 1996;7(2):197-208.
  • 17 Lauret JF, Le Gall MG. The fonction of mastication : a key determinant of dental occlusion. Prac Periodont Aesth Dent ?;8(8):807-817.
  • 18 Lauret JF, Le Gall MG. Réalités de la mastication. Cah Prothese 1998;103:13-18.
  • 19 Lavigne GJ, Montplaisir JY. Orofacial pain and temporomandibular disorders : bruxism. NewYork : Fricton, James R, 1995.
  • 20 Lavigne GJ, Lobbezoo F, Montplaisir JY. The genesis of rythmic masticatory muscle activity and bruxism during sleep. in Moritomo T, Matsuya T, Takada K (eds). Brain and oral fonction. Amsterdam : Elsevier science, 1996.
  • 21 Lavigne GJ, Rompre PH, Montplaisir JY. Sleep bruxism : validity of clinical research, diagnostic criteria in a controlled polysomnophic study. J Dent Res 1996;75(1):546-552.
  • 22 Lobbezoo F, Lavigne GJ. Do bruxism and temporomandibular disorders have a cause-and-effect relationship ? J Orofacial Pain 1997;11:15-23.
  • 23 Solberg WK, Clark GT, Rugh JD. Nocturnal electromyographic evolution of bruxism patients undergoing short term splint therapy. J Oral Rehab 1975;2:215-223.
  • 24 Miyamoto K, Özbek MM, Lowe AA, Sjöholm TT, Love LL, Fleetham JA. Mandibular posture during sleep in healthy adults. Arch Oral biol 1998;43:269-275.
  • 25 Vilmann A, Moller E. A system of analysis of sleep and nocturnal activity in craniomandibular muscles. J Orofacial Pain 1994;8:266-277.
  • 26 OkesonJP, Philips BA, Berry DTR, Cook YR, Cabelka JF. Nocturnal bruxism events in subjects with sleep-disorders breathing and control subjects. J Craniomandib Dis Fac oral Pain 1991;5:258-264.
  • Slavicek R. Réflexions sur les soi-disant parafonctions. Rev Orthop dentofaciale 1996:30:75-88.
  • Velly Miguel AM, Montplaisir J, Rompre PH, Lund JP, Lavigne GJ. Bruxism and other orofacial movements during sleep. J Craniomandib Dis Fac oral Pain 1992;6:71-81.

Articles de la même rubrique d'un même numéro