Prothèse fixée
Olivier Blind * Bruno Tavernier **
*
Assistant hospitalo-universitaire
**
Maître de conférences
des universités - Praticien hospitalier temps plein
Faculté de chirurgie dentaire de Paris 7-Denis Diderot
Section prothèses
Assistance publique Hôpitaux de Paris
5, rue Garancière
75006 Paris
L'enregistrement des relations interarcades pour monter le moulage de travail en relation avec le moulage antagoniste est l'étape la plus importante pour obtenir une précision optimale de l'occlusion de la future prothèse. Dans le cas de restaurations prothétiques fixées complètes, l'enregistrement d'une relation intermaxillaire précise est souvent un acte délicat. Avec les techniques conventionnelles, un nombre minimal de piliers n'offre pas un support suffisant au matériau d'enregistrement. La technique qui est décrite fait appel à des transferts métalliques coulés comme base d'occlusion et à du composite photopolymérisable comme matériau d'enregistrement précis de la relation interocclusale.
The interocclusal record used to relate the mandibular to the maxillary cast is the most important maxillomandibular relationship record in determining occlusal accuracy. For patients who require complete fixed prosthodontic oral rehabilitation, recording and accurate centric relation is often a difficult procedure. A minimal number of abutments may not offer adequate support for the occlusal registration material. In this described technique, metal copings with light cure dental resin composite material is used to obtain an accurate interocclusal record.
La réalisation de prothèses fixées complètes constitue un acte particulièrement contraignant à réaliser. La pérennité de ce type de restaurations dépend en grande partie de la qualité de l'intégration occlusale de la prothèse et de son adéquation avec le fonctionnement de l'appareil manducateur. La précision des relations dentaires dépend principalement de la qualité de l'enregistrement des rapports maxillo-mandibulaires [1, 2].
Expérimentalement, des interférences supérieures à 250 μm peuvent provoquer différentes pathologies neuro-musculo-articulaires [3-6]. Pröschel et al. soulignent cependant que les effets de ces interférences peuvent disparaître compte tenu des phénomènes d'adaptation. Ils précisent qu'un grand nombre de praticiens s'appuyant sur leur expérience clinique considèrent une erreur de 200 à 300 μm comme acceptable. Dans cette limite, toute modification apportée aposteriori aux constructions prothétiques peut être effectuée sans porter préjudice à leur qualité finale [7]. En revanche, au-delà de cette limite, on peut considérer que des retouches peuvent s'avérer néfastes à la qualité des restaurations. En effet, les matériaux d'élaboration prothétique comme les alliages métalliques et la céramique imposent leurs propres exigences face aux impératifs esthétiques, fonctionnels et mécaniques.
Notons toutefois que le clinicien ne peut jamais apprécier, a priori, le potentiel d'adaptation du patient. En dépit de la controverse qui existe depuis plusieurs années sur l'utilité de la programmation des articulateurs et de l'utilisation de l'arc facial de transfert [8-10], la précision de l'enregistrement des rapports maxillo-mandibulaires constitue une étape primordiale dans la réalisation des prothèses fixées complètes.
Le choix de la position de référence ne fait aucun doute. La relation centrée dans sa définition actuelle, reproductible et physiologiquement acceptable, est le référentiel le plus justifié [11]. Pour exploiter cette situation sur l'articulateur, l'arc facial permet de situer les moulages par rapport à un plan de référence passant par l'axe charnière. L'utilisation de l'articulateur permet alors de construire la prothèse dans une situation proche de la réalité clinique [12], la position de référence choisie et l'ensemble des déterminants de l'occlusion étant testés préalablement à l'aide des restaurations transitoires [13].
Le transfert de la position du moulage de travail doit s'effectuer par rapport aux 3 plans de l'espace : vertical, horizontal et sagittal. Il doit également permettre la stabilité du moulage pour le transfert sur articulateur [14]. Dans le plan vertical, il s'agit d'enregistrer la dimension verticale d'occlusion qui détermine la butée de la rotation mandibulaire. Elle doit être mesurée précisément en prenant des références dentaires. Toute modification de cette dimension verticale sur l'articulateur au-delà d'une certaine limite pourrait être préjudiciable à la précision des contacts dentaires [15]. Dans les plans horizontal et sagittal, il s'agit de positionner le moulage de travail par rapport à son antagoniste dans la position de référence choisie dans des conditions de stabilité optimale lors du transfert sur l'articulateur, ce qui nécessite au minimum 3 zones d'enregistrement judicieusement réparties : 2 zones postérieures et 1 zone antérieure [16].
Classiquement, cet enregistrement nécessite l'utilisation conjointe d'une base d'enregistrement qui sert de support à un matériau d'enregistrement. Cette base doit être indéformable et se positionner de façon précise et stable tant sur le moulage que sur l'arcade préparée [17]. La précision de son adaptation doit pouvoir être vérifiée. Le matériau d'enregistrement doit être fluide pour éviter tout risque de déviation de la mandibule. Sa prise doit être rapide et lui conférer un état rigide et stable dans l'espace et le temps pour permettre un repositionnement facile et précis [2].
Un très grand nombre de techniques pratiquées et décrites depuis des décennies par des cliniciens de renom (Wirth, Lauritzen, P. K. Thomas…) mettent en œuvre de multiples matériaux comme les cires, les résines acryliques, les pâtes Zoe, les élastomères siliconés… Pour Müller et al. [18, 19], aucune ne paraît, à ce jour, en mesure de répondre simultanément et de manière satisfaisante aux multiples exigences de précision et de manipulation. En vue d'apporter une nouvelle approche de cet acte clinique essentiel, une technique originale d'enregistrement est proposée.
À partir d'un cas clinique nécessitant la réalisation d'un bridge complet maxillaire, cette technique est décrite temps par temps. Elle consiste à enregistrer la relation centrée en utilisant des transferts métalliques qui supporte du composite photopolymérisable.
Trois chapes de transferts métalliques sont réalisées sur le moulage de travail (fig. 1). Elles doivent être à distance des limites cervicales pour préserver celles-ci et comporter des moyens de rétention pour le matériau d'enregistrement ; ces derniers sont obtenus par l'apport de billes calcinables sur les maquettes de fonderie. Une fenêtre occlusale permet le contrôle de leur adaptation sur les préparations (fig. 2).
Avant de déposer la restauration transitoire réglée sans interférences entre occlusion de relation centrée et occlusion d'intercuspidie maximale (OIM), la mesure de la dimension verticale d'occlusion est effectuée au niveau de la partie la plus déclive du collet anatomique de deux dents antérieures antagonistes à l'aide d'un compas à pointes sèches (fig. 3).
La chape de transfert réalisée au niveau antérieur et sur laquelle on a préalablement photopolymérisé du composite est mise en place sur les préparations. Le composite est progressivement corrigé par meulage jusqu'à ce que l'on retrouve la mesure effectuée à l'aide du compas. À ce stade, l'enregistrement constitue une butée (assimilable à un « jig ») qui fixe la dimension verticale d'occlusion et favorisera la recherche et la reproductibilité de la relation centrée (fig. 4).
La dimension verticale étant déterminée, les deux autres transferts sont mis en place sur les préparations postérieures. Du composite est alors placé sur les chapes et la mandibule est amenée en relation centrée à la dimension verticale d'occlusion enregistrée. Ici, seul l'impact des cuspides antagonistes est recherché. Le matériau est alors photopolymérisé (fig. 5). La présence de la butée antérieure prévient le risque de modification de la position de la mandibule par l'introduction, en bouche, de l'embout de la lampe à polymériser.
Pour terminer, du composite est ajouté et polymérisé au niveau du secteur antérieur pour améliorer la précision de l'enregistrement de l'impact des dents antagonistes et obtenir la stabilisation complète des moulages en vue du transfert sur articulateur du moulage mandibulaire (fig. 6).
Cette technique fait classiquement appel à l'utilisation d'un support et d'un matériau d'enregistrement. Son originalité consiste à optimiser la précision de l'enregistrement de la relation maxillo-mandibulaire en vue de la réalisation d'une prothèse fixée complète.
Concernant le support d'enregistrement, l'utilisation de chapes de transfert métalliques permet de s'approcher au plus près des critères requis : rigidité, stabilité et précision du repositionnement.
Concernant le matériau d'enregistrement, le recours au composite photopolymérisable plutôt qu'aux matériaux habituellement employés offre de nombreux avantages :
- possibilité du choix d'une viscosité adaptée ;
- temps de manipulation indépendant du temps de prise ;
- temps de prise instantané, à la demande ;
- rigidité très supérieure à celle des autres matériaux et stabilité dimensionnelle dans l'espace et le temps conforme aux exigences de précision et de reproductibilité ;
- possibilité de corriger l'enregistrement par soustraction ou ajout de matériau.
En revanche, cette technique impose une étape de laboratoire supplémentaire et ne dispense pas de procéder à un remontage de la construction prothétique au stade de la céramique non glacée, par exemple. En effet, ni l'empreinte, ni les impacts occlusaux sur le matériau composite n'ont pris en compte la visco-élasticité du desmodonte, aboutissant de ce fait à un travail de laboratoire dans des conditions d'OIM passive. Ce n'est que lors de la mise en place, en occlusion, de l'ensemble de la construction que les rapports antagonistes correspondent à l'OIM active [20].
Cette recherche de précision a pour but de limiter les corrections à apporter aux restaurations prothétiques d'usage. En effet, toute retouche excessive peut s'avérer préjudiciable à la résistance mécanique de la prothèse au détriment de sa pérennité [21]. Lindquist et Karlsson soulignent en particulier que les causes d'échecs précoces en prothèse fixée peuvent être attribuées à une mauvaise évaluation de l'espace prothétique [22].
À ce titre, les matériaux d'élaboration prothétique doivent être mis en forme dans le respect de leur propriétés physiques, notamment en termes d'épaisseur au niveau des armatures métalliques pour obtenir la rigidité nécessaire. Toute modification ultérieure peut, d'une part, perturber l'équilibre des masses de céramique et, d'autre part, générer un facteur de fragilisation par initiation de fissures. Celles-ci peuvent entraîner des ruptures catastrophiques compte tenu des propriétés de ce matériau [23].
Réaliser une restauration prothétique fixée complète d'usage représente un investissement important à la fois pour le patient, le praticien et le prothésiste. Le temps passé, les coûts financiers et la responsabilité engagée par le praticien justifient pleinement que l'on attache une attention toute particulière à toutes les étapes du traitement. La technique d'enregistrement du rapport maxillo-mandibulaire proposée devrait permettre de répondre à l'une de ces exigences. En retour, la pérennité que l'on est en droit d'attendre pour ce type de restaurations constituera un facteur de satisfaction collectif.