Point à date sur le disilicate de lithium et la zircone Une revue narrative de la littérature - Clinic n° 06 du 01/06/2023
 

Clinic n° 06 du 01/06/2023

 

Revue de presse

Internationale

Élisa CAUSSIN  

L’arrivée sur le marché ces dix dernières années des nouvelles générations de céramique à haute résistance, des composites hybrides ou encore des techno-polymères a considérablement diversifié la palette de biomatériaux mise à la disposition du chirurgien-dentiste pour répondre à des situations cliniques de plus en plus poussées, notamment en prothèse fixée dans le cadre de la dentisterie minimalement invasive. De plus, les patients sont de plus en plus demandeurs de...


L’arrivée sur le marché ces dix dernières années des nouvelles générations de céramique à haute résistance, des composites hybrides ou encore des techno-polymères a considérablement diversifié la palette de biomatériaux mise à la disposition du chirurgien-dentiste pour répondre à des situations cliniques de plus en plus poussées, notamment en prothèse fixée dans le cadre de la dentisterie minimalement invasive. De plus, les patients sont de plus en plus demandeurs de matériaux non métalliques. C’est dans ce contexte que les recherches se sont progressivement centrées sur ces dits matériaux pour mettre en lumière leurs propriétés, indications et limites. La présente revue narrative se propose de rassembler toutes ces caractéristiques pour deux de ces matériaux, les plus populaires : le disilicate de lithium et la zircone (un article sur le disilicate de lithium a été analysé dans la revue de presse de CLINIC 2022;43(418):768).

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Une recherche approfondie de la littérature disponible sur le sujet a été menée, dans le monde entier, en se limitant exclusivement à des articles en anglais, disponibles sur les principaux moteurs de recherche (Pubmed, Embase, Scopus) et publiés dans les revues fiables, avec et sans facteur d’impact. Les résultats mis en évidence dans cette revue narrative ont été extrapolés à partir de cette recherche documentaire, en s’appuyant sur l’expérience clinique des auteurs.

RÉSULTATS

Propriétés physico-chimiques, optiques et mécaniques

Dans la classification des céramiques, la zircone (ZrO2) apparaît comme une céramique polycristalline résistante, caractérisée par des propriétés mécaniques intéressantes (résistance à la flexion de 500-1 200 MPa, module de Young de 210 GPa) et de bonnes propriétés optiques. Contrairement aux céramique vitreuses, la zircone n’est pas sensible aux techniques de mordançage classiques et se doit d’avoir un protocole de collage adapté.

À la fois in vitro et in vivo, cette céramique montre une excellente biocompatibilité, une rétention de plaque inférieure à celle du titane, une insolubilité dans l’eau et une susceptibilité à la corrosion négligeable dans l’environnement buccal. La zircone monolithique présente le plus faible comportement abrasif sur les dents antagonistes parmi les matériaux céramiques.

Des études en laboratoire ont montré que les restaurations en zircone monolithique montraient une plus grande résistance à la fracture que celles en zircone stratifiée. Les traitements de surfaces ainsi que la technique d’assemblage n’influençaient pas les performances mécaniques, en particulier sur les implants, mais le design et la géométrie de la préparation et donc de la prothèse semblaient déterminants pour optimiser la longévité.

Les récentes études in vitro ont démontré qu’une épaisseur occlusale de 0,5 mm de zircone monolithique était suffisante pour supporter les forces masticatoires en secteur postérieur.

La zircone traditionnelle a longtemps été considérée comme un matériau de restauration opaque, ayant la capacité de masquer les substrats colorés (inlay-core, moignon dischromié…). Plus récemment, les nouvelles générations dites « translucides » présentent des caractéristiques optiques améliorées, avec néanmoins une résistance plus faible allant de 500 à 900 Mpa (contre 1 200 Mpa pour les premières générations). Ainsi, ces nouvelles générations de zircone devraient être limitées au secteur antérieur jusqu’à la première prémolaire dans leur configuration monolithique.

Fabrication

Bien que de nouvelles technologies additives émergent de la recherche sur les matériaux dentaires, la zircone est encore à ce jour fabriquée par fraisage CFAO, selon deux techniques de production différentes : usinage doux d’ébauches pré-frittées ou usinage dur du matériau entièrement fritté.

Adaptation marginale et interne

La précision des prothèses en zircone peut être influencée par plusieurs facteurs tels que la fabrication, la complexité de la géométrie de l’armature et le vieillissement. La comparaison des données concernant la précision interne et l’adaptation marginale de la zircone est complexe car les données de la littérature sont hétérogènes et les méthodes sont différents selon les études purement cliniques ou in vitro. Dans tous les cas, les valeurs de précision se situent largement dans la plage de l’acceptabilité clinique rapportée dans les recommandations de l’American Dental Association (ADA).

Traitement de surface et assemblage

De par l’absence de matrice vitreuse, la zircone ne contient pas de silice et n’est donc pas sensible aux techniques de mordançage traditionnelles. Les traitements de surface recommandés pour cette céramique restent toujours controversés.

L’association de traitements chimiques et mécaniques de la surface de la zircone a montré les meilleurs résultats, en particulier l’utilisation de primers contenant des monomères acides (10-MDP) ayant des effets synergiques avec le silane.

Le sablage agressif (particules d’alumine de 250 nm à 0,4 MPa) pourrait causer un vieillissement prématuré du matériau. Il est donc conseillé d’utiliser des particules de 110 nm sous une pression de 0,2 MPa.

En présence de préparations rétentives pour des restaurations périphériques, les ciments type verre-ionomères, verre-ionomères modifiés par adjonction de résine ou phosphate de zinc peuvent être considérés comme un bon choix. Par contre, en présence de restaurations partielles, aux géométries peu rétentives, ou face à des forces masticatoires très élevées, il est conseillé d’utiliser des colles traditionnelles (auto-adhésives ou sans potentiel adhésif) pour favoriser une meilleure distribution des contraintes et éviter de possibles micro-fêlures dans l’intrados des restaurations.

Indications cliniques et performances

D’un point de vue clinique, la zircone a gagné de plus en plus de terrain ces dernières années sur la restauration des dents naturelles ou sur les cas implantaires, permettant de réaliser des bridges implanto-portées jusqu’à 5 éléments. Concernant ces bridges, au-delà des propriétés mécaniques du matériau, la résistance à la fracture et les performances cliniques sont fortement liées à une architecture et à un design adaptés. Notamment sur les bridges stratifiés, un design « anatomique » est indispensable pour supporter la céramique de maquillage et lui garantir une épaisseur suffisante ; de même, les connecteurs doivent être dimensionnés de manière adéquate et les embrasures arrondies pour limiter la concentration des contraintes.

Récemment, des études cliniques concernant les restaurations en arcade complète dento ou implanto-portées ont été publiées. Les résultats - bien que de court et moyen termes - étaient plus qu’encourageants avec un taux de succès de 94,8 % après 3 ans sur des bridges monolithiques arcade complète. Il est tout de même intéressant de relever qu’une revue systématique de la littérature a rapporté un taux de complications à 5 ans de 27,6 et 30,5 % pour les restaurations en arcade complète dento et implanto-portées respectivement.

En ce qui concerne les implants en zircone, la littérature reste très hétérogène, de court terme, et les données sont presque anecdotiques. Une récente revue systématique avec méta-analyse a montré des capacités d’intégration similaires (tissus mous et durs) entre les implants en zircone et en titane, avec néanmoins un temps initial d’ostéo-intégration plus long pour les implants zircone. L’utilisation de cette céramique dans cette indication devrait être très précautionneusement évaluée en attendant des études de plus long terme, notamment sur les complications mécaniques.

Les piliers implantaires en zircone sont en revanche actuellement assez largement utilisés sur les sites esthétiques, pour créer un aspect visuel naturel au niveau des tissus mous lorsqu’ils sont particulièrement fins. Une étude rétrospective sur un nombre significatif de piliers en céramique rapportait que les connections internes en zircone étaient beaucoup plus susceptibles de provoquer des complications mécaniques (dévissage, fractures…) que les connections hybrides avec des piliers zircones collés sur ti-base.

CONCLUSION

À l’heure actuelle, on peut affirmer que les céramiques à base de silicate et de zircone font partie des matériaux les plus polyvalents disponibles dans l’arsenal du dentiste pour la restauration. Au cours des dernières années, un nombre croissant de données in vitro et in vivo ont apporté des lignes directrices pour une utilisation rationnelle de ces matériaux, axées sur les avantages et les limites spécifiques de chacun, en tenant compte des propriétés mécaniques, optiques et biologiques. Dans cette lignée, l’industrie travaille intensivement sur de nouvelles stratégies, visant à améliorer davantage les caractéristiques microstructurales de ces matériaux, ainsi que sur l’introduction de nouvelles technologies de production, principalement fondées sur les procédés additifs.

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