Première partie : les phases chirurgicales - Implant n° 1 du 01/02/1998
 

Implant n° 1 du 01/02/1998

 

Cas de résorption mandibulaire extrême

Chirurgie

Gilles Montalbot *   Jean-François Tulasne **   Pascale Chavassieux ***  


*Chirurgien-dentiste
Attaché des hôpitaux de Lyon
66, Grande-rue, 01290 Pont-de-Veyle
**Ancien interne des hôpitaux de Nantes
Ancien chef de clinique-assistant
Chirurgie plastique et esthétique
Chirurgie maxillo-faciale
26, avenue Kleber, 75116 Paris
***Chargée de recherche Inserm Lyon
Laboratoire d'histodynamique osseuse
Domaine Alexis-Carrel
Rue Guillaume-Paradin, 69372 Lyon Cedex 08

Un cas terminal a été traité à l'aide de greffons cortico-spongieux pariétaux apposés de part et d'autre de la basale mandibulaire par voie transcutanée sous-mentale. Six implants vissés (IMZ Twin Plus) ont été placés dans le site greffé. Ces implants supportent un bridge à deux étages télescopiques démontables verrouillés par des clavettes. L'utilisation exclusive du titane répond à la logique d'un seul métal présent dans la cavité buccale. Une étude...


Un cas terminal a été traité à l'aide de greffons cortico-spongieux pariétaux apposés de part et d'autre de la basale mandibulaire par voie transcutanée sous-mentale. Six implants vissés (IMZ Twin Plus) ont été placés dans le site greffé. Ces implants supportent un bridge à deux étages télescopiques démontables verrouillés par des clavettes. L'utilisation exclusive du titane répond à la logique d'un seul métal présent dans la cavité buccale. Une étude histologique des greffons au prélèvement et après douze mois atteste de la vitalité du tissu osseux ainsi que de son excellente organisation structurale.

Le cas clinique

La patiente âgée de 68 ans est édentée depuis plus de quarante ans et porte des prothèses totales particulièrement instables rendant l'alimentation et la vie sociale difficiles.

• Les examens cliniques et biologiques n'ont pas décelé de pathologies générales [1].

Aucun traitement hormonal de substitution n'a été suivi à la ménopause. Aucun signe clinique n'évoque un processus ostéoporotique [2].

• L'examen facial montre un profil concave avec perte de la dimension verticale et fausse prognathie accentuant une progénie naturelle [3].

• Les examens radiographiques [4] (face, profil, scanner) (fig. 1 et 2) objectivent la résorption extrême des structures osseuses.

Motifs du choix thérapeutique

L'épaisseur de la basale maxillaire n'excède pas 1,5 mm, la mandibule réduite à une baguette costiforme de 6 mm rend impossible ou très aléatoire la pose d'implants selon la technique classique [5] :

- le devenir des implants de petite dimension étant incertain [6] ;

- le risque de fracture osseuse n'étant pas négligeable [1] ;

- le port d'une prothèse adjointe d'attente aggravant la cratérisation osseuse péri-implantaire physiologique [7] compromettant la survie d'implants déjà trop courts.

Il est proposé à la patiente de réaliser des greffes osseuses [8-13] pour suppléer la résorption mandibulaire et faciliter la pose d'implants.

Première phase chirurgicale

Greffe osseuse

Dans ce cas, des greffons crâniens pariétaux [14-21] sont préférés à tout autre site de prélèvement pour les raisons suivantes :

- cicatrice dissimulée dans le cuir chevelu ;

- prélèvement indolore ;

- suites opératoires simples et reprise rapide de l'activité ;

- les greffons cortico-spongieux d'os de membrane (pariétal, mentonnier) se résorbent beaucoup moins que les greffons spongieux prélevés sur l'aile iliaque [19].

Leur architecture microscopique et macroscopique est beaucoup plus dense (corticale, compacte et spongieuse à trabéculation épaisse à lamelles jointives) [22-27].

Chez ce sujet, la voûte crânienne est épaisse (appréciée par une téléradiographie de face), ce qui facilite le prélèvement.

Préparation du site buccal

La voie d'accès transcutanée sous-mentale est préférée à l'accès endobuccal parce que l'épaisseur même des doubles greffons rendrait difficile la réalisation d'une suture étanche et sans tension compte tenu du manque évident de tissu crestal [15].

Un lâchage de suture et l'exposition des greffons au milieu buccal compromettent la prise des greffons.

Après incision des tissus cutanés, la mandibule résiduelle est disséquée et dépouillée de son périoste (fig. 3). Les nerfs dentaires sont exposés à leur émergence au sommet de la crête (fig. 4). Les corticales supérieures et inférieures sont cruentées à la fraise à os (fig. 5).

Des patrons découpés sur les crêtes résiduelles préfigurent la taille et la forme des greffons à apposer (fig. 6).

Prélèvement crânien pariétal [15, 20]

- Incision paramédiane du cuir chevelu après rasage a minima ;

- dégagement des différents plans cutanés et du périoste ;

- le prélèvement se fait en arrière de la suture coronale et en dehors de la sagittale ;

- report des patrons sur le squelette et marquage à l'encre dermographique (fig. 7) ;

- traçage et amorce des prélèvements à la scie oscillante (fig. 8) ;

- fraisage de la corticale jusqu'au diploë et prélèvement des greffons cortico-spongieux à l'aide d'ostéotomes (fig. 9 et 10) ;

- hémostase à la cire de Horsley ;

- fermeture en deux plans et pose d'un drain de Redon.

Mise en place de greffons sur la mandibule

Quatre greffons de forme triangulaire sont ajustés avec précision au-dessus et en dessous de la mandibule. Le contact intime est assuré par de fins co-peaux osseux ; deux vis d'ostéosynthèse crestales stabilisent solidement l'ensemble (fig. 11). Les différents plans cutanés sont suturés.

Les suites sont simples. La patiente rejoint son domicile deux jours plus tard. Une téléradiographie de profil montre le gain osseux (fig. 13). Le schéma résume les étapes de l'intervention (fig. 12). A dix jours, la cicatrice se confond déjà avec les plis cutanés (fig. 14).

Une étude histologique est réalisée sur un greffon au jour même de l'intervention pour comparaison ultérieure [28-31]. La zone corticale se différencie nettement de la spongieuse. L'ensemble du greffon est dense avec des trabéculations serrées, laissant peu de place aux espaces médullaires (fig. 15).

Cet os lamellaire semble peu actif avec peu de zones de remaniement (os membranaire sans attache ligamentaire, donc peu sollicité). Cependant, les ostéocytes sont nombreux, les cavités endostées bordées d'ostéoblastes et de liserés ostéoïdes (fig. 16).

Deuxième phase chirurgicale

Pose des implants (IMZ Twin Plus)

Un délai de six mois nous semble nécessaire avant de poser des implants dans un site greffé (temps nécessaire à la réorganisation du greffon : vascularisation - migration des cellules compétentes, remaniement des tissus calcifiés) [23, 26, 27].

Un montage esthétique préfigurant les prothèses définitives permet de réaliser un duplicata en résine transparente (fig. 17) qui servira de guide chirurgical pour placer les implants dans l'espace prothétique.

Le volume osseux est suffisant pour mettre en place six implants de 4 mm de diamètre et de 13 mm de hauteur (fig. 18). Les greffons sont fortement solidarisés à la basale mandibulaire et semblent se fondre avec elle, les reliefs sont atténués et arrondis. Le forage est difficile (os de type D 1 que l'on rencontre au niveau de la symphyse mandibulaire) [1]. Les sites de forage saignent, ce qui prouve la vitalité des greffons et leur forte vascularisation (élément nécessaire au processus d'ostéointégration) [6]. Un contrôle radiographique permet de vérifier le positionnement des implants (fig. 19).

Mise en fonction des implants (à six mois)

L'incision est crestale, un lambeau de pleine épaisseur permet de dégager des implants. Des vis de cicatrisation de 6 mm de hauteur sont mises en place et la fibromuqueuse est suturée. Malgré le port de la prothèse d'attente, les greffons ne se sont que très peu résorbés.

Étude histologique du greffon

Un prélèvement est effectué au trépan dans le greffon en vestibulaire de l'implant 31 (fig. 20).

A 12 mois, la structure osseuse est toujours aussi dense (fig. 21) [28] avec des travées anastomosées épaisses. L'activité ostéogénique est intense avec de nombreux sites de remaniement (fig. 22). Des ostéoblastes volumineux induisent des liserés ostéoïdes d'épaisseur normale en voie de calcification. La structure est lamellaire (confirmée par l'observation en lumière polarisée) et caractéristique de l'organisation en unités osseuses (ostéones) avec les lamelles concentriques situées autour d'un axe vasculaire et des ostéocytes alignés le long de ces structures [30, 31].

Globalement, il s'agit d'un os lamellaire dense parfaitement apte à recevoir des implants et à résister aux fortes sollicitations dues aux forces occlusales.

Discussion

La réalisation de ces traitements lourds est bien sûr l'aboutissement d'une réflexion qui conduit à certains choix thérapeutiques dont il convient de développer certains points.

Le choix du matériau de greffe

La littérature est riche en propositions diverses : hydroxyapatites, os humain déminéralisé, os humain lyophylisé, xénogreffes d'os bovin déspécifiés, etc. Une étude histologique personnelle [28] portant sur différents matériaux greffés montre à 6 et 12 mois des résultats peu convaincants avec, au mieux, dans le cas d'association DFDB et carbonate de calcium, une ostéogenèse incomplète avec persistance d'une grande quantité de biomatériaux non transformés.

De plus, ces résultats ont été obtenus dans des cavités osseuses à plusieurs murs, donc potentiellement ostéogéniques, mais en aucun cas lors d'apposition sur des crêtes osseuses.

Seuls les greffons d'os autogènes montrent une structure osseuse dense et organisée qui nous semble apte à induire et maintenir une ostéointégration de qualité.

Actuellement, le seul matériau qui soit sans danger et qui donne des résultats sûrs à long terme en chirurgie osseuse reconstructrice est l'os autogène.

Considérant qu'un renforcement de la symphyse pour y poser des implants est une construction osseuse, nous avons choisi le matériau qui, jusqu'à preuve du contraire, permet d'espérer les meilleurs résultats à long terme. Pourquoi ajouter aux risques (même minimes) d'une greffe les incertitudes provenant de matériaux qui restent pour la plupart des corps étrangers dans l'organisme ?

De plus, il ne faut pas perdre de vue que nous devons raisonner en implantologistes et que cette construction doit permettre l'ostéointégration. Or, celle-ci se définit comme un contact direct entre implants et tissu vivant.

L'ostéointégration, pour être durable, doit se faire sur une surface la plus importante possible de l'implant. Pour cela, il est souhaitable de chercher à implanter dans des os à trabéculation la plus dense possible. Les coupes histologiques de greffons cortico-spongieux répondent à cette attente [22-28] (fig. 15 et 22).

Tous ces arguments militent en faveur des greffes osseuses pariétales.

Le choix de l'abord cutané

Même si elle est inhabituelle, cette voie d'accès présente plusieurs avantages, car elle permet :

- une parfaite exposition de la symphyse mandibulaire ;

- une désinsertion facile des muscles mentonniers et sus-hyoïdiens qui sont très adhérents à la face inférieure de la symphyse ;

- un contrôle direct de la position des fragments sans tension sur les nerfs mentonniers.

La rançon cicatricielle est négligeable chez le sujet âgé.

Pourquoi différer greffes osseuses et pose d'implants de six mois ?

Il nous a toujours semblé surprenant de poser des implants en même temps que les greffons, car il est établi que les cellules osseuses ne survivent que sur une très faible épaisseur jouxtant les zones au contact des éléments vasculaires des sites greffés. Le greffon se comporte en élément ostéoinducteur qui se régénère en quelques mois en os vivant et organisé. Est-il logique de placer des implants dans un os dont la vascularisation est interrompue pour un temps et dont la plupart des éléments cellulaires vont mourir ?

Quoi qu'il en soit, plusieurs publications ont démontré que l'ostéointégration était possible en associant dans le même temps opératoire la construction par greffes osseuses et la mise en place des implants.

Une complication étant toujours possible en reconstruction osseuse, nous estimons plus prudent de différer la mise en place des implants et de nous en tenir au principe « d'abord construire, puis poser les implants ». Cette tactique en deux temps impose au patient un délai supplémentaire de six mois avant la réalisation de la prothèse. Cette contrainte nous paraît dérisoire face à la nécessité de s'assurer d'une construction osseuse parfaite avant de mettre en œuvre le traitement implantaire. Elle permet, en outre, le positionnement idéal des implants.

Conclusion

A ce stade de la réhabilitation d'un cas de résorption terminale de la mandibule, il est possible de constater :

- que l'apport osseux de greffes pariétales a permis de porter de 6 à 16 mm la hauteur osseuse ;

- que les greffons à 12 mois sont organisés en os lamellaire dense, avec une architecture normale et une ostéogenèse active ;

- que les six implants posés sont ostéointégrés et parfaitement aptes à supporter une prothèse fixe.

La conception prothétique, le choix des matériaux, les étapes cliniques, la réalisation au laboratoire, l'intégration esthétique et fonctionnelle de la prothèse seront développés dans une deuxième partie à paraître dans le prochain numéro de Implant.

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