Augmentation verticale d'une crête osseuse mandibulaire - Implant n° 3 du 01/08/1999
 

Implant n° 3 du 01/08/1999

 

Chirurgie

Paul Mattout*   Catherine Mattout**  


*Chirurgien-dentiste
Docteur ès sciences odontologiques
**Chirurgien-dentiste
Docteur ès sciences odontologiques
Groupe d'études en parodontologie et implantologie (GEPI) 224, avenue du Prado 13008 Marseille

Bien que la technique de régénération osseuse guidée (ROG) fasse ses preuves, l'augmentation verticale d'une crête osseuse reste problématique, car limitée. Dans le cas clinique présenté, une augmentation importante de volume est rapportée. En effet, un patient présentait une crête osseuse mandibulaire très mince, en « lame de couteau ». Une technique de ROG avec pose de deux membranes successives, chacune restée enfouie pendant 12 à 15 mois a permis une reconstruction de volume avec un gain de 5 mm aussi bien dans le sens vertical que dans le sens horizontal. Divers paramètres intervenant dans le succès de la technique de ROG seront évoqués.

Au cours des dernières années, l'ostéointégration a permis d'augmenter considérablement le nombre d'implantations chez des patients édentés. Cependant, dans de nombreux cas où le volume osseux était insuffisant, les implants étaient contre-indiqués [1]. Au début des années 1990, les auteurs utilisèrent le principe de régénération osseuse guidée (ROG) pour corriger la morphologie osseuse ou augmenter un volume osseux insuffisant [2-6]. Grâce à une membrane non résorbable Gore Tex , un espace pouvait être ménagé pour protéger le caillot sanguin et permettre aux cellules issues de l'os environnant d'envahir cet espace et d'organiser une néoformation osseuse. Il semble que le succès de cette néoformation osseuse dépende de plusieurs paramètres tels que :

- le volume de régénération souhaité : si ce volume est important, il engendrera des difficultés techniques liées aux risques d'affaissement de la membrane ;

- la réelle possibilité qu'auront les cellules osseuses de peupler l'espace ménagé par la membrane sans être inhibées par d'autres types cellulaires, en particulier les cellules issues du tissu conjonctif muqueux ;

- le temps d'enfouissement de la membrane sans aucune exposition : un enfouissement de 8 à 12 mois est nécessaire ;

- la densité du tissu néoformé : il existe une relation significative entre le temps d'enfouissement de la membrane et la densité du tissu néoformé [7] ;

- le type de défaut osseux : les auteurs s'accordent à dire que l'augmentation verticale d'une crête osseuse est difficile [8] ou même quelquefois impossible à obtenir. Les études sur l'augmentation verticale de crête sont peu nombreuses. Jovanovic et al. [9] obtiennent chez le chien une augmentation verticale de crête après utilisation d'une membrane Gore Tex renforcée de titane. Simion et al. [10] montrent que le gain osseux vertical chez l'homme peut atteindre 3 à 4 mm. Ces auteurs observent histologiquement qu'il y a ostéointégration des implants dans le tissu osseux néoformé. Récemment, Tinti [8] rapporte des observations sur six membranes Gore Tex, renforcées de titane. Dans cette dernière étude, une seule membrane a été prématurément exposée. Les cinq autres membranes ont été déposées après 12 mois d'enfouissement. Tinti obtient une augmentation verticale moyenne de 4,95 mm, donc supérieure à celle obtenue par Simion et al. [10].

Le but de ce travail est de rapporter le cas clinique d'une importante augmentation de crête verticale et horizontale obtenue avec difficulté après utilisation successive de deux membranes Gore Tex.

Cas clinique

Monsieur M. R., âgé de 52 ans, a consulté pour restaurer une édentation mandibulaire latérale gauche intéressant les sites prémolaires et molaires. Le patient a toujours refusé psychologiquement une prothèse amovible et a consulté différents praticiens dans le but d'une implantation. L'examen clinique montre une crête très mince (fig. 1 et 2). Après discussion avec le patient, il lui est proposé de tenter une augmentation de volume de sa crête osseuse qui permettrait une implantation ultérieure. Le patient est informé des différentes étapes thérapeutiques prévues et de leur durée. Le plan de traitement suivant lui est exposé :

- technique d'augmentation de crête avec pose d'une membrane en téflon ;

- en cas de succès de cette première phase : pose d'implants environ une année après la pose de membrane ;

- après une période d'enfouissement des implants de plusieurs mois (six mois ou plus), deuxième phase chirurgicale implantaire avec pose de piliers de cicatrisation ;

- reconstruction prothétique environ un à deux mois après cette dernière phase.

La durée du traitement serait donc environ de deux années.

Les étapes thérapeutiques

Augmentation de crête avec pose d'une membrane

Après une incision réalisée sur la crête et deux incisions verticales de décharge, un lambeau vestibulaire et lingual muco-périosté est recliné, mettant à nu une crête osseuse très mince (fig. 3) ne permettant pas d'implantation immédiate.

Pour éviter l'affaissement de la membrane, il est décidé d'utiliser des vis « en piquets de tente ». Trois vis Memfix sont alors insérées et orientées de manière à maintenir la membrane aussi bien dans le sens vertical que dans le sens horizontal (fig. 4 et 5). La longueur de la partie de vis restée non enfouie permettra d'évaluer ultérieurement le gain tissulaire. La partie non enfouie de vis mesure 5 mm aussi bien sur la vis verticale que sur la vis horizontale.

L'os de la crête est débarrassé de tout le tissu fibreux adhérent et préparé par de nombreuses petites perforations à la fraise-boule sous irrigation de sérum physiologique. Les perforations provoquent un saignement et un caillot sanguin occupera ainsi l'espace ménagé entre la membrane et l'os. Une membrane GTAM (Gore Tex Augmentation Material) Oval 9 est découpée et ajustée, puis fixée dans sa partie apicale par une autre vis Memfix. Pour bien obtenir une forme galbée de la membrane, une suture au périoste vestibulaire et lingual maintient cette membrane en bonne position pour mouler le tissu régénéré dans une forme souhaitée et propice à l'implantation (fig. 6). Enfin, une incision apicale du périoste permet à la muqueuse de reprendre une élasticité et de recouvrir totalement la membrane. Des sutures de Blair-Donati coaptent parfaitement les berges des lambeaux. Une antibiothérapie (amoxicilline 500mg à raison de 2g par jour pendant huit jours) est prescrite. Aucune suite postopératoire n'est constatée et la cicatrisation est de bonne qualité : la membrane reste enfouie sans aucune trace d'exposition ni d'inflammation de la muqueuse (fig. 7). Compte-tenu du volume important de néoformation osseuse souhaité, il est décidé de maintenir la période d'enfouissement de la membrane pendant 15 mois.

Retrait de la membrane et pose des implants

Une incision sur la crête et des incisions verticales de décharge mettent à nu la membrane (fig. 8). Celle-ci, adhérente au tissu sous-jacent, est retirée sans trop de difficulté et laisse apparaitre les têtes de vis Memfix (fig. 9). Les vis totalement enfouies dans le tissu néoformé permettent d'évaluer à 5 mm minimum la néoformation osseuse aussi bien dans le sens vertical que dans le sens horizontal (fig. 5 et 9). Sur certains sites, ce tissu parait incomplètement formé ou d'une faible densité incompatible avec une bonne qualité de forage. Des fixtures de Brånemark sont alors vissées dans la crête osseuse reconstruite avec une bonne stabilité primaire.

Quelques déhiscences laissent apparaitre des spires implantaires (fig. 10 et 11). Malgré la stabilité primaire des implants et l'importance du traitement déjà effectué, il est décidé de procéder à une nouvelle technique de régénération sur les spires exposées. Une nouvelle membrane est mise en place pendant la durée d'enfouissement des implants.

Pose d'une deuxième membrane GTAM

Lors de la mise en place de cette deuxième membrane, la même technique et les mêmes médications que précédemment sont prescrites. Aucune suite postopératoire n'est décelée et la membrane ne sera retirée que 12 mois plus tard dans le même temps que la deuxième phase chirurgicale implantaire. A ce stade, la membrane est retirée et laisse apparaitre (fig. 12) le tissu néoformé qui recouvre totalement les spires implantaires initialement dénudées. La nouvelle crête osseuse est large et rend les sites d'émergences implantaires plus favorables à la reconstruction prothétique (fig. 13, 14, 15 et 16).

Discussion

Ce cas clinique confirme l'intérêt du concept de la ROG en chirurgie implantaire. Il montre les possibilités de cette technique dans l'augmentation du volume des crêtes osseuses. Dans le cas présenté, le faible volume osseux rendait l'implantation impossible puisque l'épaisseur de la crête était inférieure au diamètre d'un implant. L'utilisation successive de deux membranes GTAM fut inévitable. La première permit d'augmenter le volume osseux pour pouvoir implanter des fixtures avec une stabilité primaire. L'élimination du tissu néoformé qui ne présentait pas une densité suffisante aboutit à des spires implantaires non enfouies. Les défauts péri-implantaires ont pu être traités grâce à la deuxième membrane. Il peut être évoqué plusieurs causes à l'insuffisance de néoformation osseuse avec la première membrane qui était restée enfouie pendant 15 mois sans exposition :

- le volume de tissu à reconstruire était peut-être si important que les zones les plus périphériques de la néoformation n'étaient pas minéralisées malgré les 15 mois d'enfouissement ;

- le caillot n'avait peut-être pas totalement envahi l'espace protégé par la membrane, car des petites poches d'air peuvent persister sous une membrane et empêcher le caillot de coloniser totalement l'espace protégé. Il est donc impératif de laisser saigner abondamment sous la membrane ;

- l'affaissement de la membrane qui n'était soutenue que par des vis et le caillot. Une membrane renforcée de titane aurait peut-être évité cet inconvénient ;

- si la membrane était insuffisamment plaquée sur sa périphérie, le tissu conjonctif muqueux pouvait s'infiltrer entre la membrane et la crête osseuse et ainsi inhiber la néoformation osseuse ;

- un greffon osseux associé à la pose de la membrane aurait peut-être permis une meilleure qualité de tissu néoformé, un meilleur soutien et une meilleure stabilité de la membrane.

La qualité et la quantité de tissu néoformé obtenu est comparable à celle rapportée par des auteurs comme Simion et al. [10] ou Tinti et al. [8]. Le gain osseux se situe pour ces auteurs comme dans le cas présent aux alentours de 5 mm. Il semble que pour obtenir des résultats prévisibles et fiables à long terme, il faut que l'espace de cicatrisation ménagé par la membrane soit bien préservé et bien maintenu pour héberger un caillot sanguin contenant les cellules nécessaires à la régénération. Il faut que la membrane reste enfouie pendant 10 à 12 mois sans exposition, sans compression et sans traction des tissus mous.

Dans ces conditions la technique de ROG donnera des résultats très encourageants, y compris dans les cas d'augmentation verticale de crête. Cependant, le temps de traitement global est long et pourrait être diminué grâce à l'association d'un greffon osseux autogène.

(1) WL Gore, Z. I. de Saint-Guérault, 4, rue Jean-Mermoz, 91031 Evry cedex. Tél. : 01 60 79 60 79. Fax : 01 60 77 27 60.

(2) Straumann, 67, avenue de l'Europe, Emerainville, 77437 Marne-la-Vallée cedex 02. Tel. 01 64 61 69 02. Fax : 01 64 61 60 03.

(3) Nobel Biocare, 80, avenue des Terroirs-de-France, 75607 Paris Cedex 12. Tél. : 01 53 33 89 10. Fax : 01 53 33 89 33.

Bibliographie

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