Les éléments de diagnostic des maladies parodontales - JPIO n° 3 du 01/08/2002
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 3 du 01/08/2002

 

Articles

Philippe LEMAÎTRE  

UFR d'Odontologie, Service de Parodontologie, Nantes

Résumé

L'examen clinique et le sondage ne sont pas suffisants pour réaliser un diagnostic complet des maladies parodontales. Si le sondage permet d'évaluer la perte d'attache, il ne permet pas de connaître l'état réel de l'os alvéolaire sous-jacent. Seul un examen radiographique complet, réalisé avec une technique précise et reproductible, permet de connaître l'anatomie et la qualité de l'environnement parodontal profond. Non seulement le praticien a la possibilité de situer le niveau du support osseux par rapport à la hauteur radiculaire, mais il peut aussi collecter nombre de renseignements sur l'état des tissus dentaires, l'anatomie radiculaire, l'état du cément, du ligament parodontal et de l'os alvéolaire. La présence d'une corticale, la densité de la trabéculation, la forme de la lésion osseuse sont autant de paramètres indispensables pour établir un diagnostic mais aussi un pronostic.

De plus en plus, devant l'insuffisance des paramètres pour diagnostiquer une maladie active, les chercheurs se sont intéressés aux examens complémentaires permettant d'évaluer, d'une part, le facteur bactérien et, d'autre part, la réponse de l'hôte. Tests et examens mis au point sont restés à ce jour insuffisants pour améliorer d'une façon sensible la qualité du diagnostic. Certains examens complémentaires peuvent toutefois orienter pronostic et maintenance sans pour cela être déterminants.

Un arbre décisionnel, incluant examen clinique, sondage et examen radiographique, est proposé, qui permettra au praticien de conclure son diagnostic : parodonte sain, sain avec récession, assaini, gingivite, gingivite avec récession, parodontite ou enfin récidive de parodontite.

Summary

Clinical examination and probing alone are insufficient to effect a proper diagnosis of periodontal diseases. Even if probing enables an assessment of loss of attachment, it does not provide information on the state of the underlying bone. Only a complete radiographic examination using a precise and reproducible technique will indicate the morphology and quality of the deep periodontal environment. Not only can the practitioner assess the level of bone support in relationship to the root length but he can also gather information on the state of the dental tissues, root anatomy, the condition of the cementum, periodontal ligament and of the alveolar bone. Other factors essential for establishing the diagnosis and assessing the prognosis include the presence of a cortical layer of bone, the density of trabeculation and the morphology of the bony lesion.

Faced with inadequate means of diagnosing active disease, researchers are more and more looking to supplementary tests in order to evaluate bacterial factors on the one hand and host response on the other. Even now, tests and clinical examinations are inadequate to significantly improve diagnostic quality. Some supplementary examinations can provide an indication of prognosis and maintenance regimes but cannot determine them.

A decision tree that includes clinical examination, probing and radiographic assessment is proposed and which assists the practitioner in making his diagnosis : healthy periodontium, healthy with recession, stable, gingivitis, gingivitis with recession, periodontitis or, finally, recurrent periodontitis.

Key words

Periodontal disease, diagnosis, radiography, supplementary tests

Examen radiographique

L'examen radiographique de choix reste, encore aujourd'hui, le bilan rétro-alvéolaire réalisé avec un générateur de 70 à 90 kV long cône et un angulateur de type Rinn® ou Hawe Néos® permettant d'obtenir des clichés les plus fidèles possible. Le nombre de clichés varie selon le nombre de dents et la taille de la cavité buccale mais doit toujours permettre d'observer l'ensemble des éléments dans de bonnes conditions. L'objectif de cet examen est d'évaluer l'état du parodonte profond et des tissus durs de la dent (fig. 1).

Tissus dentaires

La radiographie permet d'évaluer l'endodonte, son anatomie et l'intégrité des tissus dentaires. L'anatomie de la cavité pulpaire, l'état de la pulpe et la qualité de l'obturation doivent être mis en relation avec les signes cliniques observés pour réaliser un diagnostic différentiel d'une lésion d'origine parodontale ou endodontique. Des lacunes de résorption interne ou encore des anomalies pulpaires, comme les pulpolithes, doivent être notées.

Fêlures ou fractures sont diagnostiquées à ce niveau en association avec l'examen clinique. La présence d'une solution de continuité au niveau de l'image des tissus dentaires doit être mise en relation avec la présence d'une poche profonde isolée au même niveau. Il est possible d'y associer aussi une suppuration, voire une mobilité inexpliquée ou encore une image d'élargissement desmodontal localisé (fig. 2 et 3).

Cément

Partie intégrante du parodonte, le cément peut présenter un certain nombre de modifications. Une résorption cémentaire signe une inflammation le plus souvent d'origine traumatique. Dans la zone apicale, cette résorption peut apparaître lorsque la dent est soumise à une surcharge importante ou à une force orthodontique excessive (souvent lors d'un mouvement d'ingression). Dans la zone cémentaire exposée à la maladie parodontale, les zones de résorption sont liées à l'activité bactérienne. Ces zones représentent des sites d'accumulation bactérienne difficile à éliminer et pouvant être à l'origine de récidive après thérapeutique. Les hypercémentoses intéressent le plus souvent le tiers apical radiculaire et sont en rapport soit avec une souffrance ligamentaire (bruxisme, traumatisme occlusal, inflammation pulpaire), soit avec la compensation du mouvement d'égression physiologique de la dent.

Ligament parodontal ou desmodonte

La hauteur desmodontale résiduelle par rapport à la hauteur radiculaire est directement liée à l'activité de la maladie parodontale. Cette hauteur résiduelle aura une part importante dans la décision de conservation de la dent. Toutefois, à elle seule, ce n'est pas un paramètre suffisant et il faudra tenir compte de l'anatomie radiculaire, donc de la surface d'attache résiduelle, que nous pourrions nommer surface radiculaire utile. La persistance de 5 mm de hauteur d'attache résiduelle, sur une canine maxillaire est certainement plus « utile » que 8 mm sur une incisive mandibulaire. Dans ce sens, le principe d'un rapport couronne clinique/racine clinique de 1/1 ainsi que la loi d'Ante (1926) peuvent être largement discutés.

L'élargissement de l'espace desmodontal apprécié sur les radiographies correspond à un phénomène de résorption osseuse réversible. Sous l'effet d'une inflammation d'origine traumatique, endodontique ou parodontale lors d'une infection supragingivale ou sousgingivale, l'homéostasie osseuse est perturbée dans le sens de la résorption au détriment de la paroi endo-alvéolaire. Sans pour autant entraîner une destruction de la matrice organique, on constate une déminéralisation de la paroi osseuse qui correspond à l'image de l'élargissement observé. L'élimination de l'origine de l'inflammation permet un retour à l'équilibre et une reminéralisation des tissus osseux ; l'espace ligamentaire redevient alors normal. L'observation d'une telle image doit être mise en rapport avec les constatations cliniques de mobilité, surcharge occlusale (bruxisme, interférences, contact prématuré), effet scoliodontique prothétique, orthodontie, inflammation endodontique ou parodontale.

Os alvéolaire

Deux éléments principaux doivent être observés : la hauteur et la forme résiduelle des parois osseuses ainsi que l'état des corticales. La maladie parodontale entraîne une destruction des corticales et une ouverture des espaces médullaires. Chaque espace interdentaire est observé et l'amincissement ou la disparition de la corticale (lamina dura) doit orienter vers le diagnostic d'une atteinte parodontale. La hauteur de la crête alvéolaire est fonction de la gravité de la maladie. La crête alvéolaire, qui se trouve normalement à environ 2 mm de la ligne de jonction amélo-cémentaire (fig. 4), peut présenter plusieurs formes de résorption : soit elle est parallèle au plan occlusal et il s'agit d'une lyse horizontale, soit la crête prend une forme concave et il s'agit de cratère interproximal, soit, enfin, la lésion est plus importante d'un côté que de l'autre, provoquée par une migration apicale bactérienne plus rapide, et on parle de lésion angulaire ou encore d'alvéolyse verticale (fig. 5 et 6). La profondeur de la poche associée à ces lésions peut être objectivée par la mise en place d'un cône de gutta dans la poche elle-même (fig. 7). Il est possible d'observer ces types de lésions associées à la présence d'une corticale résiduelle. Il peut s'agir de la cicatrisation des lésions après thérapeutique parodontale ou même d'une phase de rémission spontanée.

Les différents paramètres obtenus au cours de l'examen radiographique (fig. 8) peuvent être reportés dans un tableau récapitulatif (tableau I). Ce tableau peut être renouvelé au cours des étapes thérapeutiques et de la maintenance, chaque fois qu'un examen radiographique sera utile, voire nécessaire.

Examens complémentaires

Les examens complémentaires sont fondés sur l'évaluation soit de la flore bactérienne, soit des réponses de l'hôte.

Examens bactériens

Le but de ces examens est de déterminer la présence de bactéries parodonto-pathogènes. Les cultures sont le plus fréquemment utilisées. Les cultures bactériennes, dans le cadre des maladies parodontales, ne sont jamais « exhaustives » dans le sens où il n'est pas possible de cultiver toutes les bactéries présentes dans la poche parodontale. Seules les bactéries censées être parodonto-pathogènes sont étudiées plus précisément. Des antibiogrammes peuvent être réalisés en même temps.

Cette technique permet l'identification d'un certain nombre de bactéries présentes sur le site de prélèvement. Il existe cependant certains inconvénients : l'utilisation d'une pointe de papier ne permet de ne prélever qu'une partie de la flore présente ; le milieu de transport entraîne, au moment du prélèvement et pendant le transport, une perte des souches les plus fragiles ; enfin, les milieux de culture sont d'une façon ou d'une autre sélectifs (Haffajee et Socransky, 1994).

La microscopie directe à fond noir ou à contraste de phase permet d'étudier la plaque bactérienne vitale immédiatement après prélèvement. Les avantages de cette technique reposent sur sa facilité et sa rapidité d'emploi mais elle ne permet pas de savoir vite si la poche est colonisée par les bactéries les plus impliquées dans la maladie parodontale qui ne sont pas mobiles. Cette technique n'a aucune valeur diagnostique.

Les sondes à acides nucléiques utilisent une technique fondée sur la reconnaissance de fragments spécifiques de l'ARN ou de l'ADN de la bactérie (Dewhirst et Paster, 1991) qui permet, à partir de prélèvements de plaque, de détecter un minimum de 1 000 bactéries, vivantes ou non. La sonde utilisée est spécifique du génome d'une bactérie. Les avantages de cette technique reposent sur la facilité d'emploi, la rapidité de résultat (test colorimétrique) et la possibilité de détecter des bactéries même mortes. Cela permet de connaître la présence éventuelle de bactéries pathogènes susceptibles d'entraîner l'apparition, l'aggravation ou la récidive de la maladie.

L'identification des bactéries peut aussi être faite en utilisant des anticorps monoclonaux ou polyclonaux dirigés contre des anticorps spécifiques d'une espèce bactérienne. Grâce au test ELISA (enzyme-like immunosorbent assay), la réaction peut être visualisée sous forme d'une réaction colorimétrique (Niesengard et al., 1992). L'avantage de ce test est sa rapidité et sa facilité d'utilisation. Mais, là encore, cet examen ne permet de détecter que quelques souches bactériennes sans connaître leur susceptibilité aux antibiotiques.

Il est possible d'utiliser la détection par l'activité enzymatique : un nombre limité de pathogènes parodontaux produit une enzyme trypsin-like susceptible de dégrader les dérivés de la bêta-naphtilamide comme le N-alpha-benzoyl-DL-arginine-2-naphtilamide (BANA). Parmi ces bactéries on retrouve Porphyromonas gingivalis, Treponema denticola, Capnocytophaga et Bacteroides forsythus. Une réaction colorimétrique permet d'avoir une lecture rapide des résultats. Ce test BANA peut donc aisément détecter la présence de ces 4 souches bactériennes dans la plaque sousgingivale (Loesche, 1986). Il n'a pas été évalué à long terme sur la détection des sites en évolution.

La plupart des examens cités permettent d'identifier les sites qui abritent certaines bactéries soupçonnées d'être parodonto-pathogènes. Le problème rencontré avec tous ces examens bactériologiques, à l'exception des cultures, est que le nombre de pathogènes détectés est limité et ne correspond pas forcément aux germes responsables.

Défenses de l'hôte

L'évaluation des défenses de l'hôte se fait essentiellement grâce aux produits de dégradation tissulaire et aux enzymes présents dans le fluide gingival et éventuellement dans la salive. Les réactions enzymatiques provoquées par l'agression bactérienne entraînent une augmentation mesurable de la concentration de molécules enzymatiques dans le fluide. De même, la destruction tissulaire qui se produit au cours de la maladie parodontale se traduit par la formation de débris déversés dans le fluide gingival. Enfin, les médiateurs de l'inflammation - interleukine 1β, TNF-α (tumor necrosis factor alpha), prostaglandines E2 - se retrouvent en quantité augmentée dans le fluide gingival lors de l'activité de la maladie.

L'aspartate amino-transférase (AST) est une enzyme relarguée par les cellules mortes lors de la maladie parodontale. Les résultats de quelques études longitudinales (Persson et al., 1990 ; Chambers et al., 1991) chez des patients présentant une évolution de leur maladie parodontale suggèrent que le taux d'AST dans le fluide gingival pourrait être un marqueur de la progression de la maladie. Cependant, ce taux est aussi élevé lors d'une gingivite et d'une parodontite de l'adulte stabilisées.

Les protéases neutres : les polymorphonucléaires neutrophiles (PMN), lors de leurs contacts avec les bactéries, relarguent une grande quantité d'enzymes lysosomiales. Un test incluant plusieurs protéases neutres a été mis au point (Bowers et al., 1991) sous le nom de Periocheck®. Il a été montré que le taux de ces enzymes était plus élevé au niveau de sites en évolution. Toutefois, aucune étude longitudinale n'a été réalisée pour confirmer ces résultats.

Palcanis et al., en 1992, ont mis au point un test sur l'élastase créviculaire. Le suivi longitudinal a montré une sensibilité de 84 % et une spécificité de 66 % pour l'aggravation de la maladie. Il n'existe actuellement pas de test commercialisé.

La température sousgingivale : il existe une corrélation entre l'élévation de la température sousgingivale et la gravité de la maladie (Haffajee et al., 1992). Une sonde thermique automatique est commercialisée au Etats-Unis (Periotemp®, Abiodent). Elle permettrait de dépister, essentiellement pendant la maintenance, les sites actifs. La faible sensibilité (31 %) de ce test ne permet pas une fiabilité diagnostique importante.

Les tests génétiques : les recherches les plus récentes ont montré qu'un certain nombre des facteurs de l'hôte présentaient un polymorphisme génétique en rapport avec la différence de réponse entre les individus face à l'agression bactérienne (Kornman et al., 1997).

Conclusion

Actuellement le polymorphisme de l'IL1β peut être identifié grâce au test PST (MSS®, Etats-Unis). Certains patients peuvent donc produire une grande quantité d'IL1 en cas d'agression bactérienne, ce qui a pour effet d'augmenter la destruction tissulaire. L'intérêt de ce test est de dépister les patients susceptibles de développer la maladie avant qu'elle apparaisse. Le dépistage familial, dans la descendance d'un patient atteint, présente un intérêt évident. De même le pronostic peut être affiné et la maintenance ajustée en fonction de ce facteur de risque.

L'ensemble des facteurs étudiés doit amener le praticien à poser un diagnostic. Les différentes classifications proposées permettent alors d'aborder la thérapeutique avec une certaine logique que nous proposerons au cours des prochains numéros. L'important est d'avoir une démarche diagnostique claire et reproductible afin que tous les paramètres soient parfaitement maîtrisés (fig. 9).

Demande de tirés à part :

Philippe LEMAîTRE, UFR d'Odontologie, 1, rue Gresset, 44000 NANTES - FRANCE.

BIBLIOGRAPHIE

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