Ménopause et parodontites : la déficience en oestrogène peut-elle affecter la sévérité d'une maladie inflammatoire ? - JPIO n° 3 du 01/08/2002
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 3 du 01/08/2002

 

Articles

Dominique GUEZ *   Philippe LESCLOUS **   Jean-Louis SAFFAR ***  


*Laboratoire de biologie et physiopathologie cranio-faciales
Groupe physiopathologie osseuse
Faculté de Chirurgie dentaire
Université René-Descartes Paris-V, Paris, France

Résumé

Si certains facteurs de risque des maladies parodontales ont été identifiés et validés par des études longitudinales (tabac, diabète), tous ne le sont probablement pas. L'influence des hormones sexuelles féminines sur les tissus parodontaux est bien documentée dans certaines conditions comme la puberté, la grossesse… Cependant, des situations de carence œstrogénique consécutives à la réduction et/ou à l'arrêt de la fonction ovarienne (périménopause et postménopause) pourraient, dans certaines conditions, exacerber une parodontite et conduire à des destructions importantes et rapides. Les données existantes (parfois méthodologiquement contestables) sur les répercussions d'une réduction de la densité de l'os alvéolaire sur la progression d'une maladie parodontale ne sont pas concluantes. Si des interactions entre ménopause et sévérité des parodontites existent, elles se situent probablement à d'autres niveaux, et le rôle de certaines cytokines pourrait être déterminant car les femmes ostéoporotiques présentent un profil hypersécréteur de certaines cytokines. Ces cytokines et les cellules qui les produisent sont les mêmes que celles impliquées dans la destruction du parodonte. Or, des études méthodologiquement acceptables suggèrent que ces cytokines, libérées massivement lors de la cessation de l'activité ovarienne, influeraient négativement sur l'inflammation gingivale et la progression de la destruction des tissus parodontaux. Des études longitudinales bien contrôlées sont requises pour confirmer ces liens.

Summary

Risk factors for periodontitis have been identified and validated by longitudinal studies (e.g., tobacco use, diabetes mellitus), but some others probably remain to be identified. The influence of female hormones on periodontal tissues is well documented for a number of conditions, such as puberty and pregnancy… Low oestrogen levels following the decrease or cessation of ovarian function (peri- and post-menopause) may also, in some situations, aggravate pre-existing periodontitis. Due to methodological bias, the current literature is not conclusive on a link between bone density reduction and the severity of periodontitis. If a relationship actually exists between menopause and the progression of periodontal disease, other factors should be researched. In particular, the role of some cytokines may be decisive, as women developing osteoporosis have increased production of cytokine. These cytokines and the cells secreting them are also involved in tissue destruction during periodontitis. Recent well-controlled studies suggest that the release of these cytokines at menopause may aggravate gingival inflammation and accelerate the progression of periodontal destruction. Further longitudinal studies are needed to confirm this relationship.

Key words

Menopause, cytokines, periodontal diseases

Les parodontites sont des maladies infectieuses multifactorielles où la présence des agents microbiens n'est qu'une des conditions nécessaires à l'apparition de la maladie. En effet, deux autres conditions au moins doivent être également réunies : une charge bactérienne inhibant des composants clés des mécanismes de défense de l'hôte et une réponse à cette agression bactérienne modifiée sous l'influence d'un certain nombre de facteurs et qui devient délétère. La santé parodontale peut donc être définie comme un état dynamique dans lequel les systèmes de défense sont toujours en éveil et une réaction inflammatoire toujours présente mais contrôlée. Elle est le reflet d'un équilibre régional entre les différentes lignes de défense de l'hôte.

Cet équilibre est sous l'influence de facteurs qui peuvent, à un moment donné, modifier les rapports de force. En d'autres termes, des conditions systémiques, environnementales et comportementales peuvent interférer avec les capacités d'un individu à éliminer les intrus, modifier ou exagérer la réponse à l'agression qui devient délétère et perturber la réponse cicatricielle. Tous ces mécanismes pourraient se surajouter à un terrain génétique caractérisé par la surexpression de certaines cytokines. Des facteurs de risque, systémiques ou comportementaux, aggravant la parodontite de certains sujets, ont été identifiés à partir d'études longitudinales. C'est le cas du diabète et du tabagisme. Le stress est fortement soupçonné d'être un autre de ces facteurs sans que la preuve en ait été établie.

Les hormones sexuelles féminines influent sur les tissus parodontaux et leurs fluctuations affectent les interactions bactéries/hôte au niveau de la cavité buccale (Amar et Chung, 1996). A la puberté, l'augmentation de la sécrétion d'hormones sexuelles est corrélée avec celle de la prévalence des gingivites, qui régressent ensuite (Sutcliffe, 1972). Les taux hormonaux élevés au cours de la grossesse sont également associés à une augmentation de l'incidence et de la sévérité de l'inflammation gingivale (Löe et Silness, 1963 ; Cohen et al., 1971). Certains contraceptifs oraux produisent des effets similaires, l'inflammation la plus importante étant observée chez des femmes les prenant sur de longues périodes (Pankhurst et al., 1981). Ces effets seraient dus à l'action des hormones sexuelles féminines sur le système vasculaire, l'immunité à médiation cellulaire et, éventuellement, sur la flore sous-gingivale (Kornman et Loesche, 1980). A l'inverse, on peut se demander si des situations de carence consécutives à la réduction et/ou à l'arrêt de la fonction ovarienne (périménopause et postménopause) ne seraient pas, également, des facteurs de risque pouvant exacerber une parodontite existante et conduire à des destructions importantes et rapides. Le but de ce travail est de passer en revue les arguments soutenant un rôle de la carence œstrogénique sur les parodontites. Un nombre croissant d'études, certaines méthodologiquement peu convaincantes, a été consacré récemment à ce sujet, sans permettre actuellement de trancher.

La ménopause et ses principales complications

Stricto sensu, le mot ménopause signifie cessation des menstrues. Cette définition correspond aujourd'hui à un concept révolu, celui d'une période limitée dans le temps où l'aménorrhée résumait la ménopause. On lui substitue aujourd'hui la notion de cessation de la fonction ovarienne (Nahmanovici, 1999). Une irrégularité menstruelle, principal reflet d'une défaillance ovarienne, précède cette cessation de plusieurs mois à plusieurs années. Cette périménopause est une période d'anarchie hormonale. La postménopause voit se manifester les conséquences de la carence hormonale ovarienne. Sa durée ne cesse d'augmenter car, aujourd'hui, l'espérance de vie d'une femme française est de 33 ans après l'âge moyen de la survenue de la ménopause (50 ans). Il est extrêmement difficile de distinguer les conséquences de la carence œstrogénique de celles du vieillissement. Les complications à long terme de cette carence hormonale sont principalement l'ostéoporose, l'athérosclérose coronarienne et l'altération des fonctions cognitives.

La ménopause et le système nerveux

Le cerveau est un des organes cibles des œstrogènes. La prévalence plus élevée de la maladie d'Alzheimer chez les femmes, surtout à partir de 75 ans (2 fois plus que chez les hommes), suggère que la carence œstrogénique représente un facteur de risque. Effectivement, les femmes ayant un traitement hormonal substitutif (THS) après leur ménopause ont un risque relatif de maladie d'Alzheimer abaissé par rapport aux femmes non traitées (Kawas et al., 1997). Le THS semble également améliorer le fonctionnement cognitif des patientes démentes.

La découverte récente que la régulation de la masse osseuse serait sous la dépendance du système nerveux central (Ducy et al., 2000) et que le système nerveux périphérique participerait au contrôle local de la résorption osseuse (Cherruau et al., 1999) suscite actuellement un grand intérêt sur les interactions possibles système nerveux-ostéopénie postménopausique.

La ménopause et le risque cardio-vasculaire

Avant la ménopause, le risque cardiovasculaire est de 2 à 3 fois moindre chez la femme que chez l'homme. Après la ménopause, le risque de maladies coronaires devient équivalent dans les deux sexes. Le THS réduit de 50 % leur prévalence (Stampfer et al., 1991). Les œstrogènes ont des effets hémodynamiques. Ils augmentent le flux sanguin coronaire et périphérique en stimulant la sécrétion de médiateurs vasomoteurs comme le monoxyde d'azote ou la prostacycline par les cellules endothéliales. Les œstrogènes ont surtout un effet athéroprotecteur par une action antioxydante sur les lipoprotéines de type LDL au niveau de la paroi vasculaire. Les œstrogènes favoriseraient également, par une action directe sur les cellules endothéliales, la formation d'une vascularisation collatérale améliorant la perfusion cardiaque (Sullivan et al., 1990).

Les effets osseux de la ménopause

L'os est l'une des principales cibles de la carence œstrogénique. La ménopause induit une perte osseuse évoluant par paliers : elle est très élevée pendant 5 à 10 ans, puis elle se stabilise relativement avant de s'accélérer de nouveau après 75 ans. Même si la responsabilité respective de la carence œstrogénique et du vieillissement dans la perte osseuse n'est pas éclaircie, la forte ostéopénie des femmes très âgées est toujours en rapport avec la carence œtrogénique.

Le terme ostéopénie désigne une perte osseuse, généralement irréversible, quelle que soit son origine. On distingue les ostéopénies physiologiques, telle l'ostéopénie postménopausique, des ostéopénies pathologiques associées à une maladie systémique ou à une diminution des sollicitations musculaires et de l'activité physique (Frost, 1997). L'ostéoporose « vraie » est une ostéopénie s'accompagnant de douleurs, de compressions et de fractures osseuses spontanées, plus souvent localisées au niveau vertébral qu'au niveau des os longs. A côté de cette définition clinique de l'ostéoporose, il en existe une autre, densitométrique, très utilisée dans l'évaluation du risque ostéoporotique, sur laquelle sont indexées les thérapeutiques. Elle est fondée sur une quantification de la densité minérale évaluée par absorptiométrie biphotonique à rayons X (DEXA).

L'ostéoporose atteint de 30 à 40 % des femmes ménopausées. Après 75 ans, plus de la moitié de la population féminine est touchée (Melton et al., 1992). Plusieurs raisons expliquent cette situation. D'abord les femmes possèdent un capital osseux moins important que celui des hommes. A la perte osseuse liée à l'âge s'ajoute celle due à la cessation de la fonction ovarienne. L'espérance de vie des femmes augmentant, elles se trouvent plus longtemps exposées à ces risques. La perte osseuse liée à l'âge, entre 50 ans et la fin de vie, est estimée à 25 % de l'os cortical et de l'os trabéculaire, à quoi il faut rajouter la perte liée à la carence œstrogénique évaluée à 10 % de l'os cortical et à 25 % de l'os trabéculaire, de sorte qu'une femme âgée a perdu la moitié de la densité initiale de son os trabéculaire (INSERM, 1996).

La topographie de la perte osseuse est également particulière. Sur le versant externe des corticales, l'apposition périostée persiste tout au long de la vie, par contre sur la face endostée, la résorption osseuse est exagérée dès la ménopause, de sorte que l'épaisseur des corticales diminue fortement chez les femmes. La grande fragilité de la zone du col du fémur, site dépourvu de périoste, s'explique par l'amincissement cortical combiné à la perte d'os trabéculaire lors d'une ostéopénie établie (Whitfield et al., 1999). A la ménopause, l'os trabéculaire subit une séparation des trabécules osseuses entraînant leur disjonction et une diminution de leur nombre. Ceci explique pourquoi l'ostéoporose se manifeste cliniquement au niveau des sites où la proportion d'os trabéculaire est importante (rachis, hanche, avant-bras_).

Dans l'ostéopénie postménopausique, la formation osseuse est diminuée par réduction du nombre des ostéoblastes et la résorption augmentée par accroissement du nombre et de l'activité des ostéoclastes. L'équilibre entre résorption et formation est régulé par les cellules osseuses, les hormones circulantes, des facteurs de croissance locaux et les contraintes mécaniques. La résultante de ces activités de résorption et de formation constitue la balance osseuse. L'arrêt de la fonction ovarienne entraîne une accélération du renouvellement osseux dans laquelle la résorption osseuse prend le pas sur la formation, de sorte que la balance osseuse est fortement négative.

Les œstrogènes sont avant tout des inhibiteurs de la résorption osseuse. La découverte de récepteurs aux œstrogènes sur les ostéoblastes et leurs précurseurs, sur les ostéocytes ainsi que sur les ostéoclastes et leurs précurseurs suggère une action cellulaire œstrogénique directe. Lesœstrogènes induisent aussi la production de cytokines par les monocytes circulants et les macrophages médullaires, qui pourrait influencer la différenciation et l'activité des ostéoclastes. Ainsi, l'interleukine 1 (IL1), l'IL6, le tumor necrosis factor alpha (TNF-α), le facteur de stimulation des colonies de granulocytes/macrophages (granulocyte-macrophage colony-stimulating factor, GM-CSF), le M-CSF et les prostaglandines E2(PG-E2) exerceraient leur rôle sur la résorption osseuse, principalement en augmentant le recrutement de préostéoclastes médullaires et l'activité des ostéoclastes et en inhibant l'apoptose ostéoclastique (Jilka, 1998). Tous ces facteurs sont régulés à la baisse par lesœstrogènes et la perte de la fonction ovarienne bouleverse le réseau des cytokines qui contrôlent la formation, l'activité et l'apoptose des ostéoclastes (fig. 1).

Ces cytokines augmentent aussi le nombre de cellules stromales, précurseurs en particulier des ostéoblastes, exprimant des facteurs de différenciation ostéoclastiques (comme RANK-L) et entraînant une augmentation du nombre d'ostéoclastes. La déficience œstrogénique agit aussi sur ces cellules en levant l'inhibition de la production d'IL6 et d'IL1, ce qui augmente la différenciation ostéoclastique et la durée de leur vie (Jilka, 1998).

L'Impact de la ménopause sur l'os alvéolaire

Compte tenu du taux élevé de renouvellement de l'os alvéolaire par rapport aux os longs, un déséquilibre systémique entre apposition et résorption l'affecterait fortement (Baylink et al., 1974) et le rendrait susceptible aux maladies parodontales. Whalen et Krook (1996) ont même suggéré que la perte osseuse dans les maladies parodontales était le signe avant-coureur de l'ostéoporose. Un certain nombre d'études ont donc cherché à établir une corrélation entre des modifications densitométriques au niveau de sites références squelettiques et des changements au niveau des maxillaires. Remarquons d'emblée que si cette hypothèse était confirmée par des méthodes suffisamment fiables et sensibles, cela ne signifierait pas pour autant que l'ostéopénie/ostéoporose représente un facteur de risque pour la conservation des dents.

Plusieurs synthèses récentes de la littérature semblent établir des relations entre ménopause, ostéoporose et résorption de l'os alvéolaire (Hildebolt, 1997 ; Birkenfeld, 1999 ; Zachariensen, 1999). Il ressort également de ces trois études qu'un THS préviendrait la perte de l'os alvéolaire et, par voie de conséquence, celle des dents. Pour autant, l'absence de consensus sur ces relations a de multiples raisons (Hildebolt, 1997), parmi lesquelles la nature des études (il s'agit pour la plupart d'études transversales sans contrôle des facteurs pouvant affecter le métabolisme osseux) ou leur méthodologie. Les échantillons sélectionnés sont souvent réduits, leur sélection biaisée (âges non comparables), les paramètres retenus contestables (le nombre de dents absentes n'est pas un critère pertinent car les causes de perte dentaire sont multiples), la définition de l'ostéoporose varie selon les études et les techniques de mesure de l'os sont parfois imprécises ou donnent des résultats différents selon la nature des techniques ou des sites examinés (os alvéolaire ou os basal).

Une étude récente avec de meilleurs critères méthodologiques n'a trouvé aucune association entre l'ostéopénie et 5 indicateurs caractérisant les maladies parodontales dans un groupe de 292 femmes (Weyant et al., 1999). Son hypothèse de base était que les femmes ayant les densités osseuses les plus faibles sur des sites extra-oraux devaient présenter les pertes d'attache les plus marquées, après contrôle d'un certain nombre de facteurs de confusion. Si cette hypothèse était vérifiée, cela signifierait qu'une ostéopénie systémique peut augmenter le risque de destruction des tissus parodontaux. Bien que cette étude transversale menée chez des patientes âgées (moyenne d'âge de 75,5 ans) n'ait montré aucune association statistiquement significative, les patientes avec les densités osseuses les plus basses présentaient plus de maladies parodontales sévères. C'est pourquoi les auteurs de cette étude préconisent la réalisation d'études longitudinales bien contrôlées. Par ailleurs, l'âge avancé des patientes peut représenter un biais dans cette étude. D'autres études récentes mieux contrôlées semblent montrer qu'ostéoporose/ostéopénie et déficience en œstrogènes sont des facteurs de risque pour la densité de l'os alvéolaire chez des femmes ménopausées atteintes de parodontite. Ainsi, une étude longitudinale sur 2 ans a mis en évidence une relation entre le statut densitométrique et une perte progressive d'os alvéolaire (hauteur et densité) (Payne et al., 1999). Tous groupes confondus (ostéoporose/ostéopénie contre BMD normale), les femmes en situation de carence œstrogénique présentaient une réduction de la densité osseuse au niveau crestal. Dans le groupe ostéopénie/ostéoporose, la carence œstrogénique était associée à une fréquence quasiment doublée de la perte de densité au niveau de l'os crestal par rapport aux femmes sous supplémentation hormonale. Cette différence se manifestait principalement dans les régions molaires (M1 et M2). La même équipe a également montré que les femmes de ce groupe sans supplémentation hormonale tendaient à présenter plus de pertes d'attache que des femmes sous THS (Reinhardt et al., 1999). Toutes les femmes participant à ces études étaient ménopausées depuis 5 ans au début de l'expérimentation, les 7 ans qui suivent la ménopause représentant la période où se situe la plus grande perte d'os (Pacifici et al., 1989). Elles avaient été traitées pour une parodontite et suivaient une maintenance parodontale depuis au moins 1 an. Une autre étude longitudinale randomisée menée en double aveugle sur 3 ans chez des femmes dont la moyenne d'âge était de 59 ± 6,2 ans a montré qu'un THS augmentait la densité de l'os alvéolaire (Civitelli et al., 2000).

Même s'il semble pertinent qu'une carence œstrogénique et une ostéoporose/ostéopénie puissent avoir des répercussions au niveau de l'os alvéolaire, rien ne permet aujourd'hui d'affirmer qu'il y a un lien entre réduction de la densité de l'os alvéolaire et progression d'une parodontite chez certaines patientes. Les données existantes ne semblent pas déterminantes et si des interactions entre ménopause et sévérité des maladies parodontales existent, elles se situent probablement à d'autres niveaux.

Les effets de la carence oestrogénique sur l'inflammation gingivale

L'influence de la ménopause sur l'inflammation gingivale a été étudiée souvent de façon indirecte, en comparant un groupe de femmes sous THS à un groupe en situation de carence. Ainsi, dans l'étude transversale d'une population de 228 femmes âgées de 50 à 64 ans et à la situation parodontale comparable, le groupe sous THS présentait moins de saignements au sondage que le groupe contrôle, et ce après correction pour un certain nombre de paramètres liés à l'hôte (Norderyd et al., 1993). L'étude longitudinale sur 2 ans de Payne , portant sur des femmes ménopausées depuis 5 ans, a montré que les femmes sous THS présentaient plus de plaque supragingivale sans augmentation de l'inflammation gingivale que les autres, ce qui suggère que le niveau des œstrogènes sériques aurait un effet inhibiteur sur l'inflammation gingivale. Lorsque ces femmes étaient comparées en fonction de leur statut densitométrique, les femmes ostéopéniques/ostéoporotiques présentaient une réponse inflammatoire exagérée à la plaque dentaire, caractérisée par une plus grande fréquence de sites saignant au sondage malgré de moindres quantités de plaque, par rapport aux femmes ayant une densitométrie normale. Le fait que cette réaction hyper-inflammatoire s'observe principalement chez les patientes ostéopéniques/ ostéoporotiques en carence œstrogénique confirmerait le rôle anti-inflammatoire des œstrogènes.

La piste des cytokines

Parmi les cellules immunitaires recrutées dans un foyer inflammatoire, les monocytes jouent un rôle significatif dans l'amplification du processus inflammatoire et dans la résorption osseuse, en raison notamment de leur capacité à produire des cytokines actives sur l'os (Mundy, 1991) (fig. 2). Or, les monocytes humains ont une sécrétion accrue d'IL1 après stimulation par des endotoxines lorsque les concentrations de progestérone et d'œstrogène sont basses (Morishita et al., 1999). A la ménopause, la production d'IL1 et de TNF-α par les monocytes circulants ou médullaires et les cellules osseuses est amplifiée (Pacifici et al., 1987 ; Pacifici, 1996). Après la ménopause, les taux d'IL1 sériques sont effectivement augmentés à la fois chez les femmes ostéoporotiques et indemnes. Cependant, alors que l'activité IL1 des femmes indemnes redescend spontanément au niveau préménopause dans les 7 ans qui suivent la ménopause, chez les patientes ostéoporotiques, elle persiste jusqu'à 15 ans après la ménopause (Pacifici et al., 1989). La production d'IL6 augmente également au cours de la carence œstrogénique. En effet, les œstrogènes réduisent la sécrétion, stimulée par l'IL1 et le TNF-α, d'IL6 par les cellules stromales/ostéoblastes (Jilka, 1998). Les cytokines qui régulent l'ostéoclastogenèse (IL1, IL6, TNF-α) ont la capacité de stimuler leur propre synthèse et celle des autres, de façon autocrine et synergique. La nature interdépendante de ce circuit régulateur signifie qu'une augmentation importante de n'importe laquelle de ces cytokines dépend de la présence des autres. Le THS ramène les taux d'IL1 à des niveaux comparables à ceux observés avant la ménopause (Pacifici et al., 1989), confirmant que les œstrogènes sériques peuvent moduler l'activité sécrétoire des monocytes (Pacifici et al., 1991).

Les macrophages tissulaires, les lymphocytes T et B, les cellules endothéliales et osseuses sécrètent non seulement de l'IL1 mais également un antagoniste de ses récepteurs (IL1-ra) qui entre en concurrence avec les IL1-α et β. Les stéroïdes ovariens agiraient sur l'homéostasie osseuse en régulant à la fois les IL1-α et β et l'IL1-ra (Pacifici et al., 1993). Les œstrogènes et la progestérone inhibent la production d'IL1-β et d'IL1-ra, mais pas d'IL1-α (Pacifici et al., 1993). Chez des femmes indemnes d'ostéopénie, dans les 7 ans qui suivent la ménopause, la réduction de la bioactivité IL1-β monocytaire est associée à une augmentation parallèle de la sécrétion d'IL1-ra. Au contraire, chez les femmes ostéoporotiques, la bioactivité IL1-β augmente sur une période deux fois plus longue ; de même, les taux d'IL1-ra sont plus élevés que chez les femmes normales et ne changent pas dans les années qui suivent la ménopause (Pacifici, 1996). Ces différences entre femmes indemnes et ostéoporotiques refléteraient des différences phénotypiques des populations monocytaires (Pacifici et al., 1993). La carence œstrogénique exacerberait ces différences phénotypiques, accentuant chez certaines femmes le déséquilibre du métabolisme osseux observé après la ménopause.

Assuma ont montré que le recrutement de cellules inflammatoires à proximité de l'os alvéolaire est un événement critique, dans la progression d'une parodontite, hautement dépendant de l'IL1 et du TNF-α (fig. 2). Cependant, les taux de certaines cytokines dans le fluide gingival ne refléteraient pas la seule inflammation locale. Ils seraient aussi l'expression d'un profil génétique spécifique ou de certaines conditions systémiques. En particulier, le statut œstrogénique influerait sur les niveaux locaux de certaines cytokines. Ainsi, des brebis ovariectomisées (OVX) atteintes de parodontite ont des niveaux significativement plus élevés d'IL6 dans le tissu gingival de leurs sites actifs que des animaux non OVX (Johnson et al., 1997). Pourtant, dans cette étude, le nombre de cellules IL-6+ ne différait pas entre les deux groupes. Deux explications sont possibles : soit les cellules gingivales sécrétaient plus d'IL6 chez les animaux OVX que non OVX, soit de l'IL6 produite ailleurs dans l'organisme s'accumulait dans la gencive inflammatoire. Les niveaux sériques élevés d'IL6 des animaux OVX valideraient la seconde hypothèse. Cette étude montre que de l'IL6 produite dans des sites non parodontaux contribuerait à la perte d'os parodontal chez les animaux déficients en œstrogènes. En effet, l'IL6 est un stimulateur de prolifération et de différenciation des précurseurs des ostéoclastes. La sévérité d'une maladie parodontale pourrait donc être modulée par la production locale et systémique de cytokines. Dans une étude comparative des taux d'IL1 et d'IL6 dans le fluide gingival de femmes non ménopausées, de femmes ménopausées non traitées ou sous THS, en phase de maintenance d'une parodontite, Reinhardt ont montré que les femmes en carence œstrogénique présentaient proportionnellement plus de sites IL1+ que les autres. L'IL6 était également détectée plus fréquemment dans le groupe carencé, mais non significativement. Plus récemment, dans leur étude longitudinale sur 2 ans, Reinhardt ont montré qu'un THS réduisait les taux d'IL1 dans le fluide gingival de femmes ménopausées atteintes de parodontites évolutives.

Ces études confortent donc l'hypothèse qu'une carence œstrogénique augmente, au niveau parodontal, les quantités de facteurs inflammatoires et, en conséquence, la résorption de l'os alvéolaire. Assuma ont montré que l'injection d'antagonistes de l'IL1 et du TNF-α à des singes atteints d'une parodontite expérimentale limitait le recrutement de cellules inflammatoires à proximité de l'os alvéolaire et réduisait sa destruction. Cet effet local sur le parodonte est la réplique de ce que Kimble ont observé au niveau des os longs après utilisation d'un antagoniste des récepteurs de l'IL1 chez des rates récemment ovariectomisées. Des concentrations basses d'hormones sexuelles (œstrogène, progestérone) constitueraient ainsi une situation de risque pour les maladies parodontales.

Il est intéressant de noter que l'inégalité face aux infections résulte vraisemblablement d'un polymorphisme génétique des cytokines. Cette hétérogénéité ou polymorphisme ne porte généralement pas sur les séquences d'ADN codant les cytokines mais sur les séquences contrôlant l'expression de ces gènes. Face à une situation identique, deux personnes différentes produisent plus ou moins telle ou telle cytokine, tel ou tel récepteur de cytokine, de sorte qu'elles ne réagiront quasiment jamais de la même façon à un même agent pathogène. Récemment, Kornman et al. (1997) ont observé un polymorphisme des gènes codant pour l'IL1 se traduisant par une surexpression des IL1-α et β et des parodontites plus agressives que la normale. En présence des micro-organismes de la plaque sousgingivale, cette surexpression des IL1-α et β se traduit par une augmentation de l'inflammation gingivale. Elle induirait également la prolifération de certains pathogènes parodontaux dans les poches profondes (Socransky et al., 2000). Ainsi, des situations de carence œstrogénique pourraient exacerber la composante sécrétoire de monocytes déjà hypersécréteurs en raison d'un polymorphisme génétique. Le risque de destructions parodontales s'en trouverait accru.

Conclusion

L'examen des données publiées montre clairement qu'il n'existe pas, aujourd'hui, de preuves qu'une carence œstrogénique soit un facteur d'aggravation d'une maladie parodontale. Il existe pourtant un groupe de femmes ostéoporotiques qui pourrait constituer un groupe à risque. Celles-ci sont hypersécrétrices de certaines cytokines, qui sont les mêmes que celles impliquées dans la destruction des tissus parodontaux. Pour établir un tel lien, il manque des études longitudinales bien contrôlées et normalisées entre différents centres d'investigation. Face à cette situation potentielle, il semble important d'intégrer dans l'observation clinique des données sur la situation hormonale des patientes et, éventuellement, d'en tenir compte dans la démarche thérapeutique, d'autant que la carence œstrogénique a des répercussions documentées sur la cicatrisation.

1. La bioactivité correspond à un test biologique fondé sur la mesure de l'activité prolifératrice de lignées cellulaires IL1 dépendantes. Elle reflète le rapport IL1/IL1-ra.

Demande de tirés à part :

Dominique GUEZ, Laboratoire de biologie et physiopathologie cranio-faciales, Groupe physiopathologie osseuse, Faculté de chirurgie dentaire, université René-Descartes (Paris-V), 1, rue Maurice-Arnoux, 92120 MONTROUGE - FRANCE.

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