La distraction alvéolaire : mode opératoire original - JPIO n° 3 du 01/08/2003
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 3 du 01/08/2003

 

Articles

P. ROUSSEAU   

Paris, France.

Résumé

La distraction alvéolaire est une solution de remplacement aux techniques de greffes osseuses ou de régénération osseuse pour le traitement des pertes osseuses verticales. Préalable à la pose d'implants dentaires, elle représente théoriquement une solution de choix et, pourtant, force est de constater son manque d'essor.

Summary

Alveolar distraction is an option to repair vertical bone defects prior to the placement of dental implants instead of using bone grafts or bone regeneration. Theoretically, it is an ideal procedure, but we must acknowledge that it is not yet in current use.

Key words

Alveolar bone defect, alveolar distraction device, dental implant

Principes

La distraction alvéolaire (DA) est l'application à l'os alvéolaire des principes de la distraction ostéogénique (Ilizarof, 1975 ; Ilizarof, 1987).

Définition

La distraction ostéogénique se définit comme étant le résultat d'une traction graduelle sur le tissu vivant. Cette traction crée une tension qui peut stimuler la formation osseuse et maintenir la régénération de ce nouvel os formé.

Méthode

La méthode consiste à induire la formation d'un os nouveau par l'application de contraintes. Cette contrainte est appliquée sur le tissu osseux par l'intermédiaire d'une vis sans fin qui provoque l'écartement progressif de deux fragments osseux entre eux.

Mécanisme

Le mécanisme d'ossification correspond simultanément à une ossification intramembraneuse (sutures cranio-faciales) et endochondrale (synchondroses baso-crâniennes) avec l'intervention du tissu chondroïde.

Procédé opératoire

La technique consiste en la séparation d'une pièce osseuse par une ostéotomie ou par une corticomie respectant l'enveloppe périostée. Un appareil de distraction est mis en place. Il s'agit d'une vis sans fin fixée à deux plaques identiques aux plaques d'ostéosynthèse, solidaires de chaque fragment osseux. Une période de latence précède l'activation du distracteur. L'activation, qui consiste à actionner la vis sans fin pour écarter les deux fragments osseux l'un de l'autre, est caractérisée par son rythme, sa fréquence et son amplitude. Ces trois paramètres conditionnent l'ostéogenèse de l'espace s'organisant entre les deux fragments osseux lors de leur éloignement progressif.

Une période de consolidation, variable selon le site osseux plus que selon la croissance obtenue, précède la dépose du système.

Distraction alvéolaire

Cette technique représente une solution de remplacement aux greffes osseuses et aux techniques de régénération osseuse indiquées dans le traitement des défauts osseux verticaux précédant la pose d'implants dentaires.

Elle reprend les principes de la distraction ostéogénique appliqués à l'os alvéolaire (Chin et Toth, 1996 ; Hidding et al., 1998 ; Oda et al., 1998 ; Buis et al., 1999).

Indications de la distraction alvéolaire

Ce sont celles de la prothèse implantaire :

- pertes osseuses verticales dans les zones esthétiques ;

- hauteur osseuse disponible insuffisante au regard de la longueur possible des implants ;

- relation entre la hauteur prothétique et la hauteur de l'implant défavorable.

Le principe même de la distraction alvéolaire permet d'obtenir de façon constante un résultat proche de celui escompté si la technique chirurgicale a été conduite sans erreurs.

De plus, l'obtention d'un os nouveau au niveau du site opéré est peu dépendante de la forme de l'os résiduel, alors que le succès d'une greffe osseuse est conditionné à un site receveur adéquat.

La distraction alvéolaire est une intervention qui est souvent longue mais qui n'est pas douloureuse pour le patient. Elle se réalise sous anesthésie locale, elle est peu invasive et ne modifie pas la vie sociale du patient. Elle peut se réaliser en conservant une prothèse amovible dans les secteurs esthétiques. La manipulation du distracteur par le patient ne soulève pas de difficulté particulière.

La distraction alvéolaire est indiquée dans les sites mandibulaires postérieurs, dans les sites maxillaires antérieurs et postérieurs lorsque la perte osseuse verticale est supérieure à 5 ou 6 mm. Dans cette dernière indication (maxillaire postérieur), une greffe d'élévation sinusienne de complément s'avère souvent nécessaire.

Intervention chirurgicale

Nous avons retenu comme exemple de description la situation d'une jeune fille de 22 ans présentant une séquelle de fente labiopalatine unilatérale fermée par une greffe pariétale 12 mois auparavant.

Chirurgie pré-opératoire

Le traitement par greffe osseuse est préjudiciable à l'intégrité des tissus mous. En effet, la couverture muqueuse de la greffe nécessite un déplacement aux dépens de la profondeur du vestibule et de l'épaisseur de tissu kératinisé sur la crête édentée. Dans le cas présenté, la fermeture des lambeaux a été obtenue par suture de la partie vestibulaire avec la partie palatine au-delà de la ligne de crête. Il en résulte une absence de gencive jusqu'à 5 mm à l'intérieur de la muqueuse palatine.

Compte tenu de l'action du distracteur sur les tissus muqueux, une greffe mucogingivale est donc indiquée pour améliorer les conditions opératoires (fig. 1 et 2).

Voie d'abord

Conventionnellement, elle se réalise au fond du vestibule afin de préserver la vascularisation du fragment osseux distracté et de lui assurer un transport vascularisé. Cette voie d'abord complique l'intervention en ce sens qu'elle limite le champ visuel et oblige à certains gestes en aveugle.

Nous abordons les sites opératoires par une incision conventionnelle crestale. Cette incision n'interfère pas avec la vascularisation qui est terminale au point de jonction des trajets vestibulaires et linguaux ou palatins des artérioles. Il n'y a donc aucun dommage vasculaire avec cette voie d'abord.

Décollement des lambeaux

Par le décollement différencié, nous assurons le maintien de la vascularisation du fragment osseux transporté. Ainsi, seul le lambeau d'accès est décollé, en pleine épaisseur, tandis que la partie opposée n'est ni soulevée ni même modifiée. Il en résulte une intégrité totale du périoste et l'assurance de la protection du tissu muqueux pour le fragment osseux distracté (fig. 3, 4, 5 et 6).

Prépositionnement du distracteur

Avant toute ostéotomie, il est indispensable de mettre en place le distracteur dans la position souhaitée. L'encombrement de celui-ci doit impérativement être prévu pour ne pas interférer avec les rapports occlusaux lors de la fonction buccale. Nous avons retenu ici un distracteur Track 1.5, de la société Martin.

De façon conventionnelle, le distracteur est posé au centre du site opératoire et parallèlement aux parois osseuses (fig. 7) illustré, comme avec la figure 8, par un autre cas clinique.

Lors de la phase active de la distraction alvéolaire, la pression des tissus muqueux refoulés par le mouvement du distracteur organise un champ de tension différentiel entre le vestibule et la muqueuse linguale ou palatine. De cette différence de laxité tissulaire résulte un mouvement de version du distracteur du côté lingual ou palatin, qui contrarie le sens du mouvement recherché (fig. 8).

Nous proposons un positionnement original du distracteur qui permet le contrôle du vecteur du mouvement pendant les phases d'activation et de consolidation de la thérapeutique. Notre proposition consiste à prépositionner le distracteur par une plastie osseuse réalisant un « logement » dans l'os maxillaire. Cette préparation a pour but de placer le distracteur dans une position stable, en fonction de la direction du mouvement choisi. Cette préparation est décalée par rapport aux dimensions du fragment osseux transporté puisqu'elle est réalisée aux dépens de la partie alvéolaire bordant la zone distractée. Ainsi, étant positionné contre les dents adjacentes, le distracteur ne peut en aucun cas subir de mouvements parasites lors de l'ascension du fragment osseux. Il se trouve orienté parallèlement à la direction verticale des crêtes alvéolaires (fig. 5).

A ce stade, il est indispensable de réaliser les forages des vis qui permettront la fixation des plaques du distracteur. S'ils sont réalisés après les traits d'ostéotomie, l'instabilité de la partie osseuse libérée contrarie fortement, voire rend impossible ce forage et, par conséquent, peut ruiner toute chance de terminer l'intervention normalement puisque la partie supérieure du distracteur ne pourra pas être fixée de façon stable et rigide au fragment osseux mobilisé.

Une fois le positionnement du distracteur effectué, les vis sont soigneusement déposées et le système retiré.

Ostéotomie horizontale

C'est la première ostéotomie à être effectuée. Dans le cas présenté, la vis de fixation du greffon pariétal est laissée en place afin de servir de repère de croissance osseuse. On mesure une hauteur d'os disponible de 2,8 mm entre la vis d'ostéosynthèse et le bord le plus coronaire de la paroi osseuse vestibulaire (fig. 3 et 4).

Les perforations dans la corticale des vis de la plaque mobile du distracteur, en permettant le repérage de la ligne de coupe, guident le trait de l'ostéotomie horizontale. Il importe de se rappeler que la muqueuse opposée ne doit pas être levée. Aussi, l'instrument coupant ne doit pas aller au-delà de la corticale opposée.

Cette première ostéotomie n'est pas toujours très simple à faire car l'épaisseur et la densité osseuses, dans un site dont l'élévation de température doit être rigoureusement contrôlée, rendent cette partie de l'intervention souvent un peu longue ; en outre, l'utilisation des scies en usage en chirurgie maxillo-faciale fait vibrer désagréablement le maxillaire du patient sous anesthésie locale. L'intervention est achevée au ciseau à frapper.

Pendant cette phase chirurgicale, le contrôle permanent de l'intégrité de la corticale opposée est effectué au doigt.

L'épaisseur de la baguette osseuse qui peut être mobilisée n'est limitée que par la possibilité de la fixer aux plaques du distracteur. Dans le cas présenté, le fragment osseux sera mobilisé à une hauteur de 2,8 mm en son centre.

Ostéotomies verticales

Ce sont les dernières à être effectuées. Elles sont obliques, formant un angle de 110° avec l'ostéotomie horizontale afin de ne pas limiter le mouvement libre du fragment osseux transporté. Elles sont terminées au ciseau à frapper.

Elles peuvent être réalisées à proximité du desmodonte de la dent ou des dents bordantes, selon l'épaisseur du trait d'ostéotomie et, donc, selon l'outil de section utilisé ainsi que selon l'aptitude du chirurgien (fig. 4).

Mise en place du distracteur

Les plaques du distracteur sont positionnées en face des forages préalablement effectués. La réalisation du logement initial du distracteur par plastie soustractive aux dépens du corps du maxillaire facilite grandement son repositionnement.

La première plaque fixée est impérativement celle qui bloque le corps du distracteur à l'os basal. Puis, en faisant jouer le fragment osseux libéré, on le fixe à la plaque de la partie mobile du distracteur. En effet, la libération de ce fragment par l'ostéotomie lui donne une liberté de mouvement qui n'est limitée que par son attache au périoste opposé à la voie d'abord. De ce fait, les trous de la plaque ne coïncident plus avec les forages initialement réalisés et il est nécessaire de forcer la mise en place du fragment osseux libéré (fig. 5).

Activation du distracteur

Il est indispensable, à ce stade, de vérifier le bon fonctionnement du distracteur en activant le système et en confirmant de visu le mouvement vertical libre du fragment osseux. 3 à 4 mm de mouvement sont suffisants pour le confirmer. Puis le distracteur est ramené au plus près de l'os basal, réalisant un espace libre de 2 mm environ. Il est judicieux de constater l'apparition du caillot sanguin dans cet espace avant la fermeture des lambeaux et, au besoin, le provoquer (fig. 5).

Fermeture du site opératoire

Elle est effectuée normalement et de façon étanche et n'appelle pas de commentaire particulier. Nous utilisons systématiquement du fil résorbable de petit diamètre, soit 6.0.

Dans les secteurs esthétiques, une prothèse provisoire est indispensable pour satisfaire aux objectifs du traitement qui consistent à limiter les contraintes sociales, fonctionnelles et esthétiques du traitement réparateur. La prothèse amovible provisoire, en résine exclusivement, est espacée de la muqueuse, par meulage, au niveau du site opéré. Il est relativement aisé de masquer la présence du distracteur dans le secteur antérieur du fait de sa position déportée latéralement. Une simple encoche dans la prothèse amovible permet le passage du fût du distracteur (fig. 9).

Phase de latence

Un délai de 7 jours est conventionnellement admis avant de commencer le mouvement. Il peut être prolongé en fonction des modalités chirurgicales, mais en tenant compte de l'épaisseur de l'ostéotomie réalisée puisqu'elle conditionne l'apparition de l'ankylose du système (fig. 10).

Phase d'activation

L'activation quotidienne du distracteur est réalisée par le patient selon des modalités (fréquence et amplitude) qui varient en fonction de la densité osseuse initiale, de la topographie du site opératoire, de l'épaisseur de l'os de transport et du choix du dispositif de distraction. Dans le cas présenté, la patiente a réalisé une activation de 0,3 mm deux fois par jour. Après quelques jours d'activation, la tension muqueuse réalisée par la poussée sous l'action du distracteur peut provoquer une douleur irradiante au moment du mouvement. Cette douleur régresse en 10 minutes. Il convient alors de stopper l'action et de ne reprendre le mouvement qu'au bout de 10 à 15 minutes.

Dans la situation clinique présentée, l'activation a duré 14 jours.

On observe un alignement des crêtes dans le sens vertical par rapport aux dents bordant l'espace édenté (fig. 11).

Dans une mise en œuvre conventionnelle des distracteurs, la position centrale du système, s'il est unidirectionnel, aggrave la perte osseuse horizontale du fait de sa version palatine. Dans notre proposition, l'orientation préalable du distracteur par une plastie osseuse aux dépens de la partie verticale de la paroi vestibulaire des alvéoles de la zone dentée autorise un positionnement dans le sens du mouvement souhaité. Ainsi, il est possible d'obtenir une croissance osseuse non seulement verticalement mais aussi horizontalement. De la sorte, par un seul artifice et par la même intervention, il est possible d'obtenir la restauration morphologique de la crête préalablement à la restauration implantoprothétique (fig. 12 et 13).

Le temps de consolidation correspond à l'ostéogenèse de l'espace créé et doit être suffisant pour pouvoir déposer le système et placer les implants. Il est, comme le rythme de la phase active de la distraction, variable en fonction des mêmes paramètres et dure de 3 à 4 mois.

Dépose du système

Nous avons attendu 3 mois et demi pour réintervenir. De façon conventionnelle, un lambeau d'accès vestibulaire est récliné en pleine épaisseur et de telle sorte que l'ensemble des plaques soit largement accessible. En effet, il existe toujours une invagination de tissus fibreux autour des plaques. Le système de distraction est déposé. On observe le tissu osseux remanié. Il présente des lignes verticales de croissance caractéristiques de l'étirement subi. Ici, on mesure aisément le gain osseux par la distance qui sépare le logement de la vis d'ostéosynthèse de la ligne coronaire de crête (fig. 14). On relève un gain vertical de 8,8 mm.

Trois implants ITI sont mis en place. La stabilité primaire est obtenue normalement. Il est toutefois important de conduire l'intervention avec délicatesse car le tissu en cours d'ostéogenèse est particulièrement fragile (fig. 14 et 15).

Le temps de cicatrisation de ce système implantaire est habituellement de 6 à 8 semaines. Après cette période, un bridge provisoire est mis en place (fig. 16).

Conclusion

La distraction alvéolaire est une intervention chirurgicale extrêmement intéressante. Le contrôle du mouvement de distraction peut être réalisé par le positionnement adéquat du dispositif utilisé. Le gain osseux obtenu est systématiquement significatif. Dans une étude récente, 21 implants ont été suivis après distraction pendant une période de 1 à 5 ans, et ont été relevées une moyenne de 7,9 mm de gain osseux (de 3 à 11,5 mm) ainsi qu'une moyenne de résorption osseuse après consolidation de 1,2 mm et une résorption moyenne après implantation de 0,5 mm, devenant stable sous la charge (Rousseau, 2003).

Cette étude nous a permis de réaliser des traitements par prothèses implanto-portées qui n'auraient pu trouver leur application dans les contextes initiaux sans avoir à recourir à des techniques chirurgicales plus complexes.

Demande de tirés à part

Paul ROUSSEAU : 5, rue Dupont-des-Loges - 75007 PARIS - FRANCE.

BIBLIOGRAPHIE

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