Efficacité de la barrière épithéliale gingivale dans la défense initiale du parodonte - JPIO n° 4 du 01/11/2004
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 4 du 01/11/2004

 

Articles

M. LAVAUD   

Faculté de chirurgie dentaire de Montrouge, Paris-V

Résumé

De récentes études montrent que les cellules épithéliales bordant le sillon gingivo-dentaire jouent un rôle direct dans la lutte contre l'infection bactérienne. Il semble intéressant de préciser tout d'abord les différentes modalités selon lesquelles les cellules épithéliales gingivales forment une barrière efficace : par leurs moyens de protection directe contre les bactéries, par leur intervention dans le recrutement des cellules de l'inflammation, voire par la fonction qu'elles peuvent remplir dans la réponse immunitaire, elles témoignent d'une efficacité certaine. Ensuite, il s'avère nécessaire de définir les moyens utilisés par certaines bactéries pour subvertir cette réponse épithéliale. Ce travail indique que les cellules épithéliales gingivales jouent le rôle de cellules sentinelles contre l'infection bactérienne ; leur faiblesse face à des bactéries invasives semble malgré tout démontrée.

Summary

Recently, it has become apparent that the gingival epithelial cells lining the subgingival crevice function both as a mechanical barrier to the ingress of organisms and also as sensors for microbial infection. First of all, it seems worth while to study different means by which epithelial cells act as an efficient barrier, the means by which they provide direct protection against bacteria, their involvement in the recruitment of inflammatory cells and the means by which they perform their role in the immune response. Next, it seems necessary to define the means by which bacteria subvert this epithelial response. This study indicates that gingival epithelial cells play a sentinel role against bacterial infection. However, their weakness in fulfilling this role is fully demonstrated.

Key words

Gingival epithelial cell, porphyromonas gingivalis, interleukin-8, ICAM-1, signal transduction

Introduction

La gencive saine est constituée d'un épithélium gingival de surface, d'un épithélium sulculaire, d'un épithélium de jonction et d'un tissu conjonctif comprenant un système fibreux, des vaisseaux et des nerfs. Les cellules de l'épithélium de jonction vont migrer apicalement lors de la parodontite et entraîner un approfondissement pathologique du sillon gingivo-dentaire ; il y a alors formation d'une poche.

Les premières cellules en contact avec les bactéries sont les cellules épithéliales gingivales. Quatre-vingt-dix pour cent des cellules de l'épithélium gingival sont des kératinocytes.

L'efficacité de la barrière épithéliale gingivale interne sur le plan de la protection mécanique contre les contraintes masticatoires et, sur le plan de la protection physique (formation d'un rempart), contre les bactéries, est démontrée (Schroeder et Listgarten, 1997). De récentes études montrent que les cellules épithéliales sont de véritables acteurs dans le programme de communication qui s'établit entre les bactéries et les cellules inflammatoires ou immunitaires, en jouant le rôle de cellules sentinelles. L'efficacité de la barrière épithéliale pourrait être pensée en des termes mécaniques, mais aussi en des termes de protection active contre certaines bactéries. En outre, un débordement de cette barrière épithéliale gingivale pourrait entraîner une rupture précoce de l'équilibre entre l'hôte et les bactéries et amorcer le processus pathologique.

L'objectif de ce travail est d'illustrer par quelques données récentes, issues de travaux scientifiques publiés, le concept d'une barrière épithéliale gingivale efficace et de montrer en quoi son efficacité est limitée. Les cellules épithéliales observées dans les différentes études sont toutes issues de biopsies de tissus épithéliaux, de cultures primaires d'épithélium de poche ou dérivées d'un carcinome épidermoïde oral.

La barrière épithéliale gingivale : composant actif de la réponse à l'infection bactérienne

Le kératinocyte gingival intervient dans la réponse immunitaire

Le kératinocyte épidermique joue le rôle de cellule présentant l'antigène à l'infiltrat de lymphocytes T dans le psoriasis, maladie inflammatoire de la peau caractérisée par une accumulation de lymphocytes et de neutrophiles à proximité de l'épithélium. Cette localisation particulière est le résultat d'interactions entre les kératinocytes et ces cellules immunitaires, impliquant des molécules d'adhésion et des cytokines. De même, dans la maladie parodontale présentant des caractéristiques communes au psoriasis, les macrophages activés vont induire leur propre sécrétion de cytokines (interleukine 1 [IL1], TNF-α, interféron α) et stimuler les kératinocytes gingivaux pour qu'ils larguent de l'IL8, expriment des molécules d'adhésion comme l'ICAM-1 et, par ce biais, jouent un rôle dans la réponse immunitaire (Suchett-Kaye et al., 1998).

Les kératinocytes gingivaux de l'épithélium de poche et de l'épithélium gingival oral expriment à leur surface des molécules du système HLA de type II, ainsi que les types II et III des récepteurs à la partie Fc des IgG (immunoglobuline G), liés à un antigène. À l'instar des autres cellules exprimant des molécules du système HLA II à leur surface, les kératinocytes gingivaux pourraient se comporter comme des cellules présentatrices d'antigène (Nunes et al., 1994).

Le kératinocyte gingival face aux bactéries

L'expression des défensines

Les α -défensines et les β -défensines sont de petits peptides antimicrobiens constituant un élément important de la réponse de l'hôte à l'infection microbienne (Diamond et al., 2001). Les β-défensines sont exprimées en quantité importante dans des tissus épithéliaux issus de gencives cliniquement inflammatoires (tableau 1) (Dunsche et al., 2001).

Leur synthèse est constitutive des cellules épithéliales, induite par l'IL1-β, le TNF-α, des fragments de Fusobacterium nucleatum (Weinberg et al., 1998 ; Krisanaprakornkit et al., 1998). Elles sont synthétisées par les cellules de l'épithélium sulculaire. Les α-défensines, sécrétées par les neutrophiles ayant migré à travers les tissus, vont jouer un rôle crucial dans l'épithélium de jonction. La localisation des β-défensines est associée à l'état de différenciation des cellules épithéliales. En effet, elles sont retrouvées en quantité plus importante dans les couches épithéliales les plus superficielles, les plus différenciées, alors que leurs ARNm sont situés dans les couches basales ; les ARNm seraient donc produits dans les couches cellulaires les plus profondes, les moins différenciées, et efficacement traduits dans les couches les plus différenciées (Dale et al., 2001). Des études ultérieures devront déterminer en quoi une expression altérée de ces peptides antimicrobiens peut être impliquée dans la maladie parodontale.

L'expression de l'IL8

L'IL8 a des activités chimiotactiques pour les neutrophiles et, à moindre échelle, pour les lymphocytes T, les monocytes et les basophiles. Présente à des niveaux élevés dans les tissus gingivaux inflammatoires, c'est un facteur chimiotactique dans les processus d'inflammation gingivale. On la détecte aussi dans les gencives saines ; elle doit donc être responsable de la migration constante des leucocytes à travers les tissus gingivaux (Fitzgerald et Kreutzer, 1995). Un grand nombre de cellules de l'épithélium de jonction possède des ARNm d'IL8 (Tonetti et al., 1998). Elle a une expression épithéliale dans des biopsies gingivales, en intracellulaire et/ou connectée à des récepteurs de membrane ayant alors une fonction autocrine ou paracrine. L'expression de ces récepteurs est augmentée en cas d'inflammation gingivale (Sfakianakis et al., 2002). Les kératinocytes oraux, in vitro, augmentent précocement leur sécrétion d'IL8 en réponse à l'infection par Actinobacillus actinomycetemcomitans, Prevotella intermedia, Fusobacterium nucleatum, Eikenella corrodens et Porphyromonas gingivalis (tableau 1) (Huang et al., 2001 ; Sugiyama et al., 2002 ; Han et al., 2000 ; Yumoto et al., 2001 ; Sandros et al., 2000).

L'expression de l'IL6

L'IL6 stimule la prolifération des plasmocytes et doit permettre la présence de plasmocytes dans la lésion établie. Elle est majoritaire dans des sites d'inflammation parodontale. Son expression épithéliale gingivale est fortement augmentée in vitro, en réponse à l'infection par une protéase de Prevotella gingivalis, qui clive et active un récepteur au niveau de son domaine extracellulaire, mettant en route une cascade d'activations permettant la synthèse protéique (Lourbakos et al., 2001). Elle est aussi augmentée au contact d'Eikenella corrodens (Yumoto et al., 2001) (tableau 1).

L'expression d'ICAM-1

L'ICAM-1 est un médiateur des interactions hétérotypiques entre leucocytes et kératinocytes ; cette molécule est capable de diriger l'infiltrat leucocytaire le long d'un gradient de récepteurs de surface (Tonetti et al., 1998). Elle est exprimée dans l'épithélium de jonction, de façon croissante, des kératinocytes basaux aux kératinocytes les plus superficiels. Son expression épithéliale est augmentée in vitro en réponse à l'infection par Actinobacillus actinomycetemcomitans (tableau 1) (Huang et al., 2001). Les signaux d'ICAM-1 sont topographiquement associés à la migration des neutrophiles (Tonetti et al., 1998).

La production de PGE2

La prostaglandine E2 (PGE2) joue un rôle majeur dans la réponse inflammatoire. Sa production reflète l'activité de la prostaglandine G/H synthase (PGHS). L'isoforme inflammatoire de cette enzyme, la PGHS-2, est exprimée précocement par les cellules épithéliales après exposition à E. corrodens. De même, la capacité d'une lignée de cellules épithéliales dérivées d'un carcinome épidermoïde oral à convertir l'acide arachidonique en PGE2 est augmentée après infection par cette bactérie. E. corrodens n'est pas une bactérie invasive ; le stimulus entraînant la production de PGE2 doit donc être un composant bactérien soluble, capable de diffuser dans les tissus (tableau 1) (Yumoto et al., 2001).

Ces différentes observations suggèrent une nouvelle approche du rôle des cellules épithéliales gingivales, composant intégral de la réponse aux différents pathogènes parodontaux, impliquant des interactions entre cellules épithéliales, bactéries et cellules de l'inflammation, avec comme outil principal de communication l'expression de cytokines ayant des fonctions chimiotactiques et pro-inflammatoires. Ces cytokines jouent un rôle majeur dans l'orchestration du déclenchement de la réponse inflammatoire ; leur expression est augmentée après stimulation des cellules épithéliales.

Certaines bactéries sont dites invasives, c'est-à-dire qu'elles sont capables d'envahir les cellules épithéliales. Il est probable qu'après son entrée dans la cellule, la bactérie produise et présente des molécules à la cellule hôte qui interfèrent avec les mécanismes de transduction du signal, autorisant l'activation ou la désactivation de gènes codant pour ces cytokines (Lamont et Jenkinson, 2000). Enfin, les cellules épithéliales gingivales ne semblent pas exprimer certaines cytokines comme l'IL2, l'IL4, l'IL5 et l'IL12, qui sont plus communément associées à la réponse immunitaire spécifique. Les produits sécrétés par les cellules épithéliales gingivales jouent donc davantage un rôle dans le déclenchement et la régulation de la réponse inflammatoire, que dans la réponse immunitaire spécifique.

Les limites de la barrière épithéliale gingivale

La capacité d'invasion des cellules épithéliales par certaines bactéries

L'invasion par P. gingivalis

Les facteurs de virulence de P. gingivalis incluent la synthèse d'enzymes protéolytiques dégradant les tissus de l'hôte et les médiateurs de la réponse immunitaire, la synthèse de métabolites toxiques et de facteurs d'adhérence qui vont permettre la colonisation bactérienne. La liaison aux cellules épithéliales est la première étape d'une série de réactions qui entraînent une modification des mécanismes de transduction du signal au sein de la cellule épithéliale. La séquence des liaisons des différentes adhésines à leurs récepteurs est importante dans la modulation de l'activité biologique de la cellule hôte par P. gingivalis (Lamont et Jenkinson, 2000). L'adhésion aux cellules épithéliales se fait principalement par l'intermédiaire des fimbriae ; d'autres protéines y participent (Lamont et Jenkinson, 1998).

Les fimbriae de P. gingivalis sont construits sur un noyau monomérique, la fimbrilline (FimA). Celle-ci, par sa région N terminale, est directement responsable de la plupart des propriétés adhésives de la bactérie. P. gingivalis exprime de hauts niveaux de fimbriae qui se lient aux cytokératines de la cellule épithéliale (Njoroge et al., 1997 ; Sojar et al., 2002).

L'invasion des cellules épithéliales par les bactéries est un élément important de virulence leur permettant une protection contre le système immunitaire de l'hôte. P. gingivalis a la capacité d'envahir les cellules épithéliales. Le contact de la bactérie avec les cellules épithéliales gingivales en culture primaire, observées par microscopie électronique, induit la formation d'invaginations de membrane qui entourent et englobent la bactérie, permettant son internalisation, processus similaire à une phagocytose. L'invasion requiert un métabolisme énergétique à la fois cellulaire et bactérien ; une synthèse protéique et des mécanismes de signalisation cellulaires sont mis en jeu. P. gingivalis produit un grand nombre de protéases fournissant les nutriments nécessaires à la croissance bactérienne et impliquées dans le processus d'invasion, dans l'évasion et la modulation des défenses de l'hôte. Elles vont dégrader les protéines de la matrice extracellulaire, activer des métalloprotéases de la matrice, inactiver des inhibiteurs de protéases matricielles ou stimuler des facteurs apoptotiques ; les fonctions adhésives et enzymatiques des protéases sont interconnectées (Lamont et al., 1995 et Lamont et Jenkinson, 2000 ; Njoroge et al., 1997 ; Duncan et al., 1993). Bien que l'ultime sort de P. gingivalis intracellulaire ne soit pas clairement défini, la bactérie semble pouvoir persister à l'intérieur de la cellule pendant de longues périodes et se répliquer intracellulairement (Lamont et al., 1995 ; Madianos et al., 1997).

L'invasion par A. actinomycetemcomitans

Certaines souches d'A. actinomycetemcomitans infiltrent l'épithélium oral. L'invasion se produit par un mécanisme d'endocytose, requiert une activité métabolique intense et une nouvelle synthèse de protéines, à la fois par la bactérie et par la cellule épithéliale, ainsi que l'attachement à la cellule hôte. On retrouve la bactérie dans des protrusions des cellules épithéliales ; celles-ci s'étendent entre cellules voisines et permettent la progression bactérienne de cellule en cellule. Cette progression peut aussi se produire par endocytose des bactéries libres dans l'épithélium (Meyer et al., 1996). Après infection par certaines souches d'A. actinomycetemcomitans, les cellules épithéliales entrent en apoptose (Kato et al., 2000).

L'invasion par P. intermedia

Les cellules épithéliales gingivales sont envahies par différentes souches de P. intermedia. L'invasion requiert une activité métabolique, des réarrangements du cytosquelette et une internalisation par l'intermédiaire de récepteurs, comme dans une endocytose (Dorn et al., 1998).

L'invasion par F. nucleatum

F. nucleatum est capable d'adhérer aux cellules épithéliales et de les envahir ; il réside à l'intérieur de la cellule dans des vacuoles. L'invasion requiert une participation de l'actine de la cellule hôte, des microtubules et un métabolisme énergétique (Han et al., 2000). On trouve ici des limites à l'efficacité de la barrière épithéliale gingivale. En effet, la cellule épithéliale ne représente plus qu'un support à l'action des bactéries et son rôle protecteur est détourné. L'environnement à l'intérieur des cellules épithéliales représente un milieu riche nutritionnellement et un lieu immunologiquement privilégié pour les bactéries, qui peuvent ensuite utiliser cette situation pour amorcer une recrudescence éventuelle de la maladie parodontale. Alternativement, leur internalisation pourrait représenter un mécanisme par lequel l'hôte séquestre ces organismes pathogènes et éventuellement les libère dans les tissus. Les bactéries pathogènes subvertissent le rôle de la barrière épithéliale.

La capacité de modulation de la transduction de signaux épithéliaux par P. gingivalis

Une cellule répond à un stimulus environnemental en relayant l'information en son sein. Il existe différents types de réponses à différents stimuli : par activation de l'activité enzymatique, par modification de l'organisation du cytosquelette, par changement de la perméabilité à des ions et par activation de la synthèse d'ADN ou d'ARN. La transduction d'un signal signifie que celui reçu par le récepteur à la surface cellulaire est différent de celui libéré à l'intérieur de la cellule. La perturbation des mécanismes de signalisation cellulaire accompagne le phénomène d'invasion. Les réarrangements cytosquelettiques permettent l'invasion. P. gingivalis induit une augmentation passagère de la concentration du calcium intracellulaire, ce qui entraîne la libération d'ions calcium dans le compartiment extracellulaire ; les flux d'ions calcium sont importants dans la plupart des événements de signalisation cellulaire et peuvent former des ponts calcium dans la membrane cytoplasmique, jouer un rôle dans le remodelage du cytosquelette ou au niveau des facteurs de transcription nucléaires (Lamont et Jenkinson, 1998). Les événements de signalisation cellulaire dépendent aussi d'une série de phosphorylations de protéines. L'invasion de P. gingivalis est associée à la phosphorylation d'une tyrosine d'une protéine intracellulaire (Sandros et al., 1996). Le résultat phénotypique de la subversion des mécanismes de signalisation de la cellule épithéliale par P. gingivalis est l'inhibition de la transcription et de la sécrétion d'IL8. En outre, P. gingivalis peut antagoniser la sécrétion d'IL8 par les cellules épithéliales gingivales stimulées par la plaque commensale.

Le processus d'invasion de bactéries pathogènes est fréquemment associé à une activité MAP kinase (mitogen-activated protein kinase) dans les cellules épithéliales. Les MAP kinases jouent un rôle central dans les mécanismes de signalisation des cellules de l'hôte. En plus de leur réponse mitogénique à des facteurs de croissance, elles sont impliquées dans les réponses aux cytokines. La cible de la cascade des MAP kinases est le noyau : la dernière protéine de la cascade entre dans le noyau et catalyse la phosphorylation de facteurs de transcription spécifiques s'unissant à des sites de l'ADN. Les gènes situés sur ces sites d'ADN codent pour des protéines qui joueraient un rôle dans l'activation du cycle cellulaire, aboutissant finalement au déclenchement de la synthèse d'ADN puis à la division cellulaire. Certains mécanismes associés aux MAP kinases sont activés par des cellules épithéliales gingivales infectées par P. gingivalis. Le temps de modulation de l'activité MAP kinase dans les cellules épithéliales gingivales est similaire à celui mis par P. gingivalis pour les envahir : les MAP kinases sont donc associées au processus d'invasion (Watanabe et al., 2001). L'invasion des cellules épithéliales par P. gingivalis entraîne la régulation transcriptionnelle négative de l'expression d'IL8. Le gène de l'IL8 peut être contrôlé par l'activateur transcriptionnel NF-κB. L'activation de NF-κB requiert une phosphorylation puis une dégradation de l'inhibiteur cytoplasmique I-κB. Le retrait d'I-κB du NF-κB autorise celui-ci à se transloquer dans le noyau où il reconnaît des motifs spécifiques lui permettant de déclencher la transcription d'IL8. P. gingivalis n'autorise pas la translocation nucléaire de NF-κB dans les cellules épithéliales gingivales. En outre, NF-κB contrôle la transcription de gènes impliqués dans la croissance et le développement, dans les mécanismes d'adhésion et de survie cellulaire. L'interférence de P. gingivalis avec l'activité NF-κB pourrait, par conséquent, avoir des implications significatives sur la physiologie et la pathophysiologie des cellules du compartiment épithélial gingival. Le cytosquelette ne joue pas simplement le rôle d'une structure passive de support mais peut aussi avoir une fonction dans la régulation de l'information intracellulaire : l'usurpation des fonctions des microtubules et des microfilaments par P. gingivalis peut aussi être un moyen de compromettre l'information cellulaire. Ces différentes perturbations des voies de signalisation cellulaire peuvent donc avoir des effets phénotypiques et relancer l'activité de la maladie (Lamont et Jenkinson, 2000).

La capacité de P. gingivalis à envahir les cellules, à manipuler la transduction du signal et à paralyser les composants de la réponse de l'hôte peut contribuer au succès de son activité pathogénique dans l'environnement parodontal.

La capacité à paralyser localement des cytokines d'origine épithéliale

Les médiateurs moléculaires de la réponse de l'hôte comme l'ICAM-1 et l'IL8 sont exprimés dans les tissus parodontaux sains. Leur expression est associée à un faible niveau d'infiltrat inflammatoire constitué de neutrophiles et de monocytes. L'IL8, dans un tissu parodontal sain, forme un gradient d'expression plus important à l'interface bactéries-cellules épithéliales qui décroît dans les profondeurs des tissus parodontaux. Ce gradient dirige les neutrophiles vers le site de colonisation bactérienne. P. gingivalis est capable d'inhiber l'expression d'IL8 par les cellules épithéliales induite par d'autres bactéries. Les IL8 préexistantes sont probablement détruites par l'activité protéasique de P. gingivalis. De plus, les protéases de P. gingivalis détruisent l'IL1-β et l'IL6 (Fletcher et al., 1997). Le mécanisme d'inhibition de l'IL8 met en jeu une régulation transcriptionnelle et post-transcriptionnelle ; il est aussi possible que l'invasion bactérienne facilite la libération de lipopolysaccharides en situation intracellulaire, entraînant la suppression de la synthèse d'ARNm d'IL8. L'invasion pourrait également être, pour P. gingivalis, un signal indiquant de sécréter un inhibiteur d'IL8, indépendant de toute activité protéasique, ou le signal d'un effet lipopolysaccharidique. L'inhibition de l'accumulation d'IL8 par P. gingivalis sur des sites où il envahit les cellules épithéliales pourrait avoir des effets dévastateurs sur la défense de l'hôte, le rendant incapable de détecter la présence bactérienne et de diriger les leucocytes. En outre, l'ICAM-1 est régulée négativement au contact de P. gingivalis. On a donc une paralysie locale des cytokines (Darveau et al., 1998 ; Huang et al., 2001 ; Madianos et al., 1997).

La capacité de progression dans les couches épithéliales

La liaison du plasminogène à F. nucleatum enitolique

La plasmine, forme active du plasminogène, est le principal médiateur du système fibrinolytique qui participe à l'inflammation. En plus de son activité principale de dégradation de la fibrine, elle peut aussi dégrader les protéines de la matrice extracellulaire et en activer les métalloprotéases. Le plasminogène et ses activateurs sont présents en grande quantité dans les sites inflammatoires au cours des parodontites et participent à la réaction inflammatoire. Les bactéries invasives peuvent acquérir une activité plasmine à leur surface et pénétrer dans les barrières naturelles de l'hôte en entraînant une destruction tissulaire. Ainsi, F. nucleatum peut lier le plasminogène à sa surface ; une bactérie recouverte d'une protéine de l'hôte doit donc être protégée du système immunitaire de ce dernier et avoir une virulence augmentée. La capacité de F. nucleatum à lier le plasminogène pourrait donc accroître sa capacité à échapper au système de défense de l'hôte et à dégrader les tissus sous-gingivaux (Darenfeld et al., 1999).

La dégradation des complexes de jonction

L'occludine (protéine transmembranaire, composant de la zonula occludens), l'E-cadhérine (protéine structure de la zonula adherens) et la β1-intégrine sont d'importantes molécules impliquées dans l'adhésion cellule-cellule et cellule-matrice et dans le maintien de l'intégrité et de la polarité de l'épithélium. L'exposition des surfaces basolatérales des cellules épithéliales à P. gingivalis entraîne une réduction de la résistivité transépithéliale qui mesure la perméabilité des jonctions. L'exposition des surfaces apicales provoque une augmentation passagère de cette résistivité qui diminue 24 heures après. De plus, la quantité d'occludine, d'E-cadhérine et de β1-intégrine diminue au contact de la bactérie, en rapport avec une rupture des jonctions intercellulaires. En outre, P. gingivalis rompt les jonctions intercellulaires de la partie apicale des cellules, ce processus étant plus long que lors du contact avec la zone basolatérale. En effet, P. gingivalis possède des protéases capables de cliver ces jonctions transmembranaires. Il peut donc envahir les structures conjonctives profondes par un mécanisme paracellulaire en dégradant les complexes de jonction, ce qui permet une progression bactérienne. L'augmentation passagère de la résistivité transépithéliale après l'inoculation bactérienne apicale pourrait représenter un mécanisme de défense mis en jeu par la barrière épithéliale, avant de succomber à la bactérie (Katz et al., 2000).

L'infection de cellules épithéliales orales par P. gingivalis interfère à la fois sur les interactions cellule-matrice et sur l'adhésion cellule-cellule. Les cellules infectées montrent une réduction de l'adhésion à la matrice extracellulaire ; on retrouve une protéolyse des composants des jonctions adherens (caténines). Les facteurs de virulence que sont les gingipains, cystéines protéinases exprimées par P. gingivalis, seraient responsables de cette attaque protéolytique sélective (Hintermann et al., 2002).

Conclusion

La barrière épithéliale gingivale, par son répertoire de réponses aux pathogènes parodontaux, est douée d'une certaine efficacité. Les cellules épithéliales gingivales sont les premières à être au contact des bactéries et elles jouent le rôle de cellules sentinelles. Leur stimulation par des pathogènes parodontaux entraîne la sécrétion et l'expression de certains facteurs de la réponse inflammatoire ; elles sont alors les véritables déclencheurs de l'influx de cellules inflammatoires et harmonisent les phases initiales de l'inflammation. En outre, elles vont intrinsèquement exprimer des facteurs impliqués dans la lutte directe contre certaines bactéries et même, sans stimulus particulier, se présenter comme des cellules présentant l'antigène, en intervenant donc pleinement dans la réponse à l'infection.

Cependant, quelques bactéries réussissent à subvertir cette réponse épithéliale en échappant au système de défense de l'hôte. Elles vont moduler les signaux des cellules épithéliales en intervenant dans les cascades de la signalisation cellulaire et paralyser des composants jouant un rôle dans la réponse inflammatoire. Enfin, elles vont réussir à s'infiltrer dans les tissus profonds en détruisant les complexes de jonction épithéliaux. L'inactivation de la barrière épithéliale, premier contact avec les bactéries, pourrait correspondre cliniquement au déclenchement de la recrudescence de l'activité de la maladie parodontale.

Demande de tirés à part

Marie LAVAUD - 128 bis, rue de la Tombe-Issoire - 75014 Paris - France.

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