Les bruits occlusaux chez l'édenté total appareillé - Cahiers de Prothèse n° 102 du 01/06/1998
 

Les cahiers de prothèse n° 102 du 01/06/1998

 

Prothèse amovible complète (ou totale)

Vasile Burlui *   Catalina S. Morarasu **   Horia N. Teodorescu ***  


* Professeur
et chef du département de prothèse,

doyen de la faculté de stomatologie
Université de médecine et pharmacie
Jassy - Roumanie
** Assistante
Département de prothèse
Faculté de stomatologie
Université de médecine et pharmacie
Jassy - Roumanie
*** Professeur ingénieur,
chef du département

Systèmes Fuzzy
Université technique
Jassy - Roumanie

Résumé

Les auteurs se proposent d'étudier les bruits occlusaux chez des patients édentés totaux appareillés à différents niveaux de stabilité et d'ancienneté des prothèses. Chez ces patients, les bruits occlusaux ont été enregistrés, puis analysés sur un oscilloscope (analyse qualitative) et sur un analyseur spectral (analyse quantitative). Les bruits occlusaux chez l'édenté total appareillé sont influencés par : le matériau des dents prothétiques, l'expulsion de la salive au niveau d'un joint périphérique incorrect, les petits mouvements des prothèses, même pour celles considérées comme stables. Cette possibilité d'investigation moderne, sensible et approfondie est capable de mettre en évidence des caractéristiques inédites.

Summary

Occlusal noises found in the plated edentulous patient

The sounds that are obtained at the manducatory system level are the immediate consequence of the realization of oral functions. The authors set out to analyse sonic aspects beyond those existing in surface (which were studied by Watt and Brenman) and to talk about their inner structure, and the aftermaths on artificial arches found in the plated edentulous patient. The authors use an oscilloscope (for the qualitative and morphological analysis) and a spectral analyser for the three-dimensional quantitative analysis (Frourier). The results show the possibility and advantage to put into practice the method of gnathosonic analysis. The reference for the interpretation of values is represented in the classifications given by Watt and Brenman (in the field of time). The study points out morphological characteristics of occlusal noises influenced by the material (class A and B), the stability or instability of the prosthesis and the occlusion (contacts in two stages). We can also underscore parasitic noises which are unpleasant to the family circle. As far as the instable occlusions are concerned, low frequencies prevail, whereas for the arches with ceramic teeth, high frequencies are to be noted.

Key words

frequency analysis, gnathosonics, occlusal sounds

Les sons produits au niveau du système manducateur représentent la conséquence directe de la réalisation des fonctions orales. Avec des fonctions normalement définies par des structures morphologiques normales, on obtient des sons aux caractéristiques normales. En revanche, toute modification structurelle et/ou fonctionnelle est en relation directe avec une altération de ces sons.

Parmi les pionniers de la gnathosonie, ceux qui se sont occupés de l'étude des bruits occlusaux, on peut citer Watt [1] et Brenman [2, 3]. Leurs investigations se sont limitées superficiellement aux aspects superficiels des sons, sans s'intéresser à leur structure intime ni à leurs caractéristiques induites par le relief occlusal des prothèses et par le matériau qui les compose.

Le but de notre étude est de faire une analyse plus profonde des bruits occlusaux sur les arcades artificielles de l'édenté total bimaxillaire appareillé.

Matériel et méthode

L'analyse clinique représente une méthode subjective pour identifier les modifications des bruits occlusaux. Pour les évaluer objectivement dans des situations cliniques différentes, nous les avons analysées sur un oscilloscope et, dans le même temps, dans le domaine de fréquences sonores, sur un analyseur spectral [4].

Pour enregistrer les bruits occlusaux, nous avons utilisé deux microphones connectés à un amplificateur. Les microphones ont été placés sur les os malaires et stabilisés par un cadre métallique ou bien fixés par un adhésif (fig. 1). Les bruits occlusaux sont matérialisés sur l'écran d'un oscilloscope (OP 600) qui fixe la forme du signal. On a ainsi pu suivre la variation de l'amplitude dans le temps. Comme cette analyse ne donne pas d'informations sur la structure des bruits concernant leur intensité ou les bandes de fréquence, nous avons enregistré, dans le même temps, le bruit occlusal sur l'analyseur spectral (type RFT 01012) (fig. 2), qui donne la dispersion des vibrations sur les bandes de fréquence sur les 38 canaux et aussi l'enregistrement de la participation de chaque bande dans la formation du bruit occlusal. Nous avons fait une analyse statistique des résultats obtenus par partage sur les bandes de fréquence des bruits principaux.

La présente étude porte sur un groupe de 34 patients édentés totaux appareillés à des époques différentes :

- appareils récents avec une très bonne stabilité (12 patients) ;

- avec une bonne stabilité (15 patients) ;

- prothèses anciennes instables (7 patients).

L'âge moyen est de 63 ans, mais ni l'âge ni le sexe ne sont significatifs pour notre étude.

Les bases sont en résine acrylique thermopolymérisable et les dents en résine et en céramique. Les critères utilisés pour évaluer la stabilité des prothèses reprennent l'évaluation de la « Triade d'équilibre » de Housset (sustentation, stabilisation et rétention) [5]. Les enregistrements sont réalisés dans une chambre parfaitement isolée phoniquement et électromagnétiquement. Le bruit de fond résiduel est enregistré et ensuite éliminé par différence sur le graphique (de même pour l'analyse du signal vocal).

Nous avons enregistré les bruits occlusaux (en occlusion centrée terminale) et intercuspidation maximale. Pour avoir la certitude de l'exactitude de ces mouvements de fermeture de la mandibule et de leur reproductibilité, nous avons fait aussi des enregistrements simultanés à l'aide du kinésiographe de Jankelson. Les gnathosonogrammes sont reproductibles chez le même patient tant que l'occlusion et la position de la tête sont constantes [1]. La durée des enregistrements dépend de la durée du bruit occlusal, estimée par Watt [1] à environ 30 millisecondes.

Résultats

Résultats de l'analyse morphologique (qualitative)

Le groupe de patients, enregistré sur l'oscilloscope, se décompose comme suit :

• pour les 12 patients récemment appareillés qui présentent une très bonne stabilité des prothèses, les bruits occlusaux enregistrés sont uniques et appartiennent aux classes A, B et α de Watt [1] et Brenman [2]. Les contacts stables présentent une grande amplitude (fig. 3) ;

• les patients aux prothèses anciennes se divisent en :

- 13 patients avec une bonne stabilité des prothèses au contrôle : les bruits occlusaux enregistrés appartiennent à la classe B, ils sont uniques, stables et instables et ont une assez grande amplitude (fig. 4) ;

- 7 patients avec des prothèses instables : chez ces patients, nous avons enregistré un bruit multiple (classe C) avec une basse amplitude (fig. 5) ;

- 1 patient avec une bonne stabilité de ses prothèses, chez lequel un bruit prématuré est provoqué par des arcades artificielles trop hautes (dimension verticale d'occlusion surévaluée), de classe B avec une durée inférieure à 30 ms (fig. 6) ;

- 1 patient avec une bonne stabilité des prothèses qui comportent des dents en céramique, qui produit un bruit d'une très grande amplitude et unique (classe A) (fig. 7).

Résultats de l'analyse en fréquence (quantitative)

Nous avons également suivi les situations précédentes sur l'analyseur spectral :

• pour les 12 patients nouvellement appareillés, avec une très bonne stabilité des prothèses, nous avons enregistré des spectres avec un seul sommet, qui correspond à la bande de fréquence de 100-400Hz (intensité vers 20 dB) (fig.8) ;

• les patients anciennement appareillés se divisent en :

- 13 patients (avec une bonne stabilité de prothèses) dont les spectres sont caractérisés par un seul sommet dans la bande de fréquence de 500-1 000 Hz (fig. 9) ;

- 7 patients (avec des prothèses instables) qui produisent des bruits multiples (fig. 10) avec plusieurs sommets [3] dans la bande de fréquence de 250-650 Hz (intensité 25 dB) ;

- 1 patient avec une bonne stabilité des prothèses comportant des dents en céramique, qui offre un spectre à trois sommets dans une bande de fréquence de 500-700Hz (intensité 24 dB) (fig. 11) ;

- 1 patient, avec une bonne stabilité des prothèses et avec une dimension verticale d'occlusion trop haute, qui produit un bruit prématuré dans la bande de fréquence de 50-250 Hz (intensité 28 dB) (fig. 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 12).

Discussion

Sur les résultats de l'analyse morphologique (qualitative)

Les bruits occlusaux sont caractérisés par trois paramètres très intéressants : la durée, le nombre des sommets (contacts entre dents antagonistes) et la localisation du premier contact.

Pour localiser le premier contact, nous avons besoin de deux microphones et deux canaux, autant que pour les deux autres paramètres qui intéressent le signal en général (la moyenne).

Les occlusions normales réalisent un bruit avec un seul sommet et une durée maximale de 30 millisecondes.

Nous avons choisi comme référence, pour l'interprétation des images sur l'oscilloscope, les résultats des classifications de Watt [1] et Brenman [3].

Selon l'amplitude , il y a deux grandes classes de signaux :

- α (alpha) : signal de grande amplitude qui correspond du point de vue clinique au contact dentaire initial (éventuellement contact prématuré) ;

- β (bêta) : signal de basse amplitude qui correspond au glissement de la mandibule par rapport au maxillaire à la recherche de contacts stabilisants.

Selon la durée , il y a trois classes de signaux :

- classe A : d'une durée inférieure à 30 millisecondes qui correspond aux bruits de type α et signifie : contacts stables (fig. 13) ;

- classe B : d'une durée d'environ 30 millisecondes, normale : contacts stables et instables (fig. 14) ;

- classe C : d'une durée supérieure à 30 millisecondes qui correspond aux bruits de type β et qui signifie : contacts instables.

Les bruits occlusaux se propagent à travers les os maxillaire et malaires à une vitesse de 336 m/s et, dans les parties molles du corps humain, avec une vitesse de 150-160 m/s [6]. Une différence de localisation de 1 cm entre les microphones de la partie droite et gauche de la face va déterminer un décalage de 0,003 milliseconde sur les temps d'arrivée du bruit à l'amplificateur. On peut comparer cela avec la période de 0,001 milliseconde pour le plus petit bruit occlusal prématuré décelé (0,01 mm sur le diagramme) et qui représente la limite de la sensibilité tactile des dents [7].

L'amplitude de bruits occlusaux est également influencée par l'impédance acoustique des tissus mous humains, 1,7 × 105 dyn s/cm3 (1,7N. s/cm3) et de l'os compact frais, 6 × 105 dyn s/cm3 [8] et par la distance entre la source de bruits et les microphones (considérée constante, environ 10 cm). Les enregistrements sur l'oscilloscope démontrent que le bruit occlusal chez l'édenté total appareillé est très rarement un son court comme dans la denture naturelle parce que la dépressibilité de la muqueuse permet à la prothèse de s'enfoncer sous l'action des forces occlusales et prolonge le son dans le cas de prothèses stables (amplitude normale, bruit unique ou multiple, de classes A et B) (fig. 3, 4).

En ce qui concerne les prothèses qui ne sont pas stables, il y a deux bruits, de basse amplitude (classe C) (fig. 5), voire trois ; le troisième représente l'expulsion de la salive sous la prothèse (un bruit gênant pour l'entourage). Pour les arcades en céramique, on constate un bruit d'une très grande amplitude suivie par deux autres sommets, déterminés par l'instabilité des prothèses (fig. 7). La dimension verticale d'occlusion surévaluée se caractérise par une grande amplitude de classe A (fig. 6).

Sur l'analyse spectrale (quantitative)

Parce que nous n'avons pas trouvé de résultats dans la littérature concernant l'analyse en fréquence, nous avons effectué les enregistrements des spectres des bruits occlusaux avec l'analyseur spectral et nous avons trouvé la bande de 10-500 Hz comme la plus acceptable pour notre objectif [9]. Nous avons utilisé comme référence les gnathosonogrammes suivants :

- bruit occlusal stable (basse fréquence, haute amplitude 50 Hz) (fig. 15) ;

- bruit occlusal instable, qui correspond aux bruits enregistrés sur la cassette de Watt [1] (fig. 16).

L'intensité des bandes de fréquence que nous avons enregistrées nous démontre une croissance des dB, vers 100-125 Hz, jusqu'à 20-25 dB ; la courbe descend ensuite pour la bande de 300-400 Hz jusqu'à 12 dB. Les fréquences qui correspondent à l'enveloppe 10-500 Hz ont des basses amplitudes et nous ne pouvons pas les estimer. Toutefois, elles modulent les composants de haute fréquence et elles sont importantes pour classifier les bruits occlusaux.

Pour les prothèses stables, nous avons trouvé des spectres presque identiques au standard et repéré très facilement les occlusions en 2-3 temps et le bruit parasitaire déterminé par la salive. Le bruit prématuré et la céramique ont déterminé (normalement) des fréquences plus hautes.

Conclusion

- La méthodologie trop subjective utilisée généralement pour l'étude des bruits occlusaux impose la nécessité, pour une plus grande objectivité, de l'utilisation de la méthode d'analyse sur l'oscilloscope et sur l'analyseur spectral qui sont plus exacts et modernes.

- La méthode d'analyse gnathosonique nous permet un diagnostic étiologique et différentiel des bruits occlusaux.

- Notre étude relève les caractéristiques morphologiques des bruits occlusaux influencées par le matériau, la stabilité ou l'instabilité de la prothèse.

- On peut aussi mettre en évidence les bruits parasitaires déterminés par la salive et désagréables pour l'entourage.

- L'analyse des bruits occlusaux permet le diagnostic, puis la correction d'une insuffisance du joint vélopalatin.

- Le matériau (résine ou céramique) utilisé pour les dents influence le bruit (la fréquence et l'amplitude sont plus grandes pour la céramique).

bibliographie

  • 1 Watt DM. Gnathosonic diagnosis and occlusal dynamics. England: Praeger, 1981.
  • 2 Brenman HS.Gnathosonics and occlusion. In : Kawamura J, ed. Frontiers of oral physiology. Vol. 1. Basel : Karger, 1974.
  • 3 Brenman HS, Weiss RC, Black M. Sound as a diagnostic aid in the detection of occlusal discrepancies. Penn Dent J 1966;28:109-112.
  • 4 Burlui V. Gnathologie. Iasi (Roumanie) : Junimea, 1978.
  • 5 Housset P. Tracé des plaques décolletées et indices biologiques. Rev Odontol 1939;109:89-95.
  • 6 Von Gierke HE, Goldman DE. Effects of shock and vibration on man. In : Harris CM, Crede CE, eds. Shock and vibration handbook. 2e edition. New York : McGraw-Hill, 1976:44/1-44/57.
  • 7 Brill N, Schubeler S, Tryde G. Aspects of occlusal sense in natural and artificial teeth. J Prosthetic Dent 1962;12:123-128.
  • 8 Von Gierke HE. Transmission of vibratory energy through human tissue. In : Glasser O, ed. Medical physics. Volume 3. Chicago : Year Book Publishers, 1960:661-669.
  • 9 Teodorescu HN et al. Neurological control of the laryngeal prosthesis. In : Electronic in medicine and biology. London : Peregrinus Ltd, 1986.