La dimension verticale en prothèse totale - Cahiers de Prothèse n° 109 du 01/03/2000
 

Les cahiers de prothèse n° 109 du 01/03/2000

 

Prothèse amovible complète (ou totale)

Joseph Makzoumé  

Maître assistant
Département de prothèse amovible
Unin-St-Joseph - Beyrouth - Liban

Résumé

Toutes les techniques proposées dans la littérature pour déterminer la dimension verticale en prothèse totale comportent des variations et des imprécisions. C'est ce qui explique le caractère éprouvant de cette étape du traitement prothétique au cours de laquelle le praticien doit évaluer une dimension verticale de repos sans confirmation des résultats et estimer un espace libre d'inocclusion très variable entre les individus, sans assurance aucune d'une future intégration par le patient de la hauteur d'occlusion établie des valeurs retenues. Et pourtant, la détermination de la dimension verticale d'occlusion n'est pas un problème insoluble. La multiplicité des techniques, les variations et même les imprécisions que chacune comporte ainsi que l'arsenal philosophique à la disposition du praticien sont suffisants pour l'aider dans sa tâche à la déterminer. Il est de son ressort et jugement clinique d'adapter à chaque patient la méthode qui convient et assure des résultats en adéquation avec la fonction physiologique normale de chacun.

Summary

The vertical dimension in complete denture : critical report

All the techniques used to determine the vertical dimension in complete denture that are described in the literature involve variations and inaccuracies. That explains how tricky this stage of the prosthetic treatment is: the practitioner has to assess a vertical dimension of rest without confirmation of the results. He also has to evaluate a free space of non-occlusion which is highly variable from one individual to another, without being sure at all that the choice made will fit. Determining the vertical dimension of the occlusion is not an insolvable problem. The plethora of techniques, the variations and even the inaccuracies proper to each of them is sufficient to help him to determine it. It is up to him and to his clinical judgment to adapt to each patient the method which is suitable and ensures the results appropriate to the normal physiological function of each one.

Key words

free way space, removable complete denture, rest position, vertical dimension of the occlusion

De la prise d'empreinte primaire jusqu'à la pose des prothèses totales, l'acte le moins précis concerne la détermination de la dimension verticale d'occlusion (DVO). Les méthodes utilisées à cette fin sont nombreuses et variées. Certains cliniciens peuvent en privilégier une, mais la plupart finissent presque toujours par utiliser des procédures cliniques additionnelles pour vérifier leur évaluation.

Turrel a décrit 29 méthodes de détermination de la DVO [1] ; Samoian, 41 [2]. On a pensé à un moment que les techniques complexes donnaient de meilleurs résultats. Il n'en est rien. Aucune technique n'a prouvé être scientifiquement supérieure à une autre [3, 4].

Revue critique

La dimension verticale d'occlusion

De toutes les techniques proposées dans la littérature pour déterminer la DVO en prothèse totale, aucune ne fait l'unanimité. En présence de mesures ou de documents préextractionnels, les méthodes utilisées peuvent être :

- cliniques (tels les moulages, le tatouage, le masque facial, les enregistrements du profil…) ;

- anatomiques (tels la distance entre le point sous-nasal et le point menton ou la distance entre les freins labiaux supérieur et inférieur) ;

- photographiques ou téléradiographiques, où avant les extractions, des clichés sont pris, le patient étant en position d'intercuspidation maximale.

Toutes ces références préextractionnelles s'appliquent à une clientèle fidèle et les méthodes supposent chez le praticien une longue carrière professionnelle. Boucher n'y trouve pas une indication sûre à incorporer aux prothèses totales [5] et Turrel relève que les techniques qui consistent à appliquer sur le visage des découpes de profil ou des masques sont imprécises, car la peau, mobilisable, peut entraîner des variations dans les mesures de 2 mm ou plus [1]. En l'absence de documents préextractionnels, la détermination de la DVO fait appel à des méthodes directes ou indirectes.

Méthodes directes

Les méthodes dites anatomiques (techniques de Willis, Mac Gee, Boyanov, Appenrodt…) comportent d'importantes imprécisions et doivent être considérées avec beaucoup de réserves [6]. La classification de Sigaud se base sur des données moyennes de morphologie faciale, faisant abstraction du comportement neuro-musculaire de l'individu et des variations individuelles. L'interprétation des différents types rend l'utilisation de ces données difficile et aléatoire [7] ;

Les méthodes réalisées à partir de téléradiographies (méthode de Hull et Junghans, de Wylie…) ne semblent pas donner des résultats plus précis [6] ;

parmi les techniques physiologiques ou cliniques les plus courantes, nous retiendrons celles qui utilisent la déglutition : deux boules de cire molle (Periphery Wax de Surgident ou Lactona) sont déposées sur le bourrelet mandibulaire au niveau des premières prémolaires [7] ou premières molaires [8]. Le patient est prévenu de la présence de cette cire afin qu'il n'y ait pas de retenue ni d'hésitation lors du mouvement de fermeture. Puis, il est invité à déglutir trois fois [9] ou prié d'avaler une gorgée d'eau en se gardant d'un contact labial excessif [8]. Après la manœuvre, il ne doit normalement rester du matériau écrasé qu'une infime épaisseur [10] (fig. 1).

Ces méthodes ne peuvent être appliquées chez les personnes qui présentent une déglutition atypique [7] et semblent être un meilleur moyen de contrôle que de détermination de la DVO [11]. Evaluer un mince film de cire sur le bourrelet mandibulaire après plusieurs déglutitions n'est pas évident. Un excès de DVO est mis en évidence, mais pas une sous-évaluation. De plus, il paraît nécessaire de faire ôter au patient pour quelque temps ses anciennes prothèses avant d'entreprendre tout travail afin de lui faire perdre la mémoire neuro-musculaire acquise avec le port des anciens appareils au fil des ans [11].

Les techniques qui utilisent les prothèses existantes du patient comme prothèses de diagnostic [12, 13] doivent être utilisées avec de nombreuses réserves. L'adjonction de résine autopolymérisable sur les faces occlusales des dents artificielles (fig. 2) peut modifier les prothèses de façon irréversible. Sur le plan légal, en cas de litige avec son patient, le praticien peut être tenu pour responsable de ces aménagements s'il n'a pas réalisé, lui-même, ces prothèses. De plus, les patients complètement édentés sont très souvent âgés et susceptibles de tomber malades et de s'absenter pour une période assez prolongée. Toute modification apportée aux prothèses peut se révéler « perturbante » et n'est donc pas souhaitable.

Toutefois, ce problème peut être contourné en utilisant de la résine photopolymérisable à la place de la résine autopolymérisable. Le bonding ne sera appliqué sur la face occlusale des dents que la moitié du temps recommandé par le fabricant. La couche de résine ajoutée peut alors être facilement décollée en cas d'échec ou de fausse manœuvre de la part du praticien [8]. Si ce dernier souhaite tester la DVO avant d'entreprendre la confection de nouvelles prothèses, il est préférable d'effectuer le travail sur des prothèses provisoires évolutives… si toutefois le patient est prêt à en assumer les frais. Hansen propose de réaliser des gouttières occlusales et précise que les anciens appareils d'un patient ne doivent pas être modifiés d'une façon irréversible avant que de nouvelles prothèses ne se soient avérées satisfaisantes [14].

Les techniques qui reposent sur la perception neuro-musculaire du patient, qui est supposé pouvoir adopter une DVO confortable, ne semblent pas très précises selon Tryde et al. Ces auteurs ont mis en évidence un intervalle de confort, susceptible de variations selon les jours et les moments de la journée [15]. Kleinfinger souligne que ces méthodes peuvent être valables, si la DVO qu'elles déterminent concorde avec les résultats fournis par d'autres moyens [16]. Cela sans évoquer que de nos jours et contrairement aux générations précédentes, les patients totalement édentés sont de plus en plus âgés, donc moins réceptifs et moins coopérants. Peut-on vraiment faire confiance à leur jugement sachant que comme le précise Turrel, ils ont une certaine tendance à rechercher une DVO un peu réduite [1] ?

Méthodes indirectes

- Certaines se basent sur l'esthétique : après s'être humidifié les lèvres, le patient est prié d'ouvrir légèrement la bouche et d'effectuer un mouvement de fermeture lent. Lorsque les lèvres s'effleurent, c'est très probablement la dimension verticale de repos (DVR) [17] (fig. 3). Il existe un espace libre d'inocclusion (ELI) entre les bourrelets. Puis, il est prié de fermer davantage. Le clinicien doit observer un contact plus ferme des lèvres, assurant une harmonie entre les traits du visage (fig. 4). Ces techniques sont efficaces, mais nécessitent un œil exercé [18]. Elles sont contre-indiquées chez les patients très âgés ou qui présentent une faible tonicité de la peau ou qui ont une morphologie labiale anormale [1] ;

- les techniques phonétiques utilisent les sibilantes pour apprécier le plus petit espace intermaxillaire établi lors de la parole appelé : espace libre d'inocclusion phonétique minimum (ELIPM) et qui normalement est de 1 ou 2 mm. Une DVO correcte doit permettre l'articulation des phonèmes sans que les bourrelets ne se touchent [19] et elle est établie en retranchant l'ELIPM de la dimension verticale phonétique minimum (DVPM). Ces moyens sont mis en doute par Gillings, qui fait remarquer qu'il faut associer aux sibilantes d'autres phonèmes pour pouvoir évaluer la DVPM [20] ;

- quant à la méthode classique qui fait appel à la dimension verticale de repos de laquelle est soustraite une valeur d'espace libre d'inocclusion arbitraire, elle reste approximative puisqu'à la difficulté de déterminer précisément la DVR s'ajoute celle d'estimer l'ELI [21].

La dimension verticale de repos

Outre les méthodes téléradiographiques qui posent un problème en pratique courante à cause de l'installation spéciale qu'elles nécessitent, les principaux moyens de détermination de la DVR sont cliniques et font appel à la relaxation qui peut être naturelle ou provoquée.

Relaxation naturelle

Pour tenter d'obtenir une relaxation à la fois physique et mentale, le patient est calme et détendu, respirant par le nez, assis en position physiologique d'équilibre musculaire, buste et tête droits, yeux passivement fermés ou ouverts fixant l'horizon. Le clinicien se contente de l'observer sans intervenir jusqu'à percevoir chez lui un relâchement musculaire et une détente maximum des traits du visage (fig. 5).

Cette description suppose, chez le sujet, bien-être et sérénité absolue. Or, dans son complexe d'édenté et en butte à un état psychique d'appréhension et de gêne indéfinissable, il est difficile de réclamer au patient une décontraction suffisante pour l'amener à adopter une position de repos mandibulaire satisfaisante [22].

Relaxation provoquée

Certains praticiens préfèrent provoquer cette relaxation en demandant au patient d'accomplir certains actes précis à la fin desquels la mandibule se trouverait en position de repos : - certaines méthodes utilisent la déglutition, mais ce moyen est rarement pratiqué seul. En complément, il est souvent demandé au patient de se mouiller les lèvres avec la langue avant de se relaxer [23] ;

- certains cliniciens font appel à la gorgée d'eau, mais ce test peut être sujet à des erreurs dans le cas de déglutition atypique [7] ou dans certains cas de morphologie labiale particulière telle une lèvre supérieure très courte [21]. Par ailleurs, il est conseillé une rapidité d'exécution dans les mesures, puisque la salive venant s'ajouter à la gorgée d'eau provoque un réflexe de déglutition [21] ;

- des méthodes phonétiques peuvent aussi être utilisées. On assimile souvent la position de repos de la mandibule à celle qu'elle occupe pendant la prononciation du phonème « me » [24]. Moriya et al. affirment que c'est durant la prononciation continue de la voyelle « i » que la position mandibulaire est la plus stable et la plus rapprochée de la position de posture [25]. Cependant, comme le précise Samoian, la DVR est surestimée, car après l'émission d'un phonème, les lèvres entrouvertes provoquent un écartement intermaxillaire qui n'est pas le même que celui observé en position de repos mandibulaire où les lèvres sont généralement en contact léger [2] (fig. 6). Pompignoli et al. excluent ces techniques chez les patients très âgés, atones, craintifs et trop zélés [18] ;

- d'autres méthodes utilisent des exercices de tension musculaire pour provoquer la fatigue des muscles manducateurs. Le sujet est prié d'ouvrir la bouche au maximum pendant 3 à 5 minutes, puis dès qu'un frémissement est observé au niveau de l'orbiculaire des lèvres, de fermer et d'avaler sa salive. La position de repos mandibulaire est ensuite enregistrée [2]. Des bâillements excessifs prolongés, sangles labio-jugales tendues, ponctués par des séquences de déglutition ou des exercices analogues avec une propulsion exagérée du menton et interrompue par des rétropulsions de durée brève… peuvent aussi contribuer à la détente musculaire [17].

Tallgren demande au patient d'ouvrir et de fermer la bouche trois fois de suite, vigoureusement et aussi largement que possible, puis de faire des mouvements mandibulaires latéraux deux fois de chaque côté et de terminer par une déglutition. La mesure de la DVR est effectuée deux secondes après cet acte [26].

Kiliaridis et al. ont remarqué une nette augmentation de la DVR après des tests de fatigue [27]. Après 30 minutes de mastication d'une résine dure, l'ELI peut doubler de valeur [28].

Carlson et Ericson pensent que la posture mandibulaire à un moment donné et celle qui se produit immédiatement après des exercices de fatigue musculaire sont différentes [29].

Aucune de ces techniques n'aboutit à des résultats fiables et reproductibles. C'est pour cette raison que les cliniciens utilisent le plus souvent plusieurs méthodes en association pour comparer les résultats et en faire la moyenne. Dans une étude comparative de plusieurs d'entre elles permettant d'obtenir la DVR, le procédé utilisant la relaxation naturelle donne les meilleurs résultats [30]. Outre les critiques formulées à l'encontre des techniques de détermination de la DVR, d'autres intéressent les procédures cliniques utilisées pour son évaluation, notamment la présence des bases de transfert en bouche, la position du patient et la méthode de mesure de la DVR.

Les bases de transfert

Construites sur des modèles issus des empreintes secondaires, elles peuvent être en gomme laque ou en résine, surmontées de bourrelets en cire dure ou en Stent's (Atlantic Codental), confectionnées et adaptées en bouche afin de préfigurer au mieux la future denture prothétique.

La maquette maxillaire assurant un bon soutien de la lèvre, la hauteur du segment antérieur du bourrelet est réglée en fonction de l'âge du patient, de l'esthétique et de la phonétique. Le bord libre est ensuite rendu parallèle à la ligne bipupillaire et les segments latéraux parallèles à un plan de référence anatomique, habituellement le plan de Camper [31].

La maquette mandibulaire est adaptée vestibulairement et lingualement afin que les muqueuses jugale et labiale se plaquent contre elles. Antérieurement, la cire arrive au niveau du bord libre de la lèvre inférieure [32] ou légèrement en dessous [31]. Les bourrelets doivent pouvoir entrer en contact intime sur toute leur étendue et reconstituer le rempart alvéolo-dentaire dans sa forme, son volume et sa position. La langue ne doit en aucun cas être gênée ni forcée dans une position plus élevée [31]. Les bases doivent être parfaitement stables afin de ne pas être des éléments perturbateurs susceptibles de modifier l'appréciation de la DVR.

Durant cette étape, faut-il ou non faire porter ces bases au patient ? Les avis sont divergents. Gateau et Blanchet laissent le patient souffler doucement entre les lèvres jointes en l'absence des maquettes [33]. Begin et Rohr précisent que la base maxillaire doit être en bouche pour se placer dans des conditions analogues à celles du patient appareillé, car la plaque palatine empiète sur l'espace de Donders et entraîne un abaissement de la langue qui, à son tour, entraîne un abaissement de la mandibule [7]. Pompignoli et al. proposent de le faire en deux temps, à vide sans rien en bouche, puis avec la base maxillaire [18]. Budtz-Jorgensen et Clavel recommandent de prendre une première mesure avec la maquette maxillaire seule en bouche, puis une autre avec les deux maquettes [32]. Selon les expériences de Sheppard et al. et de Babu et al., la DVR enregistrée avec les prothèses est plus grande [23, 34] et plus fréquemment constante que sans prothèse [23] ; ce qui nous intéresse, c'est la DVR qui caractérise le patient une fois appareillé et non celle qu'il présente la bouche vide.

La position du patient

Sur ce point, les auteurs divergent également. Begin et Rohr proposent de mettre le patient debout ou en position assise sans aucun appui pour la tête [9]. Pompignoli et al. préfèrent la tête tout juste appuyée contre la têtière, le patient étant assis, les pieds en appui au sol, et mettent en garde contre les fauteuils dentaires qui ne peuvent assurer une telle position [18]. Si Boucher insiste pour un tronc vertical, la tête sans appui [5], d'autres auteurs ne précisent pas la position exacte du corps et se contentent de faire remarquer que le sujet doit être très décontracté [35-38]. Cela sous-entend évidemment qu'il est en position orthostatique, mais peu importe qu'il soit debout ou assis, la tête libre ou légèrement appuyée, les yeux ouverts ou fermés… puisque de toute façon il n'y a aucun moyen de confirmer que le patient a adopté la « vraie » position de posture ou celle supposée la plus correcte [39].

Certains patients arrivent mieux à se détendre en position debout plutôt qu'assise. L'inverse est vrai également. Il suffit de faire un ou deux tests dans chacune de ces deux positions afin d'opter pour celle qui lui convient le mieux. Et s'il juge plus favorable de fermer les yeux, il sera invité à le faire. S'il est assis, il convient d'éliminer la têtière. George et Boone se gardent d'après leurs recherches de l'utiliser, car son action contraignante peut altérer la relaxation de la musculature [40]. Cet avis concorde avec celui de Lejoyeux qui affirme que l'appui-tête introduit une composante postéro-antérieure capable de fausser le résultat final, particulièrement chez le vieillard dont la tête est habituellement inclinée vers l'avant [31].

Mesure de la DVR

De toutes les méthodes proposées dans la littérature, nous ne retiendrons que le procédé qui utilise un compas à pointes sèches, une règle graduée ou un pied à coulisse pour mesurer la distance séparant deux points tégumentaires médians, l'un au-dessus et l'autre au-dessous de la bouche. Les travaux de Jackstat et al. ont montré que la zone de moindre mobilité au niveau du massif supérieur est la pointe du nez et qu'au niveau de la mandibule, c'est la région comprise entre le sulcus labio-mentonnier et le gnathion [41](fig. 7). Il est évident que ce moyen est rudimentaire et n'apporte pas une grande précision. Avec le glissement de la peau sur le support osseux, surtout entre symphyse et éminence mentonnières et l'incertitude quant à reproduire la même position physiologique de repos à chaque tentative, il est difficile d'enregistrer à chaque fois la même valeur [35].

L'espace libre d'inocclusion

La DVR évaluée, le problème reste entier puisqu'il faut encore estimer un ELI qui est grandement variable chez les individus [21] et qui est sous la dépendance de divers facteurs dont :

- la forme de la mandibule, la valeur de l'angle mandibulaire et le type constitutionnel de l'édenté. L'ELI du fluorique est le plus important, celui du phosphorique est moindre et celui du carbonique le plus faible [32] ;

- le rapport squelettique des bases osseuses. L'ELI est minimal chez un individu de classe III (prognathe) où il peut égaler 1 mm et maximal chez celui de classe II (rétrognathe) où il peut atteindre les 8 ou 10 mm [31] ;

- le sexe. Pour chaque classe d'angle, l'ELI demeure plus important chez les hommes que chez les femmes. Cette différence est cependant inférieure au millimètre [42] ;

- l'âge. L'ELI augmente avec l'âge si l'équilibre neuro-musculaire reste bon [7] ou diminue si le patient se voûte, la tête s'inclinant vers l'avant [2] ;

- la race. Il semble que L'ELI des noirs soit plus réduit que celui des blancs [43] ;

- des facteurs physiques externes tels le froid ou la chaleur qui peuvent avoir une influence sur la tonicité des muscles masticateurs [31] ;

- des facteurs chimiques et médicamenteux tels les relaxants ou les décontracturants qui peuvent augmenter la DVR et, par voie de conséquence, l'ELI ;

- la position de la tête. L'ELI augmente avec la flexion de la tête en arrière et diminue quand elle est penchée en avant [39, 44] ;

- l'état physique et psychique du patient. L'ELI est différent selon que le sujet est fatigué ou non, qu'il a plus ou moins sommeil ou est soumis à différents états émotionnels tels la joie, la peur, le stress…, ce qui équivaut à dire que l'ELI est susceptible de variations selon les moments de la journée, l'humeur du moment… [45] ;

- certains états pathologiques affectant le complexe neuro-musculaire ou l'articulation temporo-maxillaire [31] ;

- la respiration. L'ELI décroît pendant l'inspiration et croît avec l'expiration [31] ou une respiration buccale.

La multitude de paramètres rend impossible une définition numérique de l'ELI chez un individu. C'est pour cette raison que les auteurs le situent dans une échelle de valeurs entre 1,5 et 3 mm [46, 47] ou 2 et 4 mm [37, 38, 48] dans les cas normaux. Mais cela n'empêche pas qu'il peut aller jusqu'à 10 ou 12 mm et être toujours considéré comme biologiquement normal. Quoi qu'il en soit, sa présence est estimée par tous les auteurs comme indispensable, il convient donc de la vérifier lors des étapes cliniques afin d'assurer le repos des muscles élévateurs et abaisseurs de la mandibule et d'éviter l'action de forces prolongées et nocives sur les tissus de soutien.

Le patient étant en position de repos mandibulaire, un petit écartement des lèvres peut être effectué. Cet espace doit être perçu par le praticien [37] (fig. 8) et ressenti par le patient. Toujours à partir de cette position et en demandant au patient de fermer lentement jusqu'à ce que les bourrelets se touchent, le praticien suivra le bord inférieur de la mandibule, pour voir s'il y a déplacement de la DVR vers la DVO [36].

En l'absence de références faciales fixes, aucune méthode de détermination de l'ELI ne garantit une DVO correcte [49] . Les principales techniques utilisées peuvent être classées en deux catégories. La première repose sur des analyses phonétiques où le patient en prononçant sans distorsion les sibilantes, détermine un ELI phonétique minimum entre les bourrelets (fig. 9) qui est variable et propre à chaque individu. Ce dernier moyen n'est manifestement pas utilisable chez les personnes qui propulsent la langue quand ils parlent ou qui zézayent [2]. La seconde opte pour le choix d'une valeur d'ELI estimée à partir des données de l'observation clinique. En dehors des cas particuliers, 2-3 ou 4 mm sont jugés acceptables à la condition qu'intervienne le sens clinique du praticien attentif à l'esthétique de son patient [21]. Car imposer 2 mm à un sujet qui a besoin de 5 ou 4 mm à celui qui se contente de 1,5 mm peut affecter l'appareil manducateur et provoquer des troubles esthétiques [5, 9], phonétiques [50] ou morphologiques affectant les tissus de soutien. Les conséquences des erreurs d'évaluation de la DVO sont très bien analysées dans la littérature, dans laquelle les auteurs mettent autant en garde contre une surélévation que contre une sous-évaluation de la DVO.

Curtis et al. indiquent que le praticien ne doit jamais favoriser l'esthétique et répondre au désir du patient d'augmenter sa DVO, la sous-estimation de l'ELI étant l'erreur la plus couramment observée chez les porteurs de prothèse totale [51]. Yamauchi et al., plus tempérés, démontrent qu'un nouvel ELI s'établit lorsqu'on annule l'ELI propre d'un sujet en augmentant considérablement sa DVO [52].

Orofino et Heraud évitent une sous-évaluation même infime de la DVO puisqu'elle peut déclencher des douleurs sus et sous-hyoidiennes, des douleurs de la nuque et des acouphènes, quelques mois après la pose des prothèses [53]. Boucher, pour sa part, affirme qu'une DVO faible peut avoir ses indications et cite l'exemple de crêtes en lame de couteau, qui ne peuvent être confortables que si une DVO réduite diminue les forces masticatoires, les traumatismes et l'endolorissement [5]. Pompignoli et al. font remarquer que lorsque le praticien hésite pour fixer la valeur de la DVO, il est plus sage de pencher vers une sous-évaluation de ce paramètre [18]. Cela sous-entend qu'entre deux maux, il faut choisir le moindre et que les conséquences d'une sous-évaluation sont à la limite moins destructrices qu'une surestimation.

Cette complexité du problème de l'ELI corrobore les propos de Klein : « la dimension verticale de l'étage inférieur de la face n'est pas une notion scientifique, mais une définition clinique qui demande de la part du praticien beaucoup de bon sens et d'expérience » [54].

Discussion

Si la DVO devait correspondre à une position unique, immuable et propre à chaque individu - en l'absence de références préextractionnelles et de technique précise et reproductible pour sa détermination - aucun clinicien ne pourrait jamais espérer retrouver cette position et aucun patient ne pourrait jamais aspirer à pouvoir porter un jour des prothèses. Fort heureusement, ce n'est pas le cas.

Dans la recherche d'une DVO acceptée, la réalité clinique exige une méthode fiable, prévisible, scientifiquement éprouvée et universellement applicable. Mais cette méthode n'existe pas.

Il est admis que tous les procédés connus à ce jour et cités dans la littérature peuvent servir de guide ou être d'une aide substantielle dans la recherche de la DVO chez le patient totalement édenté, mais aucun n'est reconnu suffisant à lui seul pour permettre une détermination exacte. Il semble qu'il n'y ait pas d'avantages significatifs d'une technique par rapport à une autre, si ce n'est sa simplicité et sa mise en œuvre, le temps qu'elle demande pour être exécutée, les frais qu'elle va engendrer et l'équipement ou le matériel qu'elle exige [55].

Les méthodes anatomiques comportant d'importantes imprécisions semblent les moins fiables. Déjà dans les années soixante, Bowman et Chick - pour ne citer qu'eux - déconseillaient leur utilisation même comme guide dans une construction prothétique [56]. Celles réalisées à partir de téléradiographies paraissent mieux adaptées pour les recherches dans les hôpitaux ou centres universitaires à cause de l'installation spéciale qu'elles nécessitent. Les techniques qui utilisent les anciennes prothèses du patient comme prothèses de diagnostic sont hasardeuses. En l'absence d'une prothèse provisoire évolutive, toute manipulation s'avère risquée et peut engager la responsabilité du clinicien. Celles qui reposent sur la perception neuro-musculaire du patient nécessitent un petit dispositif. Cependant, l'omnipraticien, en quête d'une solution facile, se détournera de ce moyen et lui préférera une autre méthode. Les techniques phonétiques sont des techniques intéressantes et tout à fait simples lors de l'essai fonctionnel de la prothèse. La déglutition, nous l'avons vu, peut être utilisée comme guide pour vérifier une DVO, mais pas pour la déterminer. La notion d'esthétique, quant à elle, est trop subjective pour se présenter de même comme une technique de détermination. Quant à la méthode classique qui fait appel à la DVR de laquelle est soustraite une valeur d'ELI arbitraire, sa simplicité et son utilisation très pratique expliquent peut-être son adoption par bon nombre de praticiens, mais elle reste bien trop approximative à elle seule pour autoriser l'adoption définitive de la hauteur d'occlusion qu'elle détermine.

Toutes les techniques sont critiquables, mais en somme, toutes permettent une approche. Et quelle que soit celle utilisée, le résultat qu'elle fournit n'est qu'une première évaluation. Les autres méthodes, mécaniques ou physiologiques, mises à contribution permettront au clinicien d'en confirmer l'exactitude.

Conclusion

Réussir la détermination d'une DVO en prothèse totale suppose chez le praticien « savoir, sensibilité et sagesse ». Pound décrit cette étape du traitement prothétique comme la phase la plus éprouvante dans la conception des prothèses totales [57]. Klein, quant à lui, considère que la mise en bouche et l'intégration des appareils par le patient constitue la séquence la plus difficile dans le traitement des édentations totales dans le domaine de la gériatrie [58]. Le nombre et la variété des méthodes proposées dans la littérature montrent l'ampleur de la difficulté pour le praticien à résoudre le problème de la dimension verticale. Il est de son ressort et de son jugement clinique d'adapter ces méthodes à chaque patient en vue d'obtenir des résultats en adéquation avec la fonction physiologique normale de chacun.

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