Le tenon radiculaire : est-il indispensable, utile ou dangereux ? - Cahiers de Prothèse n° 116 du 01/12/2001
 

Les cahiers de prothèse n° 116 du 01/12/2001

 

Odontologie Restauratrice

Jacques Déjou *   Gilles Laborde **  


* Professeur des Universités -
Praticien hospitalier
Département de biomatériaux
** Maître de conférences des Universités - Praticien hospitalier
Département de prothèses
UFR d'odontologie de Marseille
27, boulevard Jean-Moulin
13385 Marseille Cedex 05

Résumé

Après la description du comportement biomécanique de la dent dépulpée, déterminé essentiellement par l'importance de la mutilation tissulaire due à la carie ou à la fracture, cet article étudie les effets du tenon radiculaire sur la résistance mécanique de la dent restaurée. Il n'y a pas d'évidence de l'amélioration de la résistance des dents avec tenon radiculaire. En revanche, dans de nombreuses situations cliniques, le tenon peut affaiblir la dent restaurée. La seule indication réelle des tenons est la rétention du matériau de reconstitution coronaire. Cette rétention peut aussi être assurée soit par un autoancrage du matériau, soit par la mise en œuvre de techniques adhésives. En conclusion, la décision thérapeutique doit être prise à partir de critères objectifs parmi lesquels l'importance du délabrement, la forme des racines et l'environnement parodontal et/ou occlusal.

Summary

Are endodontic posts indispensable, useful or hazardous?

The main objectives of restorations of endodontically-treated teeth with a post and core build-up are: to replace lost enamel and/or dentin and to avoid fractures of residual tissues. Biomechanical properties of pulpless teeth are mainly influenced by tooth mutilation due to caries process or fractures. Elastic properties, compressive or tensile strengths and hardness are not really influenced by the little dehydratation of pulpless teeth. Root reinforcement by posts has not been proved either by laboratory or clinical researches. On the contrary, the posts may often weaken roots, especially curved roots. Consequently, the only indication of posts seems to be the retention of the material used for the core build-up. When a post is used, neither its shape, its diameter, or is chemical composition (alloy or carbon fiber-reinforced resin) influence the stress transmission in root dentin. The main factors are: the reduction of alveolar bone level and the existence of occlusal contacts during lateral movements of the mandible. Endodontic posts do not have to be considered as inevitable to restore endodontically-treated teeth.

Key words

biomechanics, bonding, endodontic post, self anchorage, toughness

L'utilisation de tenons radiculaires est très répandue. Sabek [1] a montré que près de 70 % des praticiens français en utilisaient un dans 75 % des dents dépulpées. Alors même que l'enseignement reçu par les étudiants en odontologie remet en cause le dogme du tenon radiculaire, 50 % des praticiens pensent qu'un tenon renforce la dent dépulpée. Des reconstitutions métalliques coulées sont réalisées dans 75 % des dents antérieures dépulpées, et 20 % des praticiens n'utilisent que ce mode de reconstitution.

Ces quelques statistiques mettent en évidence l'attachement des praticiens à des notions déjà anciennes qu'aucune étude clinique n'a pu justifier. La mise au point récente de techniques de collage efficaces, de résines composites aux propriétés améliorées et de tenons en fibres de carbone ou de verre a pourtant permis de proposer de nouvelles méthodes aux indications étendues. Mais, la reconstitution d'une dent dépulpée est un acte de pratique quotidienne plus souvent déterminé encore par des habitudes que par une adaptation du choix des matériaux et des techniques à la situation clinique.

Il convient donc de rappeler quels sont les objectifs essentiels de la reconstitution coronaire de la dent dépulpée :

- remplacer les tissus dentaires perdus ;

- protéger les tissus dentaires subsistants.

Pour atteindre ces objectifs, de nombreux paramètres sont à prendre en compte. Certains d'entre eux sont abordés dans ce numéro spécial des Cahiers de prothèse. L'objectif de cet article est de répondre à cette question : peut-on affirmer aujourd'hui que le tenon radiculaire est :

- indispensable pour atteindre ces objectifs, comme le pensent encore beaucoup de praticiens ;

- seulement utile dans certaines indications ;

- dangereux, éventuellement, dans certaines situations cliniques ?

Pour ce faire, il faut d'abord essayer de comprendre comment se comporte une dent dépulpée sur le plan biomécanique et ensuite analyser quels sont les effets de la mise en place d'un tenon sur ce comportement.

Influence de la dépulpation sur le comportement biomécanique de la dent

Le comportement biomécanique de la dent dépulpée est déterminé par :

- la mutilation tissulaire subie par la dent à cause, généralement, de la pathologie ayant entraîné la dépulpation (carie, fracture) et de l'acte endodontique lui-même ;

- des modifications du comportement de la dentine après dépulpation.

Reeh et al. [2] ont évalué, dans une étude réalisée sur 42 prémolaires extraites, les modifications des déformations élastiques subies sous une force occlusale maximale de 111 N. Deux résultats ont pu être mis en évidence en fonction des mutilations tissulaires subies par les dents :

- les diverses étapes de l'endodontie (préparation de la cavité d'accès, préparation canalaire et obturation endodontique) qui ne modifient que très peu le comportement élastique des prémolaires. Pour une contrainte constante, la déformation des dents après dépulpation n'augmente en moyenne que de 4 à 6 % par rapport à une dent saine ; cependant, la réalisation d'une cavité mésio-occluso-distale sur ces mêmes dents, après le traitement endodontique, provoque une augmentation de la déformation de plus de 60 % (fig. 1a) ;

- la réalisation de cavités occlusales, mésio-occlusales et mésio-occluso-distales sur des dents saines entraîne une augmentation de la déformation de respectivement 20, 45 et plus de 60 %. L'endodontie réalisée par la suite ne modifie que très peu ces valeurs (fig. 1b).

D'autres auteurs ont aussi mis en évidence ces modifications (Sedgley et Messer en 1992 [3], Linn et Messer en 1994 [4]).

On peut conclure que la mutilation subie au cours du traitement endodontique ne semble pas être responsable de modifications importantes du comportement biomécanique de la dent, alors que la perte des crêtes marginales (cavités occlusales, mésio-occlusales ou mésio-occluso-distales) compromet dramatiquement sa résistance.

De nombreux auteurs ont évalué les modifications des propriétés mécaniques de la dentine provoquées par la dépulpation [5-12]. Certains d'entre eux mettent en évidence des différences de comportement entre la dentine d'une dent pulpée et celle d'une dent dépulpée. D'autres, au contraire, ne constatent pas de modifications notables. Plus récemment, Huang et al. [13] ont montré qu'une déshydratation importante de la dentine pouvait provoquer une altération de ses propriétés mécaniques mais qu'aucune diminution significative de la résistance à la compression et à la traction ne pouvait être démontrée après dépulpation. Papa et al. [14] n'ont pas mis en évidence de diminution significative de la teneur en eau dans la dentine de dents dépulpées (< 9 %) Enfin, Sedgley et Messer [3] n'ont pas montré de modifications du module d'élasticité et de la dureté.

Effets du tenon radiculaire sur le comportement biomécanique de la dent dépulpée

Quelles sont les indications des tenons radiculaires ? Classiquement, deux d'entre elles sont rapportées :

- l'augmentation de la résistance de la dent par la participation à la répartition des forces auxquelles sont soumises les dents reconstituées ;

- rétention du matériau de restauration lorsque les structures dentaires résiduelles sont insuffisantes.

Plusieurs auteurs ont montré que le renforcement d'une dent par la présence d'un tenon radiculaire était impossible, quel que soit le tenon choisi. Dès 1979, Guzy et Nicholls [15] avaient montré, dans une étude in vitro, que la mise en place d'un tenon radiculaire n'augmentait pas la résistance à la fracture de la racine. Plus récemment, McDonald et al. [16] ont abouti à la même conclusion. Sidoli et al. [17] ont même montré que la résistance d'une dent dépulpée sans tenon radiculaire était plus élevée que celle de dents avec tenon radiculaire scellé ou collé, métallique ou en fibres de carbone. Bravin [18] et Trope [19] ont mis en évidence les dangers liés à la mise en place d'un tenon radiculaire. Quelques auteurs ont néanmoins décrit un renforcement de la dent dépulpée grâce à l'utilisation de certains tenons [20].

Il semble donc difficile de conclure, d'autant que la plupart des études citées ont été réalisées in vitro sur des dents extraites.

Cependant, dans certaines situations cliniques, les tenons radiculaires peuvent être dangereux.

C'est le cas des racines courbes. Déjou et al. [21] ont mis en évidence les effets de la préparation du logement sur la mutilation radiculaire. L'utilisation de forets Largo® (Maillefer) conduit à un déplacement du système canalaire, avec un affaiblissement des parois au niveau de la courbure et dans le tiers coronaire de la racine. De plus, le diamètre du logement préparé ne correspond pas à celui de l'instrument utilisé. Dans cette même situation clinique, les forets du système Parapost® (Whalledent) ne provoquent pas de déplacement du système canalaire et permettent la préparation d'un logement de diamètre très proche de celui de l'instrument utilisé (fig. 2a, 2b, 3a, 3b, 4a, 4b, 5a , 5b et 6).

Dans tous les cas, l'extrémité du tenon ne doit pas dépasser la zone de la courbure, ce qui rend ses racines difficiles à utiliser de façon efficace. De nombreuses dents présentent des racines courbées (tabl. I, fig. 7 et 8).

Une autre situation clinique est celle des canaux de section ovalaire ou aplatie. La mise en place de tenons préfabriqués dans de tels canaux conduit soit à l'affaiblissement de la racine si une adaptation précise du tenon est recherchée, soit à une diminution considérable de la rétention du tenon (fig. 9).

Le tenon devrait être une extension dans un canal mis en forme et non pas une intrusion dans la dentine radiculaire. À ce titre, il faut se méfier des publicités de certains fabricants qui commercialisent des tenons « anatomiques » dont le profil entraîne des mutilations irréversibles.

La forme, la longueur, le diamètre et la composition chimique du tenon influencent-ils le comportement biomécanique de la dent reconstituée ? Peut-on réduire les possibles effets nocifs du tenon radiculaire ?

Il n'existe pas d'études cliniques prospectives permettant de répondre à ces questions. Cependant, certains auteurs ont évalué in vitro les effets de divers facteurs d'influence. Laborde [22], Lefèvre et al. [23] et Lefèvre [24] ont analysé la transmission des contraintes appliquées sur une dent restaurée par une méthode mathématique : celle des éléments finis. Laborde a montré que ni la composition, ni le diamètre, ni la forme du tenon, ni même l'importance du délabrement n'influencent la transmission des contraintes occlusales à la dentine résiduelle (fig. 10a, 10b, 11a, 11b, 12a et 12b). En revanche, la longueur du tenon, en relation très étroite avec une alvéolyse éventuelle, semble essentielle. Un autre facteur lui aussi essentiel semble être l'orientation de la force appliquée. Les forces obliques entraînent des contraintes très importantes. Les implications cliniques de ces résultats sont les suivantes :

- en présence d'un support parodontal réduit, il convient d'être très prudent dans l'utilisation d'un tenon radiculaire ;

- les contacts occlusaux lors des mouvements mandibulaires en diduction doivent être limités ou supprimés afin de réduire les contraintes dentinaires.

Lefèvre [23] n'a pas mis en évidence de réduction des contraintes dentinaires par l'utilisation de tenons en fibres de carbone. En revanche, le scellement des tenons radiculaires métalliques ou composites avec un ciment adhésif résineux permet de réduire les contraintes au niveau de l'interface tenon/dentine et, donc, les risques de descellement et de fracture secondaire.

Les références aux différents travaux évoqués ci-dessus montrent que le renforcement de la partie résiduelle de la dent ne peut être considéré comme une indication de l'utilisation d'un tenon radiculaire. Il semble donc que la seule justification de l'utilisation d'un tenon soit constituée par la recherche d'une rétention du matériau de restauration par cet ancrage intracanalaire. Cette rétention peut aussi être obtenue par d'autres moyens que les tenons radiculaires : par l'autoancrage et par le collage.

L'autoancrage a été proposé surtout pour les restaurations coronaires en amalgame, mais il peut être appliqué aussi aux résines composites (fig. 13). Il ne joue un rôle que dans la rétention du matériau et n'améliore pas non plus la résistance mécanique de la dent restaurée [25].

La mise au point d'adhésifs dentinaires efficaces et de techniques permettant d'obtenir une bonne adhésion entre matériaux de reconstitution et résines de scellement-collage a permis de proposer une solution de remplacement au tenon radiculaire dans certaines situations

cliniques. Bukiet et Tirlet décrivent précisément les intérêts et les indications de ces méthodes [26]. Un exemple clinique en est présenté sur la figure 14a, 14b, 14c et 14d .

Conclusion

Le tenon radiculaire ne doit pas être considéré comme inévitable lors de la reconstitution de la dent dépulpée. Il n'est qu'un des outils thérapeutiques, et son utilisation doit être envisagée en fonction de critères cliniques objectifs, parmi lesquels figurent l'importance du délabrement, la forme de la ou des racines utilisables et, enfin, l'environnement parodontal et occlusal de la dent à restaurer.

bibliographie

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  • 24 Lefèvre X. Analyse mécanique par la méthode des éléments finis de reconstitutions corono-radiculaires. Thèse de doctorat. Nice : Université de Nice-Sophia Antipolis, 2001.
  • 25 Foley J, Saunders E, Sauders WP. Strength of core build-up materials in endodontically-treated teeth. Am J Dent 1997;10:166-172.
  • 26 Bukiet F, Tirlet G. Restaurations partielles collées sur dents dépulpées. De la prise de décision thérapeutique à la mise en œuvre clinique. Cah Prothèse 2001;116:73-81.